Journées d'étude des bibliothèques de France
Les 22 et 23 novembre 1956, ont eu lieu à Paris des Journées d'étude qui présentèrent cette année un caractère original. Le Cinquantenaire de l'Association des bibliothécaires français qui devait être célébré les 20 et 21 novembre donnait l'occasion de réunir non plus les bibliothécaires attachés à telle ou telle catégorie de bibliothèque, mais l'ensemble des bibliothécaires français. Ainsi furent représentées les bibliothèques universitaires, les bibliothèques municipales, les bibliothèques centrales de prêt, les associations départementales de lecture publique subventionnées par la Direction des bibliothèques de France et les grandes bibliothèques parisiennes.
Il convenait d'aborder dans les diverses séances des sujets susceptibles d'intéresser tous les participants. D'autre part, comme le faisait remarquer M. Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale, directeur des Bibliothèques de France, dans l'allocution qu'il prononça devant les représentants des bibliothèques centrales de prêt et des services départementaux de lecture publique, « si nous avions respecté la tradition, ces 8e Journées d'étude auraient été les 3e Journées de la lecture publique rurale ». C'est pourquoi une séance devait être spécialement réservée aux problèmes concernant ces services. Le programme fut donc fixé comme suit :
Jeudi 22 novembre 1956.
Matin (10 h.).
- Allocution de M. Julien Cain, membre de l'Institut, administrateur général de la Bibliothèque nationale, directeur des Bibliothèques de France.
- Exposé de Mlle Y. Ruyssen, conservateur au Service technique, sur les problèmes de coopération et de coordination entre les bibliothèques.
Après-midi (15 h.).
- Débat dirigé sur les bibliothèques et l'édition française contemporaine.
Vendredi 23 novembre 1956.
Matin (9 h. 30).
- Séance réservée aux représentants des bibliothèques centrales de prêt et des services départementaux de lecture publique.
Après-midi (14 h. 30).
- Rapport introductif « Discothèque et Bibliothèque » par Mlle P. Salvan, conservateur à la Direction des bibliothèques de France, vice-présidente de la Commission des bibliothèques musicales publiques de l'A. I. B. M.
- Causerie sur le disque parlé, par M. Robert Kemp. Auditions de disques et débat.
- Montages culturels et bibliothèques, par M. Bouvy, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de la Moselle.
Les diverses réunions eurent lieu à l'Institut pédagogique national, à l'exception de la 2e séance qui se tint dans le Grand amphithéâtre du Muséum national d'histoire naturelle.
Un certain nombre de personnalités avaient été invitées à participer à ces Journées d'étude. Quelques-uns des délégués étrangers conviés par l'Association des bibliothécaires français assistèrent notamment à la séance d'ouverture : MM. Altermatt, président de l'Association des bibliothécaires suisses, Hansen, directeur des bibliothèques publiques au Danemark, Hofmann, directeur de la Bibliothèque d'État de Bavière à Munich, Sidney, président de la Library association, H. Sakamoto, représentant l'Unesco. Ont assisté en outre à une ou plusieurs séances : MM. Arents, inspecteur général de l'éducation populaire, Basdevant et Nazet, de la Direction générale de la jeunesse et des sports, Léglise, directeur de l'Institut national d'éducation populaire de Marly-le-Roi, Dolmazon, de l'Institut pédagogique national, Prévôt, inspecteur général de l'Instruction publique, commissaire général du Centre laïque de lecture publique (Ligue de l'Enseignement), et Le Brizault, secrétaire.
1re séance (jeudi 22 novembre, 10 heures).
M. Julien Cain remercia tout d'abord les diverses personnalités présentes et notamment les délégués étrangers, puis prononça une allocution dont le thème général fut l'unité des bibliothèques et du corps scientifique des bibliothèques :
« Si la Bibliothèque nationale, les bibliothèques universitaires, les bibliothèques des grands établissements scientifiques, les bibliothèques municipales, les bibliothèques centrales de prêt ont leur originalité et leurs problèmes particuliers, vous savez également tout ce qui les unit, tout ce qui leur est commun et cette réunion ne doit pas seulement être une rencontre, une possibilité d'échanges de vues, mais l'occasion d'affirmer, assurée par la Direction des bibliothèques de France, l'unité de votre corps...
« Si chaque bibliothèque a son propre rôle à jouer, il serait absurde de dresser entre elles des barrières, des cloisonnements factices et je considère comme une heureuse formule que soient réunis par des liens étroits des établissements aussi différents que la Bibliothèque nationale ou la Bibliothèque de l'École nationale des langues orientales vivantes, une bibliothèque centrale de prêt ou une bibliothèque municipale de moyenne importance et quand je dis, différents je n'entends, bien entendu, établir aucune hiérarchie de valeur entre les bibliothécaires qui, tous au poste où ils ont été appelés, accomplissent leur métier, quel que soit le lecteur.
« L'unité du corps, longtemps réclamée par vos groupements professionnels, a été réalisée. Cette unicité, tous les bibliothécaires n'en ont pas été satisfaits, mais étant donné les effectifs des diverses catégories qui demeurent modestes, c'était, au moment où le statut fut établi, la formule la meilleure. Elle présenterait des inconvénients si chacun ne trouvait pas la place correspondant à ses goûts et à ses aptitudes, mais tel n'est pas le cas, En revanche, elle permet de réparer des erreurs initiales d'orientation, de faciliter les mutations, d'élargir les possibilités d'avancement....
« Peut-être y aura-t-il lieu de rechercher des formules plus souples qui tiendraient compte de l'expérience de ces dernières années.
« De même nous pouvons nous féliciter des résultats obtenus dans le recrutement par le Diplôme supérieur de bibliothécaire, substitué à l'incertain Diplôme technique de bibliothécaire, et par le concours auquel les assouplissements nécessaires ont été apportés.
« L'unité dans les travaux n'est pas un des moindres bénéfices tirés de l'expérience de ces dix années. Le Service technique travaille pour toutes les catégories de bibliothèques.
