« Penser et agir en tant qu'espèce »

RdL, La Revue des Livres, n° 8, novembre-décembre 2012

par Thierry Ermakoff
Paris, RdL, 80 p., 30 cm
ISSN 2118-5700 : 5,90 €

Il en est des revues comme de la littérature ; tandis que nos tables, nos sièges, nos escaliers croulent sous les piles de livres qui parfois pourraient avantageusement s’effondrer, émergent quelques ouvrages qui feront date, comme on dit, ou constituent un écrivain et son œuvre ; ainsi de Leslie Kaplan, de Patrick Deville, ou de François Cusset pour cette rentrée 2012.

On les achète, en général, les unes comme les autres, dans des librairies tenues par de vrais libraires : on peut y trouver, en vrac, Mouvement et Mouvements, Vacarme, Alliage et, il y a quelques années, une nouvelle venue : La Revue Internationale des Livres et des IdéesLa RiLi, pour les intimes –, qui, après quelques vicissitudes liées à ce genre de production, si particulier et pourtant si nécessaire, a reparu sous un nouveau titre, nouveau format et même concept intellectuel : La Revue des Livres. Lorsque Jérôme Vidal, directeur de la publication, et, par ailleurs, gérant des éditions Amsterdam, était venu parler de ce projet à l’Enssib, projet qui s’inspirait, de loin, de la London Review of Books, nous sentions que cette naissance pouvait modifier le regard des lecteurs que nous sommes, le tirer vers le haut, le réveiller d’un lent mais certain assoupissement que les publications courantes pouvaient induire, surtout en hiver.

De quoi s’agit ? D’une revue qui s’intéresse principalement aux sciences humaines et sociales, et qui vise, plus précisément à « réarmer la pensée critique ». Elle s’appuie sur trois parties : des recensions, dont un nombre significatif, par choix éditorial, sont issues d’ouvrages non traduits (en général en anglais – États-Unis, Grande-Bretagne, Inde…), longues, parfois très longues, et que vive le temps long qui nous permet d’entrer dans la pensée et l’œuvre de l’auteur ; on a pu lire un texte très dense à propos du livre de Saul Alinsky, Être radical. Manuel pragmatique pour radicaux réalistes (Aden, 2012), une critique du livre de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, (Fayard, 2008) ; une partie consacrée à un portrait et aux entretiens, ainsi ceux de Noam Chomsky, Fréderic Lordon, Jacques Rancière, et une partie consacrée aux expérimentations politiques, sociales, dont, par exemple, la communauté Emmaüs Lascar-Pau, présentée par Paul Ariès. Cette revue bimestrielle est, par ailleurs, thématique : « Être radical » (n° 5), « Liberté et pouvoir » (n° 6), « La révolution du salaire » (n° 7), « Penser et agir en tant qu’espèce » pour le dernier numéro paru, de beaux programmes fort bien conçus.

Dans tous les numéros, comme pour la défunte RiLi, toute la place est laissée à un artiste plasticien, qui accompagne les textes, photographe (Will Steacy pour les décombres laissés par Katrina), dessinateur (trice : Céline Guichard), peintre (Aurélie William Levaux), pour n’en citer que quelques-uns.

Comme Alliage, comme Mouvement, comme tant d’autres, les textes bien souvent ne vivent que grâce à leur visibilité acquise en revue ; ces revues sont indispensables. Celle-ci allie un projet intellectuel et politique dont les bibliothèques doivent s’emparer pour, comme on disait, ouvrir les débats.

Et il n’en coûte que 45 euros par an à la collectivité, pour 6 numéros et 1 hors-série ; autant dire que c’est quasiment offert.