Musique et musicologie dans les bibliothèques parisiennes
Celui qui désire aujourd'hui entreprendre en France un travail quelque peu approfondi sur la musique doit nécessairement effectuer l'essentiel de ses recherches dans les bibliothèques parisiennes. Sans doute certains dépôts de province possèdent des fonds musicaux assez importants 1. Mais, si l'on excepte la bibliothèque de l'Institut de musicologie de l'Université de Strasbourg, il s'agit toujours de fonds anciens sans spécialisation bien précise, démunis des instruments de travail et des manuels les plus élémentaires. Le but de cet article n'est pas de revenir sur cette situation ni sur celle de la lecture publique, dont se sont déjà préoccupés la Direction des bibliothèques et le groupe français de l'Association internationale des bibliothèques musicales (A. I. B. M.) 2, mais, au contraire, de tenter un bilan des ressources qu'un chercheur est susceptible de trouver en « montant » à Paris.
Strictement privée, la Bibliothèque musicale de la Radiodiffusion-télévision française, qui a été constituée à l'origine par les fonds de Radio-Paris et de Paris-P. T. T., est par sa nature même plus orientée vers la consommation que vers la conservation. Mais, si son équipement documentaire est relativement faible, son importance en tant que dépôt de sources originales s'est rapidement accrue depuis la guerre. Comme la radio est l'un des principaux centres animateurs pour la musique contemporaine et que l'édition musicale française possède une vitalité limitée, cette bibliothèque se voit de plus en plus détentrice de manuscrits (commandes de la radio à des compositeurs), de réalisations de musique ancienne, en général de matériel rare, que l'on chercherait vainement dans d'autres bibliothèques parisiennes.
De 195I à 1955, un Centre de documentation de musique internationale (C. D. M. I) a fonctionné rue Vivienne, en face de la Bibliothèque nationale. Il aurait pu rendre de grands services à la cause de la musique contemporaine : dépôt de partitions manuscrites et imprimées, de disques et de bandes magnétiques non-commerciales, il a organisé aussi pendant ces quelques années des auditions, voire des expositions et même un festival international. Il avait inscrit dans ses buts les réalisations de musique ancienne. Faute de réactions suffisantes du public et d'un statut suffisamment indépendant, il a dû fermer ses portes, bien que son utilité ait été reconnue, en semblant faire la preuve que la musique ne peut vivre en France qu'avec le soutien des pouvoirs publics.
En ce qui concerne l'ethnomusicologie (appellation officiellement adoptée depuis les Colloques de Wégimont en 1955), le chercheur devra d'abord s'orienter vers les organismes spécialisés, le Musée des arts et traditions populaires (domaine français), le Musée Guimet (domaine extrême-oriental) et le Musée de l'Homme (autres domaines), qui sont détenteurs des seules sources désormais reconnues comme valables pour l'étude scientifique des traditions orales (disques et bandes magnétiques) et qui possèdent des bibliothèques. On peut considérer comme relativement complémentaires les collections de recueils de chansons populaires, manuscrits ou imprimés, du XVIIIe au xxe siècle, conservées au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, à la Bibliothèque du Conservatoire et surtout à la section musicale de la Bibliothèque nationale (fonds J. B. Weckerlin). Leur intérêt historique est loin d'être négligeable, mais leur valeur atteint plus l'amateur de folklore que l'ethnomusicologue, dont la discipline est basée autant sur l'étude de l'interprétation des traditions que sur celle de la transcription qui peut en être faite.
A l'Université la seule bibliothèque spécialisée est celle de l'Institut de musicologie (rue Michelet), constituée à son point de départ par la collection du musicologue Pierre Aubry et enrichie depuis par des acquisitions régulières (grandes collections musicales, périodiques, etc...). Mais elle est en principe réservée aux seuls étudiants de l'Institut 3.
Enfin, il s'agit surtout d'indiquer les principales ressources de l'ensemble musical de loin le plus considérable, constitué depuis le 7 mars 1942 : le Département de la musique de la Bibliothèque nationale, qui comprend, outre la section musicale de la Bibliothèque elle-même, les bibliothèques du Conservatoire et de l'Opéra. Détenteur du Dépôt légal de la musique, le Département doit aussi s'efforcer d'acquérir les œuvres les plus marquantes de la musique et de la musicologie étrangères. Seule bibliothèque publique de musique pour toute la France, il est amené à accueillir un public disparate de musiciens en quête de répertoire, de critiques musicaux, d'étudiants et de musicologues, de « gens de radio » et de « gens de disques », etc... Et cette raison même rend difficile son orientation générale.