« Notre enseignement peut aujourd'hui s'appuyer sur un certain nombre de publications que vous connaissez tous et une formation permanente est assurée par le Bulletin. Dans ce Bulletin, nous voudrions que la partie bibliographique et notamment celle constituée par des analyses d'ouvrages français et étrangers, enrichisse les vues et l'horizon du bibliothécaire isolé et lui suggère de nouvelles méthodes de travail.
« Dans tous les domaines qui sont les nôtres doit régner l'esprit de coopération et de coordination dans les efforts. »
Coopération et coordination, ce fut là le thème de cette séance d'ouverture et on a pu lire 1 le rapport que fit Mlle Ruyssen sur cette importante question et dont un résumé a été présenté au cours de cette séance. A l'issue de son exposé, s'engage un débat qui porte principalement sur les points suivants : établissement de catalogues collectifs, échange de doubles et prêt interbibliothèque, multigraphie des fiches de catalogues.
M. Prinet, conservateur en chef du Département des périodiques à la Bibliothèque nationale, demande tout d'abord que priorité soit donnée à l'achèvement et à l'impression du Catalogue collectif des périodiques, bibliothèques de Paris et bibliothèques universitaires .de province, entrepris en 1934.
En ce qui concerne les listes départementales, les bibliothécaires qui les ont établies estiment qu'elles ne rendent pas encore tous les services qu'on devrait en attendre. Un effort de diffusion et de publicité est indispensable pour les faire mieux connaître. M. Poindron, conservateur en chef, chef du Service technique de la Direction des bibliothèques de France, insiste en outre sur la nécessité de leur mise à jour régulière.
Quant au catalogue rétrospectif des ouvrages, les bibliothécaires des universités souhaitent unanimement la mise sur fiches rapide du « Catalogue de Montpellier ». Ils reconnaissent généralement, avec M. Poindron, qu'il faudrait s'attacher ensuite au recensement des ouvrages entrés dans les bibliothèques universitaires de 1934 à 1952. M. Tuilier, bibliothécaire au service du catalogue collectif des ouvrages étrangers, fait toutefois remarquer qu'on ne doit pas trop attendre d'un catalogue collectif rétrospectif pour cette période, étant donné les très grandes lacunes constatées et qui portent essentiellement sur l'ensemble des disciplines scientifiques et, pour les sciences humaines, sur l'antiquité classique et les langues et littératures modernes.
Pour les ouvrages rares, Mlle d'Alverny, conservateur à la Bibliothèque nationale, estime qu'il serait urgent d'envisager leur reproduction photographique. M. Poindron rappelle d'autre part que le service central des prêts garde un fichier des ouvrages repérés dans certaines bibliothèques et qui ne figurent pas à la Bibliothèque nationale.
M. Jenny, bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de Bourges, suggère un recensement sur le plan régional des grandes collections scientifiques et savantes qui amènerait une meilleure coordination, à cet échelon, dans les acquisitions.
La question des lacunes paraît préoccuper particulièrement les bibliothécaires présents, notamment pour les ouvrages étrangers des disciplines littéraires. D'une manière générale, on éprouve en province les plus grandes difficultés à se procurer les ouvrages épuisés. M. Rocher, bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de Lyon, demande si l'on ne pourrait pas charger un ou deux bibliothécaires parisiens de procurer aux bibliothèques de province les livres d'occasion qu'ils recherchent. De son côté, Mlle Arduin, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Toulouse, pense que la constitution d'un fonds national de prêt orienté surtout dans ce sens, serait une heureuse solution.
La question des échanges de doubles est également posée. M. Guinard, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Bordeaux, souhaite vivement la création d'un office central pour leur dépôt et leur répartition. M. Rocher pense que chaque bibliothèque devrait être en mesure de diffuser le catalogue de ses propres doubles. M. Masson, inspecteur général des bibliothèques, rappelle l'aide qui a pu être ainsi apportée dès 1945 aux établissements sinistrés, grâce à la coopération entre les bibliothèques et le Service technique. M. Julien Cain, en évoquant l'échec d'une entreprise de recensement et de décentralisation des doubles des bibliothèques parisiennes après la 1re guerre mondiale, insiste sur la nécessité d'une étude très sérieuse des méthodes d'organisation. Un tel service devrait en tous cas fonctionner comme une annexe d'une bibliothèque nationale de prêt.
Le problème de la multigraphie des fiches à l'échelon national est à plusieurs reprises discuté (M. Piquard, conservateur en chef chargé de l'administration des bibliothèques universitaires de Paris, Mme Delsaux, conservateur chargé du service de multigraphie, M. Rocher, Mme Ferry, conservateur de la Bibliothèque municipale de Nice, Mme Gauthier, bibliothécaire de la Bibliothèque municipale de Limoges, M. Desgraves, bibliothécaire de la Bibliothèque municipale de Bordeaux, Mme Thomas, directrice de la Bibliothèque centrale de prêt de l'Isère). M. Lelièvre, inspecteur général des bibliothèques, après avoir rappelé la tentative en 1927, de M. Joly, conservateur en chef de la Bibliothèque municipale de Lyon. résume les deux tendances en présence; les uns voient dans ces entreprises un allègement considérable de leur travail et du temps gagné pour des tâches plus importantes, les autres redoutent l'encombrement et ne croient ni à un gain de temps, ni à un profit intellectuel... Cependant, l'ensemble des bibliothécaires applaudit très vivement M. Hansen, directeur des bibliothèques du Danemark, lorsqu'il expose comment le Bureau bibliographique danois se charge de l'impression des fiches et de leur diffusion dans les quinze jours qui suivent la publication d'un livre. Aucune bibliothèque municipale danoise n'a de fiches à faire pour les ouvrages courants paraissant au Danemark.
Au cours du débat, M. Lelièvre a été amené à préciser les conditions dans lesquelles une « planification » lui paraît possible : si l'on doit se prononcer contre le dirigisme, la collaboration à cet échelon n'en suppose pas moins une certaine unité de vues et l'acceptation de principes unifiés.
