L’animation de communauté, nouvelle frontière de la bibliothèque ?

Romain Gaillard

Communication du 23 novembre 2015
Biennale du numérique (Enssib)

Les réseaux sociaux sont devenus depuis une demi-douzaine d’années des plateformes de sociabilité planétaires. Certains sont spécifiques à des aires géographiques, d’autres concernent des fonctionnalités particulières (blogging, partage de photos, de vidéos…). En France, Facebook est utilisé de manière active par 30 millions de personnes, Twitter par 6 millions. YouTube accueille 23 millions d’utilisateurs actifs en France et 1 milliard dans le monde. Instagram, plateforme de partage de photos et de vidéos rassemble, elle, 5 millions et demi d’utilisateurs en France 1.

L’inscription active se caractérise par un usage régulier des réseaux sociaux, avec des actions d’interactions, contrairement à l’inscription simple où l’on ne fait que consulter son compte. Ainsi la pratique des réseaux sociaux est devenue très importante pour certaines tranches d’âge de la population avec 13 heures hebdomadaires en moyenne en France. Ce chiffre masque d’importantes disparités puisque cette pratique s’étale de 27 heures pour les 18-24 ans à seulement 2 heures pour les plus de 70 ans 2.

Le support utilisé a également son importance, souvent peu anticipée par les bibliothèques. En effet, 80 % des 18-24 ans sont aujourd’hui détenteurs de smartphones, ainsi que les deux tiers des 25-39 ans. On estime que l’essentiel des utilisateurs de Twitter se connectent en mobilité au réseau et que 25 % des vidéos visionnées sur YouTube le sont sur mobile. Cette distinction entre mobilité et utilisation statique masque de nouveaux usages, de nouvelles exigences et une réflexion technique et éditoriale à mener sur la manière de construire et présenter publications et contenus.

Au premier trimestre 2015, la médiathèque de la Canopée a organisé plusieurs focus groupes parmi des groupes d’usagers potentiels du centre de Paris (adolescents de 13 à 16 ans, parents de jeunes enfants, actifs résidant hors du centre de Paris 3). Il est ressorti par exemple un parasitage des pratiques selon les intentions. En effet, si une recherche d’informations génériques et de « bons plans » de manière très rapide grâce aux applications et notifications semble assez facile, cette facilité d’usage disparaît dans le cas d’un besoin plus élaboré. Il existe très majoritairement un déficit de capacité à trier parmi des résultats pléthoriques, dans un contexte d’« infobésité » par exemple lorsque l’on recherche des jeux pour ses enfants sur tablette ou lorsque l’on mène des recherches sur la parentalité.

Le développement du web 2.0 et des réseaux sociaux a accéléré des phénomènes sociologiques qui émergeaient par ailleurs. Une sociabilité de l’échange, du commentaire, d’une forme légère de l’engagement par le « j’aime » s’est développée. Les pratiques informationnelles et les relations sociales ont également évolué. Les utilisateurs des réseaux sociaux sont ainsi en recherche d’une relation de plus en plus horizontale où ils peuvent interagir plus rapidement mais aussi en étant plus volontiers sollicités par les services publics et les entreprises. Des phénomènes sociaux comme « l’extimité » décrite par Serge Tisseron ou l’inviduation analysée par François Dubet se sont accélérés avec la croissance des réseaux sociaux.

L’extimité 4 est issue de la psychanalyse lacanienne. L’individu met en scène de manière plus ou moins consciente sa vie privée, ses goûts, ses opinions. En entrant en contact avec des inconnus ou en développant plus de relations avec des connaissances, de nouvelles formes de sociabilité émergent et l’on cherche de manière sous-jacente à renforcer l’estime de soi.

L’individuation, analysée par François Dubet 5 est issue de la philosophie jungienne. À travers la désagrégation des institutions traditionnelles dans la transmission des valeurs (école, armée, syndicat, église...) l’individu construit sa sociabilité, ses normes et valeurs à travers ses groupes de pairs. Ce phénomène social produit également une prise de conscience de sa propre valeur par l’individu au détriment du collectif. Le plus petit dénominateur commun acquiert une valeur bien supérieure à ce qu’elle est en réalité produisant différentes évolutions comme les micros-trottoirs, les prix littéraires remis par des lecteurs anonymes...

