Écrire la bibliothèque aujourd’hui
Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2007, 254 p., 24 cm
Coll. Bibliothèques
ISBN 978-2-7654-0955-7 : 35 €
La présence d’Écrire la bibliothèque aujourd’hui au sein de la collection « Bibliothèques » et des nombreuses parutions bibliothéconomiques est en soi une nouvelle réjouissante car, comme l’a rappelé Martine Poulain lors du « Bibliothèque en débat » organisé à la Bibliothèque nationale de France le 18 décembre 2007 pour la sortie de l’ouvrage, « beaucoup ont choisi ce métier par amour des textes ».
L’ouvrage a pour origine le colloque « La bibliothèque dans la littérature contemporaine 1 » et pour « ancêtre » le Drôles de bibliothèques 2 d’Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître, dans la continuité duquel il tente de cerner un imaginaire de la bibliothèque dans la littérature contemporaine « pour en interroger les évolutions et les lignes de force sur l’ensemble d’un quart de siècle (1980-2005) lui-même caractérisé par des transformations majeures » (p. 21).
Marie-Odile André et Sylvie Ducas ont habilement structuré l’ouvrage autour de quatre parties posées, par leur titre interrogatif, en problématique : « Représenter la bibliothèque ? », « Écrire contre la bibliothèque ? », « Sortir de la bibliothèque ? » et « Réinventer la bibliothèque ? », auxquelles s’ajoute « Dire la bibliothèque » qui retranscrit la belle table ronde du colloque qui réunissait Pierre Bergounioux, Daniel Maximin et Jean Rouaud. Entre les différentes parties s’intercalent des textes d’écrivains (Anne-Marie Garat, François Bon et les trois auteurs de la table ronde) inédits ou extraits, appelés « Contrepoints ».
Cette construction permet d’appréhender, par la multiplicité des angles, le « décloisonnement des approches » et « la rencontre et le dialogue entre chercheurs, écrivains et professionnels des bibliothèques » (p. 22), cette évocation de la bibliothèque à travers laquelle « c’est le rapport ambivalent au livre et à la connaissance qu’exprime l’écrivain, fait d’attirance et de rejet, d’une passion contradictoire nourrie d’amour et de haine » (préface de Christian Delporte, p. 20) : attachement profond de l’écrivain à sa bibliothèque personnelle et tension extrême de sa relation à la bibliothèque publique.
Car Écrire la bibliothèque aujourd’hui est loin de se limiter à une étude de la représentation de la bibliothèque publique, objet explicite de la première partie – à laquelle répondent deux contributions de la quatrième –, abordée, dans cette volonté affirmée de « décloisonnement », dans trois genres longtemps « considérés comme mineurs et regardés avec circonspection par les bibliothèques réelles » (p. 32) : la bande dessinée (Aurélien Pigeat), la littérature pour la jeunesse (Françoise Hache-Bissette, Gilles Béhotéguy) et les romans policiers (Christophe Evans). À travers « le complexe de Byblos », A. Pigeat montre que cette représentation dans la bande dessinée « ne prend finalement sens que dans un questionnement identitaire de la bande dessinée elle-même » (p. 35) et une interrogation sur son statut et sa légitimité à entrer dans la bibliothèque. L’étude de la reconduction des stéréotypes dans la littérature pour la jeunesse révèle que, si des mutations sont en cours, celles-ci sont lentes, et les rats sont encore plus présents que les DVD dans ce qui demeure un imaginaire de la bibliothèque et non de la médiathèque.
Les deux parties centrales, « Écrire contre la bibliothèque ? » et « Sortir de la bibliothèque ? » proposent une vision de la bibliothèque extrêmement sombre. Les différentes contributions renouvellent et enrichissent les pôles d’appréhension de la génération précédente : « le monde moins la bibliothèque » et « la bibliothèque moins le monde » (p. 24-25). Bibliothèque comme « lieu de mort » (p. 96) pour Jude Stéfan (Jean-Luc Pestel) ou « lieu de différenciation sociale et culturelle » (p. 125) pour Annie Ernaux (Katarzyana Thiel-Janczuk), « Bibliophobie » et destruction de la bibliothèque chez Claude Simon (Marie-Albane Rioux-Watine), « aspects déprimants en matière de lecture, de livres et de bibliothèques » (p. 133) dans l’œuvre romanesque de Jean Échenoz (Petr Dytrt), évocation d’un Pierre Michon « littérateur sans bibliothèque » (Johan Faerber, p. 142), « haine de la bibliothèque » de Pascal Quignard (Chantal Lapeyre-Desmaison). Les analyses les plus convaincantes sont celles qui se tiennent au plus près de l’objet bibliothèque, notamment lorsqu’elles s’appuient sur une matière pertinente, telle que les citations de Quignard, « s’en remettre aux jugements d’êtres pour qui lire n’est pas un désir, c’est suivre les cannes des aveugles », « j’ai rarement grossi ce peuple d’ombres voûtées », etc. Or, même si l’ouvrage revendique et argumente le choix d’aborder la bibliothèque dans sa polysémie, et notamment en tant que bibliothèque immatérielle et intertextuelle, on a trop souvent le sentiment que « la bibliothèque » n’est qu’un point de départ, voire un prétexte – et même parfois un remplacement terme à terme – à l’évocation du rapport de l’écrivain à la littérature, sujet essentiel, certes, mais aussi plus banal.
Exception et contrepoint joyeux à cette vision négative qui rejette la bibliothèque, les écrivains de l’Oulipo (Benoît Berthou), « férus de bibliothèques », sont heureux de « prendre [leurs] quartiers 3 » à la BnF pour les « jeudis de l’Oulipo » et de s’adonner à un « catalogage cocasse » car « “écrire” des livres et “ranger” des livres, faire acte de littérature et se poser des problèmes de bibliothécaire [relève] pour l’Oulipo des mêmes “méthodes” et “principes” » (p. 188).
Si toutes les contributions n’ont donc pas la même pertinence, il faut rendre hommage au travail des deux coordinatrices. Leurs différentes interventions (introduction, ouverture des quatre parties et conclusion) maintiennent en permanence – et forcent un peu quand nécessaire – la cohérence et la progression de l’ensemble et légitiment le propos de chacun en en tirant le meilleur. Elles exposent, avec clarté et précision, la richesse des mécanismes et des enjeux à l’œuvre dans l’évolution de l’imaginaire de la bibliothèque des écrivains contemporains, et proposent des prolongements pour « écrire la bibliothèque demain ».