Le projet de nouveau pôle documentaire municipal et universitaire de Brest

Alain Sainsot

Nicolas Galaud

En 2011, Brest, deuxième ville de Bretagne, métropole d’équilibre pour l’ouest de la région et centre universitaire important, sera dotée d’un nouvel équipement documentaire de près de 14 000 m2, associant une bibliothèque universitaire de lettres et sciences humaines et une médiathèque tête de réseau municipal. Nous rappellerons ici la genèse de ce projet original, avant d’en détailler les objectifs et les principales caractéristiques.

La genèse du projet de nouvel équipement

Le point de départ de ce projet réside dans l’installation de la faculté des lettres et sciences sociales au centre-ville, dans le cadre du plan Université 2000. Les nouveaux bâtiments de la faculté Victor Segalen, conçus par l’architecte Massimiliano Fuksas, sont inaugurés en 1994, mais les 2 400 m2 consacrés à la documentation ne peuvent constituer qu’une installation primaire : locaux mal adaptés, nombre de places insuffisant, absence d’espace et d’éclairage, tous ces éléments militent pour la construction d’un nouvel équipement.

À partir de 1998, la construction d’une bibliothèque des lettres est placée par l’université de Bretagne occidentale (UBO) en tête de ses priorités pour le contrat de plan État-Région 2000-2006. C’est au cours de la négociation du contrat que la ville de Brest manifeste son intérêt pour le projet et questionne l’université sur l’opportunité d’un équipement commun qui intégrerait à la fois la bibliothèque universitaire de lettres et une médiathèque municipale. Le réseau des bibliothèques de la ville de Brest s’est en effet développé sur dix sites répartis sur le territoire communal suivant un modèle décentralisé et souffre de l’absence d’un véritable équipement central.

L’université donne une réponse favorable sous réserve du maintien de deux entités distinctes, aptes à fonctionner en autonomie.

Une étude de faisabilité, confiée au cabinet ARP, est lancée par la ville fin 2000, et aboutit en mars 2001 à la décision de construire deux équipements conjoints et fonctionnant en coopération. Un problème se pose cependant : celui de la chronologie des projets. L’université souhaite commencer la construction rapidement, le projet étant inscrit dans le contrat de plan État-Région, alors que la ville ne prévoit pas de chantier avant plusieurs années. Un concours de maîtrise d’œuvre est donc lancé à l’automne 2001 par le rectorat de l’académie de Rennes pour la construction de la bibliothèque universitaire, auquel s’associe la ville de Brest. Ce concours prévoit la possibilité d’extension du bâtiment universitaire pour y accoler une médiathèque municipale. Les architectes appelés à concourir doivent produire une esquisse comprenant les deux équipements.

À l’issue de ce concours, c’est Laurent Beaudouin, concepteur entre autres de la médiathèque François Mitterrand de Poitiers et de la bibliothèque universitaire du Mans, qui est désigné comme maître d’œuvre de la partie universitaire. La conception de la médiathèque centrale lui est également confiée officiellement par la ville de Brest en juin 2006.

Le bâtiment sera réalisé en deux phases. Les travaux de la bibliothèque universitaire ont débuté en août 2006. La mise en service de cet équipement est prévue à la rentrée universitaire 2008. Les travaux de la partie municipale devraient débuter durant l’été 2009, la parcelle destinée à accueillir cet équipement étant actuellement occupée par un gymnase qu’il convient de déplacer au préalable. L’ouverture au public de la médiathèque est envisagée fin 2011.

Illustration
Vue de la façade de la bibliothèque universitaire donnant sur l’avenue Foch. La médiathèque prendra place à droite du hall commun. © Beaudouin architectes.

Les objectifs

Les principaux objectifs assignés par la ville au projet de médiathèque centrale, qui remplacera trois équipements de centre-ville devenus obsolètes, sont les suivants :

– développer l’offre documentaire par le transfert en libre accès d’une grande partie des livres conservés dans les magasins de l’actuelle bibliothèque d’étude, par des échanges de collections avec la bibliothèque universitaire et par des acquisitions complémentaires destinées à enrichir notamment les fonds audiovisuels. La médiathèque proposera ainsi 150 000 documents en libre accès, contre moins de la moitié aujourd’hui dans les sites du centre-ville ;

– moderniser les services existants et proposer de nouveaux services, notamment dans le domaine du multimédia : 50 postes informatiques seront à la disposition du public dans les différents espaces, pour la recherche documentaire, la consultation d’Internet et de ressources en ligne, la création multimédia ou l’autoformation aux langues étrangères ;

– augmenter le nombre de places de travail et de consultation (500 places contre moins de 300 actuellement dans les sites centraux) ;

