La bibliothèque accessible
État des lieux des actions et mises en œuvre
Encouragées par un contexte législatif incitatif sur l’accessibilité du bâti, le numérique et l’exception au droit d’auteur en faveur du handicap, les bibliothèques développent l’accessibilité de leurs services aux personnes en situation de handicap. Cet article fait le point sur les évolutions législatives et les actions nombreuses et variées initiées par des bibliothèques de toutes tailles pour adapter leurs services (collections, animations, communication…) afin de permettre à ces publics de bénéficier du même niveau de service que les autres usagers dans une perspective d’inclusion.
A recent law on improving accessibility in the built environment, the trend towards digitalisation and the exception to French copyright law in favour of handicapped readers have all encouraged libraries to become more accessible for disabled users. The article looks back at legal developments and the many ways in which libraries both small and large have sought to adapt their services, collections, cultural programmes, and communication strategies to the needs of disabled users to offer them the same level of services as other users, aiming to become more inclusive.
En France, 12 millions de personnes avec des parcours de vie multiples seraient concernées par le handicap, qui survient le plus souvent en cours de vie. Tout un chacun peut être touché et une personne en situation de handicap ne se réduit ni à sa déficience, ni aux incapacités engendrées. L’accueil des personnes handicapées dans les bibliothèques françaises s’inscrit dans une tradition plus large de développement des publics. De nombreuses bibliothèques ont créé des services spécifiques, et des initiatives originales en direction de ces publics sont mises en place dans des équipements de toutes tailles.
Contexte législatif
Aujourd’hui, plusieurs évolutions législatives en France obligent les bibliothèques à développer leurs services en direction de ces publics. En premier lieu, la loi du 11 février 2005 1 sur l’égalité des droits et des chances marque un changement de paradigme important : ce n’est plus à la personne handicapée de s’adapter à son environnement mais bien à la société de mettre tout en œuvre pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap. Il ne s’agit plus d’assister mais bien d’inclure ces publics en prenant en compte leurs différences.
Dans le domaine du cadre bâti, les dispositions de la loi de 2005 imposent aux bibliothèques, en tant qu’établissements recevant du public, d’être accessibles à tous. Si l’échéance du 1er janvier 2015 a été prorogée via le dispositif des Ad’AP 2, le processus est en cours et pose un cadre contraignant qui a permis de grandes avancées dans ce domaine. L’accessibilité aux sites web, inscrite dans cette même loi, est aussi une obligation légale que les bibliothèques respectent rarement, comme en témoigne le récent baromètre de l’accessibilité numérique 3.
La loi de 2005 pose, en outre, le principe d’accessibilité universelle. L’accessibilité doit ainsi être réfléchie pour tous les usagers et pour tous les services : le bâtiment, les collections, la programmation culturelle, le site internet, la communication… Il s’agit de privilégier un confort d’usage pour tous et d’adapter les services et les collections aux besoins des usagers afin de favoriser l’autonomie de tous les publics.
Enfin, la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi) a instauré une exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées. Cette disposition visait à permettre un développement de l’édition adaptée qui reste très faible en France (moins de 5 % de la production éditoriale française). Grâce à cela, plusieurs bibliothèques numériques dédiées aux personnes handicapées ont ainsi vu le jour : la BNFA (Bibliothèque numérique francophone accessible) impulsée par Braillenet ou encore la bibliothèque numérique Éole de l’AVH (Association Valentin-Haüy). La récente loi relative à la liberté de la création, promulguée en juillet 2016, élargit les bénéficiaires de cette exception aux publics « dys », rendant encore plus crucial le rôle de médiation et de veille technologique des bibliothèques dans ce domaine.
Dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, la loi du 22 juillet 2013 a renforcé la prise en compte du handicap en instaurant l’adoption d’un schéma directeur pluriannuel en matière de politique du handicap au sein des universités.
Enfin, la loi pour une République numérique 4, promulguée le 7 octobre 2016, comporte des dispositions liées à l’accès des personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles et aphasiques aux services téléphoniques. Elle prévoit que « les services d’accueil téléphonique destinés à recevoir les appels des usagers sont accessibles aux personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles et aphasiques par la mise à disposition d’un service de traduction simultanée écrite et visuelle, sans surcoût pour les utilisateurs finals et à la charge des services publics concernés ».
