Réunion annuelle d’EURIG

Françoise Leresche

Les 19 et 20 septembre 2013, le Groupe d’intérêt européen sur RDA – EURIG  1 – a tenu à Stockholm sa troisième réunion annuelle. Issu d’une initiative informelle des bibliothèques nationales de quatre pays européens très intéressés par RDA  2 (Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et Suède), EURIG a été officiellement créé en 2011. Il réunit aujourd’hui 32 membres représentant 20 pays européens, le dernier pays à avoir rejoint EURIG étant l’Islande cette année.

Les objectifs d’EURIG sont de promouvoir les intérêts professionnels des utilisateurs (ou futurs utilisateurs) de RDA en Europe, en offrant un espace de collaboration où échanger sur les questions liées à l’adoption de RDA en Europe, les processus d’implémentation ou la traduction du nouveau code, mais aussi en étant un interlocuteur du JSC  3 pour l’évolution du code et sa véritable internationalisation de manière à répondre aux besoins européens. À cette fin, Alan Danskin, représentant de la British Library, assure la liaison entre EURIG et le JSC dont il est membre.

Évolution de RDA

Début 2012, au cours d’une réunion technique accueillie par la BnF, les membres d’EURIG avaient identifié un certain nombre de points sur lesquels ils souhaitaient des modifications des règles de RDA, la priorité étant donnée aux divergences d’interprétation quant à la mise en œuvre du modèle FRBR. Un programme de travail a été défini en conséquence ; cette année, quatre propositions d’évolution de RDA ont été préparées et validées par les membres d’EURIG, puis transmises au JSC début août pour examen lors de sa réunion de novembre 2013. Elles concernent :

  • la date de l’œuvre et de l’expression  4 ;
  • la langue de l’expression  5 ;
  • le traitement des illustrations et des autres « augmentations » (préfaces, etc.) 6 ;
  • le traitement des compilations (anthologies, œuvres complètes ou choisies, etc.) 7.

À rebours, EURIG examine également les propositions d’évolution de RDA émanant des membres du JSC et donne son avis sur celles-ci, à travers sa liaison avec le JSC. Une part importante de la réunion annuelle d’EURIG est d’ailleurs consacrée à ce travail de préparation de la réunion du JSC en novembre, ce qui conditionne la date de la réunion. Parmi les 43 propositions reçues par le JSC en 2013, une sélection avait été opérée au préalable par les membres d’EURIG pour identifier les sujets les plus importants à discuter en réunion. Trois grands thèmes dominaient cette année : l’application du modèle FRBR (quatre propositions), l’internationalisation du code (cinq propositions) et l’intégration de la relation de sujet  8 dans RDA (deux propositions). Une présentation détaillée des propositions et de la position d’EURIG sur celles-ci est disponible sur le site du Groupe technique sur l’adoption de RDA en France  9.

Tour d’horizon européen

Mais la réunion d’EURIG est aussi l’occasion pour les agences bibliographiques européennes d’échanger sur les évolutions en cours du paysage bibliographique et de partager certaines de leurs initiatives.

La question de l’ouverture de données est aujourd’hui au cœur des préoccupations des bibliothèques nationales et autres agences bibliographiques, dans une tension entre la génération de ressources propres et le souci d’une large réutilisation des données sur le web. Ainsi la British Library fait payer la British National Bibliography lorsqu’elle est diffusée comme un produit régulier en MARC, mais a adopté un régime de gratuité pour la dérivation sélective de notices par Z 39.50 ; surtout, elle assure une ouverture totale de ses données pour tous les autres modes de diffusion, notamment la diffusion en RDF/XML : l’application Linked Open BNB propose des données liées et ouvertes, où l’ouverture est à fois juridique (licence CC0) et technique (formats standards du web).

D’autres pays ouvrent largement leurs données, notamment pour les produits bibliographiques dans des formats autres que MARC : c’est le cas de l’Allemagne qui pratique également la licence CC0, depuis 2011 en Bavière ou 2012 à la Deutsche National Bibliothek (où la licence CC0 s’applique aussi aux notices MARC antérieures à l’année en cours), de la Suède depuis 2007 pour la bibliographie nationale suédoise et 2011 pour les fichiers d’autorité, de l’Espagne ou de la Suisse. D’autres pays, comme les Pays-Bas, privilégient une licence avec mention d’attribution : ODC-BY ou CC-BY 2.0. Il faut noter le rôle essentiel de VIAF en ce domaine, la participation à VIAF étant pour de petits pays la première étape dans l’ouverture des données (pour les données d’autorité en l’occurrence) : c’est le cas à la Bibliothèque royale des Pays-Bas, en Lettonie ou en Islande.