Au chercheur qui désire savoir a priori dans quelle bibliothèque se trouve la musique qu'il désire il sera nécessaire, dans un pays où le passé pèse si lourdement sur le présent, de donner quelques informations sur l'histoire des différentes collections.
I. S'il s'agit de musique ancienne, l'œuvre recherchée pourra aussi bien figurer dans les anciens fonds de la bibliothèque du roi (Bibliothèque nationale) que dans ceux de la bibliothèque des Menus plaisirs du roi ou des collections rapportées d'Italie à l'occasion des guerres napoléoniennes (Bibliothèque du Conservatoire), ou bien encore dans ceux de la bibliothèque des Minimes (Sainte-Geneviève) ou de la collection du marquis de Paulmy (Arsenal).
Il faudra aussi noter que les monuments les plus anciens de la musique ne sont pas conservés au Département, mais au Cabinet des manuscrits, où aucun catalogue spécial ne permet actuellement de les repérer 4. Grâce à quelques acquisitions et au don de la collection d'Y. Rokseth, quelques-uns des plus importants pour la musique polyphonique sont consultables sur microfilm au Département. Le problème des sources médiévales de la musique est d'ailleurs sur le point de trouver une solution sur le plan international, rendant, semble-t-il, inutile à l'avance tout projet de catalogue national. Dans le cadre du Répertoire international des sources musicales (R. I. S. M.), trois volumes sont actuellement en chantier, qui ont été confiés à des spécialistes : Tropes et séquences (H. Husmann); manuscrits polyphoniques des XIII-XIVe siècles (G. Reaney); manuscrits polyphoniques des XVe-XVIe siècles (N. Bridgman). Chacun de ces volumes contiendra des descriptions détaillées, dépouillements complets, identifications et bibliographie.
2. S'il s'agit d'une partition moderne (depuis le début du XIXe siècle environ), les fluctuations et les hasards du dépôt légal, assez irrégulièrement fait jusqu'à l'organisation d'une régie spéciale pour la musique (1947), rendent difficiles tout mode d'emploi. Essayons cependant de rassembler ici les quelques données connues de l'histoire de ce dépôt. Au XVIIIe siècle la musique avait été soumise à la même législation que les estampes. Mais, à plusieurs reprises, les ordonnances durent répéter l'obligation de déposer ces ouvrages comme les autres. La décision prise par la loi du 16 thermidor an III de créer au Conservatoire national, nouvellement fondé, « une bibliothèque nationale de musique... composée d'une collection complète des partitions et ouvrages traitant de cet art » plaça le problème sous un nouveau jour. Dans une lettre datée de 1816, l'abbé Nicolas Roze, bibliothécaire de cet établissement, réclamait l'attribution d'un exemplaire du Dépôt. Malgré l'ordonnance du 9 janvier 1828 portant obligation de déposer pour la musique deux exemplaires à la Bibliothèque royale et un au Ministère de l'intérieur 5, son successeur, Bottée de Toulmon, était contraint de renouveler cette démarche dans un rapport au directeur du Conservatoire (7 mai 1834) : une ordonnance du 29 mars de cette même année avait bien théoriquement accordé à sa bibliothèque l'exemplaire souhaité, mais comme la Bibliothèque royale, chargée de la Régie, ne surveillait pas effectivement le dépôt de la musique, il se plaignait de ne pas recevoir la partie la plus intéressante de la production contemporaine et ne s'expliquait pas « les motifs de la répugnance de l'administration pour poursuivre l'exécution d'une mesure aussi sage ». C'est du reste à la même époque, en 1833, que l'administration de la Bibliothèque royale, semblant décidément faire peu de cas de ses collections musicales, répondait à Guizot, qui lui avait transmis la candidature du compositeur A. Boïeldieu comme conservateur adjoint, que la création d'un poste particulier à la musique était inutile.
La situation s'améliora par la suite. En 1910 on constate que, des trois exemplaires du Dépôt, l'un restait à la Bibliothèque nationale, l'autre était envoyé au Conservatoire et le troisième était confié à la Direction de l'enseignement, qui en faisait l'envoi à la Bibliothèque de l'Opéra ou en province. Depuis la loi de 1943, les éditeurs de musique sont astreints à déposer dans les trois mois qui suivent la mise en vente quatre exemplaires et sont dispensés des deux exemplaires d'imprimeur et aussi du dépôt des nouveaux tirages. Pour les partitions manuscrites ou reproduites mécaniquement à moins de 10 exemplaires, la Bibliothèque en fait exécuter en principe une reproduction sur microfilm et restitue ensuite l'exemplaire à l'éditeur.
