Lectures et lecteurs à l’heure d’Internet
Livre, presse, bibliothèques
Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2011, 256 p., 24 cm
ISBN 978-2-7654-1000-3 : 40 €
L’ouvrage Lectures et lecteurs à l’heure d’Internet. Livre, presse, bibliothèques nous est proposé alors que les interrogations sur la lecture « à l’heure d’internet » se font de plus en plus pressantes. L’univers de référence qui sous-tend les comportements étudiés ici comme les réflexions des auteurs est bien l’usage d’internet. Mais c’est d’abord la littérature imprimée qui est l’objet privilégié des pratiques de lecture dont traite la majorité des contributions de la quinzaine d’auteurs réunis ici par Christophe Evans. Il va s’agir ici de circonscrire la place de la lecture de l’imprimé, et par là de la culture, dans un monde de plus en plus numérique, ou, plus prosaïquement, comme le souligne l’ensemble des auteurs, un monde où la « culture de l’écran » gagne régulièrement du terrain. C’est avec ce constat comme arrière-fond que cet ouvrage réunit un ensemble d’informations et de réflexions particulièrement pertinentes et éclairantes pour comprendre les pratiques de lecture de textes imprimés aujourd’hui.
Une crise de foi
L’ouvrage, privilégiant l’approche sociologique, s’organise en quatre parties : après avoir posé le cadre et les principaux constats en matière de lecture de textes imprimés et une exploration des modalités de lecture qui se développent en interaction avec les technologies numériques (1re partie), des explorations particulières de lecteurs et de lectures sont regroupées en terme d’âge (2e partie), en terme de genres livresques spécifiques (3e partie) et enfin selon différentes modalités d’usages des bibliothèques (4e partie). Le pari de « faire le point sur les pratiques de lecture contemporaines à partir de données quantitatives et qualitatives reposant sur des enquêtes de terrain » est largement tenu si l’on accepte la représentation dominante, telle que la rappelle Christophe Evans dans son introduction : « Lire, c’est lire des livres et plus particulièrement des romans. »
Avec Bernard Lahire, la lecture et la culture semblent les grandes perdantes de l’aventure numérique. Aussi l’intérêt de son apport réside-t-il moins dans une vision de la lecture renouvelée par le numérique que dans le repérage des transformations importantes dans le rapport des Français à la culture et de ce qu’il appelle « un certain étiolement de la culture classique ». Prenant appui sur Valéry, qui voulait « alerter les lecteurs quant au possible dépérissement des valeurs culturelles et spirituelles traditionnelles » (p. 18), il procède à une analyse circonscrite de l’évolution des rapports de force entre « cultures savantes » ou « légitimes » et « cultures de divertissement », « culture générale » et « cultures spécialisées », « culture scientifique » et « culture littéraire et artistique ». Selon l’auteur, il s’agit d’une véritable « crise de foi » en la légitimité culturelle, qui s’accompagne de mélanges, d’oscillations et d’écarts dans les conduites pouvant aller jusqu’à la « coexistence des contraires chez les plus diplômés » : « Il devient de moins en moins rare de voir des personnes à fort capital scolaire s’autoriser certaines échappées dans des univers musicaux, littéraires, télévisuels, etc., beaucoup moins légitimes » (p. 25).
L’apport d’Olivier Donnat montre à quel point l’interprétation des comportements observés est complexe et soulève de multiples interrogations. Bien connu pour ses travaux sur les pratiques culturelles des Français, celui-ci reconnaît qu’« il est plus que jamais difficile de rendre compte de la réalité de la lecture » (p. 27). En effet, « l’effritement régulier des forts lecteurs », autant pour la lecture sur papier de la presse quotidienne que des romans, s’accompagne d’un vieillissement et d’une féminisation du lectorat. Si O. Donnat repère bien un éclatement des relations qui existaient entre « la matérialité des objets imprimés, les discours qu’ils portaient et les manières de lire » (p. 38), les nouveaux supports et les nouveaux usages des textes lui semblent s’inscrire dans une dégradation de la lecture.
Différents angles d’analyse
Bien que certains apports s’appuient sur des rapports ou des travaux déjà publiés, l’intérêt bien réel de cet ouvrage vient de la richesse des différentes perspectives d’analyse proposées. Par exemple, la lecture des adolescents est vue tantôt dans un contexte de professionnalisation, tantôt par rapport à un genre spécifique de lecture comme celle des magazines. C’est un nouveau comportement de lecteur qui se dessine, manifestant des attentes inédites de décentrement, de pluralisme et de sélection quant aux contenus. L’analyse des pratiques de lecture des mangas constitue un autre exemple de nouveau lieu de lecture où l’environnement numérique des réseaux sociaux, forums de discussion, blogs, vient prolonger les expériences de sociabilité mises en scène par ces bandes dessinées. Le chapitre sur la lecture à voix haute, pratiquée aussi bien par des anonymes que des acteurs de cinéma, des chanteurs célèbres, des rappeurs, des écrivains, montre bien comment « la découverte du texte par la voix » permet en fait de faire « reconnaître, respecter, préserver la liberté interprétative » dans la transmission des textes.
On l’aura compris, l’ouvrage est riche de réflexions et d’avancées permettant de mieux comprendre les évolutions en cours. À condition toutefois de ne pas prendre à la lettre le titre du premier chapitre, « La lente dévaluation des formes culturelles littéraires et artistiques », vision trop nostalgique des inconditionnels du livre papier. La lecture de cet ouvrage invite plutôt à conclure comme Christophe Evans dans son introduction : « Entre permanence, déclin et renouveau, l’avenir des pratiques de lecture est ouvert. »