Les nouvelles bibliothèques municipales de Douai et de Beauvais
Douze ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, alors que beaucoup de villes françaises sinistrées ont repris figure de villes, que la vie y paraît normale, que l'activité y est même parfois intense, on risque d'oublier que certaines destructions ont été irréparables et que beaucoup de bâtiments, pour des raisons diverses, n'ont pas encore été reconstruits. Dans le domaine des bibliothèques publiques, les pertes ont été en France, on le sait, très sévères : 24 bibliothèques municipales entièrement anéanties, une vingtaine endommagées, deux millions de volumes perdus dont tous les manuscrits et livres précieux de Chartres, une partie de ceux de Metz, de Tours, de Caen et de Cambrai. Parmi les bibliothèques universitaires, celle de Caen, avec ses 300.000 volumes, fut réduite en cendres, celle de Strasbourg, sérieusement touchée, enregistra une perte d'ouvrages égale à celle de l'Université normande, à Paris enfin la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, installée dans le Pavillon de la Reine au Château de Vincennes, vit son local et ses collections en partie détruits par l'incendie.
Nous avons abordé ailleurs 1 les problèmes posés par la construction et l'aménagement des bibliothèques universitaires. Quelques-uns assurément sont communs aux bibliothèques municipales, mais si l'on veut bien songer que ces dernières relèvent au premier chef des administrations communales, que le relogement des populations sinistrées devait être après les bombardements leur premier souci, que les dommages de guerre auxquels les villes pouvaient prétendre pour leur bibliothèque étaient souvent très faibles, sans rapport en tout cas avec le coût d'une installation moderne, on comprendra facilement que la reconstruction des municipales, victimes de cette guerre, n'ait pas encore été partout achevée, entreprise ou seulement même décidée. Il nous faut reconnaître cependant que dans presque toutes les grandes villes dont la bibliothèque avait disparu, on eut très vite le souci de ménager, ici dans l'hôtel de ville provisoire, là dans un baraquement, ailleurs dans un bâtiment public incomplètement occupé, une ou plusieurs salles pour y entreposer des livres, y ouvrir une section de prêt, y installer des tables et des sièges pour la lecture sur place. Certaines de ces installations, celles de Brest, de Cambrai, de Chartres, de Douai, de Saint-Nazaire, de Tours et de Vitry-le-François, par exemple, ont permis aux bibliothécaires, après une interruption de quelques mois seulement, d'offrir à nouveau des ouvrages à lire à des populations elles-mêmes souvent privées de bibliothèque. Dans quelques villes on fit plus encore : à l'occasion de l'établissement d'un plan d'urbanisme, on se préoccupa de réserver un terrain pour la bibliothèque. Tous les problèmes n'étaient pas pour autant résolus : il fallait encore mettre au point un programme, faire dresser un avant-projet chiffré, le faire approuver par de multiples services et commissions, obtenir l'inscription de la bibliothèque au plan de priorité nationale, enfin faire voter des crédits correspondant à la différence entre le montant des dommages de guerre et le coût réel de l'opération. Faut-il ajouter que la construction d'une bibliothèque posait aux architectes et aux bibliothécaires eux-mêmes 2 des problèmes qui leur étaient peu familiers?
Bien qu'il soit toujours très difficile dans toute action humaine de mesurer la part qui revient à chacun, nous croyons pouvoir dire que les visites effectuées à intervalles réguliers dans ces villes par les inspecteurs généraux des bibliothèques, les interventions de la Direction auprès des deux principaux départements ministériels, Reconstruction et Intérieur, intéressés par ces reconstructions, les conseils et la documentation qui ont pu être donnés par le Service technique aux maîtres d'œuvre, la promesse enfin de subventionner à 50 % les améliorations apportées à l'état de choses ancien, furent sans doute des éléments déterminants dans la décision que prirent certaines municipalités de reconstruire leur bibliothèque. Cette décision une fois arrêtée, ce que firent en 1950 et 1951 les conseils municipaux de Beauvais, de Brest, de Douai, et de Tours, aucun des obstacles surgis en cours de route - et l'on devine qu'ils furent nombreux - ne détourna ces villes de réaliser entièrement le programme qui avait été établi, dès l'origine, en plein accord avec la Direction des bibliothèques de France. Deux de ces bibliothèques, à Douai et Beauvais, sont à l'heure actuelle ouvertes au public. C'est d'elles seulement dont nous parlerons dans cet article.
Pour l'une et l'autre, une description rapide des bâtiments reconstruits fera mieux comprendre, nous l'espérons, l'ampleur des efforts consentis par ces villes pour leur nouvelle bibliothèque; nous indiquerons ensuite les étapes de leur reconstruction, nous étendant davantage sur les caractéristiques du nouvel édifice, sur les raisons du plan ou du parti adopté, sur les installations techniques et le mobilier qu'il comporte. Nous essaierons enfin de dégager les points communs ou, si l'on préfère, les grandes lignes directrices suivies en France depuis 1945 pour la construction et l'aménagement des bibliothèques municipales.
La Bibliothèque municipale de Douai
Habitué aux palmarès et aux statistiques, le Français d'aujourd'hui, surtout s'il a un peu oublié son histoire de France, est obligé de faire un effort pour se représenter une ville, non pas en fonction de sa population actuelle, de ses industries, de son intérêt touristique ou de ses spécialités gastronomiques, mais en fonction de son passé et de son histoire. Douai, qui fut capitale des Flandres, qu'on a pu appeler l'Athènes du Nord, qui est encore le siège d'une cour d'appel et le centre d'un important bassin minier, est une de ces villes qu'on est tenté de ne pas mettre à leur vrai rang, de grandes cités industrielles comme Roubaix et Lille rassemblant dans le même département une population trois et cinq fois supérieure à la sienne. La Bibliothèque de Douai, détruite en 1944, était, on pourrait aussi l'oublier, celle d'une grande ville, jadis universitaire et par ses collections elle occupait, selon les termes mêmes d'un rapport établi en 1948 par Émile Dacier, alors expert auprès du Ministère de la reconstruction, « l'une des premières places parmi les établissements similaires du nord de la France : comme importance elle venait immédiatement après la Bibliothèque municipale de Lille, avant les bibliothèques municipales d'Amiens, de Boulogne-sur-mer et de Valenciennes ».
Sans doute, le bâtiment qui l'abritait était-il devenu en 1944 tout à fait insuffisant et méritait-il quelques-unes des appréciations sévères et des réflexions un peu désabusées qu'une Hollandaise, Mme Cornelia Serrurier, a consignées dans son livre sur les bibliothèques de France 3. L'effort accompli par la ville pour construire une bibliothèque de l'importance de celle qui fut inaugurée en 1955 n'en est que plus méritoire et si le contraste entre l'ancienne et la nouvelle est grand, nous allons le voir, c'est surtout parce qu'entre 1860 et sa destruction en 1944, pratiquement aucun agrandissement, aucune modification profonde n'ont été apportés à l'installation matérielle telle que nous l'a très bien décrite un de ses bibliothécaires, l'abbé C. Dehaisnes dans sa Notice sur la bibliothèque publique de Douai 4. Il a été exécuté plus de travaux, il faut le dire, entre 1770, date de l'inauguration de la Bibliothèque publique de Douai, et 1860 que durant les 85 années suivantes. Que de changements pourtant sont intervenus au cours de cette dernière partie du XIXe siècle et de cette première moitié du xxe qui auraient pu amener la ville à transférer ou à reconstruire la bibliothèque!
A travers les rapports des bibliothécaires et des inspecteurs généraux, il est relativement facile de reconstituer l'histoire du local qui eut à abriter durant plus de 150 ans la bibliothèque rue Fortier. Nous nous contenterons d'en rappeler ici brièvement les principales étapes, avant d'aborder la période qui a suivi sa destruction et de décrire le bâtiment de la nouvelle bibliothèque.
La Bibliothèque de Douai jusqu'à sa destruction en 1944.
