Lectures : la revue des bibliothèques

nos 147 et 148, 2006

par Pierre-Jacques Lamblin
Bruxelles : CLPCF. – 30 cm.
ISSN 0251-7388
Abonnement (5 numéros par an) : 37 € (étranger : 42 €)
Prix au numéro : 8 € (étranger : 9 €)

Lectures est une revue bimestrielle du CLPCF, Centre de lecture publique de la communauté française. Il faudrait ajouter « de Belgique » à cette dénomination, ce qui serait ressenti sans doute par les instigateurs de Lectures comme une superfluité dérangeante car le nom Belgique et l’adjectif belge apparaissent peu dans cette publication, signe en creux de la dualité linguistique toujours conflictuelle dans ce pays. C’est à peine si les activités culturelles flamandes apparaissent dans les publications wallonnes, et la réciproque est encore plus affirmée et militante. Il faut rappeler que les Belges de langue française forment environ 40 % de la population du royaume et que la Wallonie est la région la moins prospère, en proie aux difficultés structurelles de reconversion suite à la disparition des industries lourdes et minières. Rien de bien différent du Nord-Pas-de-Calais dont l’auteur de ces lignes est ressortissant.

Ce contexte économique et social qui fait le fond réaliste des films des frères Dardenne 1 pourrait pousser à la sinistrose. Mais nos collègues et amis wallons collaborateurs de Lectures allient au sens des réalités une grande foi militante pour le développement des bibliothèques et de la francophonie, avec une empathie sociale qui les rapproche des deux cinéastes, avec qui on peut leur voir des points communs. Même quand les moyens dont ils disposent restent dérisoires comparés à ceux qui sont mis à disposition de leurs frères ennemis flamands.

Lecture publique et exhaustivité

Lectures est d’un sérieux, d’une exhaustivité et d’une constance dans le souci de défendre vaillamment la « lecture publique », comme on dit de moins en moins chez nous, qui emportent la sympathie et même l’admiration. On s’étonne toujours qu’un système de lecture publique aussi complexe et reposant autant sur l’association institutionnalisée professionnels-bénévoles puisse tenir ; il tient. On remarque aussi que les bibliothèques universitaires et assimilées sont rarement évoquées dans cette revue, en comprenant bien qu’on est ici dans la « lecture publique », mais c’est comme si les difficultés économiques, culturelles et sociales d’accès au livre en milieu étudiant belge n’existaient pas. Ou alors c’est dans une autre publication que je n’ai pas le plaisir de connaître.

Comme cette chronique n’a pas été faite en 2006 et qu’analyser deux années de parution de Lectures est une gageure, je m’en tiendrai aux deux derniers numéros de 2006 et à des impressions et considérations qui me semblent pouvoir concerner l’ensemble de la production de deux années.

L’une des caractéristiques remarquables de Lectures est le nombre de rubriques et d’articles lié à l’exhaustivité des sujets abordés. Dix-sept rubriques et trente-cinq articles dans le numéro 147, dix-huit et vingt-huit dans le numéro 148. Remarquable est aussi la diversité d’origine socioprofessionnelle des auteurs, qui ne figurent pas tous dans les « professionnels de la profession » des bibliothèques. On y trouve des acteurs du secteur culturel et social comme des éditeurs et collaborateurs d’éditeurs, des journalistes, des enseignants et des « bibliothécaires », terme qui recouvre en Belgique une extension plus grande que celle du grade éponyme en France.

Autre caractéristique déjà signalée dans de précédentes chroniques sur le même sujet : la fonction explicite et implicite d’outil de référencement bibliographique. Beaucoup de rubriques régulières ont pour fonction de présenter des auteurs, des genres littéraires et graphiques et des titres remarquables.  Ainsi des rubriques Les enfants d’abord ! et Et les ados aussi qu’on retrouve dans chaque numéro 2. Des portraits d’auteurs sont faits sous forme d’interviews comme celui de Jean-Baptiste Baronian par Florence Richter dans le numéro 147, d’autres ont une forme bio-bibliographique plus classique, comme celui de l’auteur de théâtre Thierry Debroux par Anne Richter dans le numéro 148, mais chacun de ces articles est suivi d’une méticuleuse bibliographie de l’auteur concerné.