Enfin, à propos de la constitution de fonds de prêt communs, M. Lelièvre précise qu'une telle politique ne saurait en rien affecter les acquisitions des grandes bibliothèques spécialisées de Paris qui continueront à se développer en tant que telles. Mais on devrait être assuré de trouver en outre les ouvrages spécialisés dans quelques grands dépôts fonctionnant comme centres de prêt.
Quant à la spécialisation de ces fonds par disciplines, est-elle réalisable? Leur délimitation poserait des problèmes de coordination délicats. Si la répartition par domaines linguistiques telle qu'elle est actuellement envisagée par la Direction des bibliothèques de France ne paraît pas satisfaire aux exigences de la logique, elle a du moins le mérite de répondre à un souci de simplification et d'être, par là même, plus pratique et aisément réalisable.
2e séance (jeudi 22 novembre, 15 heures).
Plusieurs maisons d'éditions s'étaient fait représenter à cette réunion où furent examinés les problèmes relatifs à l'édition contemporaine. MM. Lauga (Amiot-Dumont), Bourrelier, Métra et Roblin (Arthaud), Lesort et Bardet (Le Seuil), Mme Alleaume-Duval (Société d'édition des Belles-Lettres), MM. Labille (Flammarion), Brusce (Gallimard), Bazouin (Hachette), Liotard (Masson), etc... assistèrent au débat. Le point de vue des libraires fut exprimé par M. Lefebvre, président du Syndicat national des libraires, et par M. Delatte. MM. Rodolphe-Rousseau, président du Cercle de la Librairie, Gheerbrant, directeur de la librairie La Hune. et Strawzynsky, secrétaire du Comité de la Productivité, s'étaient excusés.
Les principales caractéristiques de l'édition contemporaine furent successivement passées en revue et discutées. Mlle Lacroix, bibliothécaire au Service technique de la Direction des bibliothèques de France, fit tout d'abord un exposé où elle esquissa les grandes lignes de l'évolution qu'on peut actuellement constater dans la présentation matérielle du livre.
« Le livre français, jusqu'à ces dernières années, se présentait broché et non coupé... Cette tradition se maintient surtout grâce aux conditions techniques et commerciales du marché du livre en France. Le prix d'une nouveauté et celui de l'ouvrage d'un auteur consacré sont sensiblement les mêmes. Or, dans un récent interview reproduit dans le journal Arts, l'éditeur Julliard souligne que la première édition de l'œuvre d'un auteur ne se tire guère à plus de 3.000 exemplaires. Lorsque le succès épuise cette première édition, il en coûte encore 1 million à l'éditeur. Pour amortir les frais d'impression, c'est sur les réimpressions qu'il compte. Cartonner et relier dans ces conditions une nouveauté, c'est augmenter le prix de revient sans pouvoir augmenter sensiblement le prix de vente. On comprend pourquoi le livre broché prolonge en France sa longue existence.
« Pourtant des livres cartonnés et reliés apparaissent sur le marché français. Pourquoi et quels sont ces livres? Cette présentation nouvelle est due à des causes diverses : la lecture en langue étrangère des textes directement importés, la traduction en français d'ouvrages étrangers, anglo-saxons pour la plupart, offerts au public français sous un aspect analogue à celui de leur pays d'origine, enfin l'apparition et le développement des clubs de livres. Ces circonstances ont incontestablement créé un public favorable aux livres reliés. Malheureusement en ce qui concerne la plupart des romans français ou traduits, les éditeurs ne peuvent satisfaire ces goûts nouveaux que dans des limites assez strictes pour les raisons que nous venons d'indiquer...
« Les auteurs anciens qui ont déjà derrière eux une longue carrière sont de plus en plus présentés sous reliure. On les trouve sous des formes diverses (Nelson, Hatier Le Cercle d'or, G.P. Super rouge et or, Mercure de France). Ce nouvel aspect du livre s'étend aux ouvrages documentaires. Il y gagne même, je crois, plus rapidement du terrain. Il arrive fréquemment que les premiers ouvrages d'une collection sont lancés brochés et que, le succès de cette collection étant assuré, les premiers volumes sont réimprimés cartonnés et reliés, les volumes suivants sortent directement sous un nouvel aspect (Aventures vécues, Flammarion). D'autres éditeurs adoptent dès leur première édition la formule du même ouvrage à la fois relié et broché. D'autres enfin ne retiennent de leur production que quelques titres, les meilleurs au point de vue du texte ou de la vente, et les offrent au public sous reliure.
« Signalons enfin les ouvrages sous reliure d'éditeur qui connurent au siècle dernier une grande faveur. Cette formule a été reprise sous une forme très moderne par les éditions Gallimard qui se sont assuré la collaboration de quelques grands artistes, et par les éditions Arthaud qui ont lancé sous cette présentation toute une série de leurs romans, récits d'exploration, livres d'actualité, etc...