Pour ces diverses raisons, d'ordre historique, les chercheurs sont depuis de longues années contraints de faire une constante « navette » entre la Bibliothèque nationale et celle du Conservatoire. Tant du point de vue des éditions françaises que de celui des éditions étrangères, aucune règle ne permet de savoir ce que l'on trouvera à coup sûr dans l'une ou dans l'autre pour tout ce qui a paru avant la création du Département. Depuis 1946 on a spécialisé les trois sections de la manière suivante : musique ancienne (antérieure à 1800 environ) à la Bibliothèque nationale, musique moderne (postérieure à 1800) à la Bibliothèque du Conservatoire, théâtre lyrique et musique de ballet à la Bibliothèque de l'Opéra. La division du matériel ainsi faite entre les deux premières sections doit être considérée comme un compromis, dont le caractère provisoire est aujourd'hui assuré. Dans peu d'années la section musicale de la Bibliothèque nationale et la majeure partie des collections de la Bibliothèque du Conservatoire seront réunies dans un même local, muni de toutes les facilités de travail, comme l'ont souvent réclamé les plus hautes instances de la musicologie française et comme Fétis le suggérait dès 1830. On pourra dire alors que le vœu formulé il y a un siècle et demi par le Directoire de constituer une « Bibliothèque nationale de musique » aura enfin été réalisé 6.
Tous les ouvrages du Département sont actuellement catalogués. Au Conservatoire, où un effort considérable a été fait depuis son rattachement à la réunion des bibliothèques, seul un petit fonds est encore en cours de traitement. A la Bibliothèque nationale, où la partie la plus ancienne du fichier, rédigée au début du siècle par Mme Moreau, n'est malheureusement pas du format international, une exception doit seulement être faite pour la plus récente musique légère, ou dite telle pour le seul motif de la ténuité de sa valeur culturelle. Du point de vue documentaire, elle a, certes, un intérêt sociologique global, pour l'avenir comme pour le présent. Mais, si l'on tient compte d'un ordre d'urgence dans les tâches à accomplir, la Bibliothèque ne paraît pas destinée à donner une quelconque priorité à une petite poignée de lecteurs venus chez elle, en désespoir de cause, préparer des émissions de variétés, d'autant plus que le catalogue de cette musique présente bien des écueils (multiplicité des « auteurs » des paroles comme de la musique, abondance des pseudonymes, etc...). Elle aura, semble-t-il, parfaitement accompli son devoir de conservation en en faisant rédiger une seule fiche (au titre de la pièce).
Quittant le problème des sources, parcourons maintenant les moyens de recherche et de documentation qui sont mis, dans les divers domaines, à la disposition des utilisateurs du Département. Il est permis d'affirmer que le système de catalogage, instauré dès 1942 et aménagé par la suite sur certains points, y est plus poussé que dans aucune autre bibliothèque musicale. Mis à l'épreuve depuis une quinzaine d'années, de la même manière au Conservatoire qu'à la Bibliothèque nationale, il semble en mesure de répondre aux plus importantes questions qui se posent à propos de la musique.
Il convient d'abord de définir les cinq catalogues particuliers au Département 7 :
Catalogue par matières musicales.
On entend ainsi les catégories ou genres déterminés par le mode d'exécution des œuvres et éventuellement le nombre d'exécutants : chansons, mélodies, musique pour piano, pour violon, etc..., musique de chambre, musique pour orchestre, musique de danse, etc... Un tel catalogue qui, somme toute, correspond à peu près à l'ancien mode de classement sur les rayons des bibliothèques, s'adresse en premier lieu au musicien pratiquant en quête d'un répertoire destiné à son ensemble ou à son instrument. A l'intérieur de chacune des grandes rubriques, des subdivisions séparent la matière par genres (danses), par nombre d'instruments (musique de chambre) ou par siècles.
Catalogue par titres et incipit littéraires.