De plus en plus de bibliothèques s’emparent de ces outils, avec cependant des imperfections. Des contraintes administratives, une maîtrise technique imparfaite des codes de publication, des politiques éditoriales plus ou moins abouties peuvent gréver l’apport que les bibliothèques pourraient retirer ou apporter sur les réseaux sociaux. Peu disposent de comptes également. Sur les 4 400 bibliothèques publiques recensées par le ministère de la Culture 6 et les 500 bibliothèques universitaires, seulement 420 ont une identité sur Facebook 7 et 248 sur Twitter 8. Concernant Facebook, il est possible que ce chiffre soit inférieur à la réalité. Dans un cas comme dans l’autre, il n’existe pas de recensement officiel.

Dans une enquête datant de juin 2014 auprès d’une quinzaine de bibliothèques de la Ville de Paris 9 et de miss Média des bibliothèques municipales de Metz, il nous était apparu que seulement une minorité d’établissements avaient conçu et écrit une réelle politique éditoriale. Une enquête similaire sur Twitter datant de début 2015 10 auprès d’une vingtaine de bibliothèques montrait par contre que 15 bibliothèques sur 24 avaient conçu une politique éditoriale cherchant à répondre aux pratiques de ce réseau. Cependant, pour ces deux plateformes, hormis chez quelques comptes, les bibliothèques ne parvenaient pas à reproduire les codes de publications de ces réseaux (trop peu de photos, de recherche d’interactions, de sollicitation…). En matière de vidéos, l’écart avec les pratiques populaires semble rester encore important. Peu de bibliothèques disposent de comptes YouTube, Dailymotion ou Viméo, et encore moins produisent réellement des contenus 11, se contentant de créer des sélections soumises aux aléas des retraits de la part des administrateurs du réseau social.

Si l’on reprend l’article essentiel de Nicolas Beudon sur ce domaine, « Le booktubeur et le bibliothécaire 12 », on constate qu’il existe plusieurs écueils : publier des vidéos uniquement sur le site de sa structure de rattachement et pas sur une plateforme sociale comme YouTube, réaliser des vidéos statiques où l’on voit une personne sans animation, ne pas partager les liens vers les vidéos sur d’autres réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook. Un dernier risque est de tomber dans la « private joke », de se faire plaisir uniquement à soi et à son équipe, sans chercher à apporter un réel contenu à l’usager ou à lui expliquer quelque chose sur son projet d’établissement. Car si les fans apprécient d’être divertis, les productions doivent toujours avoir une finalité éditoriale, apporter de la valeur ajoutée ou soutenir une stratégie de storytelling sur son établissement. A contrario, les booktubeurs, par des techniques plus ou moins élaborées de montage, un ton dynamique et en racontant juste leurs lectures de manière authentique, parviennent à drainer un nombre conséquent de fans et de vues. Quand on observe des vidéos émanant de booktubeurs, on a l’impression que rien ne semble inatteignable pour le bibliothécaire (prise de son parfois perfectible avec seulement une webcam, pas de sous-titrages, montage réduit…), on a souvent l’impression qu’il faut juste se lancer et tenir un rythme régulier. La prise de conscience est en cours avec des journées professionnelles comme celle organisée par l’Arald 13 récemment ou le stage organisé par les bibliothèques de Rennes 14.

Cette maîtrise imparfaite des outils est malheureusement confortée par une veille insuffisante sur l’évolution des outils et parfois par une absence complète de reporting statistique. Ainsi, sur l’enquête concernant Twitter datant de début 2015, seulement un quart des bibliothèques interrogées relevaient régulièrement leurs statistiques, faute d’avoir repéré que la fonction « statistiques » de Twitter existait depuis plusieurs mois… pourrait-on imaginer faire de même dans une politique documentaire ?

Une animation de communauté réussie repose sur quatre piliers :

  • un état d’esprit et un désir d’interactions avec les publics ;
  • la capacité traditionnelle du bibliothécaire à sélectionner et à créer des contenus pour valoriser ses ressources ;
  • une pratique personnelle des réseaux sociaux ;
  • une veille professionnelle sur ce domaine pour rester « connecté ».

