Eugène Morel et la section des Bibliothèques modernes
Une réflexion sur la formation professionnelle des bibliothécaires au debut du XXe siecle
Eugène Morel reste connu pour ses diatribes contre les bibliothèques de son temps et pour son projet de « librairie publique », la bibliothèque moderne qu’il appelle de ses vœux. La voie pour atteindre cet idéal passe par la mise en place d’un véritable enseignement professionnel pour les futurs bibliothécaires. Morel développe donc un ambitieux projet de formation dans La Librairie publique. Les conférences de la section des Bibliothèques modernes, entre 1910 et 1914, ne représentent qu’un volet de ce projet ; elles furent toutefois un lieu d’échange fécond entre les bibliothécaires progressistes du début du XXe siècle, ainsi que l’occasion de développer une vision extrêmement moderne des bibliothèques et du métier de bibliothécaire, qui nous parle encore aujourd’hui.
Eugène Morel is remembered for his diatribes against the libraries of his day and for his project for a modern system of public libraries. He held that the path to achieving his ideal lay in establishing proper professional training for future librarians. His essay La librairie publique lays out an ambitious training programme. The conferences for the section of modern libraries, held between 1910 and 1914, were just one aspect of his project. They offered a rich forum for debate for forward-thinking librarians of the day as well as the opportunity to develop an extremely modern vision of libraries and librarianship as a profession, which is still highly relevant today.
Eugène Morel ist bekannt für seine heftige Kritik an den Bibliotheken seiner Zeit und für sein Projekt des „öffentlichen Buchladens“, die moderne Bibliothek, die er herbeiwünscht. Der Weg, um dieses Ideal zu erreichen führt über die Einführung eines wirklichen berufsbezogenen Unterrichts für die zukünftigen Bibliothekare. Morel entwickelt also ein ehrgeiziges Ausbildungsprojekt in Der öffentliche Buchladen. Die Konferenzen der Fachgruppe moderne Bibliotheken zwischen 1910 und 1914 stellen nur einen Teil dieses Projektes dar; sie waren gleichwohl ein Ort des produktiven Austauschs zwischen den fortschrittlichen Bibliothekaren Anfang des 20. Jahrhunderts wie auch die Gelegenheit, eine äußerst moderne Sichtweise der Bibliotheken und des Bibliotheksberufs zu entwickeln, die uns noch heute etwas sagt.
Eugène Morel permanece conocido por sus diatribas contra las bibliotecas de su tiempo y por su proyecto de “librería pública”, la biblioteca moderna que él anhela. La vía para alcanzar este ideal pasa por la instalación de una verdadera enseñanza profesional para los futuros bibliotecarios. Morel desarrolla entonces un ambicioso proyecto de formación en La Librería pública. Las conferencias de la sección de las Bibliotecas modernas, entre 1910 y 1914, sólo representa una vertiente de este proyecto ; éstas fueron sin embargo un lugar de intercambio fecundo entre los bibliotecarios progresistas de principios del siglo XX, así como la oportunidad de desarrollar una visión extremadamente moderna de las bibliotecas y del oficio de bibliotecario, que nos habla aún hoy en día.
Titulaire d’un master 2 d’histoire médiévale, agrégée d’histoire, Lydie Ducolomb est actuellement conservateur au service commun de la documentation de l’université Claude Bernard–Lyon 1, responsable adjointe du département des Services aux publics.
Eugène Morel (1869-1934) reste pour nous ce bibliothécaire de la Bibliothèque nationale qui, au début du XXe siècle, mit sa plume critique et acérée au service de la cause des bibliothèques modernes : Bibliothèques 1 et La Librairie publique 2 sont unanimement considérés comme deux des textes fondateurs de nos métiers 3. Moins connue est l’action qu’engagea Morel dans le domaine de la formation des bibliothécaires, en convergence avec sa réflexion sur la nécessaire évolution du métier. Sa conception de ce « personnel neuf 4 », construite à une époque où les catalogues sur fiches étaient à la pointe de la modernité, nous apparaît pourtant d’une étonnante actualité 5.