On pourra noter que la médiathèque José-Cabanis propose déjà un tel service gratuitement (interprétariat LSF – langue des signes française – ou transcription en temps réel de la parole).
Pour permettre l’accès des personnes handicapées aux sites internet publics, la loi impose aux administrations d’élaborer un schéma pluriannuel de mise en accessibilité, rendu public, et décliné en plans d’actions annuels dont la durée ne peut excéder trois ans. Elle rend obligatoire l’affichage sur la page d’accueil des sites, du niveau de conformité aux règles d’accessibilité. Cette obligation d’accessibilité est élargie aux « organismes délégataires d’une mission de service public ». Une sanction administrative, dont le montant ne peut excéder 5 000 €, en cas de non-respect de ces obligations, est prévue par la loi.
Les bonnes pratiques des bibliothèques
Poussées par ce cadre législatif et les évolutions sociétales qui en découlent, les bibliothécaires multiplient les initiatives.
Une bonne dose de professionnalisme alliée à une pincée de militantisme nourrit les porteurs / porteuses de ces projets inclusifs. Car il faut encore et toujours expliquer, défendre et convaincre que les projets inclusifs se développent au bénéfice de tous. Il est bien sûr difficile de faire un inventaire exhaustif, mais ces dernières années ont vu émerger des actions qui montrent qu’une dynamique est née dans la communauté des bibliothécaires. Si, il y a quelques années, les offres de service concernaient essentiellement la mise à disposition de matériels adaptés pour les personnes déficientes visuelles (télé-agrandisseur, synthèse vocale, plage braille…), aujourd’hui l’ensemble de ce qui compose les services d’une bibliothèque est pris en compte et les services numériques offrent quelques belles opportunités.
Certaines bibliothèques ont ouvert des espaces spécifiques, d’autres aménagent les espaces communs pour les rendre accessibles. En aménageant l’ensemble des espaces, on met en œuvre les principes de l’accessibilité universelle, évoqués plus haut. L’intérêt d’un espace spécifique est qu’il regroupe dans un lieu facilement identifiable, pour des personnes qui ont parfois du mal à se repérer, les ressources et les personnels. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il est souvent plus simple d’obtenir le réaménagement d’un espace plus restreint. Il est nécessaire, dans tous les cas de veiller à ne pas stigmatiser.
Proposer des collections accessibles
Les bibliothèques qui proposent des services inclusifs s’efforcent d’offrir un ensemble de documents accessibles. Elles développent aussi très souvent des fonds sur le handicap.
Un certain nombre d’entre elles ont obtenu des agréments au titre de l’exception handicap. Vingt-deux sont titulaires de l’agrément 1 qui permet, en toute légalité, d’adapter des documents, et d’autres sont également titulaires de l’agrément 2 qui permet d’obtenir, auprès des éditeurs, par l’intermédiaire de la plateforme Platon gérée par la BnF, les fichiers numériques des œuvres à adapter.
Grâce à l’exception handicap et aux compétences développées, les pôles sourds de la ville de Paris se sont lancés dans une aventure tout à fait passionnante et exigeante : l’adaptation de livres pour la jeunesse en langue des signes française. L’adaptation est filmée, gravée sur un DVD et prêtée aux jeunes sourds qui ont ainsi à leur disposition l’œuvre originale et son adaptation.
Les bibliothèques de lecture publique qui ne veulent ou ne peuvent pas elles-mêmes se lancer dans des adaptations peuvent participer à l’opération « Daisy dans vos bibliothèques » qui existe depuis 2014. Avec le soutien du Service du livre et de la lecture, la médiathèque Valentin-Haüy permet à des bibliothèques partenaires de développer une offre de lecture adaptée. Aujourd’hui, 79 bibliothèques, de toutes tailles, participent à ce projet dont l’une des forces est le soutien des bibliothécaires spécialisés de la médiathèque Valentin-Haüy.
L’offre commerciale permet également de proposer des documents accessibles. Les documents en grands caractères sont présents dans de très nombreuses bibliothèques, mais il est vrai que, s’ils offrent un vrai confort de lecture pour les personnes dont la vue baisse, ils ne conviennent pas aux personnes déficientes visuelles. Les livres audio, les DVD sous-titrés ou avec audiodescription sont également des ressources intéressantes mais il est important qu’elles soient identifiées comme telles. Il est ainsi possible de signaler par une étiquette les DVD sous-titrés ou avec audiodescription. La difficulté que peuvent rencontrer les personnes déficientes visuelles pour accéder aux menus des DVD, non vocalisés, peut être contournée grâce aux fiches téléchargeables sur le blog de la commission Accessibib 5.