Ces piliers doivent servir à contrebalancer plusieurs fragilités dans la publication sur les réseaux sociaux :

  • fragilité politique : montrer aux élus et aux services de communication que la bibliothèque est en situation de pouvoir maîtriser son sujet et son community management de manière professionnelle, pour ne pas en être dépossédée, voire privée ;
  • fragilité éditoriale : ne pas avoir de politique éditoriale, avec des objectifs et une organisation de publication peu clairs ;
  • fragilité des plateformes : celles-ci évoluent en permanence, des fonctionnalités changent, apparaissent, disparaissent, Facebook étant l’exemple le plus symptomatique.

Devant ces fragilités et ces difficultés à maîtriser ces outils, il peut être tentant de penser qu’il ne faut pas continuer à s’investir sur ces domaines chronophages et que la médiation numérique sur les réseaux sociaux ne fait pas partie du cœur du métier.

Les bibliothèques sont par ailleurs confrontées à un environnement de plus en plus concurrentiel. Elles souffrent d’un désintérêt produit par des contraintes de services qu’elles ont pu entretenir, faute de moyens (horaires alambiqués ou trop réduits, personnels, collections et outils insuffisants…), ou par manque d’élasticité dans leurs règlements et dans la manière d’interagir avec les usagers. Lorsque l’on juxtapose l’ensemble des contraintes possibles à utiliser les services d’une bibliothèque (conditions d’emprunts, disponibilité des documents, horaires, pénalités, tarifs, signalétique…) et qu’on les compare à des services relativement peu coûteux comme Kindle Unlimited, Netflix ou Canal Play, disponibles à domicile sans effort, on peut craindre pour le futur du service public. La concurrence vient également de petites formes comme les bookcrossings organisés soit par le monde associatif, soit parfois même par les collectivités territoriales sans y associer leurs bibliothèques publiques ! Plus proches des gens, moins formels, sur les marchés ou dans les cages d’escalier, ils peuvent contribuer à enfermer la bibliothèque dans une vision rigide, administrative et dépassée. L’ubérisation avec une application comme Booxup, si on reste dans une lecture de celle-ci au premier degré, remet également en cause la place de la bibliothèque publique.

Ce désintérêt se vérifie dans les statistiques nationales. Même si les inscrits ne représentent qu’une partie du public d’une bibliothèque, on constate qu’ils sont en baisse de 2 % en 2015 par rapport à 2014 15. Dans les bibliothèques de la Ville de Paris, le nombre d’inscrits est passé sous la barre des 300 000 en 2014 après plusieurs années d’effritement continu, notamment pour les abonnés aux forfaits payants en musique et vidéo.

Cependant le besoin d’être conseillé, orienté, est toujours là. Plus d’un internaute sur deux se décide à acquérir un bien culturel selon les avis d’autres personnes, et plus de 80 % des Européens souhaitent être orientés dans leurs lectures selon leurs auteurs préférés. L’envie de découverte n’a jamais été aussi forte, d’autant qu’aujourd’hui c’est la curiosité et l’éclectisme qui sont valorisés au détriment de l’exhaustivité. Ainsi que l’ont montré Philippe Coulangeon ou Olivier Donnat 16, le capital culturel valorisé aujourd’hui est cosmopolite et fondé sur la diversité des goûts culturels.

Le bibliothécaire dispose de compétences uniques, celles d’être en capacité de trier l’information, de mettre en relation des usagers et des ressources et, par entraînement, des gens entre eux également. C’est le sens du concept de facilitateur propre aux tiers lieux. Dans un contexte fait à la fois d’« infobésité » et d’envie d’interactions, le bibliothécaire doit être capable de faire évoluer sa manière d’interagir avec ses publics pour aller vers plus de contact, de personnalisation, d’empathie.

On peut cependant se demander si le paradigme de la mission d’une bibliothèque et d’un service public n’entre pas en contradiction fondamentale avec celui du fonctionnement d’un réseau social. En effet, la communauté sur les réseaux sociaux tend à resserrer le groupe autour des mêmes intérêts et des mêmes pratiques. C’est encore plus vrai sur Facebook où l’algorithme de publication, le Edgerank, organise tendanciellement la transmission d’informations en provenance des pages avec lesquelles vous avez interagi régulièrement. Le risque pour une page Facebook de bibliothèque est ainsi d’animer une communauté de bibliothécaires… Les professionnels de la communication reconnaissent qu’il est de plus en plus difficile d’animer une communauté ex nihilo sur Facebook sans moyens financiers : 43 % des pages Facebook ont ainsi acheté une publicité sur ce réseau social au moins une fois par mois 17. Il convient donc de repenser la place de cette plateforme dans les stratégies éditoriales et sociales des établissements culturels.