Les livres et manuscrits qui constituaient en 1770 la Bibliothèque publique de Douai provenaient essentiellement, on le sait, du Collège des Jésuites et des collections ayant appartenu aux quatre facultés. Après avoir été placés quelque temps à l'Hôtel de ville et en divers autres lieux, les livres du « dépôt littéraire » furent regroupés au Collège d'Anchin dans lequel avait été décidée l'installation de la bibliothèque et du musée. Malheureusement, bibliothèque, musée et dépôt littéraire se virent remis confidentiellement le 5 octobre 1791 au citoyen Monteville, avocat au Parlement, de peu de culture si l'on en juge par ses rapports et complètement ignorant de la valeur des livres dont la plupart étaient selon lui, des « duplicata propres à la beurrière, des capucinades et rapsodies de théologie mille et une fois répétés ». Qu'on ne s'étonne donc pas s'il laissa puiser dans le « dépôt » et emporter de nombreux livres à l'arsenal pour la fabrication de cartouches. En ce qui concerne la bibliothèque, si l'on devait en croire sa réponse du 19 floréal an VII (8 mai 1799) à un questionnaire adressé par le département, elle « est fort bien tenue; les dépôts le sont aussi et l'auraient été mieux sans les circonstances qui sont que la commune de Douai ayant été mise en état de siège, on fit du musée une grange à blé ». La vérité était tout autre. Lorsqu'en 1806 il fut destitué et remplacé par un excellent érudit, M. Guilmot, la bibliothèque était dans un état pitoyable. Le nouveau bibliothécaire y mit d'abord de l'ordre, mais très vite comprit qu'il fallait non seulement faire faire la réfection complète des deux pièces dans lesquelles étaient entassés livres et manuscrits 5, mais encore construire un local nouveau. A sa demande et grâce aux dispositions très bienveillantes du maire, M. Becquet de Méjille, des travaux furent entrepris en 1817 et en 1823. C'est à partir de cette date que la bibliothèque disposa d'une salle longue de 51,60 m sur 8,80 m de large et haute de 5,80 m comportant 20 fenêtres de 4 m de haut, salle dont parle en termes élogieux M. Le Glay en 1841 dans son Mémoire sur les bibliothèques publiques du département du Nord 6. Si, d'après l'abbé Dehaisnes, en 1842, « les fenêtres laissaient encore passer la pluie et la neige », du moins cette grande salle offrait-elle désormais des surfaces murales suffisantes pour y ranger en bon ordre les 30.000 volumes qui composaient les collections. Durant les 26 ans que son successeur, M. Duthilloeul, resta à la tête de la bibliothèque, les collections s'accrurent rapidement et à la veille de son départ, en 1859, d'importants travaux d'extension du local étaient fort heureusement commencés, travaux dont les manuscrits d'abord, les lecteurs ensuite, furent les principaux bénéficiaires. Les uns, en effet « conservés jusqu'alors dans une sorte de couloir bas et humide, écrit encore l'abbé Dehaisnes, sont aujourd'hui exposés dans une pièce haute ... recevant la lumière par quatre larges fenêtres ». Pour les autres « on a formé dans un avant-corps de la construction nouvelle une salle de lecture, vaste, bien éclairée... 7 ». Le magasin des imprimés fut lui-même agrandi, sa longueur atteignant maintenant 81 m. Après ces nouvelles transformations, on comprend que l'abbé Dehaisnes parle de la Bibliothèque de Douai en 1868 avec quelque contentement, disons même avec fierté : « peu de salles de bibliothèques satisfont autant le regard des visiteurs et par leur étendue et par leur ensemble et par le bon ordre qui y règne » (p. XXXV). Cette opinion est d'ailleurs confirmée 40 ans plus tard par Pol Neveux lui-même dans un rapport de mai 1909 : « la grande galerie qui sert de magasin principal est l'une des plus belles de France ». A l'époque où elle fut aménagée, elle pouvait très certainement être proposée en modèle à bien d'autres villes françaises, comme l'est aujourd'hui le bâtiment qui s'élève, avec une certaine fierté aussi, rue d'Arras.
Lorsque meurt, en 1881, le bibliothécaire, M. Estabel, qui avait assisté à ces importantes transformations, s'ouvre une autre page de l'histoire du local où les doléances des bibliothécaires et des inspecteurs généraux prennent une place de plus en plus grande, un ton tour à tour insistant et persuasif, désabusé et sceptique, inquiet et découragé. Les éloges décernés au bibliothécaire, M. Rivière, qui a dirigé 40 ans durant, de 1881 à 1921, cet établissement, viennent heureusement atténuer les notes sombres ou les menaces qui pointent à diverses reprises dans les lettres ministérielles. Les inspecteurs généraux Ulysse Robert, Lacombe, Prost, Pol Neveux, Camille Bloch, V. Chevreul, Charles Schmidt essaient successivement de convaincre les administrateurs municipaux qu'il faut agrandir la bibliothèque ou en construire une autre. En 1899 déjà M. Lacombe écrivait dans un rapport : « on est obligé de mettre les livres par terre entre les travées... ». Les projets ébauchés de transfert ou de construction, les uns après les autres, sont abandonnés. En 1912, il faut se résoudre à déposer des livres dans les bâtiments annexes du musée. Rien n'est fait non plus dans les pièces de la bibliothèque proprement dite pour assurer au bibliothécaire, au public, aux livres, un minimum de confort. Ce n'est qu'à la fin de 1927 que l'éclairage électrique est installé, à l'exception toutefois des magasins. « Pas de calorifère, écrit en mai 1909 Pol Neveux. Seul le cabinet du bibliothécaire et la salle de lecture sont chauffés par des poêles. Pas de W. C., ni de vestiaires ». Lorsqu'éclate la guerre en 1939, la transformation de la grande salle en un magasin réparti sur trois étages de rayonnages métalliques demandée par Charles Schmidt est restée à l'état de projet.
En mai 1940, la bibliothèque reçoit ses premières blessures : sous l'effet de bombes éclatées à proximité, les vitres sont brisées, les portes ne ferment plus, le mur extérieur du magasin est troué, des centaines de livres gisent à terre, mais tous ces dégâts sont réparables et lorsqu'une jeune bibliothécaire, Mme Duhamel, entre en fonctions à la fin de l'année 1942, la bibliothèque a repris à peu près son visage normal. Sous la menace accrue des alertes, les ouvrages les plus précieux qui avaient été mis en caisse en 1940 doivent, en septembre 1943, regagner une cave et lorsque les bombardements se font l'année suivante plus nombreux et plus intenses, la bibliothécaire décide de mettre à l'abri le plus possible de livres de valeur, des ouvrages de référence et des collections d'usuels en particulier. L'avenir allait lui donner raison : le 11 août 1944, à la suite d'un violent incendie, le bâtiment entier était détruit, les 110.000 ouvrages qu'il abritait réduits en cendres, mais la cave contenant quelques 6.000 volumes résista. La réserve et les usuels sauvés allaient devenir l'embryon de la bibliothèque d'étude qui quelques mois plus tard ouvrait sa porte rue d'Esquerchin. Loin d'être abattue par ce désastre, la bibliothécaire en effet mettait tout en œuvre pour faire revivre dans un temps très court la bibliothèque détruite. Douai allait être la première ville de France à posséder une bibliothèque municipale conçue sur des bases entièrement nouvelles.
Les étapes de la reconstruction (1944-1955).
L'histoire de cette reconstruction peut se diviser en trois grandes étapes : de 1944 à 1948, la Direction des bibliothèques fait connaître à la ville sa doctrine en matière de bibliothèque publique, elle lui propose un programme et elle encourage la création d'une bibliothèque de prêt en plein cœur de Douai; de 1948 à 1952, municipalité, architecte, bibliothécaire et services centraux des Ministères de l'éducation nationale et de la reconstruction se mettent d'accord sur le projet et sur le financement de l'édifice; de 1952 à 1955, le bâtiment est fondé, construit, équipé, puis finalement inauguré. Après quoi la parole devrait être aux seuls usagers, personnel de la bibliothèque et habitants de Douai. Sans vouloir en quoi que ce soit nous substituer à eux, nous nous contenterons d'en faire ici une description aussi précise que possible, d'en montrer le « parti », d'en dégager les caractéristiques principales.
Les bibliothécaires français qui sont entrés dans la carrière entre les deux grandes guerres mondiales ont tous plus ou moins participé à ce grand mouvement, déclenché à l'origine par des hommes comme Eugène Morel et dont le but était de rapprocher les livres des lecteurs quels que fussent leur appartenance sociale, leur âge et leur lieu d'habitation. Henri Lemaître, Ernest Coyecque, Henri Vendel, Charles Schmidt, pour ne citer que des morts, ont défendu cette cause qui, à la veille de la guerre 1939-45, commençait à être gagnée. Mais ce que la plupart des bibliothécaires savaient, écrivaient et voulaient, il fallait le faire entendre, le dire et le redire à tous ceux qui ne connaissaient les bibliothèques municipales que sous un jour austère, celui de conservatoires de livres faits pour quelques privilégiés.
Dès sa création à la fin de 1944, la toute nouvelle Direction des bibliothèques de France et de la lecture publique, par la voix de son directeur, M. Marcel Bouteron, et de ses inspecteurs généraux, allait rappeler aux villes quelles devaient être les caractéristiques de la bibliothèque publique moderne. Douai, entre autres, lui en fournit l'occasion. La première lettre ministérielle qui fut adressée au Maire de Douai en décembre 1944, soit quatre mois après la destruction de la bibliothèque, précisait en effet : « une bibliothèque moderne ne doit pas être un sanctuaire réservé à l'élite, mais s'adresser à tous; elle doit être aussi facile d'accès qu'un magasin, située de plain-pied avec la rue, une rue où l'on passe, ouverte aux heures où la partie active de la population est libre, c'est-à-dire à la fin de l'après-midi et le dimanche matin. Elle doit contenir des livres attrayants et d'une bonne tenue morale et littéraire. Ces principes doivent déterminer l'emplacement de la future bibliothèque qui réunira dans le même local les deux services de lecture savante et de lecture populaire ». C'est d'ailleurs au nom de ces mêmes principes que l'Inspecteur général des bibliothèques à qui était proposé par la ville, pour sa bibliothèque provisoire, l'intérieur de la Porte de Valenciennes, monument historique, la refusa et demanda à la place un des baraquements édifiés sur la place centrale de Douai pour des boutiques. Ce dernier vœu, notons-le, fut exaucé puisque le 1er octobre 1945, place d'Armes, était inaugurée une bibliothèque de prêt aux rayons librement accessibles et ouverte tous les jours de 16 h. à 19 h., le dimanche matin de 10 h. à 13 h.
