Bibliographies et documentation : insuffisances, problèmes et perspectives (fin)

Désiré Kervégant

Raymond Fourmont

Les problèmes relatifs à l'organisation bibliographique, en vue de pallier l'insuffisance d'exhaustivité des bibliographies courantes, la lenteur de la diffusion et les difficultés d'accès à l'information, sont esquissés et une solution suggérée à l'échelon national.Celle-ci consisterait essentiellement dans la publication d'une bibliographie signalétique, basée sur le dépouillement de l'ensemble des périodiques du domaine des sciences naturelles, aux références classées systématiquement (d'après la C.D.U.) et pourvue d'un index des matières annuel alphabético-méthodique (établi suivant la procédure d' « indexation en chaîne », de Ranganathan). Les fiches provenant des dépouillements effectués par les bibliothèques et services de documentation spécialisés seraient groupées par un organisme coordinateur central, qui intégrerait les références, publierait la bibliographie et fournirait, sur demande, les reproductions des documents signalés.

II. Problèmes et perspectives

« L'un des sports d'intérieur favoris de la profession de bibliothécaire, écrivait Gull (12), il y a quelques années, consiste à discuter et à proposer des remèdes destinés à réaliser l'intégration internationale des services bibliographiques. La difficulté présentée par la résolution du problème est bien montrée par le fait qu'aucun des efforts entrepris au cours du siècle n'a été suivi de succès et qu'il n'existe à l'heure actuelle aucun plan ayant pu rallier la généralité des suffrages et des concours. »

Malgré le pessimisme d'une telle constatation, il peut être cependant intéressant de dégager quelques lignes de force qui s'inscrivent dans le champ des opinions diverses. Nous passerons brièvement en revue l'éventail du dépouillement, la forme des bibliographies (signalétique ou analytique), les problèmes d'ordre technique et d'ordre fonctionnel qu'elles posent.

Éventail du dépouillement :

L'absence de bibliographie exhaustive présente de graves inconvénients pour le chercheur. Ce dernier, après avoir laborieusement parcouru les périodiques bibliographiques, ne peut presque jamais avoir la certitude qu'il ne lui ait pas échappé un travail de valeur, susceptible d'orienter différemment les recherches qu'il doit entreprendre ou de modifier les conclusions auxquelles il est parvenu.

Les lacunes et les duplications des bibliographies existantes résultent principalement de la dispersion des références concernant un domaine déterminé dans des périodiques consacrés à d'autres domaines marginaux ou même très éloignés. Suivant la loi de Bradford (2), corrigée par Vickery (18), cette dispersion est représentée par la formule suivante :
Tx: (T2x - Tx): (T3x - T2x)... = 1 : n : n2...

où Tx est le nombre de périodiques contenant x références, T2x le nombre total des périodiques contenant 2x références, etc..., n un nombre dépendant de la valeur donnée à x. En groupant les périodiques des domaines par lui prospectés (géophysique appliquée, lubrification) en 3 groupes, contenant approximativement le même nombre global de références, Bradford a trouvé que n était très voisin de 5.

Un centre de documentation spécialisé reçoit habituellement les périodiques du premier groupe et un certain nombre de ceux du second. Il lui est pratiquement impossible de les dépouiller tous, le prix de revient s'élevant très rapidement lorsque l'on atteint la zone de faible productivité en références et les derniers pourcents situés à la limite de l'exhaustivité. Cette dernière ne peut être réalisée, dans des conditions économiques acceptables, que par un organisme général assurant le dépouillement de toutes les publications de sciences naturelles, fondamentales et appliquées, et relevant tous les ouvrages, articles, brevets, etc... valables, quel que soit le sujet de ceux-ci.

Le volume de ces publications atteint sans doute un chiffre impressionnant. Vers 1930, Bradford (2) évaluait à 750.000 le nombre des articles de valeur, paraissant annuellement dans quelque 15.000 périodiques scientifiques et techniques, les 25.000 périodiques restants contenant des articles d'intérêt secondaire. Plus récemment (1944), R. Shaw, dans une communication non publiée sur un « Projet d'index international de la littérature scientifique et technique », fait aussi état de 40.000 périodiques, renfermant approximativement I.850.000 articles importants, assez bons ou médiocres (Ditmas (8)).