Fred Turner analyse également la construction des réseaux sociaux comme une tentative de faire revivre les communautés hippies des années 1970 18. Cependant, selon lui, la conséquence potentielle de cette idéologie, loin d’être une libération, produit au contraire un enfermement, un repli sur sa communauté, son groupe de pairs, pouvant aller de la communauté de pratique jusqu’au petit groupe libertarien armé.

Le service public, lui, cherche bien plus, dans sa vision traditionnelle, à rassembler les publics au-delà de leurs particularités, à démocratiser socialement les œuvres et ressources qu’il propose, à toucher tous les publics.

Toutefois, cette ambition de la bibliothèque se heurte à une différenciation des besoins et des demandes de plus en plus forte, et à des rythmes de vie en évolution constante, notamment en zone urbaine. Toucher tous les publics est impossible et produit une dispersion énergivore de l’action publique dans un contexte de raréfaction de l’argent public.

Il faudrait donc peut-être envisager autrement les missions de la bibliothèque et assouplir l’objectif idéologique de toucher chaque individu parmi tous les publics. Si une communauté de fans de la bibliothèque se constitue, quels pourraient être ses valeurs partagées ? Qu’est ce qui les rassemblerait ? L’inscription, l’emprunt de livres ? Mais cela revient à s’enfermer dans une certaine reproduction socioculturelle car, comme Christophe Evans a pu le monter, être inscrit, emprunter et maîtriser les codes d’une bibliothèque ne va pas de soi, cela s’apprend et souvent se transmet.

Quelles seraient alors les valeurs que partageraient les fans d’une bibliothèque ? Elles doivent être cherchées dans celles qui portent l’ambition intellectuelle et sociale de ces services : esprit critique, curiosité, ouverture, envie d’échanger, de découvrir, permettre à chacun de se réaliser, lutter contre le communautarisme et les phénomènes de servitude volontaire.

Toutefois, il est vital de mettre en œuvre un certain nombre de moyens opérationnels, de disposer de matériels permettant de réaliser des captations et des infographies, de faire du montage léger, de se former, de mettre en œuvre des techniques et une politique éditoriale fondée sur du marketing entrant (inbound marketing).

Deux questions se posent au final : sommes-nous, nous bibliothécaires, attendus pour produire du contenu, autrement que dans un besoin utilitaire et de reproduction ? Le lieu et son organisation sont-ils encore pertinents ?

Ces deux questions peuvent heurter la profession mais elles doivent être posées et résolues car, dans une période où la concurrence est forte et multiple, il faut chercher à se réinventer, à tirer parti des opportunités et connaître ses faiblesses et ses forces. Si l’on suit les prescriptions des techniques de l’inbound marketing, le public et les fans attendent sur les réseaux sociaux des contenus divertissants, éducatifs, de l’engagement, de l’écoute et de la personnalisation. En faisant preuve d’empathie, en apportant une plus-value, on parvient à développer la curiosité pour le service et à faire venir et revenir les usagers à soi.

L’aspect divertissant peut être atteint à condition de le réfléchir, de le travailler et d’éviter de tomber dans la blague « infra-bibliothécaire ». Il convient par ailleurs de suivre régulièrement ses statistiques pour mesurer ce qui marche ou pas et d’ajuster sa politique éditoriale. Cela vaut également pour les contenus de conseil et de recommandation. Peu de fans sollicitent a priori les bibliothèques sur les réseaux sociaux et cela exige la mise en place d’un circuit de réponse rapide avec un animateur de communauté. Nous ne sommes a priori pas forcément attendus par le public sur cet aspect et l’on peut donc le surprendre très positivement, à condition de le solliciter, et d’éviter ainsi la production descendante. Enfin, le public attend sur les réseaux sociaux des productions marquant de l’authenticité et de l’engagement. Cet aspect est plus problématique pour les agents en regard du devoir de réserve. Ainsi que le rappelle Lionel Dujol 19, le bibliothécaire ne peut se lancer dans un « journalisme des collections » et prendre position, car ainsi il engagerait son institution, sa collectivité et ses élus. Cette complexité peut néanmoins être résolue en confrontant les points de vue dans un même document éditorialisé, le professionnel faisant ainsi son travail de sélectionneur de contenus, connecteur permettant au public de se faire sa propre opinion. On peut citer à ce titre les webzooms réalisés par la MIOP 20.