Valable pour les œuvres instrumentales comme pour les œuvres vocales, ce catalogue est le résultat d'innombrables dépouillements (il occupe presque autant de place que le catalogue auteurs). Les services qu'il rend sont multiples : très utile pour le musicologue qui veut, par exemple, identifier rapidement des airs extraits d'opéras du XVIIe siècle ou repérer les différents motets écrits au XVIe siècle sur un même texte liturgique, il l'est aussi bien pour l'amateur de folklore ou pour le producteur de radio.
Catalogue des « paroliers ».
Pour la fortune des œuvres littéraires - que celles-ci aient ou non été destinées à la musique par leurs auteurs - ce catalogue présente un réel intérêt et forme une sorte d'amorce pour une histoire musicale de la littérature (principalement française). Les mélodies sur des textes de Baudelaire, Racine ou A. Dumas y sont par exemple rassemblées.
On voudrait pouvoir mentionner ici un catalogue des Livrets d'opéras et d'opéras-comiques. On sait de quelle importance sont pour l'histoire du théâtre lyrique ces petites plaquettes, qui sont souvent la seule possibilité de reconstituer des œuvres dont la musique n'a pas été retrouvée. Un tel catalogue existe pour les fonds du Conservatoire (série « Th » : 7 000 livrets) et de l'Opéra (3 ooo livrets du fonds général et 10 ooo livrets italiens du XIXe siècle du fonds Silvestri). A la Bibliothèque nationale, les livrets ont été inclus au Catalogue général imprimé, mais ils y ont été traités irrégulièrement, le nom des musiciens y ayant été souvent omis par les rédacteurs. On peut là encore espérer que le R. I. S. M. réalisera les projets en cours, en rendant inutile tout collectif national.
Catalogue par « sujets musicaux».
Il s'agit d'œuvres musicales inspirées par un événement (Révolution, Guerre, Indépendance, etc...), par une personne (Jeanne d'Arc, Ch. de Gaulle, Saint-Simon, etc...), par un mouvement ou une association (franc-maçonnerie, scoutisme) ou bien encore par une découverte ou une mode (bicyclette, chemin de fer, bains de mer), les fiches étant classées à ces différents sujets.
Catalogue par incipit musicaux.
Le principe instauré par G. de Van consistait à utiliser des lettres comme symboles des intervalles musicaux. On projetait alors de mettre ainsi sur fiches tous les thèmes de la musique avant 1800 et de les classer alphabétiquement en partant de la note la plus grave. Sous cette forme ce catalogue a été pratiquement abandonné après la guerre, mais, en s'inspirant de cette expérience, Mme Nanie Bridgman a mis au point un système plus efficace pour les xve et XVIe siècles.
Pour le catalogue général initialement prévu, il fallait choisir l'incipit soit de la voix principale (pour les œuvres vocales à plusieurs parties), soit du violon s'il s'agissait par exemple d'une sonate piano-violon, soit du premier violon si l'on avait à faire à une oeuvre symphonique, à moins qu'un autre instrument n'expose le thème le premier. Pour le catalogue limité à la musique polyphonique ancienne, les symboles utilisés pour chaque intervalle sont des chiffres qui représentent chacun un demi-ton. La première note est toujours chiffrée [o], ce qui permet de sigler de la même manière et de rapprocher du même coup toutes les transpositions, transcriptions et adaptations d'une même œuvre. On affecte du signe + les intervalles ascendants et du signe - les intervalles descendants. Les notes répétées ne sont indiquées que par un seul chiffre. Comme les cinq premières notes sont seulement retenues, on obtient pour chaque incipit un siglage tel que [o], + 3, + 5, + 7, + 8 ou bien [o], + 2, + 3, o, - 7. Les seuls inconvénients de ce système sont la lourdeur relative du classement, étant donné le nombre parfois considérable d'incipit dotés du même sigle, et le fait que l'on ne puisse identifier les œuvres que par la seule voix supérieure (Cantus, Discantus ou Superius). Mais il n'existe pas là de système idéal, à moins que l'adaptation des méthodes mécanographique et électronique, entreprise actuellement par un jeune musicologue américain, n'apporte des révélations. Pour l'instant ce catalogue a déjà fait ses preuves et sera dans les prochains mois systématiquement exploité pour la préparation du Répertoire des manuscrits polyphoniques des XVe-XVIe siècles entrepris par N. Bridgman dans le cadre du R. I. S. M. Il semble qu'aucun autre fichier ne permette en tout cas de déceler méthodiquement les contrafacta (travestissements religieux d'une musique avec paroles profanes ou inversement), qui abondent à cette époque dans le répertoire, tout comme les pièces anonymes sans texte 8.