Le dépouillement de cette masse énorme de documents ne paraît cependant pas au-delà des possibilités humaines. On ne saurait retenir, pour en condamner le principe, l'abandon des tentatives qui ont été faites dans le passé et dont les exemples les plus remarquables sont l'International catalogue of scientific literature et le répertoire de l'Institut international de bibliographie.

L'International catalogue of scientific literature, bibliographie signalétique publiée de 1901 à 1914, outre les défauts qu'il présentait en ce qui concerne le classement des références et la lenteur de la signalisation, se limitait aux sciences pures et négligeait le secteur où les services de documentation allaient précisément prendre le plus grand essor, celui des sciences appliquées et des techniques.

Le répertoire de l'Institut international de bibliographie, de Bruxelles, devait réunir sur fiches, en vue de fournir des listes de références aux chercheurs, toutes les productions écrites de l'activité cérébrale humaine, quel qu'en fût le sujet, la forme et le pays de publication. La réalisation de ce rêve grandiose n'a été malheureusement soutenue que par des subventions du Gouvernement belge (dans les débuts seulement) et par l'enthousiasme des promoteurs, Otlet et Lafontaine, et de l'équipe des collaborateurs bénévoles qui les entourait. Commencé en 1895, le répertoire fut abandonné en 1931, alors qu'il comptait 13 millions de fiches bibliographiques.

Plus limité et plus réaliste fut le Catalogue sur fiches de la littérature scientifique et technique établi à la « Science museum library » de Londres, à partir de 1926. Soutenu par les efforts d'un seul organisme, ayant, malgré son caractère de bibliothèque nationale, des ressources relativement limitées, ce catalogue dut, lui aussi, être abandonné, du moins sous sa forme exhaustive, après la disparition, en 1948, de ses promoteurs, Bradford et Pollard.

L'étude des tentatives ci-dessus et de quelques autres intéressant des domaines plus restreints (par exemple, celle du « Concilium bibliographicum » de Genève pour la zoologie) n'est pas inutile. Elle permet d'analyser les causes d'échec et de préciser les conditions dans lesquelles devront être entreprises les nouvelles tentatives pour être suivies de succès.

A l'heure actuelle, le seul organisme qui vise à publier une bibliographie exhaustive des sciences naturelles est l'Institut national d'information scientifique et technique de l'Académie des sciences de l'URSS, créé en 1952. L'organe de cet Institut, le Referativnyj zhurnal, comporte 14 séries (astronomie et géodésie, biologie, chimie, construction et architecture, électrotechnique, géographie, géologie, géophysique, industries mécaniques, industrie minière, mathématiques, mécanique, métallurgie, physique) ayant totalisé, en 1958, 550.700 analyses. Si l'exhaustivité est encore assez loin d'être atteinte, la forte organisation centralisée de l'Institut, qui dispose d'un personnel permanent de 2.000 personnes et s'appuie sur la collaboration de quelque 20.000 spécialistes hautement qualifiés (Mikhailov (13)), permettra sans doute d'y parvenir un jour, en évitant les répétitions onéreuses et l'éparpillement qui caractérisent l'information scientifique des pays occidentaux.

Forme de la bibliographie.

Seul un grand groupe culturel, plus ou moins pénétré d'aspirations hégémoniques, est en état d'envisager une bibliographie analytique d'une telle ampleur, qui non seulement immobilise un nombre élevé de techniciens, mais est grevée d'un prix de revient considérable.

D'autre part, la rédaction des analyses s'accompagne nécessairement de délais de publication, qui peuvent gêner sérieusement certains groupes d'utilisateurs, notamment ceux des laboratoires de recherche scientifique et technique. Pour ces derniers, qui ont besoin d'être tenus au courant dans les moindres délais des publications se rapportant aux recherches qu'ils ont en cours, une diffusion signalétique rapide présentera souvent autant et peut-être plus d'intérêt qu'une bibliographie analytique. La connaissance, que possèdent ces spécialistes, des chercheurs et des périodiques de leur domaine leur permettra d'effectuer plus facilement une sélection des articles valables d'après la personnalité de l'auteur et le nom de la revue.

La diffusion signalétique peut elle-même présenter plusieurs formes. Le Dr P. R. Brygoo, par exemple, a préconisé la publication des sommaires des publications. Les références seraient groupées par périodique et imprimées avec une justification typographique permettant le découpage et la reproduction sur fiches. Il n'y aurait ni classement systématique par sujet, ni index matières annuel, la fonction d'orientation devant être assurée par des centres de documentation, munis de l'équipement électronique nécessaire pour établir rapidement des listes de références bibliographiques, composées en fonction des problèmes posés et pour chacun de ceux-ci.