Données ouvertes ne signifie pas obligatoirement données liées : c’est notamment le cas de la Suisse où la Bibliographie nationale suisse est publiée avec une licence CC0, mais dans des formats traditionnels. Si la Suède a été pionnière dans la publication de données liées et ouvertes, de plus en plus de bibliothèques rejoignent cette démarche : en Espagne avec l’application datos.bne.es, en France avec data.bnf.fr ou IdRef, en Angleterre avec l’application Linked Open BNB de la British Library, ou en Allemagne où la Deutsche National Bibliothek expose en RDF ses données d’autorité depuis 2010 et ses données bibliographiques depuis janvier 2012. Il faut également saluer le rôle de la Deutsche National Bibliothek pour conduire les réseaux de bibliothèques de langue allemande (Autriche et Suisse alémanique incluses) vers le web de données, avec le pilotage d’un Groupe de travail sur les ontologies  10 en vue de définir un modèle commun pour la représentation en RDF des données bibliographiques.

Par ailleurs la Deutsche National Bibliothek et la British Library participent au développement du modèle BIBFRAME  11, sous l’égide de la Bibliothèque du Congrès. Lors de la réunion EURIG, leurs représentants ont insisté sur les nombreuses discussions en cours (par exemple sur le traitement des données locales comme des annotations) qui font que le modèle est susceptible d’évoluer encore sensiblement. Les objectifs du modèle sont en revanche clairement posés : il s’agit de définir un modèle de données général, assez léger pour être compris par les communautés du Web et applicable indépendamment de RDA, mais capable de rendre compte de tous les éléments de RDA. Pour y parvenir, il est nécessaire de se détacher des notices MARC et de la logique qui les sous-tend, et c’est peut-être l’exercice le plus difficile pour les partenaires du projet.

Quant à la réutilisation des données ainsi exposées sur le web de données, l’expérience la plus commune est qu’aucun contrôle n’est possible sur des données ouvertes. Le maintien de la mention de source peut s’avérer problématique, ne serait-ce que d’un point de vue technique. Il s’avère également difficile d’avoir des statistiques, de savoir qui réutilise les données et comment – sauf à être contacté par les utilisateurs eux-mêmes. C’est ainsi que le Consortium des réseaux de bibliothèques allemandes qui était intéressé par la récupération des données de la British National Bibliography en RDF/XML a pris contact avec la British Library pour développer et améliorer les processus de récupération : aujourd’hui, l’import des notices fonctionne bien et est largement utilisé pour les acquisitions et le catalogage. Un tel exemple de récupération documentée et collaborative demeure toutefois assez rare.

La FRBRisation des données est une autre préoccupation majeure des bibliothèques aujourd’hui. Une première approche peut être la proposition d’une interface FRBRisée, en utilisant les outils mis à disposition par les fournisseurs de progiciels, comme Primo d’EX-LIBRIS : c’est la voie explorée par la British Library, le réseau des bibliothèques autrichiennes ou l’Islande, mais un consensus se dégage pour juger le résultat peu satisfaisant. D’autres pays ont entrepris la FRBRisation des données de leur(s) catalogue(s) à travers leur exposition dans le web de données : ainsi l’application datos.bne.es propose une FRBRisation du catalogue de la Bibliothèque nationale d’Espagne fondée sur les référentiels de l’IFLA en RDF (FRBR et FRAD, ISBD) ; même démarche en France avec l’application data.bnf.fr qui privilégie en revanche les référentiels populaires du web comme FOAF ou le Dublin Core. Enfin l’adoption de RDA, code de catalogage fondé sur le modèle FRBR, peut être l’occasion d’engager une FRBRisation, même partielle, des données. C’est le choix qui a été fait aux Pays-Bas  12 avec une réflexion en cours sur les notices d’autorité pour les Œuvres selon RDA. La création automatique de notices d’autorité pour les Œuvres fait l’objet d’une première expérimentation, limitée pour l’instant aux œuvres de fiction relevant de la bibliographie nationale. L’exploration de cette voie semble très intéressante pour limiter la charge de travail supplémentaire que pourrait entraîner un catalogage FRBRisé.

Enfin les identifiants s’affirment comme un enjeu majeur aujourd’hui. Quel rôle peuvent jouer les bibliothèques, notamment dans l’implémentation et la diffusion de l’ISNI (International Standard Name Identifier  13) ? La Bibliothèque nationale de Finlande a présenté son projet de devenir agence nationale d’attribution d’ISNI, centralisant les besoins des bibliothèques, archives et autres acteurs du monde culturel au niveau national. Une démarche similaire est aussi à l’étude dans d’autres pays comme la Norvège, la Suède ou la France. En revanche, l’ISNI a beaucoup de mal à s’imposer en Grande-Bretagne du fait de la concurrence d’ORCID  14, soutenu par le JISC  15, malgré l’accord entre ORCID et l’ISNI survenu en avril 2013.

Ce tour d’horizon donne un aperçu de la richesse et de la variété des échanges qu’EURIG permet entre ses membres, et des collaborations ou synergies qui peuvent se dessiner entre agences bibliographiques européennes – bien au-delà de la seule question de RDA et de son adoption en Europe. Celle-ci demeure toutefois au cœur des activités d’EURIG. Au moment de la réunion, une enquête était en cours parmi les membres sur les projets d’adoption de RDA (décision, échéance, etc.) 16. Et bien sûr, les évolutions du code pour le rendre plus international et accueillant aux cultures européennes domineront la prochaine réunion d’EURIG en vue de faciliter son adoption en Europe. C’est la voie choisie par la France pour rejoindre RDA dans de bonnes conditions. •

  1. (retour)↑   EURIG : EUropean RDA Interest Group. Site web : http://www.slainte.org.uk/eurig/rda.htm
  2. (retour)↑   RDA : Resource Description and Access = Ressources : Description et Accès. Nouveau code de catalogage qui remplace les Règles de catalogage anglo-américaines (AACR2), entré en application dans les pays anglo-saxons en 2013.
  3. (retour)↑   JSC : Joint Steering Committee for development of RDA. Comité de pilotage conjoint pour le développement et la maintenance du code de catalogage RDA qui regroupe des représentants des bibliothèques nationales et des associations professionnelles d’Australie, du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni et, depuis 2011, de l’Allemagne. Site web : http://www.rda-jsc.org/rda.html
  4. (retour)↑   6JSC/EURIG/Discussion/4 Representing date of works and expressions in RDA : Discussion Paper
  5. (retour)↑   6JSC/EURIG/Discussion/5 Representing language of expressions in RDA : Discussion Paper
  6. (retour)↑   6JSC/EURIG/Discussion/2 Illustrative content and other augmentations : Discussion Paper
  7. (retour)↑   6JSC/EURIG/Discussion/3 Compilations of Works : Discussion paper
  8. (retour)↑   Cette question revient à traiter de la prise en compte de l’indexation matière dans RDA, avec le développement (ou non) des attributs et relations des entités propres à l’indexation matière (Groupe 3 du modèle FRBR).
  9. (retour)↑  http://rda-en-france.enssib.fr
  10. (retour)↑  https://wiki.dnb.de/display/DINIAGKIM/Titeldaten+Gruppe
  11. (retour)↑  http://bibframe.org
  12. (retour)↑   Dans un premier temps, l’adoption de RDA aux Pays-Bas se fera dans le cadre de notices bibliographiques « traditionnelles » qui ne se limitent pas à la seule Manifestation mais contiennent de manière plus ou moins explicite des données relatives à l’Œuvre et à l’Expression – ce qui est également le cas à la Bibliothèque du Congrès ou à la British Library.
  13. (retour)↑   L’ISNI est l’identifiant international normalisé des noms, défini par la norme ISO 27729:2012. Il permet d’identifier au niveau international les identités publiques des personnes ou des organismes impliqués dans la création, la production, la gestion et la distribution de contenus intellectuels et artistiques ou faisant l’objet de ces contenus. Les personnes identifiées peuvent être, par exemple, l’auteur, l’éditeur, le traducteur, l’illustrateur ou le sujet d’une œuvre. Voir : http://www.isni.org
  14. (retour)↑   ORCID : Open Researcher and Contributor ID. Identifiant exclusivement destiné à l’identification des auteurs et contributeurs des domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche. Voir : http://orcid.org/
  15. (retour)↑   JISC : Joint Information Systems Committee. Site web : http://www.jisc.ac.uk
  16. (retour)↑   Cette enquête devrait faire l’objet d’un article en 2014, à paraître dans LIBER Quarterly.