Questions de littérature légale

Du plagiat, de la supposition d'auteurs, des supercheries qui ont rapport au livre

par Raphaële Mouren

Charles Nodier

Préface de Maxime Rovere
Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011, 250 p., 17 cm
Collection « Rivages poche / Petite Bibliothèque »
ISBN 9 782743 622886 : 8,15 €

Les éditions Rivages ont eu la bonne idée de rééditer en poche la deuxième édition des Questions de littérature légale de Charles Nodier (1828), dont la lecture est aussi amusante qu’instructive. Dans un monde où la notion de droit d’auteur est encore mal délimitée, ce qui permet tous les abus d’un côté comme de l’autre (vols aussi bien qu’accusations calomnieuses), Charles Nodier, en vingt-trois courts chapitres, définit toutes les sortes d’écritures qui ne relèvent pas de l’invention nouvelle mais trouvent leurs racines dans les écrits du passé. Son objectif est de montrer que « les palmes de la littérature avaient pu souvent être livrées à des hommes dénués de délicatesse et d’honneur, qui ne regardaient la carrière du talent que comme un des chemins de la fortune ».

Vrai plagiat et faux génie

Dans les premiers chapitres, qui servent d’introduction à la question du plagiat, Nodier s’arrête à tout ce qui n’est pas du plagiat, tout en consistant en la réutilisation du travail d’autrui, qu’elle soit honnête ou malhonnête : l’imitation des anciens, la réutilisation de thèmes connus (antiques en général), la citation, la réminiscence, l’allusion… Il est plutôt porté à l’indulgence, et égratigne davantage les calomniateurs et les accusateurs que ceux qui ont été accusés à tort, à son goût, d’avoir utilisé le travail d’autrui de manière malhonnête. Il s’amuse à moquer les obscurs dont on a oublié le nom, et qui auraient été copiés par les auteurs dont la postérité reconnaît le génie. Il méprise l’Académie française et son dictionnaire collectif, idée absurde pour lui, comparé à celui de Furetière. Il aime à relever les exagérations réelles ou supposées : tel auteur aurait une fois cité une tragédie d’Euripide intégralement. Pour Nodier, le plagiat, c’est « l’action de tirer d’un auteur (particulièrement moderne et national, ce qui aggrave le délit) le fond d’un ouvrage d’invention, le développement d’une notion nouvelle ou encore mal connue, le tour d’une ou de plusieurs pensées ».

L’auteur se heurte cependant à une difficulté : même en catégorisant à l’extrême, comme il le fait en identifiant de nombreuses catégories, chaque cas est particulier. Il lui faut, pour que son goût personnel et l’admiration qu’il voue à un auteur ne soient pas mis à mal, faire appel à des arguties. Certaines de ses catégories lui échappent : ainsi à propos « de la cession d’ouvrages », il ne trouve pas d’exemple à donner.

Mais la véritable cible de Nodier, ce sont les écrivains médiocres. Le chapitre « Des écoles en littérature » décrit ainsi en parallèle le déclin de la littérature dans le monde latin et celui de l’époque contemporaine : les écoles littéraires, favorisant le plagiat, le pastiche et toutes les catégories décrites auparavant par Nodier, mettent en œuvre des systèmes pour « suppléer au défaut du véritable génie ». L’auteur profite de ce chapitre pour égratigner allègrement un certain nombre d’auteurs, y compris parmi les plus célèbres.

Ce petit livre est également l’occasion pour Nodier de montrer sa connaissance des auteurs des siècles passés ; ainsi pour le XVIe siècle défilent sous les yeux du lecteur Étienne Dolet, Gabriele Faerno, Paul Manuce, Nizolius, Henri Estienne… Dans un jeu rhétorique, aux noms les plus célèbres (Pascal, Montaigne, Voltaire), pas toujours épargnés par ses piques, succèdent les obscurs, comme par exemple, à propos des vols littéraires, celui de Mme Deshoulières accusée d’avoir volé les poésies de Hénault. Dans ce travail présenté comme sérieux (« j’ai tout vérifié, tout rectifié, tout modifié », écrit-il dans l’avertissement de la seconde édition), enrichi d’un apparat critique de notes, de longs extraits propres à prouver ce sérieux, s’appuyant sur les travaux érudits comme les Mémoires de Niceron ou la Gallia Christiana (avec renvoi au volume et à la page), Nodier ne s’interdit pas les pirouettes ni les moqueries envers ceux qu’il n’aime pas.

Bibliologie et impostures : quand Nodier mène l’enquête (littéraire)…

Très présent dans son livre, donnant son avis, indiquant ses préférences, Nodier ne parle pourtant jamais en qualité de bibliothécaire, alors qu’il a dédicacé son livre, dès la première édition, au bibliothécaire de Besançon, avec qui il travaille depuis 1798, M. C. Weiss. À partir du néologisme créé par Gabriel Peignot, il décrit la « critique bibliologique » en désignant en réalité la critique littéraire, touchant au contenu même des livres et pas aux objets : « Quoiqu’il soit du ressort de la critique bibliologique d’indiquer les circonstances auxquelles on peut distinguer ceux de ces ouvrages qui ont un caractère réel d’authenticité de ceux qui sont évidemment contrefaits, et que cette espèce de renseignement soit presque indispensable pour la direction des lectures des gens du monde… » Nodier pourtant se livre à l’exercice de chercher à résoudre l’énigme d’un livre dont, dit-il, on ne sait pas trop s’il a existé, le De tribus impostoribus, dans le chapitre « De la supposition de livres », à partir de l’étude des catalogues de ventes et de la recherche d’exemplaires ; ce cas est une « question de bibliologie très célèbre ». La terminologie n’est pas tout à fait fixée et bibliologie est tout aussi bien, chez Nodier, synonyme de bibliographie et même de philologie.

Deux siècles plus tard, la lecture de ce petit livre est indispensable pour qui, littéraire, historien, historien d’art, a affaire à des textes qui sont rarement des inventions nouvelles, mais imitent, pastichent, rappellent les œuvres du passé et s’en nourrissent.