Hommage à Pol Neveux

Julien Cain

Cet « Hommage à Pol Neveux» a été rédigé à l'occasion de l'exposition qui s'est tenue dans le Salon d'honneur de la Bibliothèque nationale, du 10 au 20 décembre 1959.

Vingt ans se sont écoulés depuis la mort de Pol Neveux. Ceux qui l'ont connu sont restés fidèles à sa mémoire. Ils évoquent souvent entre eux l'homme bon et sensible que seule la défense des lettres et de la culture pouvait éloigner de sa bienveillance naturelle et entraîner dans une sainte colère, l'écrivain que ses pairs portèrent à l'Académie Goncourt et qu'un souci de perfection, qu'il tenait de Flaubert, arrêta dans sa brève carrière de romancier malgré l'accueil qu'avait reçu La Douce Enfance de Thierry Seneuse. L'inspection générale des bibliothèques, emploi éminent qu'il occupa pendant trente-trois ans, de 1902 à 1935, lui permit de contribuer avec éclat à la rénovation des bibliothèques françaises. Il voyait en elles des foyers de culture qu'il fallait sans cesse entretenir, et son effort, comme représentant de l'État, s'est porté surtout vers les bibliothèques municipales. Il a été un des artisans de la loi de 1931, qui a permis le classement de quarante-trois d'entre elles. Les effets heureux de cette loi devaient apparaître au cours d'un quart de siècle.

La connaissance intime, profonde, des collections de nos bibliothèques provinciales, acquise au prix de voyages fréquents à travers la France, de séjours prolongés dans les villes auxquelles Pol Neveux accordait sa prédilection - et je pense à Toulouse, à Aix, à Avignon, à Lyon - apparaît dans ses rapports que conserve le ministère de l'Éducation nationale, et dont quelques-uns sont exposés ici. Longuement médités, établis avec précision et dans le style parfait qui était le sien, les rapports de Pol Neveux ne peuvent être comparés qu'aux célèbres rapports qu'un autre grand inspecteur, Mérimée, avait adressés un demi-siècle plus tôt au Service des Monuments historiques. Cette rare expérience devait se manifester enfin dans les deux volumes des Richesses des Bibliothèques provinciales de France, véritable inventaire que Pol Neveux publia avec Émile Dacier, qui devait lui succéder à l'Inspection générale, et avec le concours des bibliothécaires qui conservaient ces fonds. La préparation de ce grand ouvrage le conduisait presque chaque jour, quand il se trouvait à Paris, dans le bureau d'Émile Dacier, puis dans le mien. J'éprouvais ainsi tout le prix de ses conseils. Quand je ne le voyais pas, je recevais de belles et longues lettres, où les paysages, les monuments, les hommes aussi, de la province française étaient évoqués.

C'est un hommage discret - il n'en eût pas souhaité d'autre - que la Bibliothèque nationale rend aujourd'hui à Pol Neveux, et elle tient à y associer tous les bibliothécaires français. Nous avons rassemblé autour du manuscrit de La Douce Enfance, que conserve la bibliothèque de Reims, ses livres, ses articles, quelques lettres et quelques-uns des rapports dont je parlais; pour évoquer l'homme, des photographies et le portrait qu'Eugène Carrière fit de lui dans sa jeunesse; pour rappeler son goût si sûr, quelques dessins, quelques gravures sur lesquels chaque jour il portait ses yeux, quelques objets qui ne le quittaient pas, un seul livre : le petit La Fontaine qu'il relisait sans cesse.

On ne pouvait songer, pour quelques jours, à faire venir du Louvre, où, grâce à Madame Pol Neveux, elles ont pris place, les deux grandes figures souriantes du XIIIe siècle provenant de la maison de la rue des Tambours que Pol Neveux avait pu acquérir au début de ce siècle et qui étaient sa joie et son orgueil. Par l'effet de la même générosité, elles viennent d'être rejointes par la figure, plus petite, de jeune femme qui, suivant la tradition, provient de la Cathédrale elle-même. M. Pierre Pradel, conservateur en chef du département de la sculpture, accepte bien volontiers qu'elle soit exposée d'abord à la Bibliothèque nationale. Ainsi s'affirme de la manière la plus expressive, dans cet hommage à Pol Neveux, la présence de Reims, de Reims si intimement, si constamment mêlée à son œuvre et à sa vie.