Responsible Librarianship : Library Policies for Unreliable Systems

par Frédérique Hauville

David Bade

Duluth, Minnesota, Library Juice Press, 2008, 173 p., 22 cm
ISBN 978-0-9778-6176-7 : 22 $

Cet ouvrage, écrit par David Bade, bibliothécaire responsable du catalogage des publications d’Europe de l’Est à la bibliothèque Joseph-Regenstein de l’université de Chicago, traite des politiques mises en œuvre par les dirigeants des bibliothèques américaines, et de leurs conséquences sur la qualité des bases de données bibliographiques et catalogues desdites bibliothèques.

L’auteur engage ses collègues à être conscients de leurs responsabilités face aux lecteurs, face aux réseaux avec lesquels ils collaborent, face aux systèmes informatiques demandeurs de données fiables pour fonctionner correctement.

Productivité et qualité

D’abord, Bade s’interroge sur la notion de qualité. Pour nombre de ses confrères, la productivité suppose de sacrifier la qualité. Dans cette configuration, ils choisissent de mettre à disposition des lecteurs le plus grand nombre d’ouvrages le plus vite possible, externalisent la création ou l’amélioration de notices auprès d’organismes tels que libraires, fournisseurs de catalogage, bibliothèques du réseau OCLC (Online Computer Library Center), déléguant de ce fait la responsabilité de la qualité des produits et l’évaluation de cette dernière. Ils font l’éloge des traitements par lots, rendus possibles par les progrès de l’informatique, mais où la correction des erreurs s’avère quasiment impossible. Toute évaluation individuelle des notices est laissée de côté, comme trop coûteuse.

Or, pour Bade, il n’y a pas à privilégier la rapidité sous prétexte que des catalogueurs trop pointilleux, réfractaires au changement, seraient source d’arrérages massifs. On a voulu réduire les coûts en pensant que le catalogage partagé permettrait de réduire les créations de notices et que les progrès des technologies, les utilisations d’algorithmes, l’indexation automatique rendraient inutiles à terme tout jugement, toute interprétation des documents en main, que même les catalogues seraient absorbés dans un gigantesque Google, soi-disant plus convivial pour les usagers. On a donc réduit les effectifs.

Bade répond point par point à ses adversaires, les champions de l’automatisation à outrance : Marcum de la Bibliothèque du Congrès, Calhoun et Banush de la bibliothèque de l’université de Cornell, ont mis en œuvre des politiques catastrophiques non seulement pour les catalogues locaux, mais pour tout le réseau auquel ces bibliothèques participent. Thomas Mann, de la Bibliothèque du Congrès, auteur de la préface, le soutient.

Bade étudie en particulier la procédure de Cornell baptisée COR, « Classification on Receipt », appliquée depuis 2003. Il analyse les consignes données à des employés-machines recrutés à la place de professionnels pour exécuter des tâches rapides, sans réflexion, moins coûteuses. Il constate l’entrée en masse dans OCLC de notices de Cornell « en dessous du minimum », erronées, faites à la va-vite sans vérification ni interprétation du document. Reprises par les autres bibliothèques sans correction des erreurs, elles constituent de la fausse information qui sape le système de coopération entre bibliothèques et, au niveau des lecteurs, empêche toute recherche documentaire intelligente.

Pourtant, les politiques à la base de la création des bases de données devraient permettre aux systèmes informatiques de donner toute leur mesure, et même d’être simplement fiables. Plus ils deviennent complexes, plus il faut répondre à leur complexité, en augmentant les métadonnées (en conformité avec les besoins des usagers) et non en les réduisant.

Bade s’appuie sur un véritable travail de recherche dans les disciplines non bibliothéconomiques qui ont été confrontées à l’irruption de nouvelles technologies et à la question de l’association de l’homme et de la machine (l’agriculture, les entreprises de traduction par exemple). Il s’intéresse à l’ergonomie, aux HRO, « high reliability organizations ». Ces organisations parviennent à des réussites exceptionnelles en privilégiant l’attention aux risques encourus, la correction des erreurs érigée comme valeur dans la maison.

Un constat alarmant

En montrant qu’elles enjoignent de faire tout le contraire de ce que font les HRO, Bade dresse un constat alarmant des politiques actuelles des bibliothèques américaines. Il invite à ne plus répudier les valeurs de la recherche et de la science, que les bibliothèques sont censées servir.

Pour l’auteur, il importe de penser aux usagers qui ont des exigences maximales. Il faut faire l’effort d’évaluer les notices individuellement et de les adapter aux missions locales de la bibliothèque, aux besoins des lecteurs locaux. Et, au lieu de réduire les coûts et de vider les services de catalogage, il faut maintenir le nombre et le niveau de compétences, y compris linguistiques, à l’intérieur de la bibliothèque. Plutôt que de faire une confiance aveugle aux technologies, Bade demande à ce que l’on reste conscient lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques dans les bibliothèques.

Toutes ces idées sont exprimées en trois temps dans l’ouvrage. Un premier article « Politics and policies for database qualities » a été écrit à l’origine pour le Cataloging and Classification Quarterly. Il constitue le cœur de l’ouvrage.

Le deuxième article, résumé de quatre pages de l’ouvrage de Bade, The Theory and Practice of Bibliographic Failure, a été publié sur la liste de diffusion Autocat, en réaction à la décision de la Bibliothèque du Congrès de ne plus fournir de notices d’autorités pour les titres de périodiques.

Le troisième article, « Structures, standards and the people who make them meaningful » a été présenté en 2007 à l’occasion du « Second Meeting of the Library of Congress Working Group on the Future of Bibliographic Control ». Il met en exergue des remarques de l’auteur, avant de répondre aux questions posées préalablement aux membres du groupe de travail.

Dix notices bibliographiques erronées trouvées dans OCLC sont présentées dans les annexes.

Bade martèle constamment son point de vue. La lettre à Autocat se lit comme un condensé plus polémique que le travail de recherche de la première partie. Il suffira à un lecteur pressé de connaître les positions de Bade par rapport à ses collègues. Le troisième volet ouvre quelques autres perspectives (il s’attache notamment aux normes, qui doivent permettre la communication et non le transport de données, ainsi qu’à des débats actuels : moissonnage de données, web sémantique, tagging). Le lecteur pourra regretter ces redites, ou apprécier les trois angles qui permettent à l’auteur de développer son point de vue.

Quant aux annexes, elles auraient pu être davantage mises en valeur par des commentaires plus importants que les deux lignes de présentation de chaque notice.

De façon générale, un bibliothécaire français pourra trouver intéressant de voir les premières conséquences de politiques mises en œuvre outre-Atlantique bien avant nous, ou du moins de constater que la pensée n’est pas unique en ce qui concerne l’externalisation du catalogage, les analyses de coûts, les priorités à avoir, les conditions requises pour la réussite du catalogage partagé. Il sera sans doute heureux de connaître les mises en garde de Bade.

En tout cas, c’est l’homme (et le sens) que Bade remet au cœur des bibliothèques, qu’il soit professionnel ou usager, et non la machine. La machine permet des progrès, mais pour qu’elle fonctionne, il faut répondre aux exigences du système, et que ce système soit conçu toujours par rapport aux missions de la bibliothèque, qui sont de servir ses utilisateurs locaux. À nous de choisir, pour Bade, entre deux types de politiques.