Améliorer l’accès au livre et à la lecture pour les publics empêchés : dispositifs et retours d’expérience
Journée à la médiathèque Françoise Sagan (Paris 10e) – 25 janvier 2017
Si la notion de « publics empêchés » est parfois critiquée pour la trop grande diversité des réalités qu’elle engloberait, une journée professionnelle proposée par le ministère de la Culture et de la Communication (Direction générale des médias et des industries culturelles), en partenariat avec l'Association des bibliothécaires de France (ABF) et les bibliothèques de la Ville de Paris, montre combien ce regroupement peut être pertinent et riche d’expériences à partager. Les différentes interventions ont en effet permis de bien identifier les dispositifs et les dynamiques collectives actuellement à l’œuvre et qu’il s’agit aujourd’hui de renforcer afin de garantir à toutes et à tous un égal accès au livre.
En ouverture, Nicolas Georges (directeur chargé du livre et de la lecture au Ministère de la Culture et de la Communication) a tenu à rappeler l’importance que le ministère accorde à la question des publics empêchés et les différentes actions que l’État a engagées pour soutenir les acteurs mobilisés sur ce sujet. C’est ainsi que dans la perspective de mieux connaître et de mieux accompagner les actions des bibliothèques, la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) a commandé au CREDOC une étude « Lecture publique et publics empêchés » dont les principaux résultats étaient pour la première fois rendus publics. Disponible en ligne 1 et sous forme d’un petit fascicule, la synthèse de cette étude souligne l’engagement des professionnels français en matière d’inclusion et d’accès de toutes et tous au livre. Parmi le millier d'établissements ayant répondu à l’enquête, 9 sur 10 ont, par exemple, mis en place des actions à destination des publics empêchés. La partie qualitative de l’enquête montre également que ces actions sont un important facteur de sens dans le travail des agents. Mais l’enquête pointe aussi les limites de cet engagement et rappelle les freins au développement de ces actions : un manque de moyens humains et financiers, une volonté politique souvent peu affirmée, des besoins en formation et une difficulté à identifier les besoins des publics. C’est pourquoi l’étude insiste sur la nécessité de davantage d’échanges entre les cultures professionnelles, notamment avec les personnels soignants et pénitentiaires, d’une meilleure connaissance des outils et des dispositifs existants et du développement d’une culture de l’évaluation. Pour le ministère, la volonté de prendre en considération les publics empêchés doit faire explicitement partie des projets d’établissements et les partenariats doivent être formalisés afin d’être pérennisés.
La suite de la journée a clairement illustré l’intérêt d’une telle approche en proposant à la fois des partages d’expérience extrêmement enrichissants et des présentations de dispositifs immédiatement opérationnels. Ainsi, Anne Morel (DGMIC) a montré comment les Contrats Territoire Lecture (CTL) et les Projets Culturels Scientifiques, Éducatifs et Sociaux (PCSES) pouvaient être des outils de soutien aux actions en direction des publics empêchés. En s’appuyant sur un diagnostic des besoins et une bonne connaissance des partenaires locaux, ces dispositifs permettent notamment d’engager un véritable travail de fond en matière d’accessibilité. De même, Marc Guillard (Centre National du Livre - CNL) a rappelé les modalités d’attribution des aides à la diffusion en faveur des publics empêchés 2 du CNL. Ces aides doivent permettre aux établissements d’acquérir des collections spécialisées, que ce soit des livres imprimés, des livres numériques, des livres audio etc. et des matériels, de soutenir des actions culturelles, voire, pour les établissements pénitentiaires et les hôpitaux, de financer des formations. Ce dispositif permet, notamment, la mise en place d’espaces « Facile à lire » tels que Françoise Sarnowski les a présentés l’après-midi, ou de développer l’offre de livres numériques en format Daisy. Les espaces « Facile à lire » présentent l’intérêt de ne pas viser un public précis, mais d’être ouverts à l'ensemble des publics en difficulté avec la lecture, que ce soit de façon permanente ou temporaire. De même, Luc Maumet (Association Valentin Haüy - AVH) a souligné l’intérêt du format numérique Daisy qui permet des adaptations aussi variées que les besoins des différents publics en situation de handicap. Le dispositif « Daisy dans vos bibliothèques » 3 permet aux établissements conventionnés avec l’AVH, par l’intermédiaire de la bibliothèque en ligne Éole 4, de proposer à leur public des ouvrages dans ce format pour un coût faible. Aujourd’hui, les bibliothèques peuvent donc bénéficier de soutiens effectifs et concrets pour améliorer l’accessibilité de leur offre documentaire et de leurs services.