Pendant ce temps, la bibliothèque d'étude se reconstituait rue d'Esquerchin où de toutes parts les dons affluaient au point que bientôt ses surfaces devinrent trop petites. La Direction des bibliothèques croit devoir le souligner en mai 1948 dans une lettre ministérielle où à nouveau elle propose « de mettre à l'étude la question de la reconstruction de la bibliothèque... ». « Ne convient-il pas, ajoute-t-elle, de la prévoir plus vaste et mieux équipée que jadis? Le nombre des usagers a considérablement augmenté et des besoins nouveaux se font sentir : section de prêt pour le grand public, salle de lecture pour les enfants, salle d'exposition, atelier de reliure, monte-charge pour accélérer la distribution des livres... ». Le concours financier de l'Éducation nationale y est aussi promis. C'est alors que la ville décide elle-même d'inclure dans son plan d'urbanisme une bibliothèque nouvelle près du Conservatoire et de l'École des beaux-arts dans un jardin situé en bordure de la rue d'Arras. Une première étape dans la reconstruction de la bibliothèque était franchie.
Dès lors, l'architecte désigné, M. Coasnes, prendra souvent la route de Paris pour soumettre ses avant-projets au Service technique de la Direction des bibliothèques et à celui de la Sous-direction des constructions scolaires et universitaires. De 1949 à 1951, six avant-projets au moins, à notre connaissance, ont été dressés par lui. Il ne suffisait pas en effet de satisfaire au programme chiffré qui avait été fixé, il fallait tenir compte aussi d'une composition d'ensemble dans laquelle conservatoire et bibliothèque devaient s'insérer et d'une certaine manière s'équilibrer, de l'orientation à donner à certains services, des liaisons très nombreuses et très directes à prévoir entre certaines salles, entre services publics, services intérieurs et magasins, la surveillance des salles publiques devant en toute hypothèse n'être effectuée que par un personnel réduit. Le Conseil municipal de Douai à qui le dossier fut soumis le 6 novembre 1950, certain que le financement du bâtiment de la bibliothèque pourrait être assuré à la fois par des dommages de guerre et par une subvention de la Direction des bibliothèques, approuva le projet de M. Coasnes. Le Conseil général des bâtiments de France, après quelques nouvelles modifications et sous certaines réserves de détail, en fit autant le 20 décembre 1951. Le permis de construire fut accordé le 12 avril 1952. Les travaux pouvaient commencer.
Ils furent menés activement, mais le terrain - une véritable fondrière - obligea l'architecte à asseoir les fondations à un niveau relativement bas, les 75 puits prévus ayant dû être creusés à une profondeur moyenne de 6 à 8 mètres, là où la craie pouvait servir d'assise. L'importance des terrassements, les difficultés rencontrées pour les fondations du bâtiment, la nécessité de détourner deux petites rivières souterraines, retardèrent les travaux de construction proprement dite et la première pierre ne fut officiellement posée que le 12 avril de l'année suivante. A partir de cette date, deux ans suffirent pour mener à bien l'achèvement de l'édifice et son aménagement intérieur. On devine cependant qu'un tel résultat ne fut pas obtenu sans l'effort opiniâtre de tous : architecte, bibliothécaire, entrepreneurs, sans oublier bien entendu les autorités responsables de la ville, en particulier le sénateur-maire, M. Canivez, qui nous recevant un jour à l'Hôtel de ville nous confia qu'il se rendait lui-même au moins une fois par semaine sur le chantier, et le secrétaire général de la Mairie, M. Pelletier, associé ici comme partout ailleurs à toutes les difficultés qui accompagnent de telles entreprises, depuis le jour où un projet naît jusqu'à sa réalisation complète... et même au-delà. Le directeur général des Bibliothèques, M. Julien Cain, dans le discours qu'il prononça en présence de M. Gaston Monnerville, président du Conseil de la République, et de nombreuses autres personnalités, le jour solennel de l'inauguration, le 30 octobre 1955, ne manqua pas de souligner combien avait été rapide cette construction : « Grâce à vous, Monsieur le Maire, grâce à la municipalité, dit-il en effet, une sorte de miracle s'est produit. La première pierre du bâtiment a été posée le 12 avril 1953 : il n'aura fallu qu'un peu plus de deux ans pour l'achever. On peut faire le compte de ces mois et l'estimer léger si l'on se rappelle tant d'entreprises comparables dont on n'entrevoit pas la fin; mais on ne peut faire le compte de la ténacité qu'il vous fallut montrer, des efforts qu'il vous fallut poursuivre... ». C'est cette bibliothèque, ouverte aux Douaisiens il y a dix-huit mois environ, dont nous voudrions maintenant faire la description et montrer les principales caractéristiques, regrettant seulement qu'il ne nous ait pas été possible d'en offrir par de nombreuses photographies une vue plus précise 8.
Le nouveau bâtiment.
Le terrain communal, d'une superficie d'1 hectare 56 ares, sur lequel a été construite la nouvelle bibliothèque, est situé à moins de 500 mètres à vol d'oiseau de l'hôtel de ville et, fort heureusement, se trouve au centre de plusieurs établissements d'enseignement et bâtiment culturels : écoles normales, centre d'orientation professionnelle, centre médico-scolaire, conservatoire national de musique. La bibliothèque implantée au milieu d'un jardin public ne connaîtra pas sans doute les grands mouvements de foule qu'on peut constater à certaines heures sur la place d'Armes et dont a bénéficié durant quelques années l'annexe de prêt qui y avait été installée provisoirement en 1945; elle y gagne en revanche le calme nécessaire à la lecture et aux études faites sur place dans les salles publiques du premier étage.
Adoptant un parti, désormais classique dans la construction des bibliothèques, l'architecte disposa le magasin à livres à la jonction de deux corps de bâtiments de forme rectangulaire placés perpendiculairement l'un par rapport à l'autre et destinés à abriter les services publics sur deux étages. Une liaison directe était ainsi assurée entre les magasins et l'aile de droite qui comprend au rez-de-chaussée la salle de prêt et au premier étage les salles de lecture et de catalogue. Il faut au contraire traverser un hall pour aller des magasins ou des services intérieurs à la salle d'exposition et de conférence prévue au premier étage de l'autre aile et à la bibliothèque pour enfants située au-dessous; mais ces deux salles pouvant « fonctionner » d'une manière autonome, des liaisons directes avec les magasins et les bureaux n'étaient pas pour elles indispensables. En ce qui concerne les liaisons verticales, un bel escalier à révolution circulaire, situé dans l'angle droit que forment les deux ailes fait accéder le public aux salles du premier étage, tandis qu'un escalier de dimensions plus réduites, adossé au mur coupe-feu et à trois volées, dessert tous les étages du magasin et l'appartement du conservateur. Au centre de cet escalier, un ascenseur monte-charge assez vaste (1,30 X 0,90 m) et relativement puissant (charge utile 400 kg) assure mécaniquement les mêmes liaisons. Enfin dans un angle du bloc magasin, un petit escalier à vis tient lieu d'escalier de secours.
Alors que les ailes ont chacune 22 m de long sur 11 m de large, le magasin forme un carré de 18 m de côté. Le T constitué en plan par les contours de la bibliothèque n'a donc pas une forme tout à fait régulière : une de ses branches est plus épaisse et moins longue. Dans un pays réputé pluvieux et peu ensoleillé, on a tenu à ce que les salles publiques soient toutes largement ouvertes au midi et à l'est, en partie même à l'ouest. En l'absence de soleil et grâce à de très grandes baies vitrées dont les châssis métalliques en acier ou en aluminium laissent passer le maximum de lumière, elles bénéficient ainsi d'un excellent éclairage naturel. En revanche, pour se garantir d'un trop vif ensoleillement, des rayons du soleil couchant en particulier, on a posé devant chaque vitrage des stores à lamelles orientables.
Toute l'ossature du bâtiment est en béton armé avec remplissage en briques creuses de 0,20 m, et placage extérieur en pierre dure de 0,04 m. Le magasin à livres, séparé des services publics par un mur coupe-feu et dont deux faces seulement ont été percées d'ouvertures, étroites bandes de briques de verre, a été conçu selon la formule dite « américaine », c'est-à-dire avec poteaux métalliques porteurs entièrement dissimulés dans les rayonnages. Ce sont ces poteaux qui supportent donc, outre les rayonnages proprement dits, les planchers en béton de 8 cm d'épaisseur et la toiture à quatre versants que cache un petit acrotère. A la demande de la Direction des bibliothèques de France, en effet, aux terrasses prévues originellement, ont été substitués presque partout des toits à faible pente.
