L’accessibilité en bibliothèque : pour des lieux plus inclusifs

Rouen, 21 juin 2018

Céline Montedori

Normandie Livre & Lecture, en collaboration avec les professionnels du groupe de travail « handicap » de l’ABF, organisait le 21 juin 2018, à Rouen, une journée de réflexion autour de l’accessibilité en bibliothèque, pour aider à développer une meilleure inclusion de tous les publics et dresser un bilan de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances en bibliothèques.

Accessibilité : approche historique et politique

Autour de la diffusion du film Vivre la cité dans tous les sens – qui, sur la thématique de la ville solidaire, transmet le message qu’une ville pour tous n’est pas une utopie –, Françoise Sarnowski (membre de la commission Handicap et du réseau Alphabib) a fait part de son expérience : responsable du service Accessibilité de la bibliothèque de Rennes Métropole (Champs libres), créatrice de Bibliopass (société proposant de la formation aux bibliothèques et de la coordination de projets d’accessibilité), elle s’est passionnée pour la question de l’accessibilité dès les années 2000, lorsque le développement du multimédia a offert de nouvelles perspectives aux personnes en situation de handicap, notamment les personnes malvoyantes. Elle a rappelé quelques notions : si le handicap visible (moteur) représente 20 % des handicaps, 80 % des handicaps sont invisibles (handicaps mentaux psychologiques, surdité, troubles visuels, « dys », maladies invalidantes…). Par ailleurs, la motricité peut être réduite de façon temporaire, en lien avec un encombrement ou simplement quand on est accompagné d’enfants (poussettes et femmes enceintes). Enfin, il faut différencier l’intégration, qui est une approche biomédicale et individuelle de la situation de la personne handicapée, et l’inclusion, qui est une approche sociale et de droit.

La loi de 2005 a été capitale car elle a donné une définition complète du handicap, et du coup une reconnaissance législative qui permet un droit à la compensation pour la personne handicapée. Cette loi a permis de faire bouger les lignes, même si tout n’est pas réglé treize ans plus tard. La loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a défini la notion d’exception handicap, qui a été étendue en juillet 2016 1. Les bibliothèques publiques peuvent ainsi demander un agrément afin de diffuser des documents adaptés ou d’en faire l’adaptation.

Améliorer le confort d’usage pour les publics en situation de handicap permet de l’améliorer pour tous, car la « conception universelle » alors nécessaire implique d’anticiper les empêchements. Rendre accessible une bibliothèque se construit par un travail sur les rampes d’accès, la signalétique, les portes automatiques, le mobilier adapté, la mise à disposition de matériels spécifiques, l’acquisition de collections adaptées et aussi la bienveillance à l’accueil et lors d’accueils de groupes. Enfin, il faut bannir les idées reçues, comme « recevoir du public en situation de handicap, ce n’est que pour les grandes bibliothèques », « ça coûte cher », « ça prend du temps », « un public chasse l’autre »…

Au final, l’accessibilité et l’inclusion relèvent d’un projet global, d’une volonté politique dans le contexte d’une politique de territoire. Ces deux notions sont à intégrer dès la programmation de l’équipement ainsi que dans le projet de service. La bibliothèque doit être un lieu de citoyenneté et d’égalité, valeurs de base du service public que nous avons à défendre contre toutes les formes de discrimination. À noter, pour aider à la constitution de collections accessibles, le Centre national du livre peut être sollicité ainsi que des fondations privées. Enfin, les bibliothèques peuvent obtenir le label Tourisme et Handicap, comme la bibliothèque de Carnac, qui a également reçu le prix bibliothèque Facile à Lire.

Retours d’expériences

Christine Loquet (bibliothécaire, Livre et Lecture en Bretagne) a présenté les espaces « Facile à lire » (FALC), permettant la mise en place d’une réelle démarche inclusive, au service de tous les publics. La bibliothèque est un lieu rassurant mais des actions hors les murs sont possibles pour les personnes les plus éloignées et pour donner le goût de lire aux plus jeunes.

