Plaidoyer pour une bibliothèque universitaire sans cotes

Constatant la perplexité habituelle des étudiants devant les cotes que nous utilisons, nous avons imaginé une bibliothèque qui s’en passerait. Nous espérons – with all due respect – que notre idée n’est pas une antienne régulièrement ressassée et dont le compte a été réglé il y a longtemps …

Le Service Commun de la Documentation de l’université Paris1 Panthéon Sorbonne utilise pour les ouvrages juridiques une version adaptée de la classification de Bordeaux. Mise au point par l’université de Bordeaux et destinée au droit français, c’est une classification alphanumérique (une à deux lettres suivies par deux à trois chiffres, plus dans le cas des subdivisions de forme).
Ainsi, les ouvrages de droit de la famille sont regroupés sous l’indice Ka 1.13. Avec la marque de l’ouvrage (le plus souvent les trois premières lettres du nom de l’auteur et le numéro d’exemplaire), la cote indiquée au dos du livre et au catalogue est donc Ka 1.13 BEN ex 1 pour le premier exemplaire du livre d’Alain BENABENT, Droit de la famille, LGDJ. 2014.

Depuis quelques années, nous regroupons les codes juridiques et les rangeons par ordre de cote, proche de l’ordre alphabétique des titres, et nous constatons que les étudiants perdent néanmoins beaucoup de temps à trouver le code qu’ils cherchent – attirés d’abord par la casse de la cote Ka 1 COD CIV ex 60 ou K bis b COD MON ex 2 plutôt que par le titre Code civil ou Code monétaire et financier.

L’idée nous est donc venue de ne plus coter les codes juridiques et de les ranger par ordre alphabétique de titre. Les dos restent vierges, les étudiants voient immédiatement le nom du titre recherché, trouver et ranger un code devient plus aisé. Nous créons une cote « Codes », qui apparait sous sa forme littérale lors d’une recherche catalographique de code et vient remplacer les indices utilisés précédemment. Nous renonçons à indiquer le numéro d’exemplaire sur le dos, il n’est plus présent que sur la page de titre. Les codes sont plus vite à disposition des étudiants puisque leur équipement se réduit à l’estampillage, l’antivolage et la pose du code à barres. La cote « Codes » faisant partie des données d’exemplaire, nous conservons à l’identique les possibilités de traitement des collections et de recueil de données statistiques offertes par notre SIGB Aleph (dans le cas des codes juridiques, des statistiques globales nous suffisent).

Mais peut-on étendre ceci à toute une bibliothèque de droit, peut-on imaginer une bibliothèque sans cotes ?

L’appliquer aux codes est facile : ce sont des ouvrages aisément reconnaissables (les fameux codes rouges ou bleus), leur titre est clairement porté au dos et sur la couverture.

Nous pouvons faire aisément de même avec les mélanges qui sont chez nous tous regroupés. Quelle est l’utilité de coter Ga (0.82) XXX des ouvrages rangés ensemble par ordre alphabétique du dédicataire ? Ils sont en effet très facilement identifiables par les étudiants et les bibliothécaires puisqu’ils portent toujours en titre Mélanges en l’honneur de ou bien Liber amicorum.

Mais comment se passer des cotes pour tous les autres ouvrages ?

L’idée consiste à ne plus utiliser les 200 indices de notre classification de Bordeaux mais à les remplacer par leur libellé littéral : ainsi, l’ouvrage de Lionel ANDREU, Cours de droit des obligations ne sera plus coté Ka 1.2 AND au catalogue mais « Droit des obligations ». Cette cote littérale n’a pas besoin d’être portée au dos de l’ouvrage puisqu’elle sera identique pour tous les livres de ce thème. Les 90 titres de cette cote seront, comme ils le sont déjà, rangés par ordre alphabétique d’auteur au même endroit qu’auparavant signalé par le libellé « Droit des obligations ».

Si l’absence des cotes ne gêne pas dans le cas des codes et des mélanges immédiatement identifiables, sera-t-il aussi aisé de trouver puis de ranger des manuels, des précis ou des traités juridiques sans cotes ? A l’évidence non pour le rangement, c’est pourquoi nous équipons les ouvrages d’une étiquette reprenant le libellé de leur nouvelle cote littérale (« Droit des obligations » selon notre exemple), étiquette collée sur la couverture en haut à gauche et non au dos. Nos étudiants ou les collègues chargés du rangement savent donc à quel endroit (tablette, travée, épi clairement signalés) ranger l’ouvrage par ordre alphabétique d’auteur. Trouver un livre rangé par ordre alphabétique d’auteur parmi d’autres livres sur le même thème sera aussi simple qu’auparavant : il suffira de lire son titre et son auteur mentionnés au dos … ce que le système actuel avec ses nombreuses cotes semblables impose déjà !