La surface bâtie est de 920 m2 et les surfaces de planchers, sous-sol compris, atteignent 4.500 m2, dont plus de 3.100 m2 sont utilisables pour l'emmagasinement des livres, les services publics et intérieurs, des ateliers de reliure et de photographie, un garage. Sur ces 3.100 m2, 1.940 correspondent aux six étages de magasins (pour 250.000 volumes), 960 aux différentes salles publiques, et environ 140 aux bureaux et services intérieurs situés pour la plupart au rez-de-chaussée du bloc-magasin. Si l'on rapproche ces surfaces de celles qu'occupait autrefois la bibliothèque rue Fortier, soit environ 1.000 m2, on devra reconnaître que la ville de Douai a accepté de voir grand. Mais qui lui en ferait le reproche lorsqu'on assiste un peu partout en France à l'asphyxie progressive des bibliothèques publiques construites il y a moins de cent ans, lorsqu'on voit déjà à Douai même la salle pour enfants du nouvel édifice, de plus de 178 m2 pourtant, littéralement envahie, le jeudi, par les enfants, lorsqu'on sait enfin qu'en moins de douze ans les collections de cette bibliothèque ont presque décuplé, passant de 6.000 à 56.000 volumes?
Les problèmes purement techniques posés notamment par le chauffage, l'éclairage artificiel et les revêtements du sol, après examen avec le Service technique de la Direction des bibliothèques, ont été résolus de manière différente selon les salles. Il est encore trop tôt toutefois pour porter un jugement définitif sur les installations réalisées.
Les magasins à livres et la salle de lecture bénéficient du conditionnement d'air dont le réglage, très délicat, ne pourra être définitivement mis au point que lorsque les appareils de chauffage du conservatoire de musique en cours d'achèvement seront branchés sur la chaufferie commune placée dans le sous-sol de la bibliothèque. Pour assurer toutefois l'aération des magasins sans avoir à mettre en marche le conditionnement d'air, un certain nombre de châssis ouvrants ont été ménagés dans les parties vitrées des façades nord-ouest et sud-ouest. Les salles pour enfants et d'exposition, à occupation très intermittente, sont chauffées par de l'air pulsé. Tout le reste de la bibliothèque est équipé de radiateurs à eau chaude. La salle de prêt qui en est aussi dotée y a perdu, il faut bien le reconnaître, d'importantes surfaces murales.
Une certaine variété règne également dans le domaine de l'éclairage artificiel : magasins et bureaux ne connaissent que les traditionnelles lampes à incandescence (avec minuterie pour les travées de livres dans les magasins); dans les salles publiques, au contraire, ont été utilisés des tubes fluorescents et des tubes au néon, ces derniers fournissant un éclairage d'ambiance, les autres un éclairage sur tables (par des réglettes de 0,60 m) et sur les épis de livres de la salle de prêt.
Les revêtements des sols devaient primitivement être constitués dans toute la bibliothèque par des dalles plastiques et du carrelage. A notre demande, des revêtements plus souples et plus insonores à base de chlorure de polyvinyle ont été posés dans les salles de lecture des adultes et des enfants. Les dalles plastiques (Dalami et Dalflex) ont été maintenues dans les salles de prêt, de catalogue et d'exposition et dans les magasins. Le hall d'entrée, l'escalier principal et le palier du premier étage sont en dalles de pierre. Enfin les services intérieurs, les installations sanitaires et certains dégagements ont du grès cérame ou du granito. Les revêtements des murs ont également été étudiés, tant du point de vue des matériaux (murs plâtrés dans les magasins, ciment émaillé dans le hall et les dégagements, « Durex » dans les salles publiques, etc...) que des couleurs (vert, bleu, jaune, selon les salles) en harmonie avec les sols.
Sans vouloir maintenant passer en revue toutes les parties de la nouvelle bibliothèque de Douai, nous voudrions souligner encore avec quel soin le mobilier lui aussi, a été choisi, qu'il s'agisse des magasins où tous les rayonnages métalliques sont à montants pleins, de la salle de lecture pour adultes qui offrent 43 places très confortables et des rayonnages pouvant contenir près de 2.000 usuels et environ 130 périodiques, de la salle pour enfants aux tables rondes ou rectangulaires et aux chaises de facture très moderne avec sièges et dos aux couleurs vives et variées, de la salle d'exposition aux tables-vitrines en harmonie avec l'architecture générale. Dans toutes les salles publiques, à l'exception de celle réservée au prêt, le mobilier, notons-le, est en bois. Des cloisons en glace et en briques de verre ont été en outre abondamment utilisées, soit pour faciliter la surveillance, soit pour laisser pénétrer la lumière le plus loin possible dans le bâtiment. Bien que le personnel ait été augmenté par rapport à l'avant-guerre il ne l'a pas été cependant en proportion du nombre des salles ouvertes dans ce nouvel édifice. C'était donc en fonction d'un personnel réduit qu'il fallait concevoir le plan; les solutions proposées par l'architecte résolvent en grande partie ce problème.
Le succès déjà rencontré par cette bibliothèque au bout d'un an et demi de fonctionnement prouve assez que les autorités municipales ont eu raison de voir grand. Le Président Monnerville dans son allocution du 30 octobre 1955 avait assuré « que les jeunes viendront sans doute la fréquenter en grand nombre »; or, trois mois seulement après l'ouverture de la bibliothèque pour enfants, on notait 311 inscrits et 2.338 volumes prêtés sur un fonds qui ne dépassait pas alors 1.600 volumes. Un certain jeudi d'octobre 1956, on a même enregistré dans cette salle la présence de 230 enfants pour 36 places assises. Pour les salles de lecture et de prêt, les chiffres de communication sur place et de prêt à domicile vont également croissants d'une année à l'autre. Il n'est pas rare que les 43 chaises de la salle de lecture pour adultes soient occupées et, en dépit de la présence de plus de 1.700 « usuels », près de 7.000 ouvrages d'études ont été communiqués sur place en 1956. La galerie et la salle d'exposition, en honorant Mozart, Henri Heine, Christophe Colomb, Schumann, Jean-Baptiste Charcot, Henri-Edmond Cross, ont déjà elles aussi attiré de nombreux visiteurs.
Au total, si l'on devait résumer en quelques mots les caractéristiques essentielles de cette bibliothèque vieille de moins de deux ans, quatre qualificatifs, nous semble-t-il, pourraient lui être appliqués : vaste, claire, confortable et, pour reprendre une expression un peu choquante à l'oreille mais aujourd'hui classique, « fonctionnelle ».
La Bibliothèque de Beauvais
Lorsqu'il s'agit de la destruction de bâtiments publics, chacun sait qu'au nom de l'objectivité tout sentiment doit être exclu des rapports qui en font état et qu'un certain style administratif est, si l'on peut dire, de rigueur. Ces considérations-là, fort heureusement, n'ont pas effleuré un seul instant l'esprit du bibliothécaire de Beauvais, M. Emile Jauneau, mort depuis, lorsqu'il eut à rédiger pour le ministre, en 1940, le procès-verbal, il nous faudrait mieux dire le récit, de la destruction de sa bibliothèque. Il est aussi simple que le papier - une double feuille de petit cahier écolier - sur lequel il figure. Nous regrettons de ne pouvoir le reproduire ici en entier, mais nous tenons à en citer la dernière phrase : « Je ne puis terminer, Monsieur le Ministre, sans vous faire part de la poignante impression que j'ai éprouvée quand je me suis trouvé entre les quatre murs encore debout de ma chère bibliothèque, que depuis seize ans je m'étais attaché à enrichir, où je passais tous mes instants de loisirs, devisant sur les améliorations à apporter à son rangement et à son fonctionnement et quand j'ai constaté de mes propres yeux remplis de larmes que de mes 42.000 volumes il ne restait plus que des cendres ». M. Jauneau n'aura pas eu la grande joie de voir, édifiée à deux pas de l'ancienne, une bibliothèque toute neuve, toute blanche extérieurement, avenante, claire et déjà riche de plus de 32.000 volumes, mais il a trouvé des successeurs qui se sont attelés à la besogne avec courage, qui ont cherché à apporter des améliorations que l'ancien bâtiment vraisemblablement ne permettait plus guère et qui déjà ont fait de la nouvelle bibliothèque un foyer vivant de culture, d'information et de détente pour grands et petits.
Dans la mesure où l'histoire du passé explique, justifie et sert le présent, nous croyons utile de rappeler en quelques lignes ce que fut la bibliothèque avant son anéantissement en 1940. Nous essaierons de dire ensuite comment, grâce à qui et à quoi, la reconstruction a pu s'effectuer. Nous ferons enfin une description de la nouvelle bibliothèque ouverte aux Beauvaisiens le 17 décembre 1956, à l'exception de la salle pour enfants mise seulement en service le 2 février 1957.
