Les résidences d’écrivains en Grande Région
Journée d’étude au Centre Pompidou Metz
Évelyne Herenguel
La journée d’étude du 27 mai 2010, intitulée « Les résidences d’écrivains en Grande Région 1 : un autre rapport à l’écrit et au territoire », était organisée au Centre Pompidou Metz avec le soutien de la direction régionale des affaires culturelles (Drac) et du Centre régional du livre. Cette journée était le résultat de la convergence de deux projets complémentaires : un projet de politique culturelle en région Lorraine 2 et un projet de valorisation à l’échelle transfrontalière des résidences d’écrivains implantées en Grande Région 3.
Elle était l’occasion de préciser l’inscription territoriale des résidences d’écrivains, à la différence des autres résidences d’artistes plutôt conçues comme des aides à la production, qui impliquent souvent une seule structure et des contenus culturels généralement déterritorialisés. En effet, les résidences d’écrivains, qui réunissent des opérateurs culturels locaux très divers autour d’un même projet de création, proposent un nouveau rapport à l’écrit et au territoire. Elles offrent ainsi une chance de questionner la place du livre dans un territoire donné, de rencontrer de nouveaux publics et d’interroger le rôle de l’écrit dans notre rapport à l’espace, à l’intime et à l’altérité. Par ailleurs, elles permettent de soutenir budgétairement la création littéraire, car les écrivains sont restés les « parents pauvres » de l’économie culturelle.
Cependant, avant de mettre l’accent sur les expériences de la Grande Région, Thierry Grognet 4 a resitué les évolutions et caractéristiques des résidences d’auteurs à l’échelle nationale. Son introduction a signalé le foisonnement des modèles, une grande variété des lieux d’hébergement, des modalités d’organisation, des modes de restitution auprès du public et des procédures pour la sélection des auteurs.
Son étude met également en évidence le caractère expérimental des procédures, avec ses malentendus et ses méconnaissances qui nécessiteront des clarifications et des préconisations. En effet, entre les demandes des collectivités publiques qui souhaitent favoriser la création contemporaine, faire de d’éducation artistique et culturelle ou encore valoriser la mémoire collective des territoires, et les attentes des auteurs, pas toujours préparés aux multiples interventions publiques demandées, des questions se posent.
Les animateurs de trois tables rondes ont ensuite questionné l’ensemble des partenaires de la chaîne du livre sur les modalités d’accueil en résidence – structure unique ou réseau de lieux dédiés au livre –, sur les éventuelles spécificités de la création littéraire en résidence et sur les formes de rencontres interactives avec les publics.
Structure unique ou réseau de lieux dédiés à l’écrit ?
Dans les Vosges, la résidence « La pensée sauvage 5 » accueille un auteur par an, qui entre dans la ligne éditoriale de la résidence, à savoir changer de genre littéraire. Olivier Dautrey élabore alors une convention avec l’auteur sur les bases des critères du Centre national du livre, sans commande particulière, et lui propose un cadre différent, un espace « isolé » hors du temps, favorable à la concentration et au travail d’écriture.
La résidence du Château de Pont d’Oye 6 en Belgique accueille quant à elle neuf auteurs, l’été, pour trois semaines, dans un château du XVIIIe siècle à la portée romanesque incontestable. Les auteurs doivent avoir déjà publié au moins un ouvrage et avoir un projet d’écriture « en panne ». Ils sont sélectionnés par un jury composé de personnalités du monde littéraire qui cautionnent la qualité de la résidence. À la différence de l’exemple précédent, les auteurs n’ont pas de salaire pendant ce laps de temps, alors que la rémunération est la question centrale de la problématique des résidences. En revanche, des conditions moins monacales favorisent la convivialité entre les auteurs et la rencontre avec le public en fin de séjour.