« Les éditeurs nous proposent pour ces livres reliés des solutions très diverses qui se traduisent nécessairement par la diversité de la présentation, la variété des matières employées, la nature même de la reliure, toutes conditions qui déterminent la solidité, la durée d'un livre, mais aussi son prix. Nous souhaiterions savoir si vous trouvez un intérêt à cette nouvelle présentation et lequel? Si ces livres reliés répondent à vos besoins et dans quelle mesure, autrement dit, quels avantages y trouvez-vous? »
A cette occasion, plusieurs bibliothécaires chargés d'une bibliothèque centrale de prêt (M. Simonnet de l'Aisne, Mme Philippe-Levatois des Deux-Sèvres et M. Fillet d'Indre-et-Loire) expriment des réserves pour ces nouvelles tentatives et citent, à titre d'exemple, les ouvrages entoilés mis en circulation par les Editions du Seuil dont la couverture souple n'a pas, en ce qui concerne les bibliothèques, toute la résistance qu'on pourrait souhaiter. M. Bardet reconnaît lui-même que le lancement de cette collection n'a pas donné entièrement satisfaction, les brocheurs français n'étant pas préparés à ce genre de travail. Les bibliothécaires n'auraient-ils pas avantage à acheter à un prix raisonnable des livres plus solidement reliés? Il est certain qu'un volume tout relié, tout coupé, est mis plus rapidement à la disposition des lecteurs, ce qui constitue, constate M. Simonnet, un gain de temps appréciable. Sans doute y a-t-il lieu d'établir, au préalable, une distinction entre livres cartonnés et livres reliés et entre bibliothèques d'étude et bibliothèques de lecture publique, comme le font remarquer MM. Josserand, conservateur en chef du Département des imprimés à la Bibliothèque nationale, et Piquard. Il est évident que suivant les bibliothèques les problèmes sont différents. C'est ainsi qu'en pensant aux envois de livres dans certains pays d'Outre-mer où il est difficile de trouver de bons relieurs, l'expérience tentée par les maisons d'édition mérite, de l'avis de M. l'Inspecteur général Masson, d'être poursuivie. D'autant, souligne M. Cain, que les maisons d'édition anglaises ont prouvé qu'il était possible d'obtenir des cartonnages mieux conditionnés dont les bibliothèques publiques s'accommodent fort bien. M. Guignard, conservateur à la Bibliothèque nationale, rappelle qu'au Pavillon de Marsan ont été présentés il y a quelques mois plusieurs centaines d'ouvrages revêtus d'une reliure d'éditeur. Or, un bon nombre d'entre eux étaient inutilisables pour une bibliothèque publique (absence de titres sur le dos des volumes, ornement en relief présentant un danger pour les ouvrages voisins, fragilité des volumes). Le problème est différent pour les ouvrages d'étude. M. l'Inspecteur général Lelièvre estime qu'il serait intéressant de vendre certains d'entre eux, moins fréquemment communiqués, sous reliures d'éditeurs. M. Cain clôt la première partie de cette discussion en encourageant les éditeurs à persévérer dans leurs recherches.
Autre innovation de l'édition contemporaine « l'apparition des livres de poche » à propos desquels Mlle Lacroix donne les précisions suivantes :
« Outre leur format réduit, ils ont comme dénominateur commun un prix extrêmement bas. Je n'entre pas ici dans les conséquences sociales et culturelles de cette nouvelle forme du livre qui met les ouvrages à la portée d'une plus grande masse de lecteurs. Nous recherchons toujours quel intérêt les bibliothèques peuvent y trouver. Que rencontre-t-on sous un format réduit? Un peu de tout. Des romans et des documentaires qui sont des réimpressions d'ouvrages qui ont fait leur preuve et dont le succès d'avance assuré permet d'envisager des tirages considérables et d'user par conséquent de machines aussi perfectionnées que pour la presse... Nous souhaiterions savoir si vous préférez les acheter et les faire relier dans leur édition courante ou au contraire les acheter en plus grand nombre d'exemplaires en livres de poche.
A côté de ces réimpressions, des ouvrages originaux se présentent sous petit format (Éditions du Seuil : Petite planète, les Maîtres spirituels et Regards neufs). Les textes sont généralement excellents. Le problème se pose de savoir si tout peut être uniformément présenté sous ce format réduit : ouvrages de tourisme (Contacts avec le monde, Flammarion), ouvrages d'art (Le Grand art en livre de poche, Flammarion ; la Petite Encyclopédie de l'art, éditions Hazan, le moins cher des livres de poche, dit le placard publicitaire, mais aussi le plus élégant). »
La présentation matérielle des livres de poche suscite chez plusieurs bibliothécaires des réserves. Mme Thomas n'est pas favorable à l'entrée des livres de poche dans sa bibliothèque à cause du caractère compact et par suite peu lisible du texte. Cette observation, M. Caillet, conservateur de la Bibliothèque municipale de Toulouse et directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de Haute-Garonne, a pu la faire également en Haute-Garonne, où le public rural a été rebuté par la difficulté qu'il éprouve à la lecture de ces ouvrages. En revanche, à la Bibliothèque municipale de Toulouse, les livres de poche connaissent un grand succès.
Leur peu de solidité est mis en cause par M. Bouvy, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de Moselle. Il semble qu'un livre prêté 4 ou 5 fois soit hors d'usage. Plus l'ouvrage est volumineux, remarque M. Josserand, conservateur en chef du Département des imprimés de la Bibliothèque nationale, plus il est fragile. M. Bardet donne une explication technique à ce fait : les feuillets sont coupés au massicot et collés avec une colle souple sur le dos de la couverture. Toutefois, M. l'Inspecteur général Arents et M. Bourrelier affirment que des progrès très nets ont été faits dans ce domaine et que des colles souples donnant d'excellents résultats ont été mises au point 2. D'après une expérience tentée à la Bibliothèque municipale de Mulhouse, M. Richter a pu constater que des reliures exécutées à la colle souple résistent à une cinquantaine de prêts. M. Poindron rappelle enfin que les bibliothèques publiques d'Anvers utilisent cette technique, qui donne généralement toute satisfaction mais ne convient pas aux ouvrages imprimés sur papier glacé.
C'est ensuite de l'utilisation de « jackets » pour attirer les lecteurs que traite Mlle Lacroix. Cette séduction de l'image, les éditeurs ne s'en servent pas seulement pour la parure extérieure des ouvrages, nous la retrouvons aussi à l'intérieur de la plupart des ouvrages documentaires.
« Parmi les illustrations, les photographies reproduites selon divers procédés techniques ont acquis une place prépondérante. En feuilletant nombre de volumes, ne sommes-nous pas prêts à reconnaître que la civilisation du livre dont parlait Lucien Febvre cède la place à la civilisation de l'image. L'illustration accompagne parfois discrètement un texte ou l'équilibre, d'autres fois elle le repousse et le supplante. N'a-t-on pas dit que si un livre devait caricaturer notre temps ce serait l'album de photographies. Nous pouvons applaudir ou condamner cette civilisation de l'image, prédire que l'humanité moyenne va s'appauvrir, le but de notre débat n'est pas philosophique, mais pratique. Il porte essentiellement sur la place de l'illustration, sa valeur, son caractère documentaire ou artistique et enfin, lorsque la reproduction est en couleurs, sur sa fidélité. Cette remarque s'applique évidemment à la reproduction des œuvres d'art. Pour le livre illustré, les éditeurs ont adopté plusieurs formes : reproduction dans le texte (Les provinciales), reproduction hors texte (Arthaud) mais accompagnant ce texte, reproduction hors texte, mais rejetée à la fin et quelquefois suivie de notices (Merveilles de la France et du monde, Nathan).