Il est utopique de vouloir utiliser un système unique d'incipit musicaux, valable pour toutes les époques et pour tous les genres, même s'il est limité à la période antérieure à 1800. Une fois de plus on sera obligé de constater que de telles entreprises sont plus efficaces sur le plan de la collaboration internationale 9.
L'habituel et indispensable catalogue analytique par matières vient naturellement s'ajouter à ce groupe spécial de catalogues. Comme on peut l'imaginer pour un département spécialisé, il est très poussé du côté des dépouillements de recueils collectifs, mélanges et surtout de périodiques, qu'il s'agisse de revues proprement musicologiques ou de certaines revues musicales plus anciennes. Depuis 1924, le Département dispose aussi des précieuses « fiches Peyrot » 10, contenant par ordre alphabétique de sujets toutes les mentions relatives à des compositeurs, interprètes, critiques musicaux, etc..., relevés dans les grands périodiques non musicaux du XVIIe au début du XIXe siècle. Pour les recherches biographiques concernant des contemporains, une source tout aussi précieuse de documentation réside dans le « fonds Montpensier », ainsi appelé parce qu'il est formé des dossiers de coupures de presse et de programmes réunis par l'Association française d'action artistique, dont le siège était situé rue Montpensier jusqu'au moment où elle en fit don, en 1948, à la Bibliothèque du Conservatoire. Ces dossiers sont constitués au nom des compositeurs et des interprètes à partir de 1925 environ et comprennent aussi des réponses à des enquêtes entreprises par l'Association. Cette source comble partiellement (mais seulement pour le début du xxe siècle) l'absence de dépouillements dans la presse non musicale et le dépôt effectué très irrégulièrement des programmes de concerts 11.
Il reste que pour un nombre important d'ouvrages de musicologie - au sens large du mot -, les chercheurs restent tributaires du Département des imprimés, car au moment de sa création, le Département de la musique fut seulement attributaire de la série « Vm » du fonds général et d'un certain nombre d'instruments de travail appartenant à d'autres séries. Il est bien évident que, dès l'instant où l'on reconnaît la nécessité d'un département musical dans une bibliothèque générale, c'est pour le doter non seulement de partitions, mais aussi bien de tous les ouvrages qui ont fait de la musique leur objet, d'une manière directe et technique. Aussi la dispersion de ces ouvrages entre les deux départements n'est-elle pas sans apporter quelque gêne aux lecteurs. S'il est impensable de priver le Département des imprimés de quantité d'études musicales indispensables à la culture générale, il est cependant possible de prévoir des aménagements qui permettraient d'établir un minimum de principes de séparation entre les deux collections, en ce qui regarde, par exemple, les catalogues, les bibliographies, les périodiques spécialisés, les ouvrages d'organologie.
On terminera enfin par l'iconographie. Le Département possède un catalogue d'illustrateurs, trop souvent négligé par les historiens de l'art. Pendant longtemps, et particulièrement au XIXe siècle, les pages de titres des éditions musicales étaient en effet illustrées. Bien qu'il s'agisse souvent de travaux plus ou moins « alimentaires », on ne peut cependant ignorer cet aspect de l'oeuvre d'artistes tels que Devéria, Gavarni, C. Nanteuil, J. Chéret, J. L. Forain, etc...
Il existe aussi un catalogue des portraits de musiciens et d'iconographie instrumentale. A la section musicale de la Bibliothèque nationale celui-ci renvoie non à des originaux mais à des dépouillements d'ouvrages riches en iconographie; son intérêt est donc limité puisqu'il se réfère à des documents qui, la plupart du temps, ne peuvent eux-mêmes être reproduits. Au Conservatoire se trouve un petit fonds d'estampes, principalement des portraits. Mais c'est la Bibliothèque de l'Opéra qui est, à ce point de vue, de loin la plus riche des sections du Département. Il en a peu été question jusqu'à présent, car, de par sa spécialisation elle possède ses problèmes propres et tend, peut-être plus que les autres, à se développer comme un centre de documentation. Ancienne bibliothèque de l'Académie royale de musique, elle est orientée vers le théâtre lyrique et la chorégraphie. Son fonds ne comporte pas moins de 20 ooo estampes (y compris une grande série de portraits), quelque 50 ooo photographies, 2 ooo esquisses et dessins originaux, un millier de maquettes construites et environ 10 000 maquettes de costumes. A cet ensemble viennent s'ajouter la collection d'estampes du XIXe siècle de Jeanne Chasles 12, récemment acquise, et surtout le fonds des Archives internationales de la danse (environ 6 000 ouvrages, 8 000 estampes, 15 000 photographies), légué à la bibliothèque en 1952 par son fondateur, M. Rolf de Maré. La Bibliothèque conserve enfin une documentation unique sur le music-hall (livres, photos, programmes), grâce à des dons récents, notamment ceux de Beaudu et Texcier.
