La conservation partagée en bibliothèque. Bilan et perspectives
CTLes – 5 octobre 2018
Dans un contexte où les acteurs de la conservation partagée évoluent plus ou moins parallèlement, c’est peu dire que les questions étaient nombreuses et les attentes fortes lors de cette journée d’étude, organisée le 5 octobre 2018 par le CTLes (Centre technique du livre de l’enseignement supérieur) dans ses locaux de Bussy-Saint-Georges.
Pour une coordination mieux structurée
Dès l’entame de la matinée, Sophie Mazens (MESR) a posé l’objectif de cette journée : comment s’organiser pour mieux faire travailler ensemble les différents acteurs ? Car de cette question découle une problématique qui devient, au fil du temps, de plus en sensible : comment articuler les plans régionaux gérés par les centres du Sudoc-PS et les structures régionales pour le livre (SRL), d’une part, avec les plans nationaux CollEX pilotés par le CTLes d’autre part ? Comment ne pas se marcher dessus ? Comment mieux se coordonner ? Sophie Mazens a souligné que le CTLes n’avait plus seulement un rôle de stockage de collections mais avait vu ses missions s’élargir et qu’il jouait désormais un rôle dans la conservation partagée ainsi que dans la communication de documents avec le PEB (soulignant au passage que la modernisation de ce dernier se faisait toujours attendre). Or, ces missions sont aussi, peu ou prou, celles de l’ABES. Il apparaît donc nécessaire d’éclaircir les responsabilités entre les deux opérateurs. Qu’attendre d’eux, comment mieux les faire travailler ensemble dans ce (pas si) nouveau contexte de plans de conservation partagée (PCP) et de l’accès aux documents ? Le ministère est alerté et conscient de la coordination insuffisante entre PCP régionaux et nationaux, a prévenu Sophie Mazens. Dressant le constat d’un dynamisme variable de PCP régionaux qui ne « se parlent » pas forcément, elle a souligné que ces derniers mériteraient une approche plus scientifique et qu’une interconnexion entre les différents outils rendrait la conservation partagée plus efficace… posant à nouveau la question des rôles respectifs de l’ABES et du CTLes : si l’ABES dispose du réseau Sudoc-PS et de logiciels adaptés, sa mission est avant tout technique, sur les référentiels, quand le CTLes doit orienter ses actions nationales vers un pilotage plus scientifique, afin de ne pas disperser les énergies.
Conservation partagée : missions partagées ?
Les deux interventions suivantes ont justement été celles du CTLes et de l’ABES, avec pour objectif de faire le point sur leur rôle dans la conservation partagée. Mathieu Cordonnier (CTLes) a montré les implications apportées par l’arrivée de CollEX dans le paysage de la conservation partagée. Ce sont les Cadist qui, historiquement, ont porté les premiers plans thématiques. Il apparaît aujourd’hui logique que les PCP s’inscrivent dans le cadre d’actions thématiques de CollEX. Mais constituer une collection de référence n’est pas suffisant, encore faut-il la signaler, précisément, et en garantir l’accès : les PCP CollEX ont vocation à ce que leur cartographie corresponde à celle de la recherche. Les PCP sont alors complémentaires des actions globales de CollEX en répondant au besoin principal des chercheurs par la constitution de collections de références, en apportant de bonnes conditions de conservation, une visibilité dans le Sudoc et une accessibilité garantie. Au niveau du CTLes, une base de gestion (via PMB) de la conservation partagée, alimentée par le Sudoc, permet d’offrir différents services de gestion du plan, quand une plateforme de travail collaboratif (via Flora) permet, elle, les échanges entre partenaires et la gestion des flux de collections (propositions de dons, avis de recherche, récolte d’indicateurs).
De son côté, Julie Mistral est revenue sur le rôle de l’ABES dans la conservation partagée. Si l’ABES coordonne le réseau Sudoc-PS, elle ne pilote aucun plan : ce rôle est dévolu aux 32 Centres du réseau (CR) Sudoc-PS et aux 11 structures régionales pour le livre dont le fonctionnement conjoint est amené à évoluer, du fait de la nouvelle organisation des régions. Conformément à son expertise « données », l’ABES s’attache à fournir les outils de gestion d’un PCP pour permettre un signalement fin dans le Sudoc et offrir une visualisation des données utiles à la gestion des collections de périodiques, pour constituer et développer un PCP. Ainsi, la nouvelle version de Périscope permet, depuis le 1er octobre, une visualisation plus précise des lacunes et une présentation plus structurée des plans thématiques et régionaux. Exploiter au mieux les données saisies est une exigence de l’ABES qui travaille actuellement à faire en sorte que les liens soient de meilleure qualité (pour tracer la vie des périodiques) et à les rattacher aux autorités. L’objectif ? Limiter les zones grises et identifier les niches documentaires. Travailler à l’amélioration des liens permet d’exposer et de rendre exploitables ces données par différents outils, que ce soit ceux de l’ABES ou d’autres. L’idée est de pouvoir rebondir à partir des concepts RAMEAU, de visualiser les données sous un autre angle et de dessiner des cartographies grâce à ces liens. Parmi d’autres chantiers « rêvés » évoqués par Julie Mistral : l’interconnexion de Périscope avec Colodus et avec Selfsudoc pour permettre une gestion plus globale des plans. Au niveau de l’ABES, Julie Mistral reprend à son compte le besoin d’une coordination nationale, appelant de ses vœux une articulation entre PCP régionaux et plans CollEX.