La nécessité d’une formation professionnelle pour les bibliothécaires
En ce début de XXe siècle, la seule véritable formation pour les bibliothécaires est celle de l’École des chartes, fondée en 1821, qui dispense un enseignement de bibliographie et de bibliothéconomie. En effet, au cours du XIXe siècle, le métier de bibliothécaire s’est spécialisé et professionnalisé, notamment pour ce qui est des activités de classification et de catalogage. L’apparition de nouvelles formes de recrutement (validation de l’expérience, prise en compte des diplômes, examens professionnels) sanctionne la reconnaissance de ces compétences professionnelles spécifiques.
Ainsi, suite à la création du certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) en 1879 dans le cadre des bibliothèques universitaires, des examens professionnels sont progressivement mis en place et deviennent le passage obligé pour qui souhaite devenir bibliothécaire dans les principales bibliothèques françaises. En conséquence, le profil de l’« homme de lettres » n’ayant reçu aucune formation spécifique à la gestion d’une bibliothèque et recevant ce poste comme une sinécure tend à disparaître. Au début du XXe siècle, la nécessité d’une formation pour les bibliothécaires est donc unanimement reconnue, mais quasiment inexistante en dehors de l’École des chartes. Les autres candidats aux fonctions de bibliothécaire doivent se préparer seuls, par des visites ou par la lecture des manuels de bibliographie ou de bibliothéconomie qui se développent dans les années 1880–1890 6.
C’est dans ce contexte qu’Eugène Morel développe son projet de formation pour les bibliothécaires, qu’il expose dans La Librairie publique 7. Une première réalisation voit le jour en 1910 avec la section des Bibliothèques modernes, créée dans le cadre de l’École des hautes études sociales 8 : fondée à l’initiative de Morel et avec l’appui de la toute jeune Association des bibliothécaires français 9, cette section des Bibliothèques modernes constitue une première expérience brève mais marquante de formation spécifiquement destinée aux bibliothécaires. Les bibliothécaires du futur tels que les conçoit Morel devront en effet développer de nouvelles compétences afin de rendre possible l’avènement de la « librairie publique », la bibliothèque moderne qu’il appelle de ses vœux.
Former des bibliothécaires « neufs »
C’est sur le modèle des librarians qu’il a rencontrés en Grande-Bretagne et aux États-Unis que Morel décrit, dans La Librairie publique, le bibliothécaire de demain, celui qu’il souhaite former : « Il faut exciter sans cesse le public, le fournir de renseignements de toute sorte, chercher pour lui, non dans d’insipides catalogues, mais en place, les volumes ou documents les plus utiles, suivre l’actualité, dresser à chaque moment l’état des ressources de la librairie sur les sujets les plus divers : une guerre, des tarifs douaniers, une loi sociale, une invention nouvelle… 10 »
Si l’admiration pour le modèle bibliothéconomique anglo-saxon est toujours bien implantée aujourd’hui dans le milieu des bibliothèques françaises, tout autant l’est l’image du bibliothécaire au service de l’usager, prêt à « chercher pour lui » le document correspondant à sa demande. On sait à quel point le service est désormais au cœur des préoccupations des bibliothécaires ; ce service a largement dépassé le cadre du simple prêt de documents, en faveur duquel Morel militait et dont la généralisation était encore une étape à franchir à son époque.
Mais, au-delà de la fourniture des « volumes ou documents les plus utiles » au lecteur, l’objectif visé par Morel et ses pairs serait de lui procurer directement l’information dont il a besoin. Ainsi, à la section des Bibliothèques modernes, fut vantée l’utilité des catalogues alphabétiques de matières 11. Ce n’est pas un hasard non plus si Morel convia les pères de la documentation moderne, Paul Otlet et Henri La Fontaine 12, à venir s’exprimer devant ses étudiants pour imaginer que l’on remettra bientôt au chercheur non pas un ouvrage, mais un dossier constamment mis à jour et enrichi contenant directement les informations recherchées 13.