Lorsqu'en 1953, après entente de la Société internationale de musicologie et de l'Association internationale des bibliothèques musicales (A. I. B. M.), il fut décidé d'entreprendre un Répertoire international des sources musicales (R. I. S. M.) ayant pour objectif le catalogage de toutes les sources de la musique antérieure à 1800, l'existence de cet imposant ensemble d'instruments de travail constitua l'un des arguments majeurs pour obtenir que le secrétariat central de cet organisme soit fixé à Paris, à la Bibliothèque nationale. Depuis cette époque le Département de la musique tend à devenir pour la musique ancienne le principal centre international de bibliographie et les comités nationaux des divers pays qui collaborent au R. I. S. M. y ont déjà envoyé un abondant matériel, dont on peut avoir connaissance avant l'impression, forcément assez lente, des quatre premiers volumes du Répertoire, consacrés aux Recueils (contenant des œuvres de plusieurs auteurs) imprimés de musique du XVIe au XVIIIe siècle et aux Théoriciens de la musique pour les mêmes époques. Le comité français a, pour sa part, été le premier à s'acquitter de sa tâche : une équipe de travail a constitué, grâce à l'aide du C. N. R. S., un fichier central de la plupart des fonds de musique ancienne dans les bibliothèques parisiennes et dans les plus importantes bibliothèques de province.
Le rôle du Département a, de même, été primordial dans la naissance et le développement de l'A. I. B. M., fondé en 1950. M. V. Fedorov, après en avoir été pendant cinq ans le très actif secrétaire général, en est maintenant vice-président et assure en outre la rédaction de la revue de l'association, Fontes artis musicae.
Enfin, on rappellera l'organisation par le Département de nombreuses expositions consacrées à Bizet, Chabrier, Chausson, Chopin, Debussy, Duparc, V. d'Indy, Mozart, ainsi que de plus modestes mais fréquentes présentations à la Bibliothèque du Conservatoire, destinées à faire mieux connaître l'œuvre et la personnalité de musiciens français contemporains. Car, même s'il oriente davantage son action vers la musique ancienne, le Département se doit de préparer aussi le travail des chercheurs de l'avenir.
Mais il y a pour l'instant un point noir à ce tableau : c'est que la musicologie française est « suréquipée » (du point de vue des bibliothèques au moins) par rapport au nombre de ses utilisateurs. La masse de documents accumulée, et dont l'accès est désormais facilité au maximum, reste en friche, par suite de la situation décidément stagnante de notre musicologie. Il est paradoxal que depuis quelques années les chercheurs étrangers puisent davantage dans les ressources du Département que les chercheurs français eux-mêmes, qu'il s'agisse de thèses, de travaux scientifiques ou d'éditions. A l'Université un seul professeur assure pour l'ensemble de la France l'enseignement de cette science et j'ai dit ailleurs 13 que depuis la Libération il semble même que l'on assiste à une sorte de désaffection pour les études à caractère proprement historique au profit de travaux à tendance esthétique. A l'article général consacré ici même aux lacunes de l'édition scientifique française, on eût pu ajouter un assez long chapitre relatif à la musique. Dans ce domaine il est évident que les bibliothèques n'ont pas à se substituer à l'Université. Mais celles-ci pourraient jouer un rôle très important en favorisant par tous les moyens l'essor des éditions de musique nationale. Détentrice de la presque totalité des trésors de la musique française, la Bibliothèque nationale dépasserait-elle son rôle en assumant en quelque sorte le secrétariat d'une édition nationale, à la fois pratique et critique ? Les Français, qui s'indigneraient justement s'il n'existait aucune édition des œuvres de Racine, de Voltaire ou de Victor Hugo, semblent tolérer que les œuvres des compositeurs qui ont illustré leur histoire musicale restent des valeurs mortes sur les rayons de leurs bibliothèques. Le Département de la musique paraît bien placé pour tenter, en étroite collaboration avec le C. N. R. S. et l'Université, de combler cette lacune.