Manuel du patrimoine en bibliothèque

par Noëlle Balley
sous la direction de Raphaële Mouren.
Paris : Éditions du Cercle de la librairie, 2007. – 416 p. ; 24 cm. – (Bibliothèques).
ISBN 978-2-7654-0949-6 : 40 €

Au Cercle de la librairie, le patrimoine a déjà ses classiques *. Ces deux livres, déjà un peu anciens, comportent une importante partie théorique qui rend la lecture parfois difficile, et ne prennent évidemment pas en compte l’arrivée d’internet et des techniques connexes dans le monde du patrimoine. Un nouvel ouvrage s’imposait donc.

Le manuel dirigé par Raphaële Mouren répond à un but un peu différent. Il s’adresse explicitement aux responsables de petits fonds patrimoniaux, souvent démunis, sans formation ni moyens particuliers, pour les aider à appréhender toutes les facettes de la gestion quotidienne d’un tel fonds. Dès les premières pages, R. Mouren énonce les deux affirmations en apparence contradictoires qui étayent tout son propos : « La conservation ne peut être considérée séparément des autres aspects de ce métier […] Il est impossible de tout faire en même temps, et il est indispensable de n’abandonner aucune mission, au risque de ne jamais les reprendre » (p. 14). Et pourtant, « l’ampleur de la tâche peut paraître écrasante : elle ne l’est pas » (id.). On sent à chaque page l’expérience concrète de l’auteur et son souci permanent d’adapter son discours aux conditions réelles du travail d’un responsable de fonds anciens : « Faire connaître et faire comprendre, quand c’est possible, les actions les plus simples à mettre en place si l’on ne dispose ni de gros moyens, ni d’équipe constituée » (p. 14). On ne saurait trop l’en remercier, même si les personnels des bibliothèques universitaires se sentiront un peu moins « chez eux » que ceux des collectivités territoriales.

L’ouvrage s’ouvre sur une série de « Définitions » : caractérisation des biens culturels, histoire, propriété et statut des collections patrimoniales, tutelles et structures d’aide, protection contre le vol, procédures d’acquisitions, notions de base de la propriété intellectuelle, complétées par quelques réflexions plus bibliothéconomiques. Nous aurions aimé suggérer à l’auteur d’ajouter à ces « définitions » essentiellement juridiques quelques notions liées aux spécificités du livre ancien, indispensables à sa compréhension et dont il n’est pas certain que tous ses lecteurs soient avertis : qu’est-ce qu’une empreinte, une signature, une émission, un privilège, une fausse adresse…

La seconde partie, « Constituer et enrichir un fonds patrimonial », donne quelques pistes pour l’ébauche d’une charte d’acquisitions spécifique, en insistant sur les spécificités de la bibliothèque concernée, la bibliophilie contemporaine et le contexte régional. On devine, à peine esquissée, une pointe d’iconoclasme réjouissante : « Une collection patrimoniale doit être maîtrisée : elle n’est pas la somme des livres achetés au fil des ans, voire des siècles, par la bibliothèque, conservés religieusement parce que plus ils sont vieux, moins on ose les jeter » (p. 72). Plus classiquement, sont décrites les procédures financières, administratives et juridiques d’enrichissement des fonds. Le chapitre se termine par des conseils pour la constitution d’un fonds de référence, pour le bibliothécaire comme pour le lecteur, complétés par une annexe très précieuse qui donne une liste de grands ouvrages de référence désormais disponibles en ligne (comprenez : ceux que l’on peut désormais se dispenser d’acquérir ou de conserver, ce qui est, on l’avoue, bien utile).

Suit un excellent chapitre sur la conservation, que l’auteur, à juste titre, ne dissocie ni de la communication, ni de la valorisation. Après quelques rappels sur les notions de base (typologie et composants des documents, facteurs externes et internes de dégradation), des conseils très pratiques sont donnés sur les locaux, la maintenance, la manipulation, l’équipement des collections, les réparations, la restauration, les reproductions, les plans d’urgence (le traitement des documents après inondation pourrait être plus détaillé), les expositions, la prévention du vol… Truffé de petits « trucs » bien utiles dictés par l’expérience, ce chapitre aborde aussi, trop rapidement, la question difficile des priorités. Quelques exemples concrets de plans de conservation auraient été bienvenus, seul bémol à de très bonnes pages qui rendront de grands services.

« Signaler et faire connaître des documents patrimoniaux » aborde, sans entrer dans les détails, les spécificités de l’inventaire et du catalogage en Unimarc des différents supports présents dans un fonds patrimonial, en développant de manière très pédagogique les nouveautés introduites par XML et ses DTD. Le chapitre aborde aussi la question des catalogues collectifs, en particulier le Catalogue collectif de France et le Catalogue général des manuscrits. Là encore, les annexes s’avèrent très précieuses. En revanche, les deux pages (!) consacrées à la conversion rétrospective devraient absolument être développées : c’est une activité fondamentale, beaucoup plus lourde que ne le laisse entendre le manuel, et sur laquelle la littérature professionnelle n’est pas d’un grand secours.

Le dernier chapitre, « Communiquer et mettre en valeur les documents patrimoniaux », s’ouvre par une intéressante petite typologie des lecteurs du patrimoine et de leurs attentes, puis fait le tour des différents types d’expositions et de manifestations culturelles, avant d’insister sur la numérisation, en mêlant notions techniques de base et exemples de bibliothèques numériques.

Outre son caractère concret et son souci de s’adapter à la réalité des moyens, l’autre grand point fort de l’ouvrage est l’accent mis en permanence sur les ressources électroniques : bibliothèques numériques, ressources en ligne sur tous les sujets abordés, ouvrent au lecteur une infinité de pistes de recherche plus stimulantes les unes que les autres.

Enfin, une trop courte conclusion aborde les questions de fond, qui restent toujours aussi difficiles : comment choisir ? par quoi commencer ?

On peut reprocher à l’ouvrage un certain manque de rigueur dans les renvois de page à page, d’autant que le plan amène à des redites, dues en particulier au regroupement en début de volume des « définitions », que l’on aurait pu glisser ailleurs. On relève aussi un certain nombre d’étourderies, qu’une lecture attentive aurait aisément corrigées. La plus fâcheuse est d’avoir omis de mentionner les fonctions exercées par les coauteurs : qui sont Dominique Mazel, Anne-Marie Rousseau, Bérengère de l’Épine et les autres ? Bien sûr, les initiés le savent ; mais justement, ce livre ne s’adresse pas aux initiés.

Le Manuel du patrimoine en bibliothèque est un ouvrage concret, réaliste et stimulant, qui donne envie de « s’y mettre ». Il rendra d’immenses services au public visé. Le bibliothécaire qui chercherait à tout faire tout seul n’y trouvera pas toutes les réponses. En revanche, celui qui se poserait la question : « Comment trouver de l’aide ? » et qui serait assez motivé pour aller plus loin, y trouvera de très nombreuses pistes de réflexion et des aides de toute nature. Il s’initiera à deux nouvelles activités très utiles : la pêche aux subventions, la chasse aux personnes et aux sites ressources. Parmi les annexes, toutes intéressantes, on signale en particulier la Recommandation, trop peu connue, de l’Unesco pour la protection des biens culturels mobiliers (p. 372-381) : tout y est.

  1. (retour)↑  Le patrimoine : histoire, pratiques et perspectives, sous la dir. de Jean-Paul Oddos, Paris, éd. du Cercle de la librairie, 1995 (collection Bibliothèques), et La conservation : principes et réalités, id.