Le principe du FALC est de proposer un meuble dans l’entrée avec une sélection de livres de face (plus facile de choisir quand il y a peu de choix). Ces espaces sont identifiés pour tous les publics, en particulier pour ceux qui ont des difficultés de lecture, avec des sélections d’ouvrages faciles. Le public visé : les adultes, les personnes en situation d’illettrisme, avec des difficultés de lecture ou en situation de handicap, celles qui ne sont pas à l’aise dans une bibliothèque ou qui ont besoin de lectures faciles. Ces espaces peuvent se présenter sous forme de mallette à roulettes et nécessitent de la médiation et un accompagnement partenarial.

La sélection proposée (fonds multisupport : livres, CD, DVD, livres audio, BD, Flip book…) comporte des romans, des nouvelles, des récits d’apprenants, des contes, des albums, des poésies, des récits de vie, des beaux livres. Ce sont des documents illustrés, des textes courts avec du vocabulaire simple, des livres où on se retrouve, des sujets populaires, par exemple les romans de la collection « La Traversée » des éditions Weyrich. Trois sélections d’ouvrages sont disponibles en ligne.

La démarche « Facile à lire » (bientôt nationale) a été lancée en 2013 sous l’impulsion de Bibliopass, avec la création d’un kit « Facile à lire » (collection de livres critérisés et d’outils accompagnés d’un livret) et celle d’un logo « Facile à lire ». Ce projet est inspiré d’initiatives du nord de l’Europe : la Suède, les Pays-Bas, la Belgique. Il est parti d’une volonté locale de monter une action concrète auprès des acteurs du livre (les bibliothèques) pour une meilleure prévention de la lutte contre l’illettrisme. Les premiers projets se sont développés dans le cadre des « Pactes d’avenir » pour la Bretagne, grâce à une enveloppe de la DRAC : sept établissements ont été choisis (cinq bibliothèques et deux hôpitaux), chacun avait une enveloppe de 2 500 €. De plus, une résidence d’auteur était organisée autour de Frédérique Niobey, qui écrit pour les adolescents.

Un focus a ensuite été proposé sur la thématique des « dys » (dyslexie, dyspraxie, dysphasie...) avec Dorothée Goy (association GPS des DYS, Dieppe), avec la projection du film ma Dysférence réalisé en 2014 et basé sur de nombreux témoignages d’enfants dyslexiques et de leurs familles, agrémentés d’avis de spécialistes. Les enfants « dys », après que le diagnostic a été posé, bénéficient d’aménagements spécifiques. Les instituteurs sont de plus en plus sensibilisés et essaient de s’adapter, dans leurs cours, à ces particularités.

Développer l’accessibilité numérique

Marc Maisonneuve (Tosca consultants) est intervenu sur la démarche d’accessibilité numérique en bibliothèque, qui donne la capacité d’utiliser une ressource facilement et sans limite, sans restriction, par tout individu quelles que soient ses aptitudes physiques ou mentales. Le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), institué par décret en 2009, est applicable aux sites internet du secteur public français : il impose à tous les sites web de déclarer leur niveau d’accessibilité.

L’accessibilité numérique se décline autour du portail (offrir un service égal à tous les usagers), de l’accès wifi (permettre la consultation à tous, sans recourir systématiquement à la médiation), de l’accès aux postes publics et des services d’impression, et d’une réflexion autour des outils de travail (système de gestion, catalogage…).

Pour rendre accessible un portail, Marc Maisonneuve rappelle certains points : définir une charte graphique accessible, respecter dans les contributions les règles d’usage garantissant l’accès au site (textes alternatifs…), utiliser des logiciels professionnels générant des pages web conformes aux exigences des Web Content Accessibility Guidelines (WCAG), proposer des ressources numériques accessibles, mettre en place un dispositif de contrôle transparent. Par ailleurs, il est incontournable de sensibiliser l’équipe, de former les agents, de nommer un référent accessibilité et de mobiliser des moyens permettant de conduire des audits réguliers d’accessibilité. Le site Bibliothèques inclusives donne des conseils pratiques pour développer l’accessibilité en bibliothèque et apporte des ressources pour l’accueil de tous les publics en bibliothèque.