La bibliothèque du géologue

Du tiré à part à l’alerte internet automatique

Christian Beck

L’auteur relate brièvement l’évolution – sur les quarante dernières années – de sa façon de procéder à des recherches bibliographiques. Il prend l’exemple de sa discipline (les géosciences) à la fois naturaliste et tournée vers la physique et la chimie, où les données peuvent avoir des sources et des supports très variés.

The author gives a brief account of his forty years’ experience of bibliographical research as a professional geologist. He draws on his own field, at the juncture of earth science, physics, and chemistry, which all offer very different approaches to sources and documentation in terms of data provision.

Der Autor schildert kurz die Weiterentwicklung seiner –über die letzten vierzig Jahre– Art und Weise, bibliografische Recherchen durchzuführen. Er nimmt das Beispiel seines Wissensgebietes (die Geowissenschaften), gleichzeitig naturalistisch und an Physik und Chemie orientiert, wo die Daten sehr unterschiedliche Quellen und Datenträger haben können.

El autor relata brevemente la evolución – en los últimos cuarenta años – de su manera de proceder en investigaciones bibliográficas. Toma el ejemplo de su disciplina (las geociencias) a la vez naturalista y volcada hacia la física y la química, donde los datos pueden tener fuentes y soportes muy variados.

Témoigner de quarante ans de pratique bibliographique (au sens le plus large) dans une discipline scientifique expérimentale et d’observation (en l’occurrence la géologie) revient, comme pour beaucoup d’autres disciplines, à balayer l’énorme évolution (voire « révolution ») qui sépare les deux étapes extrêmes citées en titre. C’est aussi admettre qu’à partir d’une certaine époque on a diminué, voire cessé totalement ses fréquentations de la familière bibliothèque universitaire (BU), édifice central – au sens propre et au sens figuré – du campus. L’augmentation des résultats disponibles, d’une part, et l’accélération de la diffusion/récupération de ces derniers, d’autre part, caractérisent ces dernières décennies, l’évolution de cette recherche bibliographique étant parallèle et indissociable de celle de la discipline elle-même. Ces tendances auraient pu figurer en bonne place, à titre d’exemple, dans l’ouvrage Accélération récemment publié par le sociologue allemand Hartmut Rosa  1. Revenons sur quelques étapes principales.

Au début des années soixante-dix

Passer du statut d’étudiant à celui d’apprenti chercheur, c’est le privilège de découvrir toute une partie inconnue de sa bibliothèque universitaire : passer de l’étage des livres et manuels à celui des revues scientifiques. Pour le champ disciplinaire évoqué ici (les géosciences), les données graphiques (cartes, diagrammes, panoramas explicatifs dessinés avec une grande précision comme l’exemple de l'illustration), et photographiques (terrain, cristaux, fossiles, microscopies) sont aussi importantes en volume que les textes ; de ce fait, la consultation des revues imprimées est essentielle. Les photocopies sont alors à faire avec parcimonie et la qualité de reproduction des photos est médiocre. L’on se constitue alors, petit à petit, une précieuse microbibliothèque personnelle faite de tirés à part sortis, eux, des imprimeries. Les premiers que l’on archive sont offerts (souvent dédicacés) par les tuteurs et les autres membres du laboratoire, et chacun se fabrique sa petite carte de visite bilingue spéciale pour solliciter l’envoi de tirés à part auprès des chercheurs étrangers ; l’arrivée d’une grosse enveloppe cartonnée couverte de timbres d’un pays lointain est un événement. L’essentiel des revues est alors édité par des sociétés savantes. Peu ciblées à l’intérieur de notre discipline, ces revues (bulletins) vont se spécialiser et, partant, se multiplier, en liaison avec la création de sociétés spécialisées, elle-même liées aux nouveaux objets de recherche et/ou à des nouvelles techniques analytiques. On peut citer à titre d’exemple les revues internationales Meteorites et Radiocarbon, la seconde étant consacrée exclusivement aux travaux de datation par la méthode du carbone 14 ; on est loin de The Journal of the Geological Society ou du Bulletin de la Société géologique de France avec leur éventail de publications, large à la fois sur le plan méthodologique et sur le plan géographique. Pour comparaison, l’éditeur Elsevier propose actuellement, sur son site Sciences Direct, environ 375 titres de revues uniquement dans le domaine des sciences de la terre et des planètes ; on est loin des quelques dizaines de bulletins des sociétés savantes du même domaine dans les années cinquante. Des raisons de tous ordres peuvent être invoquées pour cette « explosion », auxquelles il faut ajouter l’évolution même de notre champ disciplinaire, passé en un demi-siècle du très naturaliste aux confins de la physique et de la chimie.