La Bibliothèque de Beauvais avant 1940.
L'histoire de la bibliothèque de la ville de Beauvais, des origines jusqu'en 1903, a été écrite avec beaucoup de précision et même de talent par un professeur du Lycée de Beauvais, G.-Hector Quignon 9. A la lecture de sa monographie, il est aisé de suivre les transferts, les exils et les aménagements qu'elle a connus, nous devrions plutôt dire qu'elle a subis : en un siècle et demi, trois implantations différentes et pour les deux dernières, au collège et à l'hôtel de ville, déménagements à l'intérieur même du bâtiment d'un étage à un autre. Nous allons, comme à grandes enjambées, parcourir ces différents locaux, nous attardant un peu plus longtemps sur les salles de l'hôtel de ville qui ont abrité la bibliothèque et que bien des Beauvaisiens se rappellent encore.
Du Couvent des Ursulines, siège de l'École centrale qui l'hébergea dans des conditions à peu près satisfaisantes de 1796 à 1804, elle fut exilée dans un grenier du Collège, rue des Jacobins, jusqu'en 1817, où « c'est pure chance, écrit G.-H. Quignon, si de nombreux livres n'ont pas été perdus alors ». L'auteur ne manque pas cependant de relever quelques traces d'échanges malheureux et de vente d'ouvrages anciens, soit pour se procurer des livres modernes, soit pour payer le catalogue, mais les pertes les plus importantes paraissent plutôt provenir des emprunteurs, professeurs du collège et officiers du régiment de dragons en particulier, qui négligeaient de rendre les livres que le bibliothécaire Maurice laissait sortir, semble-t-il, avec un peu trop de libéralité. A partir de 1817, la bibliothèque se voit attribuer dans ce même collège trois pièces plus décentes représentant 213 m2; elle est surtout désormais ouverte à tous les habitants de Beauvais, conformément à un règlement édicté le 15 janvier de cette année-là par le maire de la ville 10. Ces trois pièces, on le devine, se révélèrent assez vite insuffisantes « malgré l'adjonction en 1836 de cases placées au centre ».
Il faudra néanmoins encore attendre jusqu'en 1857 pour assister à l'installation de la bibliothèque dans deux salles du premier étage de l'hôtel de ville, dont l'une, sombre, donnait sur la cour, et l'autre, plus grande et bien éclairée, prenait jour par deux grandes fenêtres sur la place. Les 15.000 volumes que la bibliothèque possédait à cette époque purent s'aligner sans difficulté sur les rayonnages qui tapissaient les murs de ces deux salles, rayonnages en chêne, à montants sculptés dont une carte postale des premières années du siècle nous permet de nous faire une idée assez exacte. Mais, vingt ans après, au rythme des accroissements annuels (200 à 250 ouvrages environ), il fut bientôt impossible de trouver de la place autrement qu'en mettant les livres sur deux rangs. Par bonheur, en 1884, on eut l'idée ingénieuse de surélever de 1,60 m les rayons supérieurs - qui avaient déjà 4,70 m de haut - et d'aménager une galerie circulaire dans les deux salles. Ulysse Robert, y faisant allusion l'année suivante, dans son rapport d'inspection générale, écrit presque triomphalement : « la bibliothèque est installée au premier étage de l'hôtel de ville dans deux belles grandes salles... dans lesquelles on vient de faire des travaux d'aménagement qui ont coûté 9.000 francs, sans parler des dépenses de mobilier nécessitées par l'accroissement du nombre des lecteurs ». Cette galerie augmenta d'environ 300 mètres le métrage de tablettes ce qui, normalement, devait donner à la bibliothèque un sursis de 30 à 40 ans. Outre cet aménagement, deux grandes tables de lecture en chêne furent placées dans la grande salle. La même année, sur les instances de l'inspecteur général, un cachet avait été acheté, les ouvrages estampillés et la rédaction d'un catalogue sur fiches articulées entreprise. La bibliothèque, confiée à l'économe du collège, M. Marchandin, ancien instituteur, paraissait promise au plus bel avenir.
Cinq ans après cet aménagement, en 1889, se produisit un événement qu'il nous faut mentionner : aux accroissements habituels vint s'ajouter en bloc tout le fonds, soit 2.400 volumes, d'une bibliothèque populaire, constituée vingt ans avant à l'instigation de l'une de ces sociétés d'instruction populaire si florissantes à la fin du Second Empire et au début de la IIIe République. Ce fonds, entreposé dans la première salle, en augmentant sensiblement la richesse de la bibliothèque, contribua par là-même à accélérer son asphyxie. Ulysse Robert l'annonce dès 1892; après avoir constaté, en effet, que « les volumes de la grande bibliothèque sont au nombre de 20.000, beaucoup trop formant deux rangs sur les rayonnages », il ajoute dans son rapport : « on ne pourrait y remédier qu'en déplaçant la bibliothèque populaire 11». Celle-ci précisons-le, avait son budget, son règlement, son comité d'achat et recevait des dons de livres du Ministère, en sorte que, riche de 2.400 volumes en 1889, elle en avait 4.500 en 1903. L'historien de la bibliothèque, G.-H. Quignon, dans la monographie qu'il a écrite cette année-là, reconnaît qu' « est arrivée l'urgence de l'accroissement des locaux actuels ou du changement des locaux 12 ». Vœu resté hélas! très platonique, car bien des discussions, bien des lettres ministérielles, suivies parfois de magnifiques et vains projets seront encore nécessaires avant d'en arriver au transfert de la bibliothèque dans une nouvelle aile de l'hôtel de ville.
Qu'on nous permette auparavant un rapide retour en arrière sur un point de détail qui, on va le voir, n'est pas sans importance. Dans son rapport de 1885, Ulysse Robert avait écrit cette phrase, à première vue un peu étrange : « j'ai demandé à M. le Maire de Beauvais l'établissement dans les salles de grillages à hauteur d'homme ». Pour quelle raison? Dans quel but? Deux explications peuvent en être données. Voici la première. Le même inspecteur général, dans un rapport ultérieur, confirmé du reste à quelques années d'intervalle par notre historien de la bibliothèque 13 et par Pol Neveux lui-même 14, notait non sans agacement : « lorsqu'il y a des bals à l'hôtel de ville, la salle de lecture sert aussi de buffet et l'autre pièce de salle de danse ». « Récemment, ajoutait-il, à l'occasion de grandes manœuvres, on y a offert un punch aux officiers. » Qu'advenait-il ces jours-là des précieux manuscrits si soigneusement collationnés à chaque inspection par Ulysse Robert? Ou voulait-il seulement faire allusion aux dangers d'incendie courus par les collections? Pour notre part, nous penchons pour une autre hypothèse. Si nous en croyons les mêmes rapports, les Beauvaisiens d'alors, devançant en quelque sorte les lecteurs d'aujourd'hui, allaient chercher eux-mêmes sur les rayons les livres qu'ils voulaient lire ou emprunter; un certain désordre dans les collections, des pertes d'ouvrages en résultaient, des mutilations mêmes étaient constatées. Malgré les recommandations faites aux bibliothécaires par les inspecteurs généraux 15 les habitudes prises étaient, semble-t-il, trop solidement ancrées pour qu'on pût obtenir un retour aux règles, classiques à cette époque, selon lesquelles le personnel de la bibliothèque a seul le droit de prendre et de remettre les ouvrages sur les rayons. Dans ces conditions, seules des grilles pouvaient interdire aux usagers l'accès aux livres. Peut-être les bibliothécaires de Beauvais étaient-ils, ainsi, et sans le vouloir, les précurseurs en France du système expérimenté vers ces années-là aux États-Unis de l'open access ou accès libre aux rayons. Ce qui est sûr, c'est que déjà les étudiants de Beauvais appréciaient cette pratique. L'un d'eux ne le rappelait-il pas dans un article de journal paru il y a quelques années dans lequel il évoquait, avec une émotion contenue et une pointe d'humour, la bibliothèque des dernières années du xixe siècle? Elle « était accueillante, écrivait-il, en ce sens qu'on pouvait aller soi-même choisir et prendre un livre aux rayonnages - et cette coutume s'est heureusement maintenue -, que les sièges étaient confortables, qu'il y faisait chaud l'hiver et que le silence y était grand... 16 ».