La publication des sommaires permet une diffusion presque instantanée, dans la semaine suivant la réception des périodiques 2, si l'on utilise un procédé de reproduction rapide (par varityper et offset, par exemple). Mais ceci ne compense pas les inconvénients inhérents à la formule. Par suite de la dispersion des articles, le chercheur devra parcourir un nombre considérable de sommaires, travail fastidieux et entraînant d'importantes pertes de temps, s'il veut être assuré d'être tenu au courant de ce qui a été publié dans son domaine. Le bulletin des sommaires n'aura qu'un intérêt très momentané : il sera pratiquement inutilisable comme bibliographie de référence, par suite de l'absence de classement systématique et d'index annuels. Tout au plus pourra-t-on l'employer pour la préparation des fiches, avec d'ailleurs un déchet considérable dans le cas de services spécialisés.

En outre, pour que les centres de documentation puissent répondre à toutes les demandes de recherches bibliographiques, actuellement souvent faites par les intéressés eux-mêmes à partir des bibliographies et catalogues, il faudrait créer un réseau serré de services, pourvus d'un personnel important. L'utilisation de machines de sélection mécaniques ou électroniques n'améliorerait pas beaucoup la situation. L'engouement qui avait accueilli l'introduction de ces appareils en bibliothéconomie a fait place aujourd'hui à un scepticisme prononcé quant à leur efficacité et à leur rentabilité, du moins sous leur forme actuelle (Coblans (4), Shaw (15), Vickery (19)). Selon Vickery, la supériorité de l'automatisation serait due principalement à ce que celle-ci s'accompagne habituellement d'une indexation plus poussée et plus détaillée que celle appliquée aux fichiers traditionnels à sélection visuelle.

Une bibliographie signalétique, aux sujets classés systématiquement et à index auteurs et matières annuels, paraît présenter des possibilités plus intéressantes, bien que la diffusion soit un peu plus lente. Elle permettra, en effet, au chercheur d'accéder rapidement aux références concernant son domaine, sans avoir à par courir des séries de titres dénués pour lui de tout intérêt. Si le dépouillement est exhaustif, le spécialiste pourra parvenir à un sentiment de sécurité, qui le dispensera de chercher ailleurs un complément d'information (du moins sur le plan signalétique).

En outre, une telle bibliographie sera susceptible d'être utilisée comme catalogue permanent et de remplacer les nombreux catalogues sur fiches, actuellement entretenus à grands frais par les bibliothèques, services de documentation et chercheurs. Si l'on songe que chaque référence donne lieu à l'établissement, pour l'ensemble des organismes d'un pays donné, de plusieurs centaines et même plusieurs milliers de fiches, on se rendra compte de l'importance de l'économie susceptible d'être réalisée dans la routine des travaux documentaires. Si la bibliographie apparaît trop vaste, trop touffue, insuffisamment sélective par rapport aux besoins d'un organisme spécialisé ou d'un chercheur déterminé, il sera possible de pallier ces inconvénients, en recourant à des fiches de sélection du type Uniterm ou du type Selecto. L'Institut des fruits et agrumes coloniaux, par exemple, a utilisé ce dernier type de fiches pendant plusieurs années. Il en est de même de divers services de documentation employant le système de classification Cordonnier.

Pour pouvoir remplir convenablement les fonctions de catalogue, le bulletin signalétique devra évidemment répondre à certaines conditions, souvent mal réalisées dans les bibliographies actuelles.

En ce qui concerne la rédaction de la référence, il importera de faire suivre le titre en langue originale de sa traduction dans la langue nationale du groupe d'utilisateurs à laquelle est normalement destinée la bibliographie. Bien qu'en France, par exemple, le chercheur connaisse très généralement l'anglais, les langues latines et assez souvent l'allemand, la traduction en français sera cependant nécessaire pour une utilisation généralisée de la bibliographie, d'autant plus que, dans de nombreux domaines, la terminologie est très particulière et plus oumoins hermétique pour les non-initiés. Pour cette dernière raison aussi, les expressions vernaculaires (noms de plantes, animaux, maladies...) devront être précisées, en note, par l'indication du nom scientifique en latin par exemple.