Au-delà de l’accès à internet qu’offrent les bibliothèques d’aujourd’hui à leurs lecteurs, comment ne pas penser aux services de questions-réponses en ligne et autres « guichets du savoir » que proposent de nombreux établissements ? De même, c’est spontanément que les bibliothèques « [suivent] l’actualité » de nos jours, organisant une exposition à l’occasion de tel ou tel événement, publiant des blogs ou des revues… Paradoxalement, en imaginant des répertoires, des catalogues sur fiches, de monumentales bibliographies, des montagnes de papier, Morel et ses pairs dessinent les contours des services, virtuels ou en présentiel, que propose la bibliothèque aujourd’hui. L’interrogation qui est toujours la nôtre et fait parfois débat est celle de savoir jusqu’où doivent s’étendre ces services : jusqu’où la bibliothèque doit-elle s’investir dans des activités de formation, proposer des animations variées, sortir de ses murs à la rencontre des publics ? Morel en tout cas était convaincu du rôle social de la bibliothèque, ou plutôt de la « librairie publique », dans la cité 14.
Les conférences de la section des Bibliothèques modernes (1910–1914)
Pour ce bibliothécaire neuf, dont la définition est toujours d’actualité, Morel conçut un programme de formation spécifique dont la section des Bibliothèques modernes devait être une première étape. Ce premier enseignement prit la forme de cycles de conférences et se déroula sur quatre années consécutives, de 1910 à 1914. Une cinquième série de conférences avait été prévue pour l’année 1914-1915, mais n’eut finalement pas lieu, la France étant entrée en guerre début août 1914. Morel a semble-t-il tenté de reconduire le programme en 1915-1916, mais sans succès 15. La Grande Guerre a donc mis un terme définitif aux conférences sur les bibliothèques modernes.
Il est possible de connaître le programme des conférences grâce au Bulletin de l’ABF, qui en a scrupuleusement rendu compte dans ses pages. C’est toujours grâce à l’ABF qu’une partie d’entre elles a pu être publiée : les trois volumes de Bibliothèques, livres et librairies, parus en 1912, 1913 et 1914, contiennent en effet les textes d’une partie des conférences présentées les trois premières années 16 ; des exemplaires de ces trois volumes furent distribués gratuitement aux membres de l’ABF. C’est par ces trois volumes que nous pouvons nous faire une idée plus précise du contenu de cet enseignement. Nous apprenons aussi, par l’« Avertissement » que rédige Morel pour le premier volume 17, qu’un début de formation pratique avait été mis en œuvre en marge des conférences données en 1910 et 1911 : il s’agit de la réalisation du catalogue de la bibliothèque de Levallois-Perret, publié en 1913, première utilisation en France de la classification décimale de Dewey.
Les conférences des bibliothèques modernes ont semble-t-il été une réussite, mais il est difficile d’en retrouver des traces hors de brèves mentions de leur « succès » dans le Bulletin de l’ABF. Eugène Morel lui-même se félicite de leur « succès croissant » : « L’ambition de créer à Paris un enseignement moderne des bibliothèques pouvait paraître folle il y a deux ans. L’accueil fait aux conférences instituées à l’École des hautes études sociales autoriserait aujourd’hui bien des espérances 18. »
Les conférenciers invités par Eugène Morel partagent ses idées progressistes sur l’évolution des bibliothèques. Beaucoup sont membres de l’ABF (30 sur les 58 mentionnés dans le programme des cinq cycles de conférences) 19. Bon nombre d’anciens élèves de l’École des chartes intervinrent également dans le cadre de ces conférences, malgré les critiques virulentes de Morel contre l’enseignement prodigué par l’École 20. Tous les conférenciers ne sont d’ailleurs pas des bibliothécaires, ce qui témoigne de l’ouverture que Morel souhaitait donner à cet enseignement. Ainsi, les pères de la documentation, Henri La Fontaine et Paul Otlet, furent les invités d’honneur du premier cycle de conférences ; leur présence témoignait du soutien de l’Institut international de bibliographie à l’entreprise de Morel. Le concours du Cercle de la librairie se manifesta par la présence de plusieurs éditeurs et imprimeurs, tels Henri Bourrelier, directeur de la librairie Armand Colin, et Alfred Humblot, directeur de la librairie Ollendorf 21. Enfin, citons deux conférenciers au profil plus atypique : Paul-Théodore Vibert, qui donna le 10 février 1911 une conférence sur les « bibliothèques commerciales 22 », était journaliste et économiste, attaché au ministère de la Marine et des Colonies ; Auguste Rondel, venu parler de « la bibliographie dramatique » et des « collections de théâtre » le 4 décembre 1912 23, était un banquier dont la riche collection fut à l’origine du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale, après le don qu’il en fit en 1920. Cette ouverture aux autres métiers du livre, et surtout à d’autres compétences dans le domaine de l’information et de la communication, nous semble naturelle aujourd’hui et est parfaitement intégrée à la formation des futurs bibliothécaires ; en témoigne l’intitulé des DUT qui leur sont proposés : « Métiers du livre », ou encore « Information communication, option métiers du livre ».