De 1895 à 1914, le problème du local et de son insuffisance revient comme un leitmotiv dans tous les rapports de l'inspection générale et dans toutes les lettres ministérielles. Par eux nous apprenons que plusieurs projets ont été examinés, discutés, abandonnés, repris, puis définitivement repoussés. De tous ces projets, le plus intéressant pour l'histoire des constructions de bibliothèques en France est assurément celui dont on commence à parler en 1901 et qui donna lieu en 1908 à un programme de concours en vue de l'édification d'un musée-bibliothèque sur l'esplanade de l'Hôtel-Dieu. Nous en conseillons vivement la lecture à ceux qui auraient en chantier une grande histoire des bibliothèques françaises. Ce qui dans ce programme frappe plus particulièrement un homme habitué de nos jours à parler surfaces et volumes, c'est cette ligne de l'article 4 où il est dit que la bibliothèque devra présenter « une surface murale de 425 mètres superficiels destinés aux rayons, lesquels devront recevoir deux rangs de livres ». On ne précise pas toutefois quelle devra être la hauteur maxima des échelles à prévoir pour accéder à ces rayons! Cette manière de compter en mètres carrés de murs utilisables, scrupuleusement observée par l'architecte qui fut chargé quelques années plus tard de l'adjonction d'une aile au vieil Hôtel de ville, aura du moins valu à la nouvelle bibliothèque de disposer de salles où, les murs une fois entièrement recouverts, il restait encore des surfaces de planchers pour des rayonnages à double face 17.
Lorsqu'enfin l'adjonction au bâtiment de la mairie d'une aile en bordure de la rue Saint-Christophe fut décidée, le transfert de la bibliothèque était devenu absolument indispensable : les bibliothèques du grand et du petit séminaire venaient en effet d'être attribuées à la ville. Commencés l'hiver 1911-1912, les travaux furent achevés en décembre 1913 et la nouvelle bibliothèque ouverte le 22 janvier suivant. De quoi se composait-elle au juste? Au rez-de-chaussée, on trouvait deux salles, la première de 9,10 m X 10,30 m, éclairée sur la cour, abritait la bibliothèque populaire; la seconde de 9,10 m × 10 m, donnant au Midi, fut utilisée comme salle de lecture. Toutes les deux étaient tapissées de livres et aux deux tiers de la hauteur une galerie desservait les rayonnages des parties les plus élevées avec passage d'une salle à l'autre. Au-delà de la salle de lecture, une petite pièce de 2 m X 3,50 m servait au bibliothécaire de bureau des entrées. A l'étage supérieur auquel on accédait par un escalier extérieur à la bibliothèque proprement dite, une réserve à livres d'environ 9 m X 10 m, à armature métallique, était répartie sur deux étages. De là une porte menait à une pièce de réserve d'environ 3 m X 5 m où les manuscrits se trouvaient enfermés dans des armoires-bibliothèques en chêne. Une table entourée de deux chaises en permettait la consultation sur place. Quelques aménagements intérieurs complémentaires furent effectués en 1929, puis de nouvelles armoires-bibliothèques achetées. Pratiquement, la bibliothèque qui fut détruite le 8 juin 1940 et où logeaient près de 42.000 volumes était celle que nous venons de décrire rapidement.
La démolition presque complète de l'Hôtel de ville a fait l'objet de nombreux récits et rapports, celle de la bibliothèque a été évoquée notamment, et d'une manière assez émouvante, quelques jours avant l'inauguration de la nouvelle bibliothèque dans un article de journal auquel nous renvoyons 18. L'auteur nous permettra de citer seulement cette phrase sur la bibliothèque détruite : « Tout y était simple, sans recherche, mais avec ses deux grandes salles, sa réserve, ses deux cabinets, on y faisait quand même du bon travail ».
La reconstruction de la Bibliothèque de Beauvais (1945-1956).
Durant cinq ans, de juin 1940 à l'été 1945, la ville de Beauvais resta sans bibliothèque. Préoccupée dès sa création d'aider les villes qui avaient eu leur bibliothèque détruite, la Direction des bibliothèques de France n'oublia pas celle de Beauvais. Les autorités municipales, de leur côté, annonçaient le 5 septembre 1945 aux services du Ministère qu'elles venaient de lui affecter un local provisoire dans un baraquement en bois sur l'esplanade de l'Hôtel-Dieu, tout près de la Place du Jeu de Paume. M. Marcel Bouteron, alors directeur des Bibliothèques, dans une lettre datée du 7 mars 1946 ne manqua pas d'en féliciter la ville; il insistait à cette occasion sur les avantages du système de l'accès direct aux rayons que le bibliothécaire n'avait pas osé, ou voulu, instaurer et, déjà, se trouvait abordée la question de la construction d'un local définitif. Si nous croyons devoir donner ici un extrait de cette lettre, c'est que les grandes lignes de la doctrine générale de la Direction en matière de bibliothèques municipales s'y trouve esquissée, comme elle l'avait été à la même époque pour Douai et bien d'autres villes : « ... M. l'Inspecteur général Masson vous a exposé les motifs qui militent en faveur d'un local indépendant. Même si vous étiez obligé, par raison d'économie, à vous contenter de réserver à usage de bibliothèque une partie de l'hôtel de ville, il est nécessaire de prévoir des salles plus nombreuses et plus vastes que dans l'ancien local et il est indispensable qu'elles aient accès direct sur la rue ». Deux ans plus tard, en 1948, cette doctrine est confirmée et précisée dans une autre lettre ministérielle où il est demandé si un emplacement a été choisi pour la future bibliothèque, s'il est central et s'il répond aux conditions de sécurité souhaitables (de préférence un pavillon isolé donnant sur un jardin, disait-on), s'il n'est pas nécessaire d'autre part de construire une bibliothèque plus vaste et mieux équipée que l'ancienne avec section de prêt pour le grand public et salle de lecture pour enfants en particulier. Cette même année, les premiers contacts ont lieu entre l'architecte chargé de la reconstruction de l'hôtel de ville, M. Georges Noël, premier grand prix de Rome, et le Service technique de la Direction; un nouveau bibliothécaire, M. Lemaire, prend ses fonctions; enfin l'inscription de la bibliothèque au plan de priorité nationale est demandée et, quelques mois après, obtenue. Nous voici désormais entrés dans une phase active, celle des projets et celle des décisions.
De 1950 à 1952, en effet, tandis que l'architecte propose un certain nombre de plans étudiés chaque fois avec beaucoup de soin par le bibliothécaire, les membres du Conseil municipal, et plus particulièrement M. Séné, sénateur-maire, MM. Falleur et Jacoby, adjoints, examinent attentivement chacune des études qui leur sont soumises et finalement donnent leur accord à la construction d'un bâtiment à deux étages, tout à fait indépendant de l'hôtel de ville, bien qu'à proximité immédiate et architecturalement conçu pour s'harmoniser avec lui. Le 18 décembre 1951, le Conseil général des bâtiments de France approuve l'avant-projet de M. Noël, ce qui permettra l'engagement d'un premier crédit de subvention pour les travaux. L'année suivante, le Conseil municipal, par délibération des 12 juin et 3 novembre 1952, adopte le projet de reconstruction de l'ensemble des bâtiments de l'hôtel de ville, acceptant - il convient de le souligner - qu'une priorité soit accordée à la reconstruction de la bibliothèque. Le 10 avril 1953, les travaux commençaient. Terrassiers, maçons, charpentiers, couvreurs, plombiers, serruriers, menuisiers, électriciens, peintres allaient animer ce terrain situé à l'angle de la rue Malherbe et de la rue des Barrettes 19, longtemps resté à l'état de chantier de démolition.
En un peu moins de deux ans, le gros-œuvre fut achevé et, sans des difficultés imprévues provenant des revêtements du sol, la bibliothèque aurait sans doute pu être mise en service dès l'année 1955 en même temps que celle de Douai. En effet, la réception provisoire du bâtiment eut lieu le 11 février de cette année-là et les cahiers des charges intéressant l'équipement mobilier (confié au bureau d'étude qu'animaient le bibliothécaire et le secrétaire général de la ville, M. Falempin) prévoyaient une livraison de meubles vers le milieu de l'année. Lorsqu'après bien des enquêtes et des discussions un nouveau revêtement eut été enfin posé dans la salle de prêt, le mobilier, achevé depuis longtemps, put y prendre place et l'ouverture au public être envisagée. Entre temps, nous l'avons vu, avait eu lieu l'inauguration de la bibliothèque de Douai. Celle de Beauvais fut fixée au 11 décembre 1956; elle se trouvait coïncider à peu près avec la naissance d'un service départemental de lecture publique qui, grâce à l'obligeance du maire, M. Jacoby, avait trouvé un asile provisoire dans une partie des magasins de la nouvelle bibliothèque municipale. Faut-il rappeler à ce sujet que les faits donnaient ici encore raison au bibliothécaire, M. Lemaire, qui sept ans plus tôt, en octobre 1950, demandait à l'architecte des magasins plus vastes pour y installer notamment une bibliothèque circulante. Si, comme l'a souligné M. Julien Cain, directeur général des Bibliothèques de France, dans une lettre au maire de Beauvais faisant suite à l'inauguration « la réussite constatée unanimement le 11 décembre 1956 est le résultat des efforts conjugués de la ville et de l'État, aussi bien sur le plan financier que pour l'étude des plans et le programme d'organisation », elle est due en tout premier lieu au bibliothécaire qui n'a cessé, depuis le jour où la reconstruction fut décidée jusqu'à l'ouverture au public, de voir dans les moindres détails les problèmes posés par la construction, l'aménagement et le fonctionnement de cette bibliothèque. Il nous faut maintenant donner quelques précisions sur le nouvel édifice et essayer de déterminer, d'une part ce qui le distingue des autres bibliothèques publiques françaises nouvellement construites, celles de Douai, de Brest et de Tours par exemple, d'autre part - et ce sera notre conclusion - ce qu'il y a de commun dans tous ces bâtiments.