Il semble cependant que les annotations doivent être réduites au minimum et intervenir seulement lorsque l'imprécision du titre l'exige. Les quelques lignes d'annotation qui accompagnent les références bibliographiques du Bulletin signalétique du C. N. R. S., par exemple, présentent sans doute plus d'inconvénients que d'avantages. Elles risquent, en effet, si elles ne sont pas rédigées par des spécialistes du sujet, de n'être que des paraphrases hâtives du titre ou un « condensé » maladroit du résumé d'auteur. De toutes façons, elles retardent la rapidité de la diffusion, accroissent le volume du bulletin, augmentent sensiblement le prix de revient, souvent sans rien ajouter d'appréciable à la seule traduction du titre.

Un autre point très important est la classification des références. A l'heure actuelle, ces dernières sont généralement groupées dans des cadres systématiques très larges, suivant l'ordre alphabétique des noms d'auteurs, tandis qu'en fin d'année est établi un index alphabétique des matières. La subdivision systématique est le plus souvent insuffisamment poussée et les renvois, dans le cas des sujets susceptibles de faire partie de plusieurs disciplines, sont très incomplets. Quant aux index matières, même les meilleurs d'entre eux, tel celui des Chemical abstracts, leur insuffisance a été soulignée à de nombreuses reprises, notamment par Bradford et Vickery. En matière de chimie, le plus complexe des domaines il est vrai, Dyson (9) a observé que 70 p. cent de la littérature relative à un sujet déterminé pouvaient être trouvés dans les meilleurs index, et 18 p. cent seulement dans les plus mauvais.

La seule façon sans doute de résoudre d'une façon satisfaisante le problème de l'accession aux documents, à partir des différents éléments constitutifs d'un sujet complexe et des différents points de vue, serait de combiner une classification systématique détaillée à un index alphabétique construit suivant la procédure en chaîne de Ranganathan (Vickery (19)). Chaque référence sera pourvue d'un indice de classification systématique et d'un indice chronologique permettant sa signalisation à l'index (et éventuellement sur les fiches de sélection).

Les systèmes de classification susceptibles d'être retenus pour la bibliographie signalétique sont en nombre très limité. Si l'on considère que la classification devra être à la fois encyclopédique, bien détaillée (de façon à répertorier des sujets très spécifiques), assez souple pour traduire la complexité des points de vue et permettre d'introduire éventuellement par « syndèse » (selon l'expression de Cutter) des sujets nouveaux, et déjà assez répandue dans le monde pour ne pas trop désorienter les utilisateurs, on ne se trouve en fait que devant un seul système : la Classification décimale universelle. Les nombreux autres systèmes existants, qui peuvent à certains égards se montrer supérieurs à cette dernière sont ou bien particuliers à un domaine restreint (comme c'est le cas d'excellentes classifications spécialisées des sciences techniques), ou bien trop rigides (classification de Dewey), ou enfin insuffisamment détaillés (classification de Ranganathan).

Pour les bibliothèques et services de documentation spécialisés, et a fortiori pour le chercheur particulier, une bibliographie couvrant l'ensemble du domaine des sciences naturelles, avec plus d'un million de références annuelles, sera évidemment un instrument très lourd, encombrant, difficile à utiliser et onéreux. Son « sectionnement » s'impose.

On peut envisager des sections très larges, par disciplines, sciences ou techniques, ainsi que le font les revues bibliographiques actuelles. Le Bulletin signalétique du C. N. R. S., par exemple, est publié en 14 sections, auxquelles on peut s'abonner séparément; le Referativnyj zhurnal en 65 sections (dont 18 pour les seules industries mécaniques). Le sectionnement peut cependant être poussé beaucoup plus loin, par « rubrique ultime de la classification » ou même par « spectre d'intérêt » des différents chercheurs, ainsi que l'a proposé G. Cordonnier (5).

La principale difficulté, surtout dans le cas de sectionnement étroit, réside dans le classement des sujets susceptibles d'être étudiés d'après différents points de vue et de faire partie de plusieurs domaines. Cordonnier préconise de répéter tous les titres pouvant intéresser le spécialiste d'un domaine particulier. Mais un tel morcellement d'une bibliographie générale en une somme de bibliographies particulières sera très onéreux.