Dans chaque numéro, on retrouve aussi une chronique Autour de la BD qui fait l’analyse d’ouvrages sur la bande dessinée ou de bandes dessinées proprement dites. Il serait facile d’ajouter qu’après tout la bande dessinée est une industrie nationale belge et qu’il est bien naturel qu’une revue destinée aux bibliothécaires lui donne une place importante. L’essor de la « figuration narrative » en Bel-gique est un fait culturel dont il n’est pas commode d’expliquer l’exceptionnel développement ni le fait qu’elle a bénéficié de la part des bibliothécaires d’une considération qui a été plus tardive chez nous. L’admirateur de Franquin qui signe ces lignes risquera une explication : l’humour – qui est un élément fondamental dans la genèse de la BD – et le savoir-rire de soi font partie d’une culture « nationale » qui est là plus qu’ailleurs une condition de survie. Il reste que je me suis souvent demandé à quoi et comment cette fonction bibliographique est utile aux lecteurs, compte tenu de la concurrence papier et numérique dans l’information bibliographique. Livres Hebdo 3 est aussi beaucoup lu en Wallonie. Si cette fonction n’avait pas d’utilité, les lecteurs l’auraient depuis longtemps fait savoir à la rédaction, pourrait-on dire plaisamment. J’y vois pour ma part une résistance au tout numérique tout à fait salutaire et la prise en compte des besoins d’information et de formation de bibliothécaires de toutes petites structures, souvent des associations, pour lesquels la publication papier est un lien d’appartenance à ce qui est aussi un réseau de solidarité. N’oublions pas que Lectures est la publication d’une association dont un grand nombre de lecteurs se connaissent personnellement.

La bibliothèque en perspective

Le numéro 148 nous donne à lire un dossier consacré aux actes de la Journée d’étude du Conseil supérieur des bibliothèques publiques (CSBP) tenue le 25 septembre 2006 et dont le thème était « La bibliothèque en perspective ». Un titre aussi flou et passe-partout pourrait cacher une prise de conscience bien réelle de la mutation difficile des médias dits « traditionnels » et des bibliothèques à l’heure du livre concurrencé. Je me contenterai de reprendre ci-dessous, en les abrégeant, les questions que posait Annick Maquestiau, présidente du CSBP, dans son allocution inaugurale 4 :

  • Les bibliothécaires sont-ils devenus médiateurs sociaux et culturels ?
  • L’offre étendue des services répond-elle à une demande de plus en plus diversifiée ?
  • Existe-t-il une image vieillotte des bibliothécaires ?
  • Les bibliothèques sont-elles organisées comme des lieux particuliers de conservation des documents ? Ou doivent-elles et peuvent-elles aussi contribuer à l’organisation de la bibliothèque publique virtuelle ?

Il est rassurant, à la lecture de ce dossier, de retrouver simplement et clairement formulées des questions que nous nous posons nous aussi. Par exemple celle-ci 5 : « La bibliothèque doit-elle consacrer du temps, de l’énergie et des moyens financiers au milieu scolaire ? » Au moment où je me pose moi-même la question de l’utilité réelle – qui signifie à terme inscription autonome de jeunes lecteurs – des « visites de classes » et autres dépôts ou passages de bibliobus dans les écoles, je trouve salutaire qu’on se pose aussi simplement la question, qui appelle évidemment des réponses nuancées dans le négatif. Un peu plus loin, dans le compte rendu de l’atelier 8, « Le Marketing », l’auteur 6 donne une réponse : « Casser, en termes d’image, la liaison automatique entre bibliothèque et école. »/

Les solutions que l’on retrouve ça et là dans les colonnes de ce dossier et à la lecture desquelles j’invite les lecteurs du BBF n’ont rien de bien différent de celles que proposent des bibliothécaires français, sauf que la dimension sociale des problèmes culturels me semble ici davantage prise en compte.

Où l’on voit que le pointillé dans les champs de betteraves qui nous sépare de la Wallonie a chaque jour un peu moins de sens.

  1. (retour)↑  La promesse (1996), Rosetta (1999), Le fils (2002), L’enfant (2005).
  2. (retour)↑  De même que les bibliographies : signalétique « Mise en poche » et signalétique et analytique « Recensions » (classement CDU).
  3. (retour)↑  À ce propos j’espère bien que la version papier de LH ne va pas disparaître au profit de la seule version électronique. Devoir tout lire sur écran, quelle horreur !
  4. (retour)↑  Annick Maquestiau : « Impliquer les bibliothécaires dans la réflexion sur le métier », Lectures, no 148, p. 19.
  5. (retour)↑  Atelier 3 : « Le public scolaire et le rapport à l’école ». Animateur : Jean-Claude Tréfois ; rapporteur : Luc Battieuw. Lectures, no 148, p. 24.
  6. (retour)↑  Atelier 8 : « Le marketing ». Animateur : Joëlle Froment ; rapporteur : Nicole Salières. Lectures, no 148, p. 33.