« Dans les albums de photographies on se contentait jusqu'ici d'une très courte préface et de notices rajoutées à la fin. Il semble qu'on recherche actuellement un meilleur équilibre entre la part du texte et celle de l'image. Un texte plus nourri tend à s'insérer entre les reproductions (Arthaud). Ceci nous amène à poser le problème de la valeur artistique ou documentaire de la photographie... Si l'on obtient d'incontestables réussites dans le domaine des sciences (fleurs, animaux, rochers : Horizons de France) le résultat est infiniment plus discutable en ce qui concerne la reproduction d'oeuvres d'art. Tout le monde a éprouvé la pénible surprise qui résulte d'une confrontation entre un tableau et sa reproduction. »
Que l'illustration soit dans le texte ou hors texte, la règle essentielle, selon M. Lelièvre, est qu'un rapport étroit unisse texte et illustration. L'illustration ne doit pas être surajoutée, mais permettre la confrontation avec le texte. D'autre part, dans le domaine de l'archéologie et de l'histoire de l'art, un usage abusif a été fait de la photographie. Le meilleur exemple qu'on pourrait en donner, ajoute M. Lelièvre, serait une réédition du Dictionnaire raisonné de l'architecture de Viollet-Le-Duc où des photographies seraient substituées aux dessins. Or, une photographie n'a pas pour l'enseignement la puissance d'un dessin. Enfin on ne peut admettre que des ouvrages d'art soient reproduits sans que les dimensions réelles en soient indiquées. Il y a une tromperie du lecteur.
M. Paul-André Lesort note que si les maisons d'édition montrent de plus en plus le souci de lier étroitement l'image et le texte, elles suivent en cela un des courants de la civilisation. L'image joue un rôle considérable dans l'éducation populaire. Tel est également l'avis de MM. Léglise et Dolmazon, mais ce dernier insiste sur le fait que les images doivent soutenir le texte et inversement le texte soutenir les images.
M. Cain donna ensuite la parole à M. Bataille, conservateur de la Bibliothèque municipale d'Orléans, qui, d'une part, exposa les règles que doit suivre le bibliothécaire dans le choix des livres et, d'autre part, indiqua quelques tentatives faites à la bibliothèque municipale et dont les résultats se sont montrés assez surprenants. C'est ainsi que certains auteurs réputés difficiles ont rencontré un assez vif succès tels : Faulkner, Kafka, Samuel Beckett, James Joyce. Mais il est évident que cette observation s'applique uniquement aux lecteurs de la bibliothèque municipale. Le problème est tout différent lorsqu'il s'agit de lecture publique rurale.
Cette différence, M. Caillet, à la fois conservateur de la Bibliothèque municipale de Toulouse et directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de Haute-Garonne, l'a très nettement mise en lumière. Dans ce cas particulier, en effet, le bibliothécaire a affaire, d'une part, avec un public lettré qui sait très bien ce qu'il veut et, d'autre part, avec un public qui ne sait pas lire et lui échappe en grande partie. Les auteurs français contemporains dépassent le niveau du lecteur rural. M. Caillet attire tout spécialement l'attention des éditeurs sur la nécessité de trouver des techniques littéraires adaptées à un public populaire et utilisées dans les collections faites à son usage.
Mlle Blum, directrice de la Bibliothèque centrale de prêt du Loir-et-Cher, exprime un point de vue très voisin. Une bibliothèque centrale de prêt s'adresse à un très large public et le choix des livres ne manque pas d'embarrasser le bibliothécaire. En effet, il faut tenir compte de l'existence de deux catégories de lecteurs : l'une qui est assez semblable à celle des bibliothèques municipales et sur laquelle la publicité, la critique et l'annonce des prix littéraires exercent une influence certaine. Le second public qui constitue la masse des lecteurs est composé de gens qui ont abandonné la lecture dès le certificat d'études primaires. D'une manière générale, ces lecteurs manifestent une préférence pour les auteurs du xixe siècle et pour les auteurs français, les traductions leur semblant trop compliquées. Ils sont souvent plus difficiles que le public urbain et ils tiennent le plus grand compte de la valeur morale des ouvrages. Or, le roman contemporain n'est absolument pas à la portée de ce public qui aime à retrouver dans ses lectures ses propres problèmes.
Le choix des livres est tout particulièrement délicat quand il s'agit d'adolescents. La pénurie des livres est presque complète alors que le développement des cours post-scolaires exigerait justement l'édition d'un grand nombre d'ouvrages pour les jeunes de 14 à 18 ans. Pour les garçons, les documentaires offrent de grandcs ressources, mais, pour les filles l'édition contemporaine présente dans ce domaine de très grandes lacunes.
Selon M. Dolmazon, il ne peut être question de faire passer le lecteur de Delly à Kafka, mais il appartient aux éditeurs de puiser dans la littérature classique et de rééditer Balzac, Zola, Maupassant, Anatole France. Tel n'est pas le rôle des éditeurs, affirme M. Lesort. Leur rôle essentiel est de faire connaître ce qui est créé, même si l'œuvre créée est scandaleuse. M. Cain en conclusion rappelle que la vocation de l'éditeur est double et qu'il doit à la fois maintenir les œuvres du passé et faire surgir des valeurs nouvelles.