La nouvelle bibliothèque.
Répondant au voeu formulé par la Direction des bibliothèques, la ville de Beauvais, sinistrée, rappelons-le, à plus de 50 % et dont la population agglomérée ne dépasse pas 25.000 habitants, a accepté le principe d'une construction indépendante. Alors que cette bibliothèque occupait avant la guerre dans l'hôtel de ville une surface de planchers inférieure à 300 m2, la nouvelle couvre au sol un peu plus de 410 m2 et sur une surface de planchers d'environ 1.000 m2, 920 correspondent à des surfaces utilisées soit en magasins, soit en salles publiques, soit en bureaux, soit en dégagements et installations sanitaires.
Situé derrière l'hôtel de ville, à l'angle de deux rues qui ne se coupent pas tout à fait à angle droit, le nouveau bâtiment, comme l'indique le plan joint à cet article, à une forme légèrement trapézoïdale avec un angle arrondi. Les faces Est et Sud longent les rues de Malherbe et des Barrettes, celles du Nord et de l'Ouest donnent sur le jardin de l'hôtel de ville. Compte tenu de son implantation, la crainte du bruit et l'intérêt que pouvait exercer des vitrines situées à l'Est sur la rue Malherbe l'ont emporté sur des considérations d'orientation lorsqu'il s'est agi de placer les tables de lecture et les bureaux du personnel; ceux-ci s'alignent le long des murs Ouest et Nord. Toutefois, c'est par de grandes baies vitrées situées sur la seule face Ouest que les salles publiques et le bureau du bibliothécaire reçoivent presque toute leur lumière. Les plus petits vitrages prévus sur les autres façades procurent aux réserves à livres et aux rayonnages de la section de prêt un éclairage plus réduit; ils permettent en même temps une aération des salles et des magasins qui prennent jour de leur côté.
Du point de vue de la construction proprement dite, ce bâtiment est caractérisé par une ossature en béton et des murs de pierre, puisée aux mêmes carrières que celle de l'hôtel de ville, par des toits à faible pente pratiquement invisibles de la rue, avec couverture en cuivre plombé, et par des châssis de portes et de fenêtres en menuiserie métallique.
Si l'on ne fait pas état du sous-sol dont l'utilisation nécessiterait des travaux complémentaires, la bibliothèque actuelle se trouve répartie sur trois niveaux :
- un rez-de-chaussée légèrement surélevé, haut d'environ 4,50 m, où l'on trouve un hall, une salle de prêt pour adultes, une salle pour enfants et des installations sanitaires;
- un étage mezzanine de 2,20 m, dont une partie forme une galerie accessible au public dans la salle de prêt, et l'autre un magasin à épis parallèles provisoirement utilisé pour le bibliobus;
- un premier étage comportant un hall, une salle de travail, le bureau du bibliothécaire, un petit atelier et un vaste magasin à livres.
Au total, 100.000 volumes pourront trouver place sur les rayonnages métalliques installés à cet étage et à l'étage intermédiaire. Quant aux lecteurs, dix-huit places confortables leur sont offertes dans la salle de travail du premier étage devant des tables individuelles placées le long des fenêtres ou autour de grandes tables pour six lecteurs, et vingt-quatre dans la salle de prêt pour la lecture de périodiques, de livres du fonds de prêt ou de quelques ouvrages de références tels qu'encyclopédies, dictionnaires ou histoires de l'art. Des trois salles publiques, cette dernière est la plus vaste (environ 170 m2) et aussi la plus fréquentée : les livres qu'elle contient, plus de 10.000, qu'il s'agisse de romans, d'ouvrages de vulgarisation ou de référence, peuvent satisfaire la plupart des demandes courantes, ses heures d'ouverture (jusqu'à 19 heures les lundi, vendredi et samedi, jusqu'à 22 heures le mardi et, le dimanche après-midi, de 14 heures à 17 heures) conviennent à bon nombre de travailleurs et d'étudiants, son ambiance de clarté, de calme et de liberté est sans doute, elle aussi, très appréciée. Pour faciliter la surveillance des livres dans cette salle, on a adopté, pour les rayonnages, la disposition rayonnante, dite aussi « en éventail », en sorte que du bureau placé à l'entrée une seule personne peut contrôler à la fois les entrées et sorties, les prêts de livres et la lecture sur place. A l'extrême rigueur, grâce à une cloison vitrée, elle pourrait aussi jeter quelques coups d'œil sur la salle pour enfants située à côté, bien que celle-ci ait normalement son entrée particulière et son bureau de surveillance et de prêt. C'est également par le moyen d'un cloison vitrée que le bibliothécaire, de son bureau, peut surveiller la salle de travail du premier étage. Il paraissait difficile d'économiser plus qu'on ne l'a fait à Beauvais les dépenses de personnel.
Dans le bureau du bibliothécaire, une porte blindée donne accès à une sorte de chambre forte, entièrement aveugle, qui renferme quelques-uns des ouvrages les plus précieux que possédait la bibliothèque détruite, manuscrits et incunables, mis heureusement à l'abri avant les bombardements de juin 1940. Le reste des collections a pris place dans les magasins représentant une surface d'environ 450 m2 répartie sur deux étages et que dessert un monte-livres.
Les installations techniques ont également été étudiées avec un certain soin, et témoignent toutes d'un souci de confort que dès l'origine chacun s'était accordé à donner à cette bibliothèque. Un chauffage par le sol qui avait le grand avantage de laisser en principe libres toutes les surfaces murales fut adopté; son réglage, lié à celui de l'hôtel de ville, dont l'occupation complète ne doit intervenir qu'en octobre 1957, ne pourra être définitivement mis au point qu'à cette époque. Une telle expérience, de toutes manières, nous paraît intéressante et digne d'être suivie avec attention. L'éclairage par lampes à incandescence, à quelques exceptions près, a été de règle pour toute la bibliothèque. Dans la salle de travail, notons-le, à l'éclairage d'ambiance s'ajoute un éclairage sur tables.
Les revêtements des sols sont pratiquement de quatre types : dallages en pierre dans les escaliers et les grands dégagements publics, grès cérame dans les installations sanitaires, chappes en ciment recouvert d'huile d'oxane et de quelques lés de linoléum dans les magasins, revêtements souples à base de chlorure de polyvinyle dans les salles publiques et les bureaux. C'est ce dernier type de revêtement qui a causé et qui cause encore quelques déboires; il fallut en tous cas se résoudre à le remplacer en 1956 dans la salle de prêt par du linoléum.
Le mobilier a été l'objet d'une étude très poussée faite par le bibliothécaire en liaison étroite avec le Service technique de la Direction des bibliothèques et le Centre technique du bois dont le siège est à Paris. En dehors des rayonnages des magasins qui sont en tôle d'acier à montants pleins et tablettes mobiles, tout le reste du mobilier, en effet, est en bois. D'essences différentes selon les salles, le bois donne partout une impression de solidité, de confort et de chaleur qui contribue à attirer les lecteurs les plus divers. Petits casiers pour les rayonnages d'accès libre, meubles de présentation de périodiques, tables rondes, polygonales ou rectangulaires, individuelles ou pour plusieurs lecteurs, avec ou sans tablette support destinée aux serviettes ou autres documents, fauteuils et chaises, fichiers de catalogues intercalés entre des tablettes de livres, vitrines dans les montants d'about des rayonnages de la salle de prêt, meubles bas pour usuels, rien n'a été conçu ou fabriqué au hasard. L'entrée même de la bibliothèque, qui se présente comme un stand d'expositions permanentes constituées par des jaquettes de livres, des agrandissements photographiques, des inscriptions en lettres de liège ou peintes sur des tableaux de contreplaqué, - le tout destiné à renseigner et à attirer les passants de la rue sans même qu'ils aient à entrer dans la bibliothèque et à affronter un contrôle, - est une des innovations les plus dignes d'être soulignées.
En définitive, ce qui nous paraît caractériser cette bibliothèque par rapport à toutes celles qui ont été construites en France ces dernières années, se situe sur trois plans différents : celui du programme ou des proportions à donner à telle ou telle partie de la bibliothèque, celui du cadre et de l'atmosphère qu'on a voulu créer, celui enfin de l'architecture générale et de l'aspect extérieur du bâtiment.
A Beauvais, on ne saurait nier qu'une grande importance a été donnée à la section de prêt dont la surface (170 m2) est encore augmentée par la galerie qui recouvre près d'un tiers de cette salle et à laquelle chacun est libre d'accéder en empruntant un escalier situé à proximité de l'entrée. C'est là - et aussi dans la salle pour enfants qui n'en est que le prolongement - que se concentre, si l'on peut dire, toute l'activité de la bibliothèque. La salle de travail des adultes est assurément un des compléments utiles, sinon indispensables, des salles du rez-de-chaussée, mais dans la mesure où il fallait donner priorité à l'une des missions qui incombent à toute bibliothèque municipale, c'est à ce qu'on appelle aujourd'hui la lecture publique qu'elle fut accordée.