La deuxième question sur la pertinence du lieu et de son organisation au regard de l’évolution des pratiques découle d’une partie de la première. Au cours des focus groupes que nous avons organisé pour la préfiguration de la médiathèque de la Canopée, nous avons pu nous rendre compte d’une large vision négative de la « bibliothèque » ou de la « médiathèque ». Que ce soit pour des actifs mobiles, des ados, ou des parents, la bibliothèque en tant que telle, seule, est majoritairement un lieu daté, hors de la modernité, renvoyant aux années 1970, voire à des sous-préfectures en déprise. On rejoint finalement l’analyse récente d’Olivier Ertzscheid 21. Les usagers potentiels interrogés sont à la recherche aujourd’hui de lieux culturels multimodaux, avec certes des espaces « bibliothèque » mais pas d’une bibliothèque en tant que telle. De tels espaces rappellent le 104, la Cité des sciences et de l’industrie, et reprennent certains codes des MJC. Ils confirment le besoin de conseils, d’accès à la culture dans un lieu faisant sens politiquement. Toutefois, cela se mêle avec des ateliers de pratique créative, de découverte, des fonctions de divertissement pur, des espaces aussi bien propices à la respiration qu’à une activité intensive et soutenue, voire même sportive. Ce qu’Olivier Ertzscheid exprime ainsi : « Le travail des bibliothèques aujourd’hui c’est d’apprendre et de faire comprendre aux gens comment faire venir des bibliothèques chez eux » me semble pouvoir être résolu par la mise en œuvre des techniques de l’inbound marketing, par la production de contenus personnalisés, apportant plus-value aux publics et rejoignant ainsi les valeurs de leur communauté.

Au final, je pense qu’il convient de vraiment distinguer le lieu, des compétences des personnels. Le lieu, avec son estampille, rapproche volontiers les personnes de leurs expériences positives ou négatives personnelles, on l’a vu lors des focus groupes de la Canopée. Les compétences et les services recherchés (conseil, connexion, accueil) sont, eux, vus largement positivement, et n’ont jamais autant fait sens qu’aujourd’hui. Il apparaît donc qu’il faut dépasser l’aspect statique du lieu et de son organisation en intégrant les apports des pratiques des usagers et de leurs besoins, d’autres professionnels, en renouvelant la construction du service et du lieu, comme des projets tels que ceux de Lezoux ou de Biblioremix à Rennes cherchent à le faire.

La véritable frontière à dépasser, au-delà de la mise en œuvre de techniques d’animation de communauté est de changer de concept et de paradigme. Ce changement doit se faire en dépassant l’usage de nouveaux outils qui valorisent des actions anciennes et d’évoluer vers plus de participation et d’horizontalité. La diversification des services, avec l’intégration d’espaces de pratiques, s’intègre également dans ce processus. L’évolution actuelle des bibliothèques est aussi bouleversante pour elles que le fut l’introduction du libre accès mais elle impose sans doute de revoir notre dénomination comme notre organisation professionnelle. Les bibliothécaires n’ont en effet jamais autant eu les compétences pour répondre aux besoins des citoyens que le lieu n’a été éloigné de leurs rythmes de vie et de leurs pratiques. Cette dimension participative, d’inclusion, peut laisser penser que le professionnel abandonne son statut au public, sans contrôle. Cependant depuis cent-vingt ans, avec le libre accès, l’introduction de la musique, de la vidéo, du jeu vidéo, du wifi, des Fablabs…, l’histoire des bibliothèques publiques n’est-elle pas d’abandonner progressivement, décennie après décennie la fonction de gardien, de conservateur, pour s’ouvrir aux nouveaux usages des publics et à leurs goûts ?