La dernière partie de cette séance devait être consacrée à l'édition des livres d'étude et à ses lacunes. M. Lelièvre introduit le débat et insiste tout particulièrement sur la nécessité de rééditer les livres de base. Sans doute y aurait-il lieu de faire une enquête pour déterminer quelles sont dans chaque discipline les collections de base et de grands traités qui pourraient être rééditées par ordre de priorité à condition, bien entendu, que l'opération soit rentable. M. Calmette, conservateur en chef à la Bibliothèque universitaire de Paris, prit ensuite la parole et dressa un rapide tableau de l'édition française au point de vue des textes, des grands traités, des manuels, dictionnaires et encyclopédies. Dans ces diverses catégories d'ouvrages, on relève bien des insuffisances, bien des lacunes. « Est-ce une crise de l'édition? La science française manque-t-elle de spécialistes? Avons-nous perdu de notre force de rayonnement? » demande M. Calmette. A cette question, Mme Alleaume-Duval et M. Liotard répondent en exposant les difficultés auxquelles se heurtent les maisons d'édition : impossibilité de trouver des typographes capables de composer des textes (Collection Guillaume Budé), pénurie de rédacteurs, nécessité de rémunérer suffisamment les auteurs et de pouvoir écouler aussi bien en France, qu'à l'étranger, un assez grand nombre d'exemplaires.
Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces débats, la Direction des bibliothèques de France se proposant de mener une enquête sur l'édition scientifique française et ses lacunes et d'en publier ultérieurement les résultats dans le Bulletin des bibliothèques de France.
A l'issue de cette séance une réunion, groupant conservateurs et bibliothécaires responsables du dépôt d'imprimeurs dans les bibliothèques habilitées, s'est tenue sous la direction de Mlle Dougnac, conservateur en chef du Département des entrées de la Bibliothèque nationale, et de M. Prinet, conservateur en chef du Département des périodiques à la Bibliothèque nationale.
3e séance (vendredi 23 novembre, 9 h. 30).
Cette séance réunissait, comme nous l'avons dit au début de ce compte-rendu, les directeurs des bibliothèques centrales de prêt et les bibliothécaires chargés des services départementaux de lecture publique subventionnés par la Direction des bibliothèques de France. Ils avaient été invités à signaler les questions qu'ils souhaitaient voir plus particulièrement traitées au cours de ces Journées d'étude.
M. Cain, dans son allocution, rappela tout d'abord le travail accompli depuis 1953 :
« Je sais les efforts dont vous avez témoigné depuis trois ans. Je le sais par les inspecteurs généraux, par les rapports annuels. Je n'ignore pas les difficultés que vous rencontrez et dont vous avez pu vous entretenir en commun sur le plan régional lors des Journées d'étude de l'est dont l'animateur est votre collègue, M. Bouvy, ou à l'occasion des Journées du centre-ouest organisées cette année par Mme Philippe-Levatois.
« J'ai apprécié l'augmentation du nombre de dépôts et de livres déposés dans maintes bibliothèques et je n'ignore pas que la plupart d'entre vous estiment avoir atteint leur plafond avec le personnel et les crédits mis à leur disposition...
« En ce qui concerne le personnel, il faudrait dans la plupart des bibliothèques au moins un deuxième sous-bibliothécaire et là où un deuxième bibliobus s'avérera indispensable un deuxième chauffeur. Mais le problème n'est pas seulement celui des effectifs, c'est aussi celui du recrutement du personnel et je voudrais également dire mon souci de la santé d'un personnel astreint du fait des tournées à un rythme de travail souvent pénible.
« En ce qui concerne les crédits, nous avons dû cette année réduire ceux des bibliothèques centrales de prêt et le montant de certaines subventions. Je ne saurais vous laisser prévoir une augmentation pour 1957. Il faudrait donc, dans les départements dotés d'une bibliothèque centrale de prêt, s'efforcer d'obtenir un relèvement des subventions départementales qui sont, dans la plupart des cas, loin d'être proportionnelles aux revenus du département. »
M. Cain donna la parole à M. Fillet qui exposa les difficultés que suscite l'insuffisance du personnel. Il en résulte tout d'abord un surcroît de travail pour le personnel en fonctions qui donne rapidement des signes de fatigue. Les sous-bibliothécaires notamment n'accomplissent pas moins de 45 heures de travail par semaine, travail qui devient de plus en plus mécanique. Auprès des assemblées départementales, le bibliothécaire insiste surtout sur les énormes besoins en livres et, dans ce domaine, obtient souvent satisfaction. Mais quand il s'agit du personnel, il se heurte le plus souvent à un refus. M. Fillet insiste sur l'impossibilité où se trouvent actuellement les bibliothèques centrales de prêt d'étendre leur action tant qu'un remède ne sera pas apporté à cette situation.
Nombreux sont les bibliothécaires qui approuvent l'intervention de M. Fillet, mais les avis diffèrent sur les créations de postes qu'il conviendrait de prévoir (sous-bibliothécaire, sténo-dactylographe ou chauffeur). Puis la discussion s'engage sur les questions budgétaires MM. Masson et Bouvy attirent l'attention des bibliothécaires sur le rôle que peut jouer une association des amis de la bibliothèque centrale de prêt.
Outre ces questions fondamentales que sont pour toute bibliothèque le personnel et les crédits, plusieurs questions, déjà traitées en 1953 ou d'un intérêt moins immédiat, reçurent une réponse rapide de M. Poindron. Toutefois, plusieurs bibliothécaires ayant demandé que la multigraphie des fiches de catalogue et des analyses critiques d'ouvrages 3 soit centralisée, l'ordre du jour prévoyait une discussion sur ce point.
