Sexiste ? Pas notre genre !
Comment agir en bibliothèque contre les stéréotypes et discriminations de genre • Lyon, 2 juin 2018
Le 20 juin 2018, les élèves conservatrices et conservateurs de l’Enssib – promotion Benoîte Groult – organisaient une journée professionnelle à la Bibliothèque municipale de Lyon. Gilles Éboli (directeur de la BM de Lyon) a prononcé un mot de bienvenue en rappelant la pertinence de cette journée, intitulée « Sexiste ? Pas notre genre ! Comment agir en bibliothèque contre les stéréotypes et discriminations de genre ». Yves Alix (directeur de l’Enssib) notait que l’annonce de cette journée sur les réseaux sociaux avait provoqué une pluie de messages défavorables : les bibliothèques ne seraient pas concernées par la misogynie.
Regards politiques et historiques
Thérèse Rabatel (adjointe au maire de Lyon, déléguée à l’égalité femmes/hommes et aux personnes en situation de handicap) a pris la parole pour présenter la politique menée par la Ville de Lyon, très engagée contre les discriminations. Les deux compétences – handicap et égalité femmes/hommes – se rejoignent. En effet, les femmes handicapées sont plus discriminées que les femmes valides. Le handicap fait consensus, pas l’égalité femmes/hommes. Cette dernière nécessite un engagement politique. Un plan d’action est en cours à Lyon, comprenant trois axes principaux dont « Ville apprenante et communicante » avec l’élaboration d’un guide de communication sans discrimination de sexe. Un extrait d’une intervention télévisuelle de Benoîte Groult, datant de 1994, est alors diffusé. Benoîte Groult y est interrogée sur la féminisation de la langue française : « Écrivaine ? Ce n’est pas la langue française qui refuse, c’est la tête. La langue française est sexiste. Les hommes s’accrochent à leur place. »
Anne-Marie Pavillard (ancienne bibliothécaire, syndicaliste, membre de l’association Archives du féminisme) a retracé ensuite l’histoire de la féminisation de la profession et de ses carrières. Jusqu’au début du vingtième siècle, les femmes sont absentes des bibliothèques, étant exclues du système scolaire. Le bibliothécaire était considéré comme un érudit. Puis le métier de bibliothécaire devient une profession naturelle pour les femmes, car considéré comme le prolongement des tâches ménagères, étant un travail d’intérieur. Le nombre de femmes en bibliothèque suit alors la courbe d’augmentation du nombre d’étudiantes, jusqu’à ce qu’elles deviennent majoritaires en 1930. Cette progression suscite des réticences. De nos jours, le plafond de verre est bien présent avec une surreprésentation des hommes aux grades les plus élevés.
Marie Garambois (responsable du département Publications & open access, bibliothèque de Sorbonne Université) a présenté un aperçu des stéréotypes du métier de bibliothécaire. Dans l’imaginaire collectif, les bibliothécaires sont des femmes à lunettes qui font « chut », lisent énormément en compagnie d’un chat et ont une aversion pour le genre humain. Ces clichés ont un ancrage historique et social et sont véhiculés par la pop culture plus que par l’expérience réelle des usagers. Mais il y a une réelle ambivalence au cœur de la profession dans la manière de communiquer. Que faire aujourd’hui pour changer l’image des bibliothécaires ? Individuellement, montrer de la crédibilité envers les publics et retrouver une fierté professionnelle ; en collectif, promouvoir ce métier auprès des tutelles.
Des actions en bibliothèques et le monde du livre
Philippe Colomb (directeur adjoint à la médiathèque Françoise Sagan à Paris, membre de la commission Légothèque de l’ABF) a présenté la Légothèque, commission de l’ABF qui fournit des briques de réflexion
contre les discriminations et les stéréotypes de genre, race, orientation sexuelle. Fondée en 2012 et comptant sept membres actifs, sa mission est de faire vivre le sujet dans la profession notamment à travers son blog.
