Histoire et richesses de la bibliothèque de théologie protestante de Montauban
Toulouse, SICDT, 2007, 143 p., ill., 24 cm.
ISBN 978-2-9517097-2-4 : 15 €
L’histoire des bibliothèques réserve décidément bien des surprises. Qui eût cru que celle de la faculté de théologie protestante de Montauban pouvait être aussi passionnante que mouvementée ?
Une histoire mouvementée
La faculté naît en 1808, dans une ville de vieille tradition huguenote, et se voit aussitôt dotée d’une bibliothèque de la façon la plus économique qui soit : un livre en valant bien un autre, Fouché autorise les pasteurs à piocher dans les fonds issus des confiscations révolutionnaires, au ministère de l’Intérieur et dans la bibliothèque du défunt Tribunat. Ce fonds de récupération végète jusque dans les années 1870, où sont enfin octroyés budget, locaux et personnel.
En 1879, la faculté de théologie de Montauban est rattachée à l’université de Toulouse. Sous l’autorité lointaine de la bibliothèque universitaire, celle de Montauban coule des jours quiets : on envoie scrupuleusement à Toulouse le rapport du récolement annuel, le bibliothécaire calligraphie l’original du catalogue multigraphié et prend tout son temps pour vérifier, livre en main, le classement des 12 000 volumes, tandis que les professeurs intercalent les nouvelles fiches pendant les vacances de Noël (rêvons…).
Cette bienheureuse torpeur est interrompue par la loi de séparation des Églises et de l’État : la faculté de théologie protestante quitte le giron de l’université toulousaine et devient une faculté libre. Après débat, les ouvrages à caractère confessionnel, utiles aux travaux des étudiants, donnés à la bibliothèque ou achetés sur les produits des legs, sont réputés lui appartenir, l’université de Toulouse demeurant propriétaire des autres : un inventaire contradictoire doit être dressé, et l’on s’efforce, sans grande certitude, de déterminer les provenances.
La situation se complique encore lorsqu’en 1919, la faculté de théologie protestante est transférée à Montpellier. Que va devenir la bibliothèque ? Certaines collections appartiennent à l’université de Toulouse, et le conseil général du Tarn-et-Garonne fait savoir qu’il souhaite le maintien à Montauban d’une partie significative des fonds… Commence alors un imbroglio juridico-administratif, connu sous le nom d’« Affaire Montauban », qui va durer près de quatre ans : le fonds sera démantelé, sans logique ni cohérence. Les collections courantes, les périodiques et les doubles partiront pour Montpellier, où ils seront pour partie déposés à la bibliothèque universitaire, la faculté de théologie ne pouvant en assurer la garde. On laisse à Montauban « un fonds intéressant que la municipalité ne verrait pas s’éloigner sans regrets ». Bien entendu, personne ne veut se charger du « triage », mais chacun fait pression pour garder près de lui les ouvrages qui l’intéressent, et le malheureux bibliothécaire, un certain Langlade, gagne une place d’honneur au Martyrologe des bibliothèques : à peine a-t-il assuré seul le « triage » des 34 000 volumes, fait et refait les listes et les tableaux synthétiques, mis en caisse 20 000 volumes, réorganisé sa salle de lecture, qu’il doit recopier lui-même les fiches des ouvrages envoyés à Montpellier, les fiches d’origine n’entrant pas dans leurs nouveaux tiroirs… Le fonds resté à Montauban est vendu avec les locaux, à un institut protestant d’enseignement qui s’en désintéresse très vite. Nouvelle période de vaches maigres…
En 1939, la salle de la bibliothèque devient un hôpital militaire. Par précaution, les livres sont renvoyés à la bibliothèque universitaire de Toulouse, leur propriétaire officiel. À Montpellier, la faculté de théologie, grâce à un effort significatif de traitement et de conservation, obtient, en 1971, la restitution des ouvrages déposés à la bibliothèque universitaire… mais avec un statut de dépôt permanent. Une histoire terrible, qui ne pourrait plus arriver aujourd’hui… En est-on bien sûr ?
Des documents remarquables
Ce n’est qu’en 2007 qu’une exposition, coorganisée par les deux bibliothèques, permet de reconstituer pour quelques semaines une partie de cette collection gyrovague. L’histoire serait déjà passionnante si la qualité des documents concernés n’était pas aussi remarquable. Ils avaient bon goût et sûr jugement, ces heureux pasteurs qui furent invités à faire leur miel de la bibliothèque du Tribunat ou léguèrent leur collection à la faculté de Montauban : Bibles et ouvrages de théologie dans les éditions les plus rares côtoient reliures précieuses et provenances illustres, impressions humanistes et premières éditions, controverse religieuse et apologétique, mais aussi des œuvres beaucoup plus inattendues, témoins de l’encyclopédisme des Lumières et d’une curiosité universelle : le premier traité occidental sur les Brahmines, la première édition latine du Coran, un catéchisme en malgache, un « traité scientifique d’anthropologie comparée » de 1724, le premier ouvrage européen sur l’alphabet tibétain, l’édition incunable d’un traité médiéval de gynécologie…
Donnant la priorité aux ouvrages les plus rares ou curieux, l’exposition ravit l’amateur éclairé, mais on se doute bien qu’elle ne reflète pas tout à fait la réalité du fonds : les acquisitions courantes étaient sûrement moins exotiques, mais pourquoi ne pas rendre un tout petit hommage à ces livres usuels grâce auxquels, pendant 50 ans, cette bibliothèque a été vivante ? Les notices, rédigées par les bibliothécaires, parfois répétitives (est-il vraiment nécessaire de préciser à chaque fois « estampé à froid, c’est-à-dire sans dorure » ?), unissent l’histoire des contenus et la bibliographie matérielle. La première partie du volume, consacrée à l’histoire de la bibliothèque, est riche, complète et fort intéressante. L’ensemble aurait mérité une ultime relecture, qui eût évité la présence de trop de phrases boiteuses, résultats de copiés-collés hâtifs : on devine que les maîtres d’ouvrage ont manqué d’un peu de temps.