Entre bibliothèques et pédagogie universitaire

L’objectif des formations documentaires est de contribuer à accroître le niveau de compétences documentaires et informationnelles de l’ensemble des étudiants, afin qu’ils puissent :

  • aller rapidement à l’essentiel des ressources qui leur seront utiles ;
  • assimiler les procédures techniques de recherche documentaire ;
  • être capables de différencier et de hiérarchiser les sources d’information ;
  • évoluer dans un milieu d’interaction riche avec les écrits scientifiques et les œuvres.

Ces compétences, qui paraissent assez simples, ne le sont pourtant pas en réalité, et ce en raison de nombreux obstacles et difficultés, certains anciens, d’autres apparus avec l’explosion du numérique. Dans l’acquisition de ces compétences, les bibliothèques, les centres de ressources et de documentation et leurs personnels ont-ils un rôle à jouer et lequel ? Quelle place peuvent prendre les formations documentaires dans les parcours étudiants, et comment les définir et les organiser de la manière la plus pertinente et la plus efficace  possible ?

Bibliothèques et pédagogie

Les bibliothèques comme milieu d’interaction et d’apprentissage dans lequel s’acquièrent des compétences

Le rôle pédagogique des bibliothèques est complexe et se situe à plusieurs niveaux.  En effet, celles-ci constituent un milieu d’interaction et d’apprentissage. Par elles, les étudiants vivent une modalité particulière d’apprentissage : l’apprentissage par les ressources. Cette modalité, qui est insuffisamment valorisée et souvent réduite au minimum recommandé par les enseignants, peut être très stimulante chez de jeunes adultes qui doivent trouver leur chemin, et devront nécessairement le faire en s’affranchissant des directives, certes nécessaires, mais qui ne permettront pas à leur désir de connaître de s’épanouir.

S’approprier les bibliothèques et leurs ressources, c’est, pour l’étudiant, une manière de se former et d’acquérir des compétences lui permettant de progresser dans le « métier d’étudiant », et de développer ses capacités cognitives.

Se situer et agir dans un espace

L’orientation dans le milieu universitaire pose de nombreuses difficultés. Elle est généralement comprise exclusivement en termes d’orientation vers une activité professionnelle. Mais la capacité à s’orienter est d’abord la capacité à se situer dans un espace qui constitue le milieu de formation de l’étudiant, et à s’engager dans des projets, qui, avant d’être des projets professionnels, sont des projets d’étude ou de recherche.

Quel rapport les étudiants entretiennent-ils avec le milieu universitaire ? Ils paraissent souvent avoir peu de repères dans un espace opaque pour eux. Leurs parcours, leurs démarches semblent peu diversifiés, et assez stéréotypés. L’espace universitaire est souvent appréhendé comme local, fermé, sans rapport avec d’autres espaces. Or, son appropriation nous paraît essentielle : il s’agit en effet de s’approprier un espace, mais aussi les possibilités d’action qu’il contient. En tant qu’espace complexe (physique, numérique et symbolique) organisé, les bibliothèques constituent un milieu d’apprentissage particulièrement riche.

Une socialité liée à l’apprentissage

Les compétences documentaires et informationnelles paraissent attachées à l’individu et non au groupe. Pourtant, leur acquisition, tout comme celle des autres compétences, est facilitée par les liens sociaux, soit entre pairs, soit avec les enseignants, les bibliothécaires, et les étudiants avancés.

Le phénomène récent de développement d’une socialité via les réseaux sociaux risque de créer des problèmes supplémentaires : les étudiants baignent dans une socialité numérique diffuse qui les protège d’une confrontation brutale avec les exigences du savoir. En outre, ayant peu d’expérience du travail en coopération avec leurs pairs et avec les adultes, ils restent souvent dans une forme de passivité qui ralentit la construction des savoirs.

Une socialité complémentaire de celle qu’ils connaissent habituellement peut se construire dans l’apprentissage autour des ressources documentaires, à condition que celui-ci se fasse de manière continue au long du parcours étudiant, que les personnels impliqués soient suffisamment investis dans une relation d’aide ou de formation, et que le cadre ait intégré cette fonction et lui accorde une valeur suffisante.

Mais, la fréquentation des bibliothèques et des ressources documentaires sont aussi un moyen pour l’étudiant de développer ses capacités cognitives.

