Apprendre à gérer des collections patrimoniales en bibliothèque

par David-Jonathan Benrubi
Sous la direction de Dominique Coq
Villeurbanne, Presses de l’enssib, 2012, 179 p., 21 cm
Collection « La Boîte à outils », n° 26
ISBN 979-10-91281-01-0 : 22 €

« Ce manuel est là pour vous donner un cadre, une aide pour vous orienter, et l’indication de quelques pistes, mais il ne remplacera pas la formation continue que vous devrez acquérir par vous-même » (p. 12). La modestie de l’exergue est excessive : non seulement le bref et densissime manuel dirigé par Dominique Coq est d’une grande utilité, mais il pourrait être, indépendamment du thème, un modèle du genre. Cependant, nous avons, lecteur subjectif et irritable (ceci est une recension), deux choses à redire.

Sociolecte. 1° Même si l’on échappe de justesse à la co-construction des collections patrimoniales et qu’on est encore loin d’un « 3e fonds ancien », on observe jusque dans cet ouvrage sérieux une contamination sporadique, ici et là, du discours par le registre de la fausse prudence (diagnostic, concertation avec tous les acteurs, dialogue avec les équipes…). L’hygrométrie est rétablie lorsque Laure Jestaz souligne que la conservation est aussi un « état d’esprit », ce que nous interprétons comme un rappel du fait que, à l’instar du management ou de l’action culturelle, elle se vit et se met en oeuvre plus qu’elle ne s’écrit. Ce qui s’écrit le mieux, c’est un devis.

Le reste est littérature. 2° Or, même si l’ouvrage, lié par la personne de l’auteur principal comme par l’éditeur aux ministères de tutelle, évoque les nombreux dispositifs d’appui mis en place par l’État, il manque, à l’usage notamment des petites structures ou des jeunes chargés de collection, un large cadre budgétaire : combien coûte en gros une boîte de conservation sur mesure, la restauration d’un dos de reliure, un aspirateur à filtre absolu, un hydrographe, etc. ? Hormis le retour d’expérience de Carole Jacquet, qui mentionne deux coûts, le caractère typographique € est absent du volume. Il n’existe pourtant pas de définition non budgétaire d’une politique.

Compendium. Dans sa très grande majorité (deux premières parties, notamment), cet ouvrage est d’une très grande utilité parce qu’il joue à plein la carte du livre de référence, celui qu’on ouvre quand on a un doute précis et moins d’un quart d’heure pour le lever. Ai-je oublié les avantages respectifs du bois debout et du bois de fil ? Réponse limpide et sans fard de Séverine Lepape. Pourquoi ai-je apparemment dix types de reliure différents dans mon fonds ? Schéma, vocabulaire et surtout tableau héroïque de Fabienne Le Bars lèvent le problème. Comment identifier la technique photographique qui a produit tel ou tel document ? Le bref exposé de Patrick Lamotte simplifie la question. Mon DGS me demande, entre deux portes ou autour d’une bière, de lui expliquer le statut juridique de la protection sur un incunable acheté par la collectivité ? Réponses à tiroir de Gérard Cohen : à la norme juridique historiquement constituée s’ajoutent les règles déontologiques. Quels sont les risques d’un excès ou d’une insuffisance de vapeur d’eau dans l’air de ma réserve (HR) ? Dermestes et lépismes maudiront la synthèse efficace de Jocelyne Deschaux. Quel format choisir pour décrire ma collection ? Florent Palluault développe pour vous les sigles barbares (EAD…) en vigueur. La troisième partie – deux retours d’expérience et un bilan de l’action de l’État dans le domaine – bien qu’intéressante et écrite par trois grands noms de la profession, est plus attendue, et parfois plus problématique (ou imprécative) qu’informative, mais son obsolescence inévitable permettra de justifier une seconde édition.

Pièges évités. Compte tenu du format et de la densité, on se félicitera que certains passages obligés – il faut communiquer sur le patrimoine, il faut faire de la pédagogie, etc. – aient été largement évités. L’ensemble du livre repose utilement sur un présupposé certes discutable (mais inscrit dans la loi : il est bon et nécessaire de protéger les collections patrimoniales), évidemment non discuté (ce n’est pas le lieu) mais pour autant non martelé.

Biblia pauperum. Le choix de limiter l’iconographie et le prix de l’ouvrage permet d’exploiter à fond la mise en ligne d’images ayant valeur d’exemple  1.

Tabula. Non seulement l’information est nombreuse et dense, mais sa mise en forme – à l’exception d’un chapitre de la troisième partie, dont les listes à puce d’items à faible valeur sémantique convoquent l’ouvrage de Franck Frommer sur la pensée PowerPoint – est agréablement structurée, comme si la longue fréquentation des manuscrits et incunables avait induit chez les contributeurs, l’auteur principal ou l’éditeur, un rapport intuitif et élégant aux appels de note, au découpage des paragraphes, aux variations typographiques. Le glossaire est excellent, la bibliographie (un rituel fréquent dans nos contrées) heureusement brève.

Soft power. Nous avons écrit cette recension alors que nous étions en vacances dans le fonds patrimonial d’une bibliothèque péruvienne. Son responsable a demandé un exemplaire du manuel. Celui-ci, à l’instar du patrimoine dont il parle, contribue donc au rayonnement de la France.