Éditorial

Anne-Sophie Chazaud

Quels que soient les siècles, les contrées ou les âges, la musique s’impose à tous telle une évidence.

Touchant dans l’instant la corde sensible de celui qui l’écoute, elle vibre dans le moment performatif de son émission, puis de sa reproduction.

Malgré la complexité des processus cognitifs qu’elle met en œuvre dans sa réception comme dans sa création, la musique convoque, quasiment sans contrôle, le spectre étendu de toutes les émotions humaines, au-delà ou en deçà du langage : « La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler » (Pascal Quignard, Tous les matins du monde).

Trois petites notes suffisent à éveiller en nous des souvenirs enfouis, des sensations oubliées, les regrets et les pleurs, le bonheur nostalgique d’une saudade, sombre plaisir d’un cœur mélancolique, la stridence d’un amour à vif pincé sur les cordes d’une sonate de Vinteuil, la sérénité presqu’innocente d’un prélude de Bach, l’insouciance d’une petite cantate, du bout des doigts, obsédante et maladroite, la joie paisible d’une comptine que l’on fredonnera peut-être de nouveau dans la grande vieillesse, les émois puissants d’un slow langoureux renvoyant aux premières amours, l’enthousiasme d’une nation, la révolte d’une lutte collective, d’un Temps des cerises ou d’un Chant des partisans, le bonheur victorieux d’un exploit sportif… L’éventail est infini, jusqu’à cette musique des sphères dont parlait Shakespeare, et qui nous revient aujourd’hui par l’observation sonore de l’univers et de ses instants premiers.

Omniprésente dans toutes les étapes de notre vie, la musique l’est aussi devenue dans une société qui a rendu cela technologiquement possible, par duplication, amplification, diffusion, reproduction, compression, comme en témoigne par exemple sa présence aux côtés du livre dans les collections de lecture publique, ce qui n’avait rien de naturel ni d’acquis…

L’irruption du numérique a, quant à elle, révolutionné le monde musical à tous les bouts de la chaîne, de la production jusqu’aux divers modes d’appropriation dont elle fait l’objet. La musique est désormais le lieu et l’enjeu d’une gigantesque tectonique des plaques économique, sociale et culturelle.

De la résolution de ces profondes métamorphoses dépendra ce qui fait l’identité même de la musique : son infinie diversité, sa radicale singularité.