Bibliothèques universitaires : nouveaux horizons

par Benjamin Caraco
Sous la direction de François Cavalier et Martine Poulain
Éditions du Cercle de la Librairie, collection «  Bibliothèques », 2015, 312 p.
ISBN 978-2-7654-1469-8 : 45 €

En 2013, Florence Roche et Frédéric Saby ont publié L’avenir des bibliothèques : l’exemple des bibliothèques universitaires (Presses de l’Enssib, coll. «  Papiers ») qui proposait une synthèse des évolutions de l’environnement des bibliothèques universitaires [BU], traitait de leurs métamorphoses consécutives et envisageait leur futur probable. Cette réflexion collective s’appuyait largement sur la cohérence de leur expérience grenobloise et avançait l’idée d’un recentrage, en cours et à approfondir, vers les services aux publics. De l’«  avenir » aux «  horizons », les préoccupations restent les mêmes mais la logique de la démarche des deux directeurs de Bibliothèques universitaires : nouveaux horizons diffère de celle des Grenoblois. François Cavalier, directeur des bibliothèques de Sciences Po, et Martine Poulain, chercheuse et ancienne directrice de la bibliothèque de l’INHA, s’efforcent de proposer une somme panoramique sur les BU contemporaines.

F. Cavalier et M. Poulain partent du constat que les BU sont au cœur d’une révolution globale engendrée par le numérique et les nouveaux médias. Ces derniers imposent de nouvelles logiques en termes de communication et de diffusion du savoir qui ne font plus des BU des passages obligés sur le chemin de la recherche d’information. En parallèle, le développement du libre accès et de nouvelles formes d’évaluation de la recherche tendent à reconfigurer les modalités de publication scientifique. À ces mutations documentaires s’ajoutent celles de l’environnement institutionnel où compétition et évaluation invitent au regroupement et à la coopération. Si les BU ont bénéficié d’un mouvement de rattrapage de taille (plus d’infrastructures, plus de documentation) à la fin des années 1980 sous l’impulsion de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, un décalage important par rapport aux efforts consentis pour leurs consœurs européennes (sans parler des américaines) persiste encore. Alors que le contact entre bibliothécaires et enseignants-chercheurs semble avoir été perdu depuis plusieurs décennies, les auteurs invitent à un nécessaire rapprochement entre ces deux professions, davantage sur le mode de la coopération que de la simple fourniture de services. Il convient d’intervenir en amont des projets, de recherche mais aussi d’enseignement, en participant au renouvellement de la pédagogie avec les opportunités offertes par le numérique. Ainsi, «  Les maîtres mots des années que nous traversons sont “mobilité et adaptation” » (p. 17). Et les auteurs de faire le pari que ces changements, qui touchent aussi bien les collaborations et les échanges, les lieux et les personnels, s’inscrivent tout simplement dans une évolution des missions traditionnelles des BU.

Il n’appartient pas à c>e simple compte rendu de résumer l’ensemble des nombreuses et riches contributions de cet ouvrage mais d’en retracer brièvement le mouvement. La première partie se consacre ainsi à replacer les BU dans leur contexte institutionnel. Dans un développement historique particulièrement lumineux, Christine Musselin revient sur les «  évolutions et transformations » des universités françaises de 1793 à 2013, utilement complété par la contribution de Jean-Pierre Finance sur la mise en œuvre d’une politique d’établissement. Si la réflexion de Marc Martinez sur l’intégration de la BU dans l’université permet de faire la transition avec plusieurs développements consacrés à ce thème dans «  La bibliothèque dans l’université : opportunités et enjeux », elle n’épargne pas au lecteur quelques redondances sur le contexte post-LRU (défaut de l’exercice de l’ouvrage collectif ?). Les chapitres rédigés par F. Cavalier, Albert Poirot et Frédéric Blin envisagent respectivement la place de la politique documentaire (bouleversée par le numérique) et du patrimoine (de fardeau à potentiel atout) à l’université alors que Valérie Tesnière s’interroge sur les liens entre recherche et BU. Outre qu’elles sont amenées à être impliquées dans de la recherche appliquée, les BU pourraient faire office de trait d’union dans certains programmes de recherche en apportant de la transversalité et en évitant les angles morts. La consultante Vanessa Proudman s’efforce ainsi de livrer quelques principes pour envisager une stratégie de soutien à la recherche.