Mais ces soutiens ne sont rien sans la volonté des établissements de mettre en œuvre une authentique politique en faveur des publics empêchés. C’est d’une telle volonté, dans des registres et à des échelles différentes, que sont venues témoigner au cours de cette journée la Bibliothèque publique d’information (Bpi), la Bibliothèque départementale de l’Hérault et les bibliothèques de la Ville de Paris. Jean-Arthur Creff a réaffirmé les ambitions de la Bpi en matière d’accueil des personnes en situation de handicap et illustré cette approche transversale avec l’exemple des dispositifs d’accessibilité mis en place dans l’exposition autour de Gaston Lagaffe actuellement présentée au Centre Pompidou. Il a surtout souligné la volonté de la Bpi de retrouver son rôle national de fournisseur d’idées en matière l’accueil du public en situation de handicap, et aussi de lieux de réflexions et d’expérimentations. La Ville de Paris a également témoigné de l'important travail réalisé en direction des personnes en situation de handicap, notamment à travers son réseau de bibliothèques « pôles sourds ». Fanny Conte a rappelé l’importance d’avoir dans les équipes des personnes elles-mêmes en situation de handicap et de toujours concevoir les actions en lien et en dialogue avec le public visé. C’est par cette dynamique d’échange et de partenariat que les établissements peuvent réussir, avec relativement peu de moyens, des actions qui répondent effectivement aux besoins documentaires du public sourd.
Dans l’Hérault, la médiathèque de Pierres Vives a créé en 2005 un poste de chargé du développement des actions en direction des publics empêchés. Lucie Ambrosi, qui occupe actuellement ce poste, est venu témoigner de ses actions, notamment en milieu carcéral. Elle a certes rappelé les difficultés administratives que posent régulièrement ce genre d’actions, notamment en termes de découpage territorial, mais elle a surtout souligné l’importance de la lecture pour maintenir le lien social pour les personnes privées de liberté. Le projet « Papa lecteur », qui permet à des pères détenus de lire des histoires à leurs enfants lors des moments de parloirs, est un exemple particulièrement frappant de la pertinence de cette démarche.
De même, la présentation de Claudie Guérin, à la fois sur le dispositif national Culture-Santé et sur les bibliothèques de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a particulièrement retenu l’attention d’un public professionnel généralement ignorant de ces réalités. Comme l’a rappelé Claudie Guérin, 13 millions de patient-es sont hospitalisé-es chaque année en France, ce qui représente un nombre considérable de lecteurs et de lectrices potentiel-les. Si l’offre de lecture à destination du public hospitalisé rencontre elle aussi un certain nombre de difficultés administratives et pâtit d’un manque de reconnaissance, Claudie Guérin a bien montré l’énergie et la créativité de ce secteur qui répond à de forts besoins tout en étant soumis à de fortes contraintes.
Cette journée s’est clôturée par une réflexion d’Hélène Brochard (ABF) sur les réticences de certain-es collègues à aborder les questions liées aux publics empêchés et la nécessité de réaffirmer que l’accompagnement de ces publics fait intrinsèquement partie du métier et qu’il ne faut pas se réfugier derrière la question des moyens pour ne pas prendre en charge cette mission. Des paroles fortes pour conclure une journée qui a témoigné d’une belle volonté collective de la part des bibliothécaires de servir toujours mieux tous les publics.