Faculté de représentation et logique informatique

L’appropriation des outils informatiques documentaires pose un certain nombre de difficultés qui sont cachées aux yeux de l’utilisateur : ayant acquis sur le web des habitudes de requêtes simples avec réponse immédiate, il se contentera souvent de poser les termes qui lui viennent à l’esprit, et se découragera vite si le système ne lui fournit pas de réponse. Une interface fréquemment utilisée pourra devenir familière, et l’utilisateur reproduira alors le type de requête qui a réussi, sans chercher à découvrir les autres possibilités. Enfin, il lui sera très difficile de transférer ses acquis d’une interface à l’autre, pourtant très similaire dans sa structure.

Pour renforcer la capacité de l’étudiant à s’approprier rapidement les interfaces des applications documentaires, il faut le former à les appréhender dans leur globalité, à savoir y lire une structure, et l’entraîner à en utiliser les fonctionnalités jusqu’à acquérir la représentation d’un objet qui est largement invisible au novice.

Une autre difficulté, accrue par les habitudes prises sur le web, vient de l’écart entre la logique informatique et le langage naturel. Une manifestation de cette difficulté apparaît par exemple dans la mauvaise utilisation (ou la non utilisation) des opérateurs booléens. Là aussi, la compréhension et l’assimilation par la pratique contribueront à former l’étudiant, et à renforcer ses capacités de logique et d’abstraction.

La conceptualisation

L’apprentissage par les ressources peut également avoir un effet positif sur les capacités de conceptualisation des étudiants. En effet, c’est souvent le manque de connaissances, et l’insuffisance de matière disponible qui rendent difficile la progression dans la maîtrise des concepts ; tout autant que le manque de pratique de la réflexion personnelle ; la naïveté sur le langage ; le manque de méthode pour aborder un domaine ou un sujet nouveau.

La capacité de lecture

La capacité de lecture des étudiants peut sembler naturelle et suffisante si l’on s’en tient à une définition minimale. Elle ne l’est pas si l’on considère le niveau qui devrait être le sien à l’université. Là aussi, aux difficultés traditionnelles s’ajoutent de nouvelles : difficulté à comprendre des textes longs ou complexes ; difficulté à fixer son attention, à se concentrer, à rester seul ; pratiques de l’écrit faibles, trop rapides ou négligées.

Le contact beaucoup plus fréquent et massif avec les textes, la découverte d’écrits qui font écho à leurs propres préoccupations, la construction et la poursuite de pistes à travers les ressources, la communication et le partage autour des supports et de leurs contenus, sont autant de voies qu’une pratique encouragée des bibliothèques et des ressources documentaires pourrait faciliter.

Le rôle pédagogique des bibliothèques ne se limite pas à la possibilité qu’elles offrent à l’étudiant, par leur fréquentation et l’utilisation des ressources documentaires, d’acquérir ou de renforcer des compétences. Les services aux publics qu’elles mettent en œuvre comportent également une dimension pédagogique forte.

La dimension pédagogique des services des bibliothèques

Les services d’accueil et d’information

Certains services de bibliothèques ont une dimension pédagogique forte. Lorsqu’ils se trouvent au contact du public, les personnels ne cessent de prodiguer aux étudiants explications et conseils, et de répondre à leurs interrogations quant à l’organisation, au fonctionnement des bibliothèques, à l’accès aux ressources imprimées et numériques, et même dans de nombreux cas à des questions qui ne sont pas strictement liées aux bibliothèques et aux ressources documentaires : connexion à l’ENT,  utilisation des matériels et des logiciels informatiques, etc…

A cette information donnée en présentiel s’ajoute de manière complémentaire celle communiquée via les sites web et les divers guides, plaquettes et dépliants, de plus en plus conçus en fonction des besoins des étudiants. C’est véritablement une démarche pédagogique qui sous-tend désormais les activités des bibliothèques au contact du public étudiant.

Les services de recherche documentaire ou  de référence

Le caractère pédagogique des services de référence est également de plus en plus affirmé. La raison en est que les outils sont conçus pour une utilisation directe, non médiatisée. Le service rendu par les bibliothèques ne consiste plus à réaliser des recherches pour le public, mais à le former et à l’aider à réaliser les recherches lui-même.

Au minimum, lorsque l’étudiant a besoin de résultats dans un délai court, cela consiste à réaliser les recherches en les lui montrant et en les lui expliquant. Au mieux, à prendre le temps de l’initier et de le former de manière à ce que ces démarches ultérieures soient facilitées. Cet accompagnement peut avoir lieu avant des formations que l’on conseille à l’étudiant de suivre à la suite de premiers conseils, ou bien après pour permettre l’assimilation des acquis qui ne peut se faire que par une pratique réitérée. Les services en ligne délivrent un service comparable par des réponses qui peuvent être différées ou en temps réel.

