Zodiaque, le monument livre

par François Rouyer-Gayette
Sous la direction de Cédric Lesec
Lyon, Éditions Stéphane Bachès – École normale supérieure de Lyon éditions, 2012, 176 p., 29 cm
Collection Tohu Bohu
ISBN 978-2-35752-157-5 : 34 €

« Zodiaque est une grande chose maintenant… et que d’œuvres il aura révélées ! » André Malraux saluait ainsi, en 1973, les éditions Zodiaque qui, entre 1950 et 2002, ont largement contribué à la redécouverte de l’art roman, en France et en Europe. Conçus dès l’origine comme de véritables « bréviaires visuels » pour aider à la visite des églises romanes et pour en révéler la dimension spirituelle, ces ouvrages font une très large place à la photographie.

Cet essai collectif de regards croisés d’historiens de l’art analyse, sous un angle inédit, la fabrique éditoriale de ce beau succès littéraire et de cette belle entreprise poétique. Car il s’agit bien avant tout d’émotions qu’il faut évoquer pour ceux qui ont croisé du regard le dos de la collection « La Nuit des temps » étalant de toute leur hauteur de larges puissantes capitales sur fond blanc. Prendre dans ses mains ces « monuments de papier », c’est rendre palpable un souvenir enfoui, c’est lui redonner vie comme une éternelle commémoration, c’est interroger notre rapport au temps, à celui d’une vie inscrite dans le déroulement et voulu comme un « zodiaque » mystérieux dont on voudrait tenter d’en percer le secret.

Révéler l’art roman

Les éditions du Zodiaque ont été créées en 1950 par dom Angelico Surchamp  1 au monastère Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire (Morvan) pour publier la revue Zodiaque. Son but était de parcourir l’histoire de l’art à la recherche des grands symboles, notamment médiévaux. En 1954, plusieurs fascicules de la revue ont été regroupés en un volume sous le titre La Bourgogne romane. Son succès fut tel, que ce sera le premier titre de la collection emblématique « La nuit des temps  2 », servie par le talent, entre autres, des photographes Jean Dieuzaide  3 et Pierre Belzeaux  4. La collection « Les Points cardinaux » présentera ensuite de grands textes littéraires en regard d’œuvres majeures du patrimoine artistique (une trentaine de volumes), avant que ne soit créée la collection « Introduction », consacrée à l’art médiéval. En 1989, les éditions Zodiaque lanceront une collection de synthèses thématiques sur l’art roman, « Les Formes de la nuit » puis, à partir de 1995, une collection sur l’art gothique « Le Ciel et la Pierre » avant de s’intéresser à l’art religieux de la Chine, de l’Inde, du Tibet, de l’Afrique noire dans le cadre de la collection « La Route des mages ». En 1998, la collection « Les Grandes Saisons de l’art chrétien » traitera des autres facettes de l’art chrétien en commençant par l’art byzantin et marquera le début d’une collaboration avec les éditions Desclée de Brouwer, qui rachèteront la marque en 2002.

L’invention d’une historiographie

Si l’art roman faisait l’objet d’un engouement particulier depuis les années consécutives de la Première Guerre mondiale, comme nous le rappelle Roland Recht dans ses propos introductifs, c’était principalement en raison de la conviction des idéologues de l’époque que celui-ci était intimement lié au terroir, au peuple. Parallèlement, la décontextualisation des formes issue du cubisme offrira l’hypothèse d’apparenter la sculpture romane à l’expression d’un primitivisme permettant d’en comprendre l’origine. En questionnant cette vision d’une époque idéalisée, dom Angelico Surchamp ajoutera l’ingrédient de la foi chrétienne proclamant : « Le vrai génie de l’art roman est d’être un art populaire fait pour et par un peuple chrétien. » Cependant, l’unité de forme (la maquette) ne saurait masquer une mutation importante qu’analyse Philippe Plagniaux dans son important article, « Le double discours de l’image ». En renonçant petit à petit à la collaboration exclusive de clercs, en confiant la plume aux autorités de l’archéologie médiévale et de l’histoire de l’art, c’est la tonalité de l’ensemble qui évoluera pour s’inscrire durablement à la fois dans l’historiographie du livre d’art illustré tout en participant de cette querelle sur le sens de l’art sacré. Dès lors, petit à petit, on verra se déplacer le champ de l’art médiéval vers une vision univoque de l’art roman dont les éditions bourguignonnes seront le fer de lance. Pour mettre en scène l’hagiographie de cette Histoire, chaque monographie du Zodiaque proposait dans chacun de ces livres un « second », celui qu’on lit avec les yeux et dont l’effet visuel spirituel donnera naissance à un Moyen Âge rêvé.

Le discours de l’image

Par l’utilisation faite de la photographie, le Zodiaque imposera cette vision fantasmée de l’art roman, telle que la présente Cédric Lesec dans sa riche contribution, « Révéler l’architecture romane – Zodiaque et la photographie ». Nous assisterons à la naissance d’un discours par l’image grâce aux reproductions en héliogravure rassemblées dans un cahier, nous immergeant dans un espace abstrait en noir et blanc absolument détaché de toute présence humaine. Le choix d’un point de vue, la proximité du détail, forcent insensiblement le lecteur à pénétrer dans le monument. Tel est le dialogue que les animateurs des éditions ont voulu établir avec le public, fût-il profane. Les photographies ont ainsi acquis une existence propre, un paradigme indifférent de l’objet photographié pour mettre en place une esthétique reposant sur le dialogue de l’ombre et de la lumière, pour percer le mystère du « sacré ».

Riche de quatre importantes contributions, d’un entretien avec dom Angelico Surchamp, d’annexes précises, Zodiaque, le monument livre, coédité par les éditions Stéphane Bachès et l’École normale supérieure de Lyon, se présente comme une approche sensible de la forme et du fond offrant à chacun d’entre nous une poétique du vide d’une intense sensibilité.

  1. (retour)↑  Dom Angelico Surchamp (1924) médiéviste, spécialiste de l’art roman, musicologue et fondateur des éditions du Zodiaque est moine bénédictin au monastère Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire. Ancien disciple d’Albert Gleizes, il poursuit son activité de peintre en exposant régulièrement ses œuvres et en prenant part à la réalisation de fresques.
  2. (retour)↑  Collection « La Nuit des temps » 1954–1998 ; 88 volumes illustrés en noir et en couleur (jaquette) – 23 cm.
  3. (retour)↑  Jean Dieuzaide (1921 – 2003).
  4. (retour)↑  Pierre Belzeaux (1922 – 2005).