Les services à la recherche connaissent en effet un fort développement en BU alors que celle-ci cherche également à renforcer sa contribution au domaine de la pédagogie : à travers la construction de Learning Centres, «  bibliothèque[s] augmentée[s] » autour du noyau d’une bibliothèque enrichie de nouveaux services où l’accent est mis sur la pédagogie (Julien Roche). La formation est également massivement investie comme levier de l’acquisition d’une «  littératie informationnelle » par les étudiants selon Pierre-Yves Cachard. Les espaces des bibliothèques universitaires sont également appelés à évoluer, même si Marie-Lise Tsagouria insiste sur la préservation de la dimension première de la bibliothèque – fournir de l’information à ses usagers – afin de ne pas démoder trop rapidement une bibliothèque axée de façon démesurée sur l’informatique et les nouveaux usages.

Pour affronter ces nouveaux défis, les bibliothèques continuent et renforcent leur tradition de travail en réseaux. Cette coopération se fait à plusieurs échelles comme le rappelle Sophie Mazens : locale autour du SCD, nationale autour d’opérateurs et d’associations professionnelles et au niveau international avec le tissu associatif. Raymond Bérard se penche plus particulièrement sur les réseaux d’informations bibliographiques, les différentes configurations existantes et leurs évolutions à venir, découlant de celles des catalogues. Paul Ayris, de la University College London, inscrit la démarche de sa bibliothèque dans le cadre européen. Il aborde ainsi le développement de la fonction de manager de l’information scientifique autour du libre accès et des données de la recherche.

Le développement de nouvelles compétences s’explique par l’arrivée de nouveaux services en bibliothèques liés notamment aux archives ouvertes dont Christine Ollendorff retrace l’essor dans le cas français. Si ces dernières constituent une nouveauté, l’évolution des traditionnels catalogues – des Opac aux outils de découverte (Élise Chapoy et Joris Paillaré) – n’en est pas moins accélérée par le poids pris par des moteurs de recherche comme Google et Google Scholar. En termes d’organisation interne, Nathalie Marcerou-Ramel revient sur la montée en puissance de la formation continue nécessaire à l’évolution des compétences et la transversalisation des organigrammes qui permet un meilleur suivi des projets. Anne-Marie Bertrand se place en amont de ces aspects organisationnels en évoquant la formation des bibliothécaires : le débat polyvalence versus spécialisation survit alors que l’impératif de l’évolution des compétences semble admis par tous.

Cet ambitieux tour d’horizon se termine sur la place du marketing en bibliothèque (Cécile Touitou) qui semble être le nouveau nom des enquêtes de public augmentées d’une plus grande réflexion sur les missions et objectifs des bibliothèques. Chérifa Boukacem-Zeghmouri traite pour sa part du retour sur investissement (ROI) appliqué aux bibliothèques en distinguant les deux approches les plus courantes (financière et en termes d’impact) tout en soulignant leurs limites et les nécessaires ajustements dont elles devront faire l’objet à la suite du développement du libre accès et des réseaux sociaux pour les chercheurs. Enfin, Raphaëlle Bats envisage la question de la communication en BU sous l’angle de la légitimité : au sein de la politique universitaire, pour l’établissement lui-même et dans la profession. Au terme d’une aussi vaste réflexion, difficile de prendre les concepteurs de cet ouvrage en défaut. L’essentiel y est, les perspectives sont là. Il ne reste plus qu’à s’adapter ?