Enlumineurs messins du XVe siècle
Metz, Bibliothèques-Médiathèques de Metz, 2007, 94 p., ill., 25 cm
12 €
Comme le souligne Sophie Cassagnes-Brouquet dans la conclusion de son livre, La passion du livre au Moyen Âge, « le prix astronomique atteint par les manuscrits les plus modestes au cours des dernières ventes publiques suffit à témoigner du maintien de cet engouement pour les manuscrits du Moyen Âge ». Si on peut ne pas être d’accord avec ses regrets que « bibliothèques ou collectionneurs privés conservent jalousement » de tels trésors, il faut saluer la qualité du travail de vulgarisation qu’elle propose dans son court et richement illustré ouvrage.
Trois grands supports de l’écriture
Le livre se découpe en quatre parties, consacrées respectivement à la production des livres, aux bibliothèques, aux lecteurs, et aux rapports plus que fructueux entre les livres et les artistes. Dans la première partie, l’auteur circonscrit son propos entre l’invention du codex au premier siècle après Jésus-Christ et l’invention de l’imprimerie vers 1460. Elle rappelle que, au Moyen Âge, « trois grands supports de l’écriture » cohabitent, ou plutôt se succèdent : le papyrus, le parchemin, le papier. Elle souligne l’importance du scribe, « grand spécialiste de l’écriture », et détaille sans érudition excessive ses pratiques et ses outils. Les scriptoria des monastères sont les lieux privilégiés de la production des livres avant que, au xie siècle, le développement de la lecture silencieuse ne s’accompagne de celui des ateliers urbains, souvent liés aux grandes villes universitaires européennes.
Au Moyen Âge, le livre est un objet rare, cher et précieux, qu’il est donc difficile de conserver pour soi. Les premières bibliothèques se développent dans les monastères, puis dans les universités. Quoique précieux, le livre n’est pas toujours bien traité par ses lecteurs, et Sophie Cassagnes-Brouquet propose quelques témoignages savoureux sur les déprédations commises par les étudiants… Le livre est aussi objet de collection, de prestige, dont témoignent entre autres les fameuses Grandes heures de Jean de Berry, manuscrit du XVe siècle.
Quels livres, pour quels lecteurs ?
La troisième partie, « Quels livres, pour quels lecteurs ? » est sans aucun doute la plus originale et la plus intéressante du livre. Rappelant la rupture que constitua le passage progressif de la lecture collective, à haute voix, à la lecture silencieuse, individuelle, l’auteur montre que, d’abord réservée aux moines, la lecture se répand bientôt dans d’autres classes de la société, et notamment chez les laïcs. Si les textes liturgiques en latin sont une part prépondérante des livres réalisés et lus, d’autres textes en « langue vulgaire » rencontrent bientôt un énorme succès, comme les « romans », notamment ceux tournant autour de la quête du Graal.
Enfin, « Des livres et des artistes » insiste sur l’une des principales caractéristiques des manuscrits médiévaux, et ce pourquoi ils sont encore si prisés : la présence d’enluminures au rôle à la fois décoratif et pédagogique – même si, l’auteur le rappelle aussi, tous les manuscrits médiévaux ne sont pas enluminés. Les enlumineurs sont souvent anonymes, ce qui n’empêche pas leur travail d’égaler en beauté celui des plus grands peintres du temps. L’enluminure accompagne aussi le passage de l’art roman à l’art gothique, les Très riches heures du duc de Berry pouvant être considéré comme le point d’aboutissement d’un art qui, avec l’avènement de l’imprimerie, va peu à peu disparaître.
Ouvrage de vulgarisation, La passion du livre au Moyen Âge vaut aussi pour la quantité et la qualité de ses illustrations. Des dizaines de reproductions de grande qualité, issues des plus grandes bibliothèques patrimoniales françaises, complètent et soulignent le texte. Pour une fois, le rapport qualité/prix est plus qu’en faveur d’un ouvrage si magnifiquement illustré qui, s’il n’apprendra rien à l’érudit, voire au bibliothécaire averti, sera une source inépuisable d’émerveillements pour le néophyte et pour l’amateur, décidément bien convaincus que le « moyen âge » porte bien mal son nom…
Comme en répons aux attentes de Sophie Cassagnes-Brouquet, les bibliothèques-médiathèques de Metz consacrent un luxueux numéro de leur « revue du patrimoine », Les carnets de Medamothi, à la présentation détaillée d’un manuscrit récemment acquis par la ville, un livre d’heures réalisé à Metz vers 1440 pour l’échevin messin Jean de Vy. Si l’approche est plus spécialisée, la qualité de l’ensemble rappelle que les bibliothèques peuvent, en matière de valorisation du patrimoine écrit, produire de remarquables travaux.