Un programme novateur
Morel juge donc que l’enseignement dispensé par l’École des chartes, trop axé sur l’histoire médiévale et la paléographie, ne prépare pas au métier de bibliothécaire tel qu’il le conçoit 24. Il insiste sur la nécessité d’élargir le recrutement des bibliothécaires en favorisant d’autres compétences (celles des librarians américains) et d’autres savoirs : « Deux spécialités se sont jusqu’ici presque exclusivement disputé les bibliothèques : la littérature et l’histoire. En ouvrant aux hommes – aux autres – des bibliothèques générales, il faudrait surtout chercher à varier un peu les compétences et les influences 25. » Cette affirmation reste hélas encore trop vraie de nos jours : le concours de conservateur par exemple exige avant tout une culture générale dans les domaines de l’histoire, de la littérature et des sciences humaines 26, et bien peu des conservateurs nommés dans des bibliothèques scientifiques ont à l’origine une connaissance intime des disciplines représentées dans leur établissement.
Le programme de la section des Bibliothèques modernes, tel qu’il a été établi en juin 1910, avant le début des conférences 27, est inspiré de celui de « l’Association des Librarians anglais » ; Morel y définit les connaissances que doivent acquérir les futurs bibliothécaires selon trois grands axes, autour desquels s’articulent les différentes conférences.
Le premier axe concerne la « Connaissance du livre » ; il s’agit d’un panorama général de la production, de l’édition et du commerce du livre après 1750, ce qui laisse de la place, comme on l’a vu, aux différents professionnels des métiers du livre invités par Morel, mais assez peu pour le livre ancien, autour duquel est centré l’enseignement de l’École des chartes.
La deuxième partie du programme s’intitule « Classement et recherches – Bibliographie », ce qui inclut la documentation. Il s’agit d’une science alors récente, le terme « documentation » au sens de « action de rechercher des documents pour appuyer une étude » n’étant apparu qu’en 1870 ; le véritable essor de la documentation et de la bibliographie, et leur distinction d’avec la bibliothéconomie, date des années 1880. Il sera aussi question des catalogues (« formes et usage, exercices pratiques ») et de l’indexation des livres et des périodiques. Morel fait donc une large place aux sciences bibliographiques modernes, car les bibliothécaires du futur devront maîtriser parfaitement ces compétences dont on commence alors à considérer qu’elles forment le cœur du métier, les techniques qui lui sont propres. Elles apparaissent nécessaires à l’établissement des outils qui aident le lecteur à se repérer dans la masse de documents qui lui est offerte. Force est de constater que même si aujourd’hui la tendance est à relativiser la place du catalogage dans nos professions, la réflexion sur le signalement des documents est plus que jamais d’actualité à l’heure d’internet. L’informatisation des catalogues et des bases de données a démultiplié les possibilités de la recherche documentaire, tout en introduisant de nouveaux modes d’organisation de l’information et en associant de nouveaux métiers aux bibliothèques.
Le troisième axe du programme, intitulé « Les bibliothèques », sera une présentation des bibliothèques en France et à l’étranger, et notamment de la « librairie publique » que Morel voudrait voir apparaître en France. Il sera aussi question de la « pratique de la profession de bibliothécaire » et des divers domaines dans lesquels celui-ci peut être amené à intervenir : « Construction et aménagement intérieur des bibliothèques. Mise en place et conservation des livres et périodiques. Administration. Registres courants, rapports et statistiques, publications. Les examens professionnels. La carrière. Rôle social du bibliothécaire. » Le souci que manifeste Morel du fonctionnement matériel des bibliothèques – bâtiments, administration – témoigne là encore des nouvelles préoccupations d’une profession en pleine évolution. Par ailleurs, Morel n’oublie pas non plus que les bibliothèques, pour fonctionner, ont besoin de « petites mains » – copistes, dactylos ; les femmes sont pour lui les bienvenues pour ce type d’emploi, ainsi que pour les sections jeunesse qu’il aimerait voir se multiplier 28.