Les formations documentaires : caractéristiques et articulation pédagogique

Caractéristiques

Les formations qui peuvent être réalisées par les bibliothèques et leurs personnels présentent un certain nombre de traits qu’il est important de prendre en compte si l’on veut éviter tout malentendu. Cela permettra de trouver une articulation pédagogique adéquate que ce soit dans les cursus ou avec des dispositifs tels que le Certificat Informatique et Internet.

Ces formations ne portent pas sur un corpus de connaissances qu’il suffirait d’acquérir une fois pour toutes. Elles sont théoriques  dans la mesure où elles font référence à des notions nouvelles pour l’étudiant, mais ces notions ou concepts sont toujours situés par rapport à un contexte local qui prend en compte le niveau, la situation, la discipline, le cadre pédagogique de l’étudiant. En outre, elles comportent une dimension pratique forte : il s’agit de former les étudiants à découvrir des ressources et leur organisation, à réaliser des démarches documentaires en vue d’un but précis. C’est à cette occasion que des notions théoriques ou des connaissances disciplinaires sont évoquées ou rappelées.

Les objectifs des formations doivent être définis dans un référentiel [1]. Mais les contenus, le déroulement des séances, les méthodes employées dans telle formation sont précisés avec le responsable pédagogique et l’équipe d’enseignants. Le personnel documentaire formateur prend en compte le groupe d’étudiants tel qu’il est, veille à connaître son niveau réel, pour, le cas échéant, pallier d’éventuelles lacunes. L’interaction avec le groupe, et avec l’enseignant lorsqu’il est présent, doit être forte pour que les étudiants soient actifs, seule manière pour eux d’acquérir rapidement les compétences visées. Les méthodes employées s’inspirent donc beaucoup plus des techniques employées en formation continue lors de stages, que des techniques traditionnelles de formation initiale.

Nous avons évoqué plus haut le rôle pédagogique des bibliothèques en tant que milieu d’interaction et d’apprentissage, ainsi que la dimension pédagogique forte de leurs services. Il est nécessaire de clarifier la distinction entre rôle et action pédagogiques des bibliothèques et formations organisées.

Le rôle et l’action pédagogiques des bibliothèques concernent l’ensemble des activités des services destinées directement ou indirectement au public. Ils constituent le résultat pour ce public d’une offre documentaire comportant bâtiments, équipements mobiliers et matériels, ressources imprimées et numériques et services. En revanche, les formations documentaires constituent une modalité d’action tout à fait différente qui se rapproche plus des activités de formation de l’Université que de celles de ses bibliothèques. Certes, elles font intervenir des personnels documentaires dont la proximité avec les bibliothèques et les ressources constitue précisément l'intérêt, mais leur conception et leur mise en œuvre s’opèrent dans le domaine de la formation, et non dans celui de la documentation.

Il s’agit donc d’une relation complexe entre deux domaines d’activité de l’université : celui de la formation et celui de la documentation. Ces formations sont à la charnière des deux, et sont capables d’enrichir à la fois la formation des étudiants et la dynamique des bibliothèques.

La place dans les cursus

Pour définir la place dans les cursus des formations documentaires, souplesse et adaptabilité dans le cadre d’un référentiel commun nous semblent de règle. Telles que nous les avons définies plus haut, elles peuvent s’insérer aussi bien dans des UE de méthodologie du travail universitaire que dans des UE disciplinaires.

Un nombre d’heures minimum, en–deçà duquel il ne paraît pas possible de faire acquérir aux étudiants les compétences correspondant à leur niveau d’études, a été défini à titre indicatif.

Quels que soient la durée, les objectifs, le déroulement des séances déterminés avec le responsable pédagogique, une validation de cette partie de leur formation est impérative. Il est important que les personnels documentaires formateurs y soient associés, tant au niveau des épreuves que de leur correction. A défaut de cette validation, la formation assurée revêtira une importance moindre que le reste de la formation, et les étudiants la négligeront.

Quels rapports avec le Certificat Informatique et Internet (C2i) ?

