Les usagers mineurs en bibliothèque publique

Problèmes de droit

Florence Bianchi

Le 22 mars 2007, la bibliothèque Buffon a accueilli une journée organisée par la Joie par les livres, le groupe Île-de-France de l’Association des bibliothécaires de France et la Ville de Paris, consacrée aux questions juridiques liées à l’accueil des mineurs.

Nic Diament, directrice de la Joie par les livres, a souligné l’évolution considérable du rapport à l’enfant – désiré, compétent, qui a des droits – dans une société de plus en plus « atteinte par un virus juridique ». Face à un public dont le comportement a beaucoup changé ces vingt dernières années, quelles sont les missions, en termes de droit, du bibliothécaire jeunesse et jusqu’où peut-il aller, dans l’exercice de son métier, notamment lorsqu’il est confronté à ces deux figures opposées, fils directeurs de la journée : l’enfant à protéger et l’enfant délinquant ?

Prévention et règlement

Concernant les lieux, s’il n’y a pas de réglementation spécifique sur l’accueil de mineurs en bibliothèque – contrairement aux collèges et lycées –, il était cependant utile que Didier Bonnal (mission Hygiène et sécurité, direction des Affaires culturelles de Paris) rappelle les consignes de sécurité, notamment en matière d’incendie.

La bibliothèque doit édicter un règlement intérieur, afin de « créer du droit, s’intégrer dans l’ordre législatif existant et le respecter », faisant en cela acte de police administrative (respect des libertés et de l’ordre publics), a précisé Dominique Rouillard (service juridique de la Bibliothèque publique d’information). Il a mis en garde contre la fausse bonne idée consistant à arrondir la rigueur du règlement intérieur en le présentant comme une « charte », ou en le justifiant par l’offre de services, selon une politique du donnant, donnant : le règlement intérieur n’est pas un contrat, l’usager n’a pas à le discuter, il est préférable d’être clair sur ce point.

Des partenariats pour protéger les jeunes et s’en protéger

La table ronde qui réunissait Géraldine Seillé (ancienne responsable du service Prévention et sécurité de Choisy-le-Roi, qui a présenté le contrat local de sécurité de cette commune), le commandant Christian Romeu (officier de police en Seine-Saint-Denis) et Karen Lévêque (juge des enfants au tribunal de Créteil) a permis d’explorer des partenariats possibles face à la jeunesse délinquante et à la jeunesse en danger. Christian Romeu a ainsi défendu l’idée d’un « partenariat idéal » à établir entre la police, la bibliothèque et la justice, afin de définir des stratégies de prévention sur le long terme, et de permettre à la police d’intervenir dans de bonnes conditions chaque fois que c’est nécessaire. Car elle interviendra de toute façon, mais l’intervention peut être perçue très négativement si les contraintes respectives ne sont pas maîtrisées. En effet, une infraction pénale commise en bibliothèque – caractérisée par une atteinte à la personne, distincte d’une incivilité, certes désagréable, mais qui ne relève pas de la justice – n’est pas de la compétence du bibliothécaire, mais il est de sa responsabilité d’appeler le 17, et de ne pas dénigrer la police. Donner l’impression que la bibliothèque est un lieu d’impunité et de non-droit serait catastrophique : « Chacun doit faire son métier et respecter celui de l’autre. »

« Porter une infraction pénale à la connaissance de la police, qui la portera à celle de la justice, n’est ni porter plainte, ni dénoncer quelqu’un », a renchéri Karen Lévêque. En matière de protection de l’enfance, communiquer une information signalante aux autorités compétentes est la première étape d’un long processus d’aide aux enfants et aux parents, non une dénonciation. S’il y a obligation de signaler immédiatement les cas de mauvais traitements caractérisés, il est préférable, dans les autres cas, de ne pas s’affoler et de s’appuyer sur des partenariats : d’autres structures en contact avec ces enfants (école, centre de loisirs, etc.), ont dû constater les mêmes faits, et sont souvent, de par leur expérience, plus à même d’y réagir.

Précaution et protection

L’action culturelle en bibliothèque repose elle aussi en grande partie sur le partenariat, notamment dans le cadre de l’intercommunalité. Yves Alix (Bulletin des bibliothèques de France), a vivement conseillé de déterminer les responsabilités de chaque structure partenaire, si possible par écrit, par la signature d’une convention. Les relations avec les intervenants extérieurs (musiciens, libraires, comédiens, auteurs) étant d’ordre juridique et économique, il convient de s’assurer que la rémunération est effective, que sa forme (cachet, droit d’auteur, honoraires, facture) convient au statut de l’intervenant, et que celui-ci respecte la législation en vigueur. Yves Alix a également insisté sur le fait que toute reproduction ou représentation d’une œuvre protégée par le droit d’auteur nécessite une autorisation préalable des ayants droit.

La loi de 1949 sur la protection de la jeunesse, présentée par Véronique Soulé (Livres au trésor), malgré sa désuétude et les nombreux vides qu’elle laisse, a au moins le mérite de permettre aux bibliothécaires de répondre aux critiques des enseignants ou des parents sur le contenu des collections.

Ce qui n’est pas encore possible avec internet, a confirmé Axelle Dessaint (Association du multimédia jeunesse). Alors que depuis 2004 internet est le premier média des mineurs, dont les principales pratiques – messageries instantanées, jeux en ligne, téléchargement – sont très peu connues des adultes, il n’y a ni loi ni organisme de contrôle spécifique à internet, la loi se fabriquant au fur et à mesure, par adaptation de celles relatives aux publications et aux médias. La bibliothèque doit cependant protéger les mineurs qui viennent faire une recherche sur leur animal ou leur chanteuse préféré(e) : les premières pages de réponses à « chat » sur Google n’ont aucun rapport avec l’animal et les jeunes femmes prénommées Lorie ou Jenifer ne sont pas toutes chanteuses… Si elle ne peut faire l’économie du contrôle parental, seul mode de protection technique, la protection passe surtout par l’apprentissage de l’utilisation des outils de recherche et des règles d’internet. Les enfants, malgré leur apparente dextérité, ne savent souvent pas ce qu’est le téléchargement illégal, passent systématiquement par Google – page d’accueil de la plupart des familles et des bibliothèques –, n’utilisent ni la recherche avancée ni les annuaires (qui ont presque tous une section jeunesse), et ignorent qu’en tant qu’auteurs de blogs, ils sont soumis aux mêmes lois que les journalistes, et qu’en tant que mineurs, ils ne sont pas propriétaires de leur image, et encore moins de celle de leurs copains.

Jean-Claude Utard (inspection des bibliothèques de la ville de Paris), fort d’une recherche croisée infructueuse sur Google, sur les termes « bibliothécaire » et « mise en examen », « arrêté », « jugé », a conclu qu’il est nécessaire de connaître le droit mais aussi de ne pas se laisser paralyser : les contraintes sont telles qu’il faut bien admettre de prendre quelques risques. À chacun de savoir lesquels, pour lui-même et son public.