Les ressources numériques, qui pourraient offrir un vrai gain en matière d’accessibilité, sont rarement conçues pour offrir un service inclusif. Les offres de presse numérique, PressReader ou Factiva, présentent une fonctionnalité de lecture audio. Un certain nombre de bibliothèques proposent à leurs lecteurs un abonnement à l’offre Vocale Presse, qui permet d’écouter, dès le jour de leur parution, près d’une cinquantaine de journaux et de magazines, mais la couverture territoriale est très inégale.
En bibliothèque universitaire, les budgets consacrés à l’acquisition de ressources numériques, articles de revues ou livres numériques, sont en constante hausse mais force est de constater que l’accessibilité n’est pas au rendez-vous. Il est d’ailleurs difficile d’obtenir des informations sur le caractère accessible ou non des ressources proposées. Pourtant l’accès à la documentation est un élément de réussite des études. Un article récent paru dans le journal Le Monde 6 est là pour nous rappeler que les parcours des étudiants en situation de handicap sont semés d’embûches.
Adapter les services
Dans certaines bibliothèques, les personnes en situation de handicap bénéficient de déclinaisons adaptées des services : préparer sur demande une sélection d’ouvrages en bibliothèque universitaire ; organiser une navette entre plusieurs sites ; allonger une durée de prêt, créer des droits spécifiques d’emprunt ; allouer une carte de photocopies gratuite ; porter des livres à domicile ; autoriser un retour dans n’importe quelle bibliothèque d’un réseau, quand bien même le retour universel n’est pas mis en place ; proposer des rendez-vous personnalisés ; numériser des documents pour les bibliothèques ayant l’agrément exception handicap de niveau 1. Ces services adaptés complètent utilement des aménagements et équipements spécifiques : boucles magnétiques à l’accueil des bibliothèques, prêt de loupes ou de lampes haute luminosité, mise à disposition d’ordinateurs équipés de logiciels spécifiques (Jaws, NVDA, ZoomText, Dragon NaturallySpeaking…).
Une expérience innovante : Milestone
Proposer des ressources et offrir la liberté de choisir : quoi de plus naturel ? Une innovation particulièrement intéressante a été mise en place à la médiathèque José-Cabanis pour permettre aux personnes déficientes visuelles de « butiner » et de choisir leurs documents en toute autonomie en utilisant un petit appareil nomade de type MP3, le Milestone 312. Le catalogue du fonds est chargé dans la mémoire de l’appareil qui dispose d’un lecteur d’étiquettes RFID. Grâce au développement d’une application spécifique, le Milestone 312, lorsqu’il est disposé sur un document détecte l’étiquette RFID. Une voix de synthèse indique alors les éléments d’identification (titre du livre, de l’album ou du film, nom de l’auteur, du réalisateur ou du compositeur…) qui guideront le choix.
En bibliothèques territoriales, la programmation culturelle permet de mettre en place des actions de sensibilisation mais aussi d’offrir des animations adaptées qui favorisent un mélange des publics. Heures du conte ou spectacles contés, lectures dans le noir, projections de films en audiodescription, animations musicales : les propositions sont multiples. De nombreuses bibliothèques proposent aujourd’hui des contes en langue des signes, comme à Massy où un comédien sourd anime, une fois par mois, les Racontines bilingues en LSF. La médiathèque Marguerite-Duras, à Paris, propose tous les mois « L’oreille ne fait pas la sieste » afin de mieux faire connaître les livres et la lecture audio et de favoriser la mixité des publics.
Toucher tous les publics
Les besoins de compensation du handicap varient selon le type de déficience et les personnes concernées. C’est la connaissance des publics et de leurs besoins qui reste la clé fondamentale pour proposer des actions. Des journées d’études sont aujourd’hui régulièrement organisées dans toutes les régions, permettant ainsi aux bibliothécaires d’acquérir de nouvelles connaissances mais aussi de partager leurs expériences. Certains publics, qui n’étaient pas ou peu pris en considération, comme les personnes dyslexiques, les personnes handicapées psychiques ou les personnes en situation de handicap mental, se voient aujourd’hui pris en compte.
