Centre national de la cinématographie

par Yves Desrichard
Les Archives françaises du film, 1969-2009 : histoire, collections, restaurations
Paris, Scope/CNC, 2009, 224 p., 26 cm
ISBN 978-2-912573-42-1 : 29 €

Les occasions de célébrer l’excellence de la France en matière de politique culturelle et de conservation du patrimoine ne sont pas si nombreuses qu’il ne faille pas fêter comme il se doit les quarante ans des Archives françaises du film (AFF), service du Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC) – nouvelle dénomination qui pourra en laisser plus d’un perplexe, faute de savoir précisément ce qu’est une « image animée ». C’est ce que propose l’ouvrage Les Archives françaises du film, 1969-2009 : histoire, collections, restaurations, édité pour l’occasion.

Une exhortation pionnière

Comme il est judicieusement rappelé dans la partie historique de l’ouvrage, c’est dès 1898, soit moins de trois ans après la naissance officielle du cinématographe, quelque part dans les sous-sols de l’hôtel Scribe, avenue de l’Opéra, qu’on se soucie de conserver la « chronophotographie animée », avec l’exhortation pionnière de Boleslaw Matuzewski, déjà évoquée dans ces colonnes  *. Pourtant, il faut attendre l’avènement du cinéma parlant, et son cortège hallucinant de destruction des films muets, désormais commercialement sans valeur, pour que, à travers le monde, les amoureux du 7e art (expression de Ricciotto Canudo) se soucient de sauver ce qui peut l’être encore, aboutissant en France à la création de la Cinémathèque française, fondée en 1936 par Henri Langlois bien sûr, mais aussi, et on l’oublie trop souvent, par le grand historien du cinéma Jean Mitry et le non moins éminent cinéaste Georges Franju. Et comment ne pas relever que, en 1938, la Fédération internationale des archives du film (FIAF) est fondée par des cinémathèques de France, d’Angleterre, des États-Unis… et d’Allemagne ?

En 1946, la création du Centre national de la cinématographie obéit clairement au souci de mettre en ordre une profession qui s’est largement compromise avec l’occupant nazi – pour ce qui fut, un peu paradoxalement, une des périodes les plus riches du cinéma français. Pour autant, alors que la Cinémathèque française poursuit ses efforts dans la conservation des fonds de films, il faut attendre une nouvelle rupture technique pour qu’on se soucie enfin, de manière officielle, de la sauvegarde des films sur support photochimique. C’est en effet en 1961 qu’est interdite l’utilisation du « film flamme », ou « film nitrate », support jusque-là de la majorité des films sur pellicule, qui présente entre autres intéressantes particularités la capacité de s’enflammer spontanément, et de continuer à brûler sans apport d’oxygène…

Après bien des étapes et de laborieuses négociations, c’est, là encore non sans paradoxe, « l’affaire Langlois » qui, en 1968, oppose ledit Langlois à André Malraux, ministre des Affaires culturelles, qui aboutit à la création d’un « établissement de conservation patrimoniale appartenant en propre à l’État » : le service des archives du film qui, suivant en cela la Cinémathèque, installée là de longue date, prend possession de la batterie de Bois-d’Arcy, ensemble de constructions militaires utilisé jusqu’en 1954 pour la défense de Paris.

Le dépôt légal des films cinématographiques

Il faut à nouveau attendre dix années pour que, en 1977 (l’année de la mort d’Henri Langlois), soit institué le dépôt légal des films cinématographiques produits en France, confié dans un premier temps à la Bibliothèque nationale. La capacité de stockage et de conservation des Archives s’accroît régulièrement par la construction et l’aménagement de lieux prenant en compte les contraintes spécifiques d’environnement de supports fragiles – mais finalement plus stables, lorsque correctement conservés, que bien d’autres.