Mlle Bernard, bibliothécaire de la Bibliothèque centrale de prêt du Rhône, Mlle Ritter, bibliothécaire de l'Association départementale du Loiret, et M. Desgraves insistent sur le long travail que représente la multigraphie des fiches critiques d'autant que certaines analyses paraissent avec beaucoup de retard. A ce projet, M. Poindron croit devoir faire plusieurs objections. Il ne semble pas possible d'envisager la multigraphie à l'échelon national des analyses critiques. Qui choisirait entre les nombreuses critiques parues à intervalles d'ailleurs plus ou moins éloignés? Suivant quel critère procèderait-on à ce choix? La multigraphie ne paraît réalisable qu'à l'échelon régional entre 2 ou 3 bibliothèques par exemple. Toutefois, une autre expérience pourrait être tentée à l'échelon national : la multigraphie des fiches de catalogues limitée aux bibliothèques centrales de prêt 4. On pourrait pointer sur les Livres de la semaine une trentaine ou une quarantaine d'ouvrages susceptibles de convenir à une bibliothèque centrale de prêt. Les ouvrages seraient achetés, les fiches rédigées, puis multigraphiées. Le délai entre l'annonce des livres et l'envoi des fiches ne devrait pas excéder 15 jours, mais il importe au préalable de savoir si la fourniture de ces fiches constituerait une aide appréciable aux bibliothèques. L'unanimité se fait parmi les bibliothécaires sur l'opportunité d'un tel système.
On pourrait également prévoir pour les futures bibliothèques centrales de prêt ou services départementaux la constitution d'un fichier de base de 5.000 titres environ qui simplifierait le travail de catalogage dans une nouvelle bibliothèque pour le fonds de premier établissement. Cette proposition faite par M. Poindron reçoit également l'assentiment des bibliothécaires.
A l'issue de cette séance, furent projetés deux films publicitaires : l'un en couleur, réalisé par la Bibliothèque centrale de prêt de Haute-Garonne, fut présenté par M. Caillet avec commentaires de Mlle Rouquette, bibliothécaire à la Bibliothèque centrale; l'autre en noir et en couleur avait été filmé au cours de la tournée inaugurale faite par le Service départemental de l'Ariège et fut présenté par le bibliothécaire, M. Pons.
4e séance (vendredi 23 novembre, 14 h. 30).
Quelle place une bibliothèque doit-elle faire aux disques et tout spécialement aux disques parlés? Tel fut l'objet de cette dernière séance. Y avaient été conviés : M. Robert Kemp, l'éminent critique, qui avait bienvoulu faire une conférence sur ce sujet, M. Georges Hacquard, directeur de l'Encyclopédie sonore, M. Jean Deschamps, de la Comédie-Française, M. Roger Lenne, secrétaire général du Syndicat général des machines parlantes.
M. Cain, après avoir remercié ces diverses personnalités, céda la parole à Mlle Salvan dont le rapport introductif avait pour thème la discothèque 5 et dont nous reproduisons ci-dessous quelques extraits :
« Il y a plusieurs années déjà que le problème de la discothèque revient périodiquement dans nos discussions.
« Dès 1950, aux Journées d'étude de la Lecture publique rurale, les relations de la bibliothèque centrale de prêt avec les activités culturelles de la région et la question du transport des disques par le bibliobus avaient fait l'objet d'échanges de vues. Ce même problème souleva en 1953 de vives discussions 6. Comment créer des discothèques, organiser des auditions, alors que les crédits, les effectifs étaient insuffisants pour les livres eux-mêmes.
« Nous ne savons que trop combien ces objections étaient et demeurent légitimes. C'étaient des objections pratiques, fondées sur une appréciation réaliste des moyens dont on disposait.
« Il y en avait d'autres cette fois de principe : était-ce bien la tâche des bibliothèques de diffuser le disque? Convient-il à ces établissements de recueillement et d'étude, d'ouvrir leurs portes au bruit, même s'il s'agissait du plus harmonieux des bruits?
« Si les problèmes pratiques conservent leur valeur, les objections de principe, avouons-le, sont largement dépassées. »
Mlle Salvan passa ensuite en revue un certain nombre de réalisations étrangères, notamment anglaises et allemandes, avant d'aborder les tentatives faites en France et qui ont été signalées en leur temps dans ce bulletin. En conclusion :
« Je ne me propose pas dans ce bref exposé de traiter tous les problèmes qui pourraient se poser et je laisse notamment de côté les questions techniques...
« Mais il me semble surtout que nous devons savoir où nous voulons aller et traiter en priorité les problèmes d'orientation. Nous ne saurions suivre aveuglément les expériences étrangères. Il convient de se demander ce qui est possible, ce qui est souhaitable dans le climat français. Il n'y a pas d'ailleurs de solution unique pour bien des raisons et notamment parce que la coordination envisagée avec les bibliothèques de conservatoires pourrait en ce qui concerne le disque musical permettre d'envisager un partage d'attribution...
« Ceci dit, dans quel sens développer les services existants et essayer d'en créer de nouveaux? On pourra hésiter, si l'on n'est pas en mesure de pratiquer les deux types de services, entre la communication sur place et l'organisation d'auditions commentées, d'une part, le prêt aux particuliers, d'autre part, avec, bien entendu, l'intermédiaire que constitue le prêt aux organismes.
« Ce n'est pas par hasard (en raison de l'insuffisance des moyens mis en œuvre) que l'on semble se limiter en France pour l'instant aux auditions commentées. Les problèmes d'initiation sont essentiels pour nous, du fait même que nos bibliothèques sont moins développées qu'ailleurs et qu'elles doivent recruter des clients, auditeurs ou lecteurs. S'en tenir là peut être une formule provisoirement valable, relativement économique dans un sens, puisque le nombre de disques peut être restreint et que l'on peut faire appel à la générosité des donateurs...
« Si, d'autre part, on limitait l'activité de la bibliothèque au prêt, comme dans certaines bibliothèques anglaises, le problème du local' aurait moins d'importance, mais si l'on ne veut pas décevoir les emprunteurs, il faut constituer d'amples collections, prévoir un règlement rigoureux. Cette formule peut se défendre, elle n'est pas toujours applicable actuellement. Elle pourrait éventuellement être complétée par l'aide d'un service central pouvant prêter des disques ou des enregistrements sur bandes magnétiques. Il me semble que c'est une formule convenant à une clientèle plus évoluée, mais on peut discuter sur ce point.