Les compétences documentaires et informationnelles étant largement dépendantes des compétences informatique et internet, ces formations sont conçues dans une complémentarité avec le C2i. Certes, une partie leur est commune, mais elles ont pour caractéristiques particulières de se situer :

  • dans l’appropriation des ressources et des outils dans des domaines disciplinaires déterminés ;
  • dans une pratique liée au parcours de l’étudiant ;
  • dans un environnement documentaire et informationnel hybride, qui n’est pas seulement numérique, mais aussi physique ;
  • dans une définition plus large des compétences documentaires et informationnelles débordant largement la recherche d’information.

Elles n'en sont pas concurrentes et ne prétendent pas le remplacer dans la définition et l’acquisition de certaines compétences.

La mise en œuvre

Le lien avec les bibliothèques

La proximité avec les fonctions de référence et d’accompagnement.

Le lien étroit entre les différents besoins des étudiants a pour conséquence la nécessité d’établir une liaison forte entre activités de formation, de référence et d’accompagnement.

En effet, l’étudiant a besoin de pouvoir accéder à des ressources acquises ou sélectionnées et d’être informé de leur existence, des contenus et des modalités d’accès, ainsi que de trouver des réponses aux questions de recherche documentaire qu’il ne parvient pas à résoudre. Mais il a également besoin d’apprendre à utiliser sites et services, et de pouvoir résoudre lui-même de nombreuses questions. Pour cela, il doit être formé, guidé et accompagné. A défaut, il abandonnera les efforts en concluant de manière négative, soit à l’inutilité de ses essais, soit à la mauvaise qualité des outils.

Toute une palette de possibilités d’accompagnement existe : bureaux de référence des bibliothèques ; assistance à distance ; accompagnement personnalisé sur rendez-vous ou en ligne ; monitorat et tutorat. Concevoir et organiser dans une continuité les fonctions de formation, de référence et d’accompagnement créera entre elles une synergie. Les étudiants percevront la cohérence de ces actions et recourront à ces services de manière plus régulière et continue.

La participation des bibliothèques : quels bénéfices peuvent-elles tirer de l’investissement dans la formation des étudiants ?

L’activité de formation paraît à certains éloignée du fonctionnement courant des bibliothèques. Des réticences existent, que ce soit parmi certains personnels qui considèrent que cela ne fait pas partie de leur travail, que de la part des responsables qui craignent que l’investissement des personnels dans cette activité se fasse au détriment d’activités principales qui paraissent plus nécessaires et plus légitimes.

La mention de l’activité de formation existe dans de nombreux textes statutaires. Mais les modalités de sa réalisation ne sont jamais définies et pour beaucoup, cela fait partie de la fonction pédagogique des bibliothèques que nous avons esquissée plus haut. Ainsi, l’engagement dans l’activité de formation organisée, qui requiert de la part des personnels un investissement, un goût et des compétences particulières ne peut être imposé. Il est en revanche possible de l’encourager, mais cela ne peut se faire que si l’on considère que c’est une fonction essentielle dans les bibliothèques de l’enseignement supérieur, et si on voit l’impact positif qu’elle peut avoir tant sur les personnels que sur les services.

Le bénéfice pour les bibliothèques et leurs personnels n’est pas négligeable :

  • parce qu’elles permettent une relation plus poussée entre étudiants et personnels. Du côté des étudiants, elles peuvent changer le regard qu’ils portent sur les bibliothèques. Du côté des personnels, elles leur permettent d’avoir un feed-back auprès des étudiants, de mieux connaître leurs pratiques, de mesurer leurs difficultés réelles, et de voir plus clairement le sens de leur activité ;
  • parce qu’elles permettent de réduire, même modestement, la barrière entre personnels enseignants et non-enseignants, et d’instaurer une collaboration entre eux. Cette collaboration entraînera de meilleures relations dans les autres activités des bibliothèques ;
  • parce que les personnels en réalisant cette activité, vont acquérir des compétences complémentaires à celles dont ils disposent déjà.

Mais s’il paraît souhaitable de garder ce lien avec les bibliothèques et leurs personnels, il n’en est pas moins vrai que le changement d’échelle consécutif à une réelle prise en compte des compétences documentaires et informationnelles exige de trouver des solutions plus globales. La convergence entre une volonté politique partagée par l'ensemble de la communauté universitaire et des dispositifs techniques existants nous paraît pouvoir le permettre à une échéance rapprochée.                                                                           

[1]    Le SCD de l'Université Toulouse Jean Jaurès a adopté en 2011 un référentiel élaboré par un groupe de travail.