CQFD : Plus d’indices de cotes, ni au dos des ouvrages ni au catalogue, mais des ouvrages toujours rangés par ordre alphabétique d’auteur et selon le plan de classement de notre classification de Bordeaux !

Certes, je ne méconnais pas que le rangement risque d’être un peu plus long – ou plutôt moins automatique – ni qu’un ouvrage mal rangé risque de le demeurer un peu plus longtemps, cependant, quel plaisir de ne plus livrer des colis parallélépipédiques rectangulaires à leur bonne adresse, mais de ranger nos livres avec leur titre, leur auteur et leur thématique…

Commentaires

Et si pour une fois .... on pouvait essayer de ne pas se mettre au niveau de celui qui ne sait pas, a du mal .... et si on essayait de FORMER nos lecteurs ... à la classification juridique afin qu'ils trouvent facilement le document qu'ils recherchent !!!!
Pourquoi toujours simplifier pour que le lecteur le plus fainéant arrive enfin à trouver un ouvrage ..... c'est une tendance très actuelle de se mettre au niveau de celui qui n'arrive pas à faire quelque chose plutôt que de le former afrin qu'il puisse y arriver ! Et que faire ce ceux qui ne connaissent pas leur ordre alphabétique ? on met des couleurs ? Soyons sérieux cinq minutes, une bibliothèque juridique s'adresse à des étudiants qui recherchent des articles de lois dans des codes, de la jurisprudence dans des bases de données, des traitées dans des recueils alors une petite cote ne devrait pas leur faire peur ...

Bonjour, est il possible aujourd'hui de simplifier encore le système en ne gardant qu'un ordonnancement alphabétique pour la classification physique et de se servir d'un logiciel pour mettre en relation les livres ? (la classification de Dewey etc sont des systèmes élaborés avant l'ère numérique.)

Céline Vilmen : le classement physique des documents est un outil qui a pour unique fonction de permettre de trouver des livres sur des rayonnages, ça ne sert à rien d'autre, ça ne permet pas de briller en ville, ça ne permet pas de remporter des prix Nobel ou de réussir des concours. Ca ne sert qu'à ça et ça a été créé pour ça. Quand un outil tombe en panne vous êtes vraiment sûr que c'est l'ouvrier qu'il faut changer ?

Si vous répondez oui, alors repensez-y la prochaine fois que vous aurez du mal à déchiffrer la notice d'un meuble en kit ou à programmer votre machine à laver, quand vous vous arracherez les cheveux face à une interface informatique absconse, quand vous ne trouverez pas la poste dans une ville étrangère ou quand vous vous brûlerez avec un appareil électro-ménager mal fichu, pace que les concepteurs se seront probablement dit la même chose que vous : "mais pourquoi les gens ne se forment-il pas/ ne se renseignent-ils pas mieux /ne sont-ils pas plus attentifs ?"

Nicolas Beudon: Merci pour ton commentaire, je n'aurai pas mieux présenté cette idée qui me dérangeait

LEMAITRE guillaume:
En ce qui concerne ton idée (si tu entend bien de ranger alphabétiquement TOUT les livres dans une immense catégorie dans laquelle on se retrouverai grâce a Dewey) , il s'avère que j'y ai réfléchis, pour arriver a la conclusion suivante.
Dans le cas d'une bibliothèque universitaire classique, où les étudiants vagues dans les rayons à la recherche de leur ouvrage, la classification traditionnelle permet de "tomber" sur d'autre livre sur le même sujet que l'élève n'aurait pas connu autrement. c'est selon moi un gain de connaissance trop précieux pour le laisser disparaitre.
Cependant, si on vient a manquer de place ( local trop petit, collection trop grande, migration durant de longs travaux, etc), il peut en effet être plus astucieux de faire la recherche via un site dédié, puis d'aller chercher le livre à l'adresse indiquer dans un rangement confiné (tiroirs, étagères amovibles,..) Les étudiants auraient toujours le loisir de trouver d'autres ouvrage liés grâce aux propositions du site.

Pensées à débattre, à vous.