Présentée par Estella Peverelli (co-coordinatrice de l’Espace Genre), la médiathèque Olympe de Gouges (Strasbourg) a été rebaptisée en 2012 à la suite d’une politique active menée pour l’égalité femmes/hommes. Le centre de ressources est né de cette quête volontariste, avec la création d’un espace dédié et d’un label « Plus juste, plus égalitaire » pour marquer des ouvrages du fonds général. Le budget est de 1 000 €, mais le fonds ne suffit pas et des outils pour animer l’égalité ont été créés.
Créé en 2002 par Michelle Zancarini-Fournel, le fonds Aspasie du SCD de l’université Lyon 1, présenté par Muriel Salle (maîtresse de conférence, université Lyon 1), est un fonds pluridisciplinaire de niveau recherche destiné à des étudiant·es, futur·es enseignant·es. Il se compose d’environ 7 000 documents et 25 abonnements de revue (9 000 € de budget) qui portent sur l’histoire des femmes et les questions de genre en éducation. Malgré des conventions signées et une visibilité dans le Sudoc, son existence est régulièrement remise en cause. Un groupe de recherche et formation, le GEM (pour Genre Égalité Mixité), constitué à la fois de bibliothécaires et d’universitaires, organise des colloques de niveau international, des expositions sur place ou en ligne et des conférences.
La maison d’édition jeunesse Talents hauts, créée en 2005, proscrit la segmentation genrée. La communication et les ressources humaines sont scrutées au prisme des questions de genre. Laurence Faron, éditrice, précise que dans la littérature de jeunesse, il y a plus de héros que d’héroïnes et que le neutre est exprimé par le masculin. À Talents hauts, il y a une forte représentation des héroïnes afin d’habituer les garçons à s’identifier à une fille. Les éditions travaillent aussi sur la médiation, en organisant notamment le concours « Lire égaux » en Île de France.
Discussions sur l’engagement des bibliothèques
contre les discriminations
Violaine Kanmacher (responsable du département jeunesse, Bibliothèque municipale de Lyon) animait ensuite une table ronde sur l’engagement des bibliothèques contre les discriminations, avec comme participant.es : Anne Baumstimler (wikipédienne, pour les ateliers Wikipédia « Femmes et féminisme » en bibliothèque) ; Quentin Le Guevel (jeuxthécaire à la bibliothèque Louise Michel de Paris, pour les jeux vidéo et les actions spécifiques à destination des jeunes publics) ; Sylvie Tomolillo (responsable du Point G, centre de ressources sur le genre, Bibliothèque municipale de Lyon, pour multitude et enjeux communs : la programmation culturelle et les partenariats).
Où se trouvent les discriminations en bibliothèque ?
Sylvie Tomolillo (S.T.) pense que les inégalités de genre sont transversales à toutes les sphères sociales. Les garçons et les filles adhèrent aux stéréotypes de manière forcée et subissent une variété de représentation du masculin et un gommage du féminin.
Anne Baumstimler (A.B.) note que pour dix contributeurs, il y a une contributrice. Les femmes sont identifiées comme l’autre et mises à l’écart. Une autrice a un article rédigé à partir de 2,4 livres publiés contre 2 pour un auteur. 27 % du contenu de l’article concerne la sphère privée quand il s’agit d’une femme, contre 4 % pour un homme. Wikipédia est avant tout une communauté d’hommes qui n’est pas bienveillante envers les femmes. Seules 16 % des biographies les concernent.
Pour Quentin Le Guevel (Q.L.G.), le jeu est sexiste et ampute l’imaginaire des filles. L’aspect ludique n’est pas un enjeu et n’est donc pas questionné. Les jeux de société ne sont pas épargnés, certains jeux étant déclinés en version filles (les sorcières) et en garçons (les pirates).
Comment les bibliothèques s’engagent-elles pour essayer de réduire ces discriminations ? Quid de votre bibliothèque ?
Les actions concrètes ?
S.T. • Le Point G participe au festival de cinéma queer Écran mixte et programme des documentaires comme Vulva 3.0 ou portant sur la vie d’Alice Walker ou de Thérèse Clerc. Ces productions sont valorisées auprès de tous les publics. Des tables rondes sont organisées.