Spécificités disciplinaires
Luc Courtaux (Sorbonne) pour le PCP Philosophie 1, Amanda Cruguel-Vitry (SCD Lyon 1) pour le PCP Chimie puis Claude Sabbah (RNBM – Réseau national des bibliothèques en mathématiques) pour le PCP Mathématiques 2 ont chacun à leur tour exposé les méthodologies adoptées et fait part de leurs expériences. Ces présentations ont permis de mettre en évidence que la mise en œuvre d’un plan était toujours spécifique du fait de la particularité des collections, des partenaires, des périmètres envisagés et des objectifs poursuivis.
Par exemple, Luc Courtaux a mis en avant l’écueil qui consiste à superposer des problèmes concrets de gestion documentaire et les ambitions initiales d’un PCP : envisagé comme un outil de gestion documentaire et destiné à hausser les collections de philosophie, le PCP Philosophie est devenu un outil de référence bibliographique. Certes, un PCP résout des questions pratiques mais en arrière-plan se posent des questions d’affichage de la discipline. Or, dans l’ambition de cartographie documentaire poursuivie par CollEX-Persée, il est parfois difficile d’articuler les problèmes de place en magasin, de financements, etc., avec la question de l’affichage disciplinaire. Aujourd’hui, l’apport du PCP Philosophie est d’abord et avant tout un partenariat de bibliothèques qui ne travaillaient pas forcément ensemble. Ce partenariat ne repose pas simplement sur une juxtaposition de titres mais vit grâce à une dynamique propre, qui permet une qualité de corpus et structure un réseau de bibliothèques sur une thématique commune. Dès la mise en œuvre du PCP Philosophie s’est posée la question du périmètre du corpus, et par là, la question de la transdisciplinarité : pourquoi un même titre ne pourrait-il pas figurer dans plusieurs plans ? Le PCP Philosophie étant géré via la base PMB – qui ne semble pas permettre cette pluralité –, la représentante de l’ABES s’est étonnée de cette impossibilité technique qui n’existe pas dans le Sudoc : un titre peut très bien émarger à plusieurs PCP puisque c’est au niveau de l’exemplaire que se met le code d’appartenance à un PCP. Cet échange a été la preuve concrète du besoin évoqué d’une coordination, alliée à une mutualisation des différents outils de gestion du CTLes (PMB, Flora) et de l’ABES (Sudoc, Périscope).
Né en 2016, le PCP Chimie 3 est piloté par le SCD Lyon 1, en lien avec le CTLes et réunit 13 bibliothèques partenaires. Son point de départ : les licences nationales. Son objectif : articuler l’imprimé et les revues électroniques en licences nationales dont l’accès est pérenne, ce qui change le sens de la conservation partagée. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui : les titres récents ne bénéficiant pas d’un archivage en licences nationales, doit-on alors fractionner les collections ? Quelle conservation adopter pour les années récentes ? Comment s’articuler au mieux avec le PCP Physique et le PCP Médecine ?
Propositions pour l’avenir
La restitution des quatre ateliers de l’après-midi a été l’occasion de synthétiser les questionnements et d’exprimer des propositions autant que des souhaits. L’atelier « Plans nationaux et plans locaux : quelle articulation ? » a de nouveau mis en évidence le besoin d’outils communs de gestion (dons, transferts mais aussi fourniture à distance de documents). Ce qui importe, ce n’est pas tant les corpus – qui peuvent être redondants – que des outils partagés pour une meilleure connaissance mutuelle des fonds conservés, et une concertation au niveau national pour articuler les plans et les rendre complémentaires entre eux.
Que serait un document conservé dans le cadre d’un plan s’il n’était pas accessible ? De fait, entre obligation de conservation d’une part et nécessité de communication d’autre part, le curseur est difficile à placer. Les établissements qui participent à un PCP n’appliquent pas de règles particulières de prêt pour les documents conservés au titre de ce plan. Le principe de gratuité du PEB a été unanimement défendu par les participants de l’atelier sur la communication des documents, notamment parce qu’il évite une facturation qui coûte à elle seule entre 35 et 50 €. De plus, il a été préconisé l’envoi numérique des documents demandés, dans le respect de la législation et du droit d’auteur et, par conséquent, la mise en place d’un outil adapté permettant de satisfaire à ces deux impératifs : gratuité et conditions de conservation.
Au cours de l’atelier « Plans de conservation partagée et ressources numériques » s’est posée la question de l’archivage pérenne pour se substituer à la conservation partagée : il est très vite apparu aux participants qu’un archivage pérenne, au sens strict, semble très rare et ne peut constituer une alternative en termes de conservation. De plus, les accès électroniques sont souvent caractérisés par leur instabilité. Ils ont cependant des effets sur la politique documentaire : le cumul d’un accès électronique et d’un PCP constitue souvent une incitation au désherbage et entraîne la substitution de l’électronique au papier. Le volet « Conservation partagée » du programme CollEx gagnerait à être couplé au volet « Numérisation ». Loin de la rendre inutile, la multiplication des ressources numériques accentue le besoin d’une conservation partagée.
En matière de politique documentaire et de conservation partagée – thème du dernier atelier –, il semble y avoir autant de manières de faire qu’il y a de PCP existants. Des PCP privilégient des collections complètes quand d’autres spécifient des périodes, en l’indiquant parfois dans le Sudoc, parfois dans PMB. Y aurait-il là encore besoin d’un outil partagé ? Quoi qu’il en soit – cela pourrait sonner comme une conclusion de cette journée –, les plans de conservation partagée, de leur mise en œuvre à leur gestion courante, apparaissent comme un outil de gestion documentaire idéal pour reprendre la main sur la connaissance de ses collections, leur protection, leur accessibilité. Dans un contexte budgétaire contraint où rationalisation des collections rime avec rationalisation des moyens, il se confirme que la conservation partagée apparaît comme une solution de plus en plus séduisante, moyennant un surcroît de cohérence.