En mars 2016, une journée d’étude organisée par l’ABF Bourgogne, autour des bibliothèques et du handicap psychique, a ainsi mis en valeur l’importance des collaborations avec les associations de personnes en situation de handicap psychique, les professionnels de santé et les structures d’accueil pour élaborer des projets.
L’IFLA a rédigé des recommandations pour les services de bibliothèques à destination des personnes dyslexiques, et la check-list de ces recommandations a été traduite en français par la BPI. Le 10 octobre 2016, pour la 10e journée organisée par la Fédération française des dys, de nombreuses bibliothèques ont organisé des manifestations : conférences, rencontres, présentation d’ouvrages ou de matériels. Un forum à la bibliothèque de Toulouse a permis de faire connaître auprès du grand public ce que sont les troubles dys et de présenter des dispositifs informatiques qui facilitent l’accès à l’écrit (logiciels ou applications). En Bretagne, Livre et lecture a lancé, avec la bibliothèque de Rennes Métropole, un groupe de travail régional autour de Lecture et dyslexie.
Développer le facile à lire
Née dans les pays d’Europe du nord, développée en Bretagne depuis 2014 7, la « philosophie du facile à lire (FAL) » gagne toute la France et les bibliothèques municipales, mais plus encore les BDP, qui s’en emparent comme un outil efficace d’une politique d’égalité des chances sur les territoires.
Le concept « facile à lire » (FAL) valorise une typologie de documents qui répondent aux besoins de publics différents (adultes en situation d’illettrisme, mais aussi adultes dyslexiques, populations sans pratique de l’écrit…), évitant ainsi toute stigmatisation des publics. Le plus souvent présenté dans une mise en espace innovante et attractive, le FAL est un levier qui réinterroge nombre de nos pratiques professionnelles (aménagement des espaces, politique d’acquisition, signalétique, partenariat et communication) et permet de toucher des publics éloignés de l’écrit en leur proposant des supports de lecture adaptés.
Adapter sa communication
Toucher son public, veiller à ce qu’il reçoive la bonne information au bon moment, est aujourd’hui indispensable. Lorsqu’il s’agit d’atteindre un public éloigné ou tenu éloigné de la lecture par manque d’offres adaptées, il est d’autant plus important de trouver le bon canal, le bon médium, la bonne idée ! Le bouche à oreille ne doit pas être négligé car, entre personnes handicapées, les informations, dès lors qu’elles concernent une offre intéressante, circulent vite. Il est également souvent intéressant de passer par l’entourage, les associations, qui sont aussi des relais d’information.
La commission Accessibib propose sur le site de l’ABF dix principes pour une communication accessible à tous les publics. Il s’agit de trouver un équilibre entre une communication spécifique, ciblée (lettre d’information autour des activités accessibles, développement de supports de communication spécifiques…) et une communication aisément accessible à tous (approche claire et intuitive, phrases courtes, déclinaison sous plusieurs formes, site web accessible…).
La BM de Lyon a ainsi mis en ligne une série de courtes vidéos accessibles qui présentent ses services et les médiathèques du réseau. Certaines vidéos sont en LSF : les inscriptions, les automates prêts/retour, la présentation de la bibliothèque de la Part-Dieu. D’autres vidéos sont sous-titrées et interprétées en LSF. La bibliothèque de Rennes Métropole offre également plusieurs vidéos de présentation du bâtiment et des services offerts. De même, les médiathèques de Massy proposent des présentations vidéo en LSF. Les « pôles sourds » des bibliothèques de la ville de Paris proposent également sur leur blog Bibliopi un ensemble d’articles en LSF ainsi que la présentation des cinq bibliothèques « pôles sourds » et de nombreuses vidéos en LSF sur leur chaîne YouTube Bibliopi, concernant l’ensemble de leurs actions culturelles accessibles.
L’accessibilité numérique
Le numérique offre tout à la fois une magnifique chance d’offrir des contenus adaptés ou facilitant l’adaptation de documents, mais ouvre aussi à un monde infini de contenus inaccessibles.