A.B. • Une photographie d’un clitoris en 3D a été proposée sur l’espace Commons, reprise par des versions de wikipédia dans plusieurs langues. Les images de clitoris sur Wikipédia sont souvent liées à des piercings et à une vision masculine du sexe des femmes. Plusieurs actions ont été menées en bibliothèques pour inciter les femmes à écrire dans Wikipédia, sur des femmes. Le projet George, le deuxième texte permet de lister toutes les autrices de la même période qu’un auteur célèbre, pour bien montrer leur présence tout au long de l’histoire littéraire.
Q.L.G. • Questionner ses habitudes pour arrêter d’émettre certaines remarques comme demander à une fille pourquoi elle ne sourit pas en jouant alors qu’elle passe un moment agréable ou à un garçon pourquoi il pleure quand il a perdu une partie ; associer des femmes au jeu vidéo afin d’arrêter d’être dans le cliché ; développer de la médiation entre garçons et filles avec un jeu lambda et ne pas forcer les filles à jouer à Fifa ; ne pas laisser passer les blagues sexistes. La question se pose de réaliser des ateliers non mixtes.
Quels sont les obstacles et les difficultés ?
S.T. • La première difficulté est l’étendue de la tâche car il faut contenter tout le monde, trouver un équilibre, ne pas isoler les publics. Le Point G a été la cible de deux réseaux religieux intégristes lors d’une conférence et d’une projection. Le Point G ne peut exister sans une certaine politique de la ville et sans une certaine culture d’établissement. Il faut toujours rester vigilant.
A.B. • Certaines contributrices subissent du harcèlement en ligne. Dans Wikipédia, il y a un filtre antiraciste mais pas antisexiste. C’est pourtant un enjeu de démocratie.
Q.L.G. • Déconstruire le discours est difficile. On fait des actions antiracistes pour les migrants, pourquoi devrait-on garder une neutralité sur la question du sexisme ?
Quelle est l’action menée qui vous a rendu le ou la plus fière ?
S.T. • Fière de l’audace de certains choix de documentaires qui n’allaient pas de soi dans une bibliothèque. Il ne faut pas hésiter à porter des sujets polémiques, ne pas s’interdire de parler de choses clivantes, révéler les enjeux communs à des questions qui paraissent particulières.
A.B. • La satisfaction d’organiser des ateliers intergénérationnels de femmes, de participer à des challenges entre wiki de différents pays (être le premier wiki à rédiger un article sur telle femme). Mon travail est reconnu quand il est référencé dans un catalogue de bibliothèque par exemple.
Q.L.G. • J’apprécie de faire comprendre à des garçons qu’ils peuvent utiliser des jeux marketés pour filles car le contenu est le même que les jeux marketés pour garçons.
La non-mixité n’est-elle pas un aveu d’échec ?
(Échanges avec la salle)
Beaucoup de lieux sont monopolisés par les hommes sans que cela pose problème. Une des missions des bibliothèques est de donner la parole à des gens discriminés et isolés. On n’est pas égaux dans la prise de parole entre les femmes et les hommes. Il faut aussi que les hommes s’autolimitent et laissent la place aux femmes. Il est nécessaire d’organiser des ateliers non mixtes pour que les femmes s’approprient les outils sans subir de commentaires désobligeants. L’idée est de donner confiance aux femmes.
Annik Houël, grand témoin de la journée (professeure honoraire de psychologie sociale, université de Lyon) concluait cette journée en remarquant la force des résistances à l’égalité femmes/hommes. Les stéréotypes se perpétuent notamment par la lecture d’albums datés, d’encyclopédies pour les enfants aux informations erronées. Ainsi Christine Lagarde a déclaré qu’elle refusait qu’on l’appelle Madame LA Ministre car cette appellation choquait sa maman. Il y a des résistances sur l’écriture inclusive, les noms des rues. Il y a les intégrismes. Mais il y a des retours d’expériences, des créations de fonds spécifiques, des actions menées surtout auprès des jeunes publics. Ces journées professionnelles permettent de se mettre en contact les un·es avec les autres et de continuer le combat.