Musique numérique en bibliothèque

Janou Neveux

Réflexions et retours d’expérimentations sur la musique numérique ont jalonné la journée organisée par le groupe Alsace de l’ABF (Association des bibliothécaires de France) le 11 avril 2011 à Cernay.

Entre halo et aura : un rôle spécifique à jouer pour les bibliothèques

Aujourd’hui, après la révolution internet dans la diffusion de la musique, toutes les cartes sont sur la table. La musique « fluide » concentrée dans quelques lieux virtuels s’écoute partout. Les supports d’écoute, dénommés « soniels » par Gilles Rettel  1, caractérisant les reproductions d’œuvres quels que soient leurs supports, restent très matériels.

L’aura de l’œuvre d’art diminue avec la distance (disque par rapport au concert, ubiquité par rapport au support dédié), comme le disait Walter Benjamin. Gilles Rettel prolonge ce concept par le halo, qui est le travail d’appropriation de l’œuvre par celui qui l’écoute.

Les bibliothèques peuvent être des lieux où rayonnent cette aura et ce halo en facilitant l’accès aux œuvres par l’exposition et le temps. Rendons donc les bibliothèques inspirantes, dégageons-les de trop de collections, scénarisons les lieux, suscitons la curiosité et l’activité. Plusieurs expérimentations sont en cours et apportent plusieurs types de réponse à nos interrogations.

Les bornes musicales

L’expérience assez récente de Laxou s’appuie sur la borne de Crystal Zik  2 : 300 disques compacts de la scène locale nancéenne ont été numérisés et sont accessibles sur une table d’écoute placée bien en vue dans la médiathèque  3. Le succès est encore mitigé : curiosité du public mais peu de téléchargements. Les plus intéressés sont les artistes locaux, qui espèrent toucher un public plus large que celui de leurs concerts. Myriam Tritz-Meyer souhaite y intégrer une émission musicale d’une radio locale. Toute la partie communication reste à développer pour sortir de la confidentialité.

« Soutenir la création indépendante, c’est préserver la diversité culturelle », tel est le slogan de la médiathèque de Gradignan  4. C’est sur ce principe qu’a été mise en place la première borne Automazic  5 en novembre 2007 (29 actuellement sur toute la France) contenant des œuvres d’artistes sous licence libre ouverte et hors circuit de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem)  6 et qui permet l’écoute et le téléchargement sur tous types de supports.

Sylvette Peignon a voulu aller plus loin : un accord a été passé avec la fédération de labels CD1D  7 pour intégrer leurs artistes sur la borne. Les discussions précédant l’accord de partenariat ont été parfois ardues, notamment pour faire reconnaître aux différents protagonistes la médiathèque comme un lieu de diffusion et de médiation culturelles. Par ailleurs, les négociations avec la Sacem pour arriver à un tarif de droits raisonnable par téléchargement ont duré plus de deux ans. Les usagers de la médiathèque de Gradignan se sont approprié cette offre à côté de l’emprunt traditionnel de disques compacts qui reste prédominant. Le dépôt de musique sur la borne, après accord des bibliothécaires, et l’intégration d’œuvres du domaine public et de textes littéraires est en projet.

Écoute à distance

L’expérimentation alsacienne  8 propose une écoute à distance. Xavier Galaup  9 a travaillé avec MusicMe  10 sur une double offre à accès distant :

  • une « radio  11 » programmée par les bibliothécaires sans inscription en bibliothèque ;
  • l’écoute en ligne à partir du catalogue de MusicMe après inscription via les bibliothèques.

L’accord commercial passé avec MusicMe est appelé à évoluer pour remplacer le paiement à l’acte par un forfait. L’expérience a démarré en mai 2010.

Dans le Bas-Rhin, Mediason 67  12 regroupe six bibliothèques du réseau de la bibliothèque départementale qui établissent des webradios accessibles à partir de leur portail et inscrivent ceux qui le souhaitent au service complet de MusicMe. Le bilan présenté par Caroline Kolb est de 247 inscrits et de 13 000 écoutes dont 5 300 extraits de 30 secondes. Une enquête de satisfaction est en préparation. Pour le Haut-Rhin et son réseau Calice68, Bruno Neveux, de la médiathèque de Guebwiller  13, compte 70 inscrits au service de MusicMe qui ne sont pas les habitués des plates-formes musicales sur internet. Cette bibliothèque ayant des liens très étroits avec les musiciens locaux, il leur conseille de se faire référencer sur MusicMe, seule façon d’y intégrer les artistes de la scène locale.

La bibliothèque musicale, troisième lieu ?

Xavier Galaup  14, encore lui, explore des pistes pour adapter le concept de bibliothèque troisième lieu à la bibliothèque musicale : concevoir la bibliothèque comme l’un des carrefours de la vie musicale, un lieu où le public peut se déplacer en se disant qu’il s’y passe toujours quelque chose. Comment ? En animant l’actualité musicale locale par des images et du son ; en démultipliant les entrées dans les collections, en surprenant ; en organisant des jeux de découverte des collections. Et tout d’abord, en donnant la place aux usagers en proposant des salons de musique, en mettant des instruments de musique, des méthodes d’apprentissage, des outils de musique assistée par ordinateur, des jeux vidéo musicaux à disposition.

Et imaginons un troisième lieu hybride mêlant bibliothèque virtuelle et lieu physique : des usagers découvrent un groupe musical en écoutant la webradio de la bibliothèque, ils téléchargent le fichier, ils viennent à la bibliothèque remixer un morceau avec les outils de MAO et y laissent le fichier remixé, les bibliothécaires repèrent ce morceau, organisent un concert qui sera filmé et déposé sur les réseaux sociaux web…

Pour en arriver là, il apparaît important que les bibliothèques, qui dans leur grande majorité restent dans l’expectative, expérimentent elles aussi ces modèles ou d’autres encore. Ces expériences multiples dessineront les contours des bibliothèques musicales de demain et le cap de l’incertitude et de l’inquiétude sera franchi. •