Illustration
Illustration extraite du mémoire de doctorat de 3e cycle de Bernard Mercier de Lépinay, 1981. © Département de géotectonique de l’université Pierre et Marie Curie et département des sciences de la terre de l’université de Savoie.

Printemps 2007

Le bruit court qu’il y a eu de l’eau liquide et des lacs sur la planète Mars. Quoi de plus simple pour chercher des informations sur ces recherches que de connecter son ordinateur portable (par wi-fi dans le hall d’un aéroport !) au site internet de la Nasa  2 et découvrir quasiment en direct les photographies prises par le véhicule télécommandé Opportunity. S’agissant des publications, la démarche est identique : consultation des sites des principaux éditeurs avec des abonnements en ligne, consultation des sites internet des collègues qui mettent à disposition, sur la Toile, leurs articles et mémoires. Durant les congrès et séminaires nationaux ou internationaux, la circulation des clés USB d’un ordinateur portable à un autre constitue l’essentiel de la transmission entre collègues. L’influence des moyens informatiques et télématiques se fait sentir également par la publication directement en ligne ; certaines revues ne paraissent plus du tout sous forme imprimée, mais sont exclusivement consultables par voie électronique. Enfin, comme beaucoup de collègues, l’auteur de ces lignes a choisi un petit nombre de revues (les plus proches de ses propres recherches) et demandé à être averti, par un courriel – alerte – signalant la parution d’un nouveau numéro.

Entretemps, une autre évolution s’est produite : celle du livre spécialisé. Entièrement rédigé par un auteur, ou un petit nombre d’auteurs, il a, dans un premier temps, fait place à des ouvrages regroupant, sous un chapeau commun, des contributions de différents auteurs (les readings). Puis cette démarche a été relayée (ce qui constitue la tendance actuelle) par la réalisation de special issues par beaucoup de revues. Ces numéros spéciaux, un peu plus consistants que les bulletins habituels, font pour la plupart suite à un congrès spécialisé sur un thème précis. Imprimés, et parfois acquis indépendamment d’un abonnement à la revue impliquée, ils sont en bonne place sur les étagères et constituent une première approche bibliographique appréciable pour les jeunes stagiaires et doctorants débutants.

Si l’on regarde la situation actuelle du service commun de la documentation (SCD) de l’université de taille moyenne où exerce l’auteur de ces lignes, elle reflète le compromis, difficile, entre l’imprimé et l’électronique (données stockées localement et possibilités d’accès à la Toile). S’agissant de la recherche, le choix a été fait d’investir une part importante du budget dans l’accès en ligne de grandes sociétés d’édition ; ces décisions sont parfois douloureuses car elles concernent plus le domaine des sciences et techniques que les domaines arts-lettres-langues et sciences humaines. En parallèle, et indépendamment de notre SCD, le CNRS  3, auquel sont rattachées nos unités mixtes de recherche (UMR), finance l’accès en ligne (Biblioplanet, Inist, notamment) à d’autres regroupements de revues (soient indépendantes issues de sociétés scientifiques, soient produites par des compagnies privées d’édition autres que les majors). Également pour les aspects « recherche », s’ajoute, dans notre champ disciplinaire, l’accès aux sites de grands organismes d’exploration/recherche tels que la Nasa ou ceux de services d’observation/prévision tels que la National Oceanographic and Atmospheric Administration. Citons, proche de nous, l’Ifremer  4 et le réseau Sismalp 5 de surveillance sismologique. Pour ces aspects, le rôle de notre SCD peut être un référencement organisé de tous ces sites (catalogue d’URL). Ces différents organismes mettent souvent à disposition des documents pédagogiques, voire de véritables cours en ligne. Concernant l’aspect « enseignement » s’ajoutent de nombreux sites qui lui sont uniquement et directement dédiés. Citons, dans notre domaine, « Planète Terre 6 », réalisé par l’ENS de Lyon.

En matière d’enseignement, les attentes de l’enseignant-chercheur vis-à-vis du SCD se sont rapprochées de celles de l’étudiant : dépôt ou téléchargement de cours et de documents de synthèse (niveau licence ou master, grand public), aide à une recherche en ligne ciblée pour éviter les pièges d’une interrogation tous azimuts. Peut-être une évolution vers une plus forte interactivité entre l’enseignant et l’apprenant ?

Octobre 2010

  1. (retour)↑   Hartmut Rosa, Accélération : une critique sociale du temps, Éd. La Découverte, Paris, 2010.
  2. (retour)↑   National Aeronautics and Space Administration.
  3. (retour)↑   Centre national de la recherche scientifique.
  4. (retour)↑   Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer.