Dans la bibliosphère

Yves Alix

Ce dossier du BBF aurait pu s’intituler « Les bibliothécaires peints par eux-mêmes », à la façon des Français peints par eux-mêmes, la célèbre « encyclopédie morale » publiée par Curmer au XIXe siècle. Mais nous avons préféré le plus neutre « environnement professionnel », pour ne pas encourir le reproche d’ethnocentrisme (en langage châtié), voire de nombrilisme (en plus direct) qui est fait souvent aux bibliothécaires – à tort d’ailleurs selon nous : les bibliothécaires s’intéressent au monde, c’est même une de leurs qualités les plus constantes, et très souvent un ressort essentiel de leur curiosité professionnelle.

En une période de doute sur l’avenir des bibliothèques telles que nous les connaissons, pourquoi ne pas faire le point sur tout ce qui constitue le bagage commun de ceux qui font vivre les bibliothèques françaises d’aujourd’hui, examiner les instruments et les signes de leur communauté ? L’identité professionnelle passe certes par les statuts, la technicité, la formation ; mais elle s’incarne aussi dans la presse et l’édition spécialisées, les canaux (anciens et nouveaux, officiels et souterrains) de l’information, les lieux d’échanges et de débats, les colloques, salons et congrès, voire… les bibliothèques professionnelles. Elle traverse leurs pratiques culturelles, oriente leur relation au public et aux partenaires, détermine largement leur place dans le champ culturel, place difficilement conquise et toujours fragile : ne répète-t-on pas à satiété que les bibliothèques ne sont jamais assez visibles ? Voilà tout ce qui constitue cet environnement dans lequel entrent chaque jour de nouveaux collègues, avec l’espoir d’en percer les codes, d’en comprendre les mécanismes, plus complexes encore que les métadonnées et les systèmes informatiques dans lesquels ils s’ébrouent chaque jour avec délices, et d’être admis au sein du sérail.

La rapidité des évolutions techniques de ces dernières années dans le domaine de la diffusion de l’information oblige tous les acteurs des bibliothèques à réfléchir à d’autres façons de coopérer entre eux et de construire les outils de leur identité. Les réactions à la disparition de la liste de diffusion biblio-fr, annoncée alors que ce dossier était presque bouclé, prouvent amplement que seuls des outils fédérateurs sont en mesure de cimenter cette identité, dans le contexte de mutation que nous vivons. Des associations aux revues, des sites internet aux collections de référence, cette idée d’unité doit progresser. Peu nombreux, les bibliothécaires ont tout intérêt à se rassembler. Et plus encore, à ne pas rester entre eux. Quand nous n’aurons plus besoin de nous peindre nous-mêmes parce que d’autres le feront à notre place, un grand pas aura été fait.