Éditorial

Cécile Touitou

Entre les espaces publics régulés par l’ordre public et l’intimité de la maison où chacun fait ce qu’il veut, se trouvent les espaces hybrides auxquels appartiennent les bibliothèques, lieux de l’entre-soi dans certains cas, ou à certaines époques, mais le plus souvent, lieu de cohabitation – ou de promiscuité, c’est selon – de différents usagers qui entretiennent chacun un rapport singulier avec le lieu et ses ressources. Dans les dernières décennies, on a assisté à une contamination – fécondation – du dedans par le dehors au même moment où les bibliothèques sont un peu moins les lieux du livre pour devenir aussi des espaces, des tables et des chaises.

Dans le passé, les règles de fonctionnement s’imposaient à tous sans qu’on ait besoin de les énoncer. Aujourd’hui, l’hybridation des lieux, la mixité des publics, l’évolution des contenus offerts entraînent de facto des comportements variés. À cela, il convient d’ajouter la pression de la génération Y qui entretient un rapport différent aux institutions de transmission 1. Certains diront donc que, selon l’âge ou l’origine sociale, mais aussi tout simplement selon le moment de la journée ou l’habitude que l’on a du lieu, on peut avoir un usage plus ou moins « conforme » de la bibliothèque. Puisque la bibliothèque devient cette fabrique, ce « hub », il devient nécessaire d’y parler, d’y bouger, d’y boire et d’y manger, d’y dormir, voire d’y draguer, bref d’y vivre ! Ces règles d’usage peuvent devenir aujourd’hui sources de friction entre les usagers ou entre professionnels et usagers.

Ce dossier consacré à « La règle en bibliothèque » présente les différentes manières dont chacun s’approprie les lieux, adoptant des postures variées et exprimant ses interrogations sur ce que l’on peut ou ne peut pas faire. On verra dans ce contexte comment – pour se protéger ? – « les bibliothèques sont entrées dans l’ère du contrat » en multipliant, comme le montre Benoît Tuleu, les chartes ou contrats, mais qu’il est peut-être tout simplement nécessaire de faire preuve de bon sens, comme l’illustre le bibliothécaire jeunesse de Chicago, et pour cela, de réunir les équipes pour convenir collectivement de ce qu’il est possible – ou non – de permettre dans la bibliothèque (comme dans le réseau de Plaine Commune). On verra également les solutions trouvées pour anticiper les conflits en travaillant sur la signalétique, en mettant en œuvre une démarche « qualité de l’accueil » (au SCD de Lyon 1), en innovant de nouvelles modalités de fonctionnement ou d’organisation des espaces, comme à la BU d’Angers (certains espaces où le bruit est autorisé, d’autres non, où l’on peut manger, mais ne pas laisser de miettes), voire en levant la limitation du nombre de prêts autorisés, comme le montre Alice Billard.