Pour renforcer encore cette politique de sauvegarde et de restauration, le « plan nitrate » est lancé en 1990, sous l’impulsion de Jacques Lang, et avec le parrainage symbolique de Martin Scorcese, dont on sait les efforts qu’il a déployés outre-Atlantique pour la sauvegarde des films. Et on peut s’enorgueillir à juste titre de constater que, en quinze ans, 15 000 films longs et courts métrages ont été reportés sur un support stable, le polyester : on connaît peu de « plans au long cours » ainsi menés à bien, par-delà tous les aléas politiques ou techniques que génère inévitablement une telle entreprise.

C’est en 1992 que le dépôt légal est officiellement placé sous la responsabilité du CNC. En 1996, la Bifi, la Bibliothèque du film devenue depuis service de la Cinémathèque française, est inaugurée à Paris, qui inclut une large part des fonds « non films » du Service des archives du film. Désormais Archives françaises du film du CNC, les AFF conservent plus de 100 000 films, dans des conditions sans cesse améliorées, et gèrent la base Lise, partagée avec la Cinémathèque française et les cinémathèques de Toulouse et de Grenoble. Outre la consultation dans ses locaux, les AFF proposent (tout comme l’Institut national de l’audiovisuel) un site de consultation des collections issues du dépôt légal au sein du site François Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France, exemple remarquable sinon unique de collaboration entre trois institutions fort différentes, mais unies pour proposer aux chercheurs et aux autres publics un lieu d’accès conjoint à la mémoire audiovisuelle, quel que soit son support d’origine.

En 2006, le cinéma numérique fait son entrée dans le champ du dépôt légal. C’est, désormais, l’un des grands enjeux du développement et des mutations des missions des AFF, en miroir de ce qui occupe déjà la production, la distribution et l’exploitation cinématographiques. En quelque sorte, et on ne sait trop s’il faut s’en féliciter, le cinématographe rejoint le commun des préoccupations des gestionnaires de collections patrimoniales, après tant d’années d’« orgueilleuse solitude » pour la conservation d’un support chimique (alchimique ?) aussi particulier que la pellicule.

Une histoire riche, parfois tumultueuse

On le constate, l’histoire des AFF est riche, parfois tumultueuse, qui épouse les lentes étapes de la reconnaissance du film comme objet culturel, historique, patrimonial. Une large part de l’ouvrage y est consacrée, qui n’oublie pas, heureusement, que le film, c’est aussi une part de rêve, et une volonté inimitable de « transformer de l’argent en lumière », comme le résumait admirablement le grand John Boorman.

De riches cahiers couleurs (remplis d’« images animées » ?) complètent cet historique, proposant un « parcours reflet des collections » organisé autour d’une série de thématiques historiques ou esthétiques. Le cinéphile impénitent en retiendra tout particulièrement les deux premières parties, qui relèvent l’une du miracle, l’autre du désespoir.

« Films retrouvés » permet de s’émerveiller devant la redécouverte de films considérés comme perdus, ainsi d’un des premiers films muets de John Ford ou de Tod Browning ou, plus remarquable encore, du négatif original de La grande illusion, de Jean Renoir, volé par les nazis en 1944… La partie « Films inachevés, essais d’acteurs », nous fera quant à elle regretter éternellement de ne pas pouvoir découvrir La fleur de l’âge de Marcel Carné, le Coup de foudre d’Henri Decoin ou, plus décisif, It’s all true, Don Quichotte, The deep ou The other side of the wind du démiurge parfois épuisé que fut Orson Welles… Témoignages tous bienvenus de ce que l’histoire du patrimoine cinématographique est plus chaotique que celle du livre, puisqu’on imagine mal (quoique ?) que l’avènement supposé du e-book engendre un pilonnage massif de livres parus sur un support aussi désuet que le papier.

Malgré une mise en page qui laisse quelque peu perplexe, et un aspect délicieusement artisanal dans sa fabrication, Les Archives françaises du film, 1969-2009 : histoire, collections, restaurations s’impose comme un pèlerinage indispensable, tout à la fois nostalgique et vivifiant, dans l’histoire de la conservation du film – sur pellicule avant tout.