Une étude sur les sites publics de communication, conduite par l’association Braillenet en 2014, a montré que « le respect des obligations légales d’affichage est une pratique actuellement peu répandue. Ces résultats confortent donc l’opinion globale selon laquelle le Web des administrations est peu accessible en France ». Les bibliothèques ne font pas exception à la règle ainsi que le montre le baromètre de l’accessibilité 2016 évoqué plus haut. Le développement de services numériques accessibles par le site web – réservations, informations pratiques, agenda, consultation du compte lecteur, accès aux ressources numériques… – rend pourtant indispensable ce travail de mise en accessibilité. Pour les sites web, il s’agit non seulement de rendre l’ensemble des pages accessible, mais également de faire en sorte qu’elles le restent dans le temps, ce qui implique une formation de l’ensemble des contributeurs. La responsabilité des fournisseurs de SIGB et des éditeurs de ressources numériques est également engagée. Les bibliothèques ne peuvent avancer seules sur ces sujets qui impliquent la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs (direction des systèmes d’information, service communication, webmestre, fournisseurs… et bibliothécaires).
Grâce à l’exception handicap, des bibliothèques numériques adaptées comme Éole ou la BNFA ont pu se développer. Les bibliothèques ordinaires peuvent offrir à leurs lecteurs, parfois peu à l’aise avec les outils numériques, une aide à l’utilisation de ces équipements. Elles jouent alors parfaitement leur rôle de médiation numérique, comme lorsqu’elles proposent également des ateliers autour d’une sélection d’applications numériques ou initient à la manipulation de tablettes, qui mettent à disposition de manière native des outils d’accessibilité. À Lyon, la médiation numérique accessible est un des points forts de l’Espace public numérique de la Part-Dieu.
Mailler le territoire
Les bibliothèques départementales de prêt ont un rôle tout à fait particulier à jouer pour améliorer l’accessibilité des bibliothèques. Ce sont des relais d’importance qui permettent d’apporter un appui indispensable aux structures qui ne bénéficient pas de moyens importants. Il existe de nombreuses initiatives qui reposent, en règle générale, sur trois piliers : la formation et l’animation de groupes de travail, la mise à disposition d’outils et la rédaction de guides. Ainsi, la médiathèque d’Ille-et-Vilaine mène, depuis 2009, une politique volontariste d’appui aux bibliothèques dans leurs projets d’action en direction des publics en situation de handicap. Elle met, par exemple, à disposition des bibliothèques une malle « Lire autrement » contenant des ouvrages adaptés pour différents types de handicap, du matériel spécifique (lecteur Daisy), de la documentation sur le handicap et l’accessibilité. La direction des bibliothèques de Vendée a tout récemment édité un guide très complet « Handicaps et bibliothèques ».
Construire un projet durable
Le succès et la pérennité de toutes ces initiatives se fondent sur le projet d’établissement, la prise en compte d’une politique globale et / ou un projet territorial. Bien sûr, la méthode des « petits pas », des essais/erreurs et des expérimentations permet d’avancer, mais la consolidation passe par le soutien politique. Il s’agit réellement de faire porter à une collectivité un projet inclusif, et ce projet ne peut être uniquement l’affaire d’une ou deux personnes au risque de l’épuisement. Identifier des personnes-ressources déjà existantes ou mettre en place des personnes-ressources est un bon moyen de partager. À la BCU de Clermont-Ferrand, un référent handicap est identifié dans chaque bibliothèque universitaire du réseau. Le travail est mené en concertation avec la mission handicap de l’université. Ces commissions accessibilité qui se développent aussi dans différents réseaux de lecture publique (MDIV, Toulouse, Lyon…) permettent d’échanger et d’avoir une vision globale des projets à mener.
Enfin, il est important de pouvoir valoriser ce qui a été réalisé. Ainsi, l’espace culturel Terraqué de Carnac, à l’intérieur duquel se trouve la médiathèque, est l’un des rares espaces culturels à avoir obtenu le label Tourisme et handicap.
L’intégration dans les équipes de bibliothécaires en situation de handicap et la formation des personnels
L’intégration dans les équipes de bibliothécaires en situation de handicap recrutés pour leurs compétences peut être un levier. Plusieurs bibliothèques (la BPI, Paris – médiathèque Marguerite-Duras –, Toulouse, Troyes…) ont recruté un bibliothécaire déficient visuel chargé de la formation du public et de la veille technologique. Leur expertise, reconnue par tous, a ainsi renvoyé une autre image du handicap aux équipes. L’expérience des pôles sourds de la Ville de Paris montre aussi que le bibliothécaire sourd a un rôle essentiel dans ce projet. « Il est reconnu par la communauté sourde et c’est un médiateur indispensable pour convaincre les sourds d’oser entrer à la bibliothèque 8. » De façon générale, intégrer des bibliothécaires différents permet d’accueillir plus facilement des publics différents et de changer les représentations. Les formations suivies par les équipes lorsqu’elles font intervenir des formateurs eux-mêmes en situation de handicap sont un levier intéressant d’évolution des mentalités. Enfin, le développement de compétences techniques, permet d’offrir une expertise et un service de qualité.
La commission Accessibib
La commission Accessibib de l’ABF est un lieu d’échange d’expériences dans le domaine du handicap au sein des bibliothèques. Elle réunit des professionnels de bibliothèques publiques, universitaires et spécialisées. Elle s’attache à sensibiliser les bibliothécaires à l’accueil des personnes en situation de handicap à travers des journées d’étude et des publications dans la presse professionnelle (Bibliothèque(s) 9, BBF, Actualitté, Arabesques) ainsi que sur son blog 10 et sa page Facebook 11. Elle promeut une approche inclusive du handicap dans les bibliothèques.
Chaque année, la commission Accessibib participe aux conférences et tables rondes du congrès de l’ABF ou organise à cette occasion des ateliers 12. L’enjeu est que l’accessibilité soit traitée de façon transversale, intégrée à tous les sujets professionnels : la communication, l’évolution des métiers, le numérique, la citoyenneté 13…
Elle organise également lors des salons professionnels du congrès un stand d’édition et de matériel adaptés (smartphone adapté, lecteur nomade Daisy, livres en braille, en LSF, applications accessibles…) afin de sensibiliser aux besoins des publics en situation de handicap. Les membres de la commission se mobilisent alors pour accueillir les professionnels et donner des conseils sur les différents services pouvant leur être proposés.
Par ailleurs, elle coorganise annuellement avec la BPI et le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture une journée d’étude liée à l’actualité du handicap 14. En 2017, cette journée aura lieu le 30 mars à la BMVR de Montpellier sur le thème de l’accessibilité numérique.
Elle relaie sur son blog et sa page Facebook les initiatives, expériences et bonnes pratiques des bibliothèques en matière d’accessibilité et publie les comptes rendus des journées d’études. Elle promeut les exemples étrangers et les recommandations internationales. Deux membres de la commission participent aux travaux de l’IFLA dans les sections LSN « Library services for people with special needs » et LPD « Library services for people with print disabilities ». La commission Accessibib travaille actuellement à la traduction française des recommandations sur la dyslexie.
Elle promeut enfin une meilleure accessibilité du métier de bibliothécaire et l’intégration, dans les bibliothèques, de bibliothécaires en situation de handicap recrutés pour leurs compétences. À ce titre, elle adapte grâce à l’AVH certains manuels professionnels et la revue Bibliothèque(s) au format Daisy, accessible aux bibliothécaires empêchés de lire.
Enfin, les membres de la commission rédigent en ce moment un nouveau Mediathèmes sur le thème « Bibliothèques et handicap » qui fera un état des lieux de la question et actualisera l’ouvrage initialement publié en 2009. Il décrira le contexte juridique et institutionnel actuel, présentera des actions innovantes dans ce domaine et fera le point sur les collections, les services, les animations que l’on peut proposer aux personnes en situation de handicap en bibliothèque.
Conclusion
La richesse des projets menés par des bibliothèques de toutes tailles et de toute nature prouve que de nombreuses bibliothèques se sont engagées sur la voie de l’accessibilité. Pourtant, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. L’approche inclusive, pour être largement prise en compte, doit être envisagée systématiquement dès la phase de conception des actions. C’est toute la difficulté de l’exercice car dans les bibliothèques, comme dans d’autres services, le nombre de personnes formées à l’accessibilité et en position décisionnelle est limité.
L’enjeu majeur est aujourd’hui la prise en compte collective de nos concitoyens en situation de handicap pour leur permettre un accès équitable à la connaissance, à la culture et aux loisirs. Passer d’une approche caritative du handicap à une approche inclusive implique une transformation de notre culture professionnelle et interroge notre relation aux autres.
Au-delà de la complexité des besoins de compensation, des restrictions de budget, des obstacles à franchir, il faut puiser ses forces dans la simplicité idéale d’un projet de bibliothèque ouverte sur la cité, accueillante pour tous et toutes, en mettant encore et toujours l’humain au cœur de ses actions.