Une autre formule (appliquée dans les Biological abstracts, par exemple) consiste à énumérer seulement les indices d'entrée des articles disséminés dans les autres sections. Cette formule pourra être satisfaisante pour le chercheur qui a facilement accès à la bibliographie générale et si le nombre de renvois aux sections étrangères n'atteint pas un chiffre trop important. Le degré du sectionnement sera à préciser en fonction du prix de revient et de la rentabilité. Il est des spécialités, qui coupent en travers une série de sciences fondamentales ou appliquées, pour lesquelles la solution la plus économique sera certainement l'établissement de fiches de sélection Uniterm ou Selecto, plutôt que la création d'une section particulière dans une bibliographie générale.

Organisation bibliographique.

On a souvent suggéré le recours à un organisme international pour réaliser, directement par lui-même ou en collaboration avec des organismes nationaux, le dépouillement exhaustif des publications. Les efforts dépensés par l'Unesco, au cours des années 1947 à 1953, n'ont pu cependant aboutir, les conceptions des éditeurs de périodiques bibliographiques dans les différents pays s'étant avérées peu réductibles et leurs positions généralement concurrentielles.

Une telle organisation internationale paraît d'ailleurs surtout indiquée dans le cas d'une bibliographie analytique (ou, plus exactement, de certains types de bibliographie analytique, les analyses critiques, par exemple, étant surtout du ressort d'organismes spécialisés), beaucoup moins pour une diffusion signalétique, dont la principale qualité est la rapidité. En outre, celle-ci est plus facilement réalisable que la précédente sur le plan national ou celui des groupements linguistiques. C'est aussi à l'échelon national que peut intervenir le plus facilement un certain « despotisme éclairé », que beaucoup estiment nécessaire pour sortir de l'anarchie bibliographique actuelle.

Le dépouillement de la littérature scientifique et technique mondiale est susceptible d'être effectué suivant diverses formules. Un organisme central peut relever tous les articles valables des périodiques, quel que soit le sujet traité. Ou bien les périodiques peuvent être répartis, suivant leur spécialité dominante, entre les organismes bibliographiques existants. Ceux de ces derniers qui rencontreraient, dans les publications qu'ils dépouillent, des articles ne les intéressant pas directement les signaleraient aux organismes du domaine dont relève le sujet. On aurait ainsi une série de bulletins bibliographiques plus ou moins spécialisés, chacun exhaustif en ce qui concerne son secteur.

La première méthode serait, d'après Bradford, très coûteuse autant qu'extravagante, car entraînant une duplication des travaux déjà effectués par les services existants. Cet auteur pensait trouver dans la coopération des services d'édition bibliographique et dans l'utilisation généralisée d'un même système de classement des références (la C. D. U.) une solution satisfaisante. Malheureusement, si coopération et normalisation sont théoriquement possibles, elles n'ont été réalisées en fait que sur une échelle très limitée.

On est donc conduit à envisager un organisme central national. Même aux États-Unis, patrie des grandes éditions bibliographiques financées par le secteur privé (Chemical abstracts, Biological abstracts, Psychological abstracts...), la question de la création d'un tel organisme a été posée devant le Sénat, en 1958 (21), après que l'avance technique des Russes, manifestée par le succès du Spoutnik, eut amené l'opinion publique à comparer l'organisation de la recherche aux États-Unis et en U. R. S. S.

En France, l'organisme central national existe, théoriquement du moins, depuis 1940; c'est le Centre de documentation du C. N. R. S. En fait, ainsi que l'a souligné Brygoo, ce dernier a été conçu dès l'origine comme une administration indépendante, venant doubler des services de documentation déjà existants, sans diriger ni même coordonner leurs activités. D'autre part, les moyens mis à sa disposition n'ont pas été suffisants, de sorte que les instruments de documentation élaborés « ont souffert dans leur vocation universelle primitive, en même temps que dans leur valeur pratique et, finalement, dans leur audience » (Brygoo (3)). Le Bulletin signalétique du C. N. R. S., basé sur le dépouillement de quelque 6.500 périodiques seulement (dont tous les articles ne sont d'ailleurs pas relevés), est d'utilisation difficile, surtout pour les recherches rétrospectives, en raison de son cadre de classification rudimentaire, des renvois insuffisants et de l'absence d'index matières annuels.

Une association plus étroite de l'organisme central national et des services de documentation publics et privés, accompagnée d'une modification de la structure du Bulletin signalétique, devrait permettre de remédier aux insuffisances actuelles.

Brygoo conçoit comme suit une telle association. Le travail de dépouillement des périodiques et d'analyse des articles serait décentralisé et réparti entre tous les organismes scientifiques et techniques de la nation. « L'organisme central, équipé de moyens électroniques d'enregistrement et de classement, n'aurait plus qu'à servir de centre de triage et de ventilation et à adresser à tous ses correspondants, sous forme de listes de références classées chronologiquement par périodiques, ou méthodiquement par matières, selon le cas, la documentation scientifique susceptible de les intéresser... Puisque la documentation signalétique implique, dans la plupart des cas, pour l'utilisateur, l'obligation de recourir à l'original des travaux dont les références sont communiquées, il serait nécessaire de doubler une telle organisation d'un équipement de reproduction des originaux (microfilm ou autre), qui permettrait à chaque utilisateur du système de bénéficier des périodiques et, en général, de tout document, archivés dans n'importe quelle bibliothèque. »

Si nous partageons l'opinion de l'auteur ci-dessus, en ce qui concerne l'opportunité de décentraliser le dépouillement et, jusqu'à un certain point, la conservation des publications, par contre faire consister essentiellement les attributions de l'organisme central dans le classement et la fourniture de listes de références nous paraît une solution très discutable. Le centre serait très rapidement submergé par l'afflux des demandes qui lui parviendraient de toutes parts. Il ne faut pas non plus oublier que les demandes émanant des usagers sont souvent mal posées (tous les bibliothécaires ont pu s'en rendre compte). Les questions présentent fréquemment un caractère trop général, insuffisamment spécifique, ce qui conduit à l'établissement de listes dont une grande partie des références est inutilisable pour le demandeur, car ne correspondant pas au sujet ou point de vue intéressant effectivement ce dernier.

Il nous apparaît plus réaliste d'envisager l'édition, par l'organisme central de documentation, d'un catalogue de références aussi complet et aussi bien classé que possible, lequel constituera, pour les services de documentation spécialisés et pour les chercheurs eux-mêmes, un instrument permettant d'effectuer d'une manière plus efficace et plus économique les recherches bibliographiques.

La première étape de l'organisation consistera à faire le recensement des publications couramment reçues par les services de documentation et les bibliothèques susceptibles d'effectuer le dépouillement 3.

Il serait ensuite procédé à l'établissement des listes de périodiques dont le dépouillement serait confié à chaque bibliothèque ou service de documentation. Il appartiendrait à l'organisme central d'acquérir (par voie d'abonnement ou d'échange) et de dépouiller (directement ou par l'intermédiaire de centres spécialisés) les périodiques de valeur qui ne sont reçus par aucun autre des organismes coopérateurs, de façon à couvrir aussi complètement que possible l'ensemble du domaine des sciences naturelles.

Le dépouillement des publications se limiterait à l'établissement de fiches signalétiques, comportant, outre le titre dans la langue originale, la traduction de ce dernier en français, l'indice de classification systématique (C. D. U. par exemple) et, exceptionnellement, dans le cas de titre peu explicite, une brève annotation. Les fiches seraient envoyées dans le plus bref délai à l'organisme central, qui aurait à les réviser éventuellement, à donner les indices de classement chronologique et à établir les index auteurs et matières. Il est évident que les différents organismes devront appliquer des règles catalographiques normalisées, notamment en ce qui concerne la translittération des caractères non latins (cyrilliques, orientaux, etc...) et l'abréviation des titres de périodiques.

La suppression de toute analyse, même limitée aux quelques lignes de l'actuel Bulletin signalétique du C. N. R. S., paraît s'imposer pour les raisons indiquées plus haut. Les analyses, pour être satisfaisantes, nécessiteraient d'ailleurs le plus souvent d'être faites par des spécialistes du sujet. Les fiches ne pouvant plus être rédigées uniquement par le personnel des bibliothèques et services de documentation, il en résulterait des délais fortement accrus dans leur préparation et une coopération beaucoup plus laborieuse entre l'organisme central et les services extérieurs.