« Ce qui n'est plus discutable, c'est que nos bibliothèques sont de plus en plus engagées dans la création de discothèques... En fait, nous constatons que les pays les plus évolués en ce qui concerne les discothèques d'auditions et de prêt sont en même temps ceux qui ont le plus anciennement mis au point la science et la technique des bibliothèques. C'est donc un prolongement de notre mission. »
Les disques parlés n'ont certes plus de secret pour M. Robert Kemp qui, depuis 1952, en assure régulièrement la critique dans l'Almanach du disque. C'est en « amoureux de la voix humaine », comme il le dit lui-même, que M. Robert Kemp évoqua les prodiges du langage et de la diction. Autrefois, on devait se résigner à perdre ce que les poètes appellent les « voix chères qui se sont tues ». Mais aujourd'hui, grâce à des moyens de plus en plus perfectionnés, nous avons la chance qu'elles nous soient conservées. M. Robert Kemp s'attache ensuite à montrer l'évolution de la voix humaine qui se manifesta tout au début par des « grognements » et s'est peu à peu améliorée pour en arriver à exprimer une pensée nuancée. L'histoire nous a gardé le souvenir de voix illustres : Eschyle, Démosthène qui soignait sa diction, non seulement pour bien articuler mais aussi pour avoir un beau timbre. M. Robert Kemp évoque les deux grands comédiens du XIXe siècle qu'étaient Sarah Bernhardt et Mounet Sully. La voix de Sarah Bernhardt nous est parvenue déformée, enregistrée sur quelques rouleaux de cire. Celle de Mounet Sully nous a été transmise par un enregistrement d'Œdipe-Roi « abominable », oserait-on dire? Cependant ce sont ces deux comédiens qui ont donné à M. Robert Kemp cet amour de la voix humaine et le goût des disques parlés. Sa causerie fut d'ailleurs entrecoupée d'auditions commentées, telles que les Pensées de Pascal interprétées par Pierre Fresnay ou bien encore un enregistrement de Colette.
Plusieurs disques de l'Encyclopédie sonore furent également présentés et MM. Hacquard et Deschamps indiquèrent dans quel esprit ils avaient conçu et réalisé cette collection destinée à l'enseignement à laquelle plusieurs bibliothécaires ont apporté leur concours. M. Cain appela l'attention sur les excellentes brochures documentaires qui accompagnent chaque disque. De son côté Mme Igot, chargée du service de la discothèque de l'Institut pédagogique national, fit part des expériences concluantes qu'elle a pu faire sur l'utilisation des disques dans les écoles.
Enfin, M. Bouvy, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de la Moselle, qui organise dans son département des veillées culturelles destinées à susciter des lecteurs parmi le public rural, exposa les moyens mis en œuvre pour réaliser les montages culturels utilisés dans ses veillées. Le choix du thème est particulièrement important, puisqu'il s'agit de faire connaître de bons livres et surtout de les faire lire. La démonstration de M. Bouvy s'appuya sur les extraits d'un montage sur la vie et l'œuvre de Saint-Exupéry.
« Dans ce montage, dit M. Bouvy, je désire inviter les spectateurs à la lecture d'oeuvres de choix. Pour cela, j'utilise les moyens audio-visuels qui sont à la disposition de l'animateur d'aujourd'hui : l'électrophone, le magnétophone, l'appareil de cinéma et même l'épidiascope, soit sous une autre forme le disque, l'enregistrement sur bandes magnétiques, le film, l'image, l'ensemble aboutissant, j'y insiste, au livre et à sa lecture...
« On pourrait penser avec quelques raisons que nous, bibliothèque centrale de prêt, nous empiétons sur les prérogatives de l'animateur local en lui fournissant des présentations toutes prêtes, tel n'est pas mon but... Je souhaite servir d'intermédiaire entre le créateur de montages (associations nationales, initiatives départementales, etc...) et l'utilisateur...
« Un exemple entre cent : la revue Images et Sons a publié une fiche culturelle Ufoleis (Ligue de l'enseignement) sur le film de la jeunesse de Chopin. On invite l'animateur à réaliser un court montage de présentation... On lui propose de réaliser une petite exposition (portraits, gravures, livres, partitions musicales), de lire quelques extraits de l'œuvre de Chopin et de résumer brièvement la vie du compositeur... Enfin, on lui conseille d'entrecouper ses lectures d'auditions de quelques œuvres de Chopin...
« Quel animateur de bonne volonté a pu seulement envisager de réaliser cette excellente séance d'initiation musicale, quand on songe au temps et à l'argent que la préparation de cette manifestation peut demander...
« Un des rôles de la bibliothèque centrale de prêt ne serait-il pas de procurer à l'animateur local ce matériel (images, livres, disques) qui, acquis sur le plan départemental, pourrait servir de nombreuses fois.
« J'ai pris volontairement un exemple cinématographique, car je pense de plus en plus que toute action en faveur du livre à la campagne doit, presque nécessairement, prendre comme premier auxiliaire le cinéma. C'est une constatation quc je suis obligé de faire après les expériences réalisées et les réflexions que ces expériences ont inspirées. Il y aurait bien également le théâtre, mais si l'on veut demeurer sur le plan des réalités, on doit bien reconnaître que les bonnes troupes sont rares, que les bonnes pièces ne sont pas si nombreuses et que la mise sur pied d'un spectacle théâtral de qualité demande des efforts considérables. Travailler avec le théâtre, c'est penser l'exception. La troupe du Théâtre national populaire ne jouera jamais dans nos villages...
« Seul le cinéma permet de présenter aux spectateurs de petits villages isolés des manifestations de qualité certaine. Il est souvent possible d'adjoindre à la représentation un montage culturel... avec exposition, lectures, auditions de disques. En particulier, si l'œuvre est une adaptation littéraire, on pourra faire lire le livre adapté, les livres du même auteur, voire des biographies de l'auteur, des livres sur le même sujet...
« C'est là, le sens que je pense donner à notre activité dans le domaine des montages culturels. »
M. Cain, après avoir félicité M. Bouvy pour la clarté de son exposé et l'important effort qu'il avait fait en Moselle, prononça la clôture de ces Journées d'étude qui, par la variété des sujets abordés, furent très différentes des précédentes journées.