En second lieu, un effort tout spécial a été fait, nous l'avons déjà noté, pour donner à chaque salle un certain caractère : de jeunesse et de gaité dans la salle des enfants où le bleu des murs et du sol fait ressortir un mobilier en frêne à sièges et dossiers jaunes ainsi qu'une tapisserie, aux couleurs vives et heurtées, posée sur l'un des murs, de bonhomie sereine et de liberté dans la salle de prêt où l'on peut butiner à son aise tout le long des rayons, monter à la galerie à la recherche de quelques romans étrangers, feuilleter un magazine attablé près du meuble qui les supporte ou debout à côté de l'une des portes-fenêtres, de calme et de sérieux dans la salle de travail du premier étage, au mobilier acajou et vert foncé qui se détache sur un sol crème et un mur vert clair.
Enfin les lignes mêmes du bâtiment, tout proche, rappelons-le, d'un hôtel de ville assez grandiose dont le corps principal, avec sa façade heureusement conservée, est un beau spécimen de l'architecture du XVIIIe siècle, sont à la fois classiques et modernes. Celui qui passe pour la première fois à côté ne saurait éprouver ce sentiment d'écrasement ou seulement cette appréhension que détermine parfois la vue de vastes bâtiments publics aux façades plus ou moins austères. La nouvelle bibliothèque de Beauvais, telle une librairie, vient au contraire solliciter sa clientèle jusque dans la rue grâce à ses vitrines et à ses expositions permanentes. Quelques marches seulement en effet suffisent à faire accéder un passant, curieux des étalages, de la rue aux rayons d'une salle claire et avenante où, sans formalité, il peut s'asseoir, feuilleter un journal, une revue, un roman, une anthologie. Ajoutons que dans cette construction, à vrai dire sans prétention et limitée à deux étages, l'architecte a su dissimuler des réserves à livres relativement importantes, tout en laissant aux salles publiques des dimensions normales.
Pour conclure sur cette bibliothèque nous ne saurions mieux faire que de citer cette phrase du Directeur général des bibliothèques, prononcée lors de l'inauguration officielle, le 11 décembre 1956 : « Je souhaite que le bel édifice que nous inaugurons aujourd'hui brave les injures du temps d'une manière aussi durable que l'élégante librairie du Chapitre de Noyon 20. J'ai la conviction qu'on la citera elle aussi comme un modèle; ... elle incarne les mêmes qualités bien françaises de mesure et d'heureuses proportions ».
Entre les deux grandes guerres mondiales, et surtout à partir des années 1932-1933, la notion de bibliothèque publique en France s'est précisée et élargie - nous avons rappelé plus haut sous l'influence de quels hommes 21 - mais cette notion n'était pas encore suffisamment répandue et surtout connue des architectes ou des dirigeants des villes pour que les constructions de bibliothèques effectuées à cette époque aient pu en être influencées. Au surplus, presque tous les textes, ouvrages et articles de revues précisant quel devait être le programme des bibliothèques modernes sont postérieurs à 1935, date à laquelle les nouvelles bibliothèques de Reims, de Dunkerque, de Pau, de Saint-Quentin et de Toulouse étaient déjà achevées. De tous ces textes il en est un que nous aurions eu grand plaisir à citer : c'est celui d'Henri Vendel publié en 1937 dans la Revue du livre et des bibliothèques 22. Nous y renvoyons nos lecteurs, nous autorisant seulement à en donner ici les premières lignes : « la bibliothèque pour tous, telle que nous la rêvons et que, j'espère, nous la verrons bientôt, sera située dans une rue passante. La façade claire, de lignes sobres et pures, éclairée le soir par un projecteur, la désignera àl'attention des passants... De larges baies permettront, aurez-de-chaussée, d'installer des étalages analogues à ceux des libraires... ». Lorsqu'il y a quelques mois nous avons assisté à l'inauguration de la bibliothèque de Beauvais, le texte de cette conférence d'Henri Vendel nous revenant en mémoire, nous avons soudain pensé que son beau rêve venait alors, en grande partie, de se réaliser.
Pour mieux juger du chemin parcouru en trente ans dans le domaine de la construction des bibliothèques publiques françaises, on ne saurait faire mieux que de mettre en parallèle les plans des bibliothèques de Dunkerque (1930) et de Beauvais (1956), de Saint-Quentin ou de Pau (1930 et 1933) et de Douai (1955), de Reims (1928) et de Brest (1957) qui appartiennent respectivement à des villes dont la population est à peu près comparable. Dans les premiers on cherchera vainement des salles de prêt et des salles pour enfants 23, les services intérieurs s'y réduisent la plupart du temps au bureau du bibliothécaire, des liaisons mécaniques ne sont prévues qu'à Reims et Toulouse, rien enfin n'a été conçu pour qu'une ou deux salles puissent être ouvertes à des heures plus tardives. En bref, elles font apparaître - du moins aux yeux d'un bibliothécaire d'aujourd'hui - un programme assez incomplet, une « articulation » des services souvent médiocre, un oubli total de ces deux importantes catégories de lecteurs : les enfants d'abord et aussi cette grande masse de travailleurs qui ne sont libres qu'à partir de six heures du soir.
Composée de quelques-uns des hommes qui avaient déjà contribué avant 1939 à rendre « vivantes » les bibliothèques de certaines villes de France, la nouvelle Direction s'est attachée dès sa création, pour tous les bâtiments à construire ou à reconstruire, en premier lieu à faire adopter un programme 24 qui donnât satisfaction à toutes les catégories de lecteurs possibles et qui permît à la bibliothèque, compte tenu de ses accroissements annuels, de ne pas manquer de place pendant cinquante ans - éventuellement davantage par une surélévation des bâtiments ou l'utilisation de sous-sols sains -, en second lieu à choisir le « parti » architectural qui procurât les liaisons les meilleures et les plus rapides, tout en réduisant au maximum le nombre des postes de contrôle ou de surveillance afin d'économiser les frais de personnel, en troisième lieu à offrir aussi bien aux lecteurs qu'au personnel de la bibliothèque un confort tel que le travail ou la lecture y soit agréable, disons mieux, tel que des représentants de toutes les classes sociales aient plaisir à y venir, soit pour y emprunter des ouvrages, soit pour lire sur place, soit même pour y admirer des expositions ou y entendre de la belle musique 25.
Si les deux nouvelles bibliothèques dont nous avons longuement parlé sont d'une certaine manière des réussites - en ce sens qu'elles répondent l'une et l'autre au programme que l'on s'était fixé, - ces réussites sont dues, nous n'hésitons pas à le redire, aux liaisons très étroites, indispensables à nos yeux, qui depuis les premiers avant-projets jusqu'à l'occupation effective des nouveaux locaux se sont chaque fois instaurées entre les maîtres d'œuvres, les bibliothécaires et les représentants des villes et de l'État, en l'occurence la Direction des bibliothèques de France. Nous permettra-t-on d'ajouter que les efforts souvent très grands qui ont été demandés à ces villes sinistrées n'auraient pu être accomplis sans l'aide financière de la Direction ? 26
Qu'on nous entende bien lorsque nous parlons de « réussites» : les bibliothèques de Beauvais et de Douai, comme toute œuvre humaine, ne sont pas, sans doute, parfaites en tous points. En cours de route, nous avons pour notre part souligné certaines de leurs imperfections. Sans vouloir à tout prix y chercher des excuses, rappelons qu'il est toujours assez difficile aux bibliothécaires d'avoir sur plans une vue très nette du fonctionnement véritable de leur future bibliothèque, que des considérations financières ont parfois détourné d'adopter telle ou telle disposition, que le succès de certaines salles - pour enfants, par exemple - dépassant toute espérance a prouvé qu'on avait vu trop petit, que toute institution publique évolue et doit s'adapter, quelquefois d'une année sur l'autre, à des besoins nouveaux, que pour ces deux bibliothèques enfin, comme d'ailleurs pour celles de Brest et de Tours, les terrains offerts comportaient quelques servitudes : à Douai, outre la présence de rivières souterraines, l'architecture de la bibliothèque devait se relier à celle du Conservatoire, à Beauvais l'Hôtel de ville tout proche commandait en partie l'ordonnance des façades, à Brest la bibliothèque devait aussi s'insérer dans un ensemble architectural comprenant le Musée, l'École des Beaux-Arts, et le Conservatoire de musique, à Tours enfin les exigences d'un site et d'une nécessaire symétrie avec un autre bâtiment étaient plus impératives encore.
On voudra bien admettre en conséquence qu'aucune de ces bibliothèques ne saurait être considérée tout à fait comme un modèle. Elles serviront en tout cas, du moins nous l'espérons, d'exemples et, si l'on nous permet l'expression, de tests; elles auront ouvert la voie.