Un bulletin strictement signalétique, tendant vers l'exhaustivité, bénéficierait d'une très large audience, non seulement en France, mais encore à l'étranger, où il n'existe actuellement aucune publication de ce type. Même limité à la France, il apparaît devoir être rentable, car il pourrait se substituer à la multitude des bulletins actuellement publiés par les différents services de documentation et remplacer pour l'avenir les catalogues sur fiches des bibliothèques.

Nous ne voulons pas dire évidemment que l'on doive se limiter, comme instrument documentaire, à la bibliographie signalétique. Les analyses, signalétiques ou critiques, ainsi que les mises au point périodiques, jouent un rôle très important dans la diffusion de l'information. Mais, pouvant varier sensiblement dans leur rédaction suivant les usagers auxquels elles sont destinées, elles paraissent être surtout du domaine des organismes spécialisés. D'autre part, ce mode de diffusion est déjà représenté, dans certains secteurs du moins, par de nombreuses publications étrangères, qu'il ne serait pas rentable de doubler pour de simples motifs d'intérêt linguistique ou de prestige national. Si, en cette matière, une coordination des efforts, qui pourrait être faite sous l'égide de l'organisme central, est naturellement souhaitable, une centralisation des activités apparaît beaucoup plus contestable.

Dans les conditions économiques et sociales de notre pays, il serait normal qu'un équilibre judicieux de la balance des services soit suffisant pour construire et cimenter l'organisation documentaire ci-dessus esquissée. Si toutefois le particularisme de certains apparaissait difficile à surmonter, l'intervention gouvernementale, en vue d'une planification, se motiverait autant, et peut-être plus, que dans divers autres secteurs de l'économie publique.

Résumé et conclusion

Les résultats du dépouillement de sept périodiques bibliographiques en matière de virologie végétale ont confirmé les conclusions de diverses enquêtes du même ordre faites antérieurement, à savoir manque d'exhaustivité des bibliographies actuelles, fréquence des répétitions de références, difficultés pour réunir une documentation valable à partir des index matières annuels. Il se peut que la situation soit plus favorable dans d'autres secteurs. L'imprécision et la fluidité des frontières séparant les différentes sciences et techniques d'une part, la dispersion des articles relatifs à un sujet donné dans des périodiques consacrés à des domaines très variés d'autre part, rendent cependant le plus souvent impossible la réalisation d'une bibliographie complète en dehors du dépouillement systématique de toutes les publications valables de sciences naturelles.

Une bibliographie analytique exhaustive, avec ses quelque I.500.000 références annuelles, ne saurait être que difficilement envisagée sur le plan national, en raison des ressources considérables en hommes et en argent qu'elle exigerait. Sur le plan international, les causes qui s'opposent à sa réalisation ne sont pas tellement différentes de celles qui arrêtèrent autrefois la construction de la Tour de Babel, la confusion des points de vue et des intérêts s'ajoutant à celle des langues.

Par contre, une bibliographie signalétique nous paraît parfaitement réalisable sur un plan national ou celui des grands groupes linguistiques, et nous avons brièvement exposé les caractéristiques qu'elle devrait présenter pour remplir convenablement son rôle d'information : groupement systématique des références, établissement d'index matières alphabético-systématiques, sectionnement par grandes disciplines. Enfin, nous avons esquissé la structure qui permettrait d'éditer dans des conditions optimales de prix de revient cette bibliographie, un organisme national centralisant les dépouillements effectués par les centres de documentation spécialisés, intégrant les références fournies et élaborant les index.

Une telle publication, conjuguée avec l'utilisation de fiches de sélection, constituerait pour le chercheur, le professeur et le bibliothécaire un instrument documentaire de premier ordre et d'une rentabilité certaine.

  1. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France, 5e année, n° 5, mai 1960, pp. 113-125.
  2. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France, 5e année, n° 5, mai 1960, pp. 113-125.
  3. (retour)↑  Une bibliographie de ce type est représentée par les Current contents (édités par la firme « Eugene Garfield Assoc. », de Philadelphie), qui donnent, toutes les semaines, une liste des sommaires de quelque 500 périodiques, américains et étrangers, du domaine des sciences chimiques, pharmaceutiques et biologiques. Grâce à une entente avec les éditeurs, les sommaires de certaines revues paraissent avant la publication de ces dernières.
  4. (retour)↑  Ce recensement est déjà à peu près réalisé par l'Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours, publié en 1956 par la Direction des bibliothèques de France et dont une nouvelle édition a paru il y a quelques mois.