Un prélude à une formation spécifique et organisée pour les bibliothécaires
Cependant, Morel voit bien plus loin que ces conférences, qui ne sont pour lui qu’un début. Exposant son projet dans La Librairie publique, il envisage de créer par la suite « un cours libre, mais régulier, conférant en trois ans non pas un brevet, mais le droit au stage 29 ». En effet, « ce brevet ne peut être… mérité que par un stage. Ce n’est que dans la pratique des bibliothèques que l’on peut réellement connaître le métier 30 ». Il s’agirait de stages brefs, de trois mois, que l’on pourrait accomplir en France ou à l’étranger, sous l’égide de l’ABF, et qui n’auraient rien à voir avec les stages interminables et non rémunérés qui étaient alors le préalable incontournable à tout poste dans une grande bibliothèque parisienne.
Pour obtenir le brevet final, il faudrait assister aux conférences, acquérir une expérience pratique lors de stages, rédiger un mémoire, et réussir un examen comportant des questions écrites et orales. Morel se base là encore sur le modèle de la Library Association anglaise, dont les examens portent sur des questions concrètes et pratiques (bibliographie et catalogage, mais aussi comptabilité et administration par exemple). Il imagine qu’en France, ces diverses épreuves se dérouleraient sous le patronage de l’ABF, et que l’ensemble (cours et exercices pratiques, stage) permettrait d’apprécier suffisamment les qualités et compétences des aspirants bibliothécaires. Ainsi, suite à une formation complète, le recrutement de bons bibliothécaires recommandés par l’ABF serait assuré.
Même si les différents éléments mentionnés par Morel ne sont pas organisés de la même façon dans le cadre des formations dispensées aujourd’hui aux futurs bibliothécaires, ils sont toujours bien présents : acquisition de connaissances théoriques, exercices pratiques, stages professionnalisants, mémoires et rapports font partie des formations dispensées aux professionnels des bibliothèques, avant ou après réussite au concours. Les concours de la fonction publique exigent par ailleurs de la part des candidats un certain nombre de compétences et de savoirs spécifiques aux métiers des bibliothèques. L’ABF enfin ne joue pas le rôle de garant de la qualité des futurs bibliothécaires que Morel espérait la voir endosser, mais elle dispense toujours des formations et délivre le titre d’auxiliaire de bibliothèque 31.
La section des Bibliothèques modernes disparut avec la Première Guerre mondiale mais ne resta pas sans suite. En 1923 fut fondée l’École franco-américaine, rue de l’Élysée, par Jessie Carson. Eugène Morel y enseigna jusqu’en 1926, et l’école ferma en 1929. La brève existence de cette école marqua cependant durablement la profession, notamment Gabriel Henriot, qui tenta de maintenir un enseignement de la bibliothéconomie, d’abord au sein de la bibliothèque Forney, de 1930 à 1936, puis dans le cadre de l’École de bibliothécaires de la rue d’Assas, au sein de l’Institut catholique de Paris 32. Ce n’est qu’en 1963, avec la création de l’École nationale supérieure des bibliothécaires (ENSB), qu’une formation des bibliothécaires fut véritablement institutionnalisée en France. L’ENSB deviendra Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) en 1992. D’autres formations existent à ses côtés dans le cadre des universités, des CRFCB et du CNFPT 33 selon le diplôme ou le concours visé.
Quel est l’héritage d’Eugène Morel ? Il s’agit sans doute d’une conception globale du rôle que le bibliothécaire doit jouer dans la société : informer, communiquer ; rendre service, permettre l’accès de tous à la culture. Les compétences et les savoirs à mettre en œuvre pour remplir ce rôle ont été profondément bouleversés depuis le XXe siècle, et notamment depuis l’avènement de l’informatique et du web, mais la fonction essentielle du bibliothécaire reste bien la même. Une formation adaptée le préparant à ce métier spécifique est donc toujours aussi indispensable. •
Novembre 2011