À Forbach, lieux de résidence et d’écriture ne se superposent plus. L’écriture naît de la rencontre directe avec d’anciens mineurs ou indirecte avec les témoignages collectés 7. Le projet d’hommage aux mineurs maghrébins des houillères, porté par les collectivités publiques et une association, réunit de nombreux partenaires comme l’université Paul Verlaine de Metz, les centres sociaux, un musée, une bibliothèque… L’auteur en résidence, Jean-Paul Wenzel, a la charge de restituer, sous une forme romanesque, le travail de collecte auprès de la population locale. De nombreuses interventions publiques ont été programmées dans différents lieux, culturels ou non, emblématiques du territoire. L’édition d’un coffret littéraire et documentaire doit clore le travail. L’écrivain devient ici un passeur de mémoire qui participe non seulement de l’animation culturelle d’un territoire mais aussi de sa cohésion sociale.
Quelles sont les spécificités de la création littéraire en résidence ?
Pour l’ensemble des auteurs et quel que soit le projet d’écriture, projet personnel ou commande publique, la résidence apporte les contraintes nécessaires et indispensables à la production d’écrits. Comme l’a dit Jacques Jouet – écrivain bien connu pour ses prestations dans l’émission Les papous dans la tête –, l’inspiration mobilise quatre « endroits » : le désir d’écrire, la langue, les livres des autres et le monde. La résidence est une situation idéale de « déplacement » qui stimule les actes de lecture et d’écriture, riche de rencontres et de défis, propices à renouveler l’inspiration.
Les résidences sont aussi, comme le montre le travail de Lambert Schlechter avec « Escales des lettres » dans le Pas-de-Calais, des temps d’échanges littéraires entre écrivains sur une thématique commune et un temps de rencontres inédites et inoubliables avec les publics autour d’un texte à restituer. Elles sont également l’occasion d’expérimenter de nouvelles formes d’interventions publiques. Pour la médiathèque de Bar-le-Duc par exemple, l’accueil de Thierry Lefebvre, écrivain en résidence, a enclenché une nouvelle logique partenariale autour de l’écriture en direction des publics dits difficiles. Toutes les rencontres ont été fructueuses et productrices d’écrits.
Autre exemple, à l’université de Metz, l’accueil de Jacques Jouet en résidence est l’occasion de faire entrer la pratique de l’écriture dans l’université française à l’égal de ce qui se pratique déjà aux États-Unis ou au Québec. Mais les enjeux de cette résidence ne sont pas seulement institutionnels. Ils sont également pédagogiques, avec l’objectif de conduire les étudiants vers d’autres lectures et de les aider à comprendre comment fonctionne la pratique scripturale. Il s’agit pour l’université de réhabiliter l’imaginaire et d’aider les étudiants à conceptualiser la notion d’œuvre à travers une rencontre avec un écrivain.
Pour l’association Kalame et l’université de Metz, la pratique d’ateliers d’écriture est également un maillon de la chaîne du livre. La résidence place en effet le public au cœur du processus d’écriture, où, sous conduite d’experts (écrivains et médiateurs), les publics peuvent renouer avec la lecture et l’écriture par un biais ludique, sans jugement, dans le respect de l’individu. Comme si le triptyque écrivain, médiateur et public garantissait la démocratisation culturelle de l’écrit.
Les résidences permettent enfin la création d’une dynamique autour d’un équipement culturel dans une logique de réseau entre les établissements culturels, éducatifs et sociaux, les libraires et les éditeurs. Cependant, la Grande Région, riche de ses trois langues, le français, l’allemand et le luxembourgeois, voudrait maintenant élargir la notoriété nationale de ses auteurs. Outre le soutien à la création littéraire, elle envisage donc des aides à la diffusion des œuvres, à la traduction, mais aussi la mise en réseau des acteurs du livre et l’identification des porteurs de projets-résidences de son territoire transfrontalier.
En ouverture de la manifestation nationale « À vous de lire ! », la journée s’est terminée par la lecture des textes de Mathias Enard, Jacques Jouet, Lambert Schlechter et Jean-Paul Wenzel écrits en résidence dans la Grande Région.