– améliorer la conservation et la mise en valeur du patrimoine écrit : réinstallation des collections patrimoniales dans des magasins plus adaptés et offrant des capacités d’accroissement suffisantes et amélioration des conditions d’accueil du public au sein d’une salle de consultation patrimoniale spécifique. Les fonds de conservation de livres pour enfants, qui sont une des spécificités de la bibliothèque, seront quant à eux mis en valeur dans un magasin semi-public, visible depuis l’espace jeunesse ;

– développer la politique d’animation culturelle de la bibliothèque par la création d’espaces spécifiques (auditorium, salle d’exposition, café littéraire, salle d’accueil des groupes) qui lui font actuellement défaut ;

– moderniser le fonctionnement des services centralisés du réseau des bibliothèques (administration, informatique, catalogage, reliure et équipement, logistique, prêt aux écoles et aux collectivités, prêt à domicile) et redéployer ces services dans des locaux plus adaptés, afin de renforcer le rôle de tête de réseau municipal du futur équipement ;

– jouer un rôle structurant en Bretagne à côté de la bibliothèque de Rennes Métropole en partenariat avec les différents acteurs régionaux du livre et de la lecture et figurer parmi les bibliothèques municipales d’intérêt régional.

Les objectifs de l’UBO sont d’abord de réunifier les collections. L’exiguïté des locaux mis à la disposition du service commun de documentation à l’ouverture de la faculté des lettres en 1994 n’a pas permis de présenter toutes les collections de lettres et de sciences humaines sur le site. Pour ce qui est des périodiques, ne sont consultables sur place que les fascicules des deux dernières années. Les collections antérieures, ainsi que trente mille ouvrages, restent actuellement entreposées en magasin à la bibliothèque droit-sciences. Mettre fin à cette situation constitue l’un des enjeux essentiels de cette opération de construction.

Il s’agit aussi d’augmenter le nombre de places de lecture, actuellement de trois cent cinquante et de le porter à cinq cents, pour environ 5 000 étudiants présents sur le site, tout en proposant des locaux adaptés au travail en groupe aussi bien qu’à l’accueil des lecteurs isolés. Le projet prévoit également une centaine de places informatisées, des espaces réservés à la formation des usagers ainsi que des espaces d’animation, afin de poursuivre et d’amplifier une collaboration active avec le service culturel de l’université.

Mais son enjeu principal est naturellement de renforcer la coopération entre le réseau municipal et le réseau universitaire, afin de mettre à la disposition de la communauté universitaire et du reste de la population de nouveaux services et des ressources documentaires élargies. Cette coopération, qui est déjà bien réelle, en particulier par le biais du pôle associé océanographie de la Bibliothèque nationale de France auquel participent les deux institutions, prendra plusieurs formes, dans les limites fixées par les tutelles, à savoir le maintien de l’autonomie de gestion des deux entités.

Certains espaces seront mutualisés : la salle des périodiques et de référence, les principaux espaces d’animation (café littéraire, salle d’exposition de 200 m2, auditorium de 200 places), ou encore la salle de formation informatique, conçue par le SCD comme un espace de formation des étudiants à la recherche documentaire (ressources électroniques internes et externes à l’université), fonctionnant en sessions pédagogiques dirigées et contrôlées.

Une politique documentaire concertée sera mise en place. Elle se traduira notamment par des échanges de collections, l’élimination des doublons dans les abonnements, des plans d’achats coordonnés et une réflexion sur la mutualisation de la documentation électronique.

Enfin, une convention entre la ville et l’UBO fixera les principes de fonctionnement et les modalités de gestion des espaces communs et des services mutualisés (le prêt entre bibliothèques par exemple). La plus importante des dispositions déjà adoptées est que chaque entité documentaire sera accessible gratuitement aux usagers inscrits dans l’une ou l’autre des bibliothèques.

L’enjeu urbain

La décision de construire en centre-ville la faculté des lettres est liée à la volonté de remettre l’université au cœur de la cité, pour lui donner plus de visibilité et lui permettre de contribuer davantage à l’animation urbaine. La bibliothèque universitaire sera logiquement construite à proximité immédiate de la nouvelle faculté, une passerelle permettant de passer directement d’un bâtiment à l’autre. La médiathèque centrale lui sera accolée. Ces choix d’implantation ont été rendus possibles par la présence en centre-ville de réserves foncières correspondant au glacis des anciennes fortifications (dont le démantèlement a été achevé après 1945). Progressivement s’est mis en place sur cet ancien glacis un « arc culturel et éducatif » qui regroupe, outre la faculté -Victor Segalen et la future bibliothèque, un complexe cinématographique ouvert en 2005, le Quartz (scène nationale et centre de congrès), la cinémathèque de Bretagne ainsi que la Carène, salle dédiée aux musiques actuelles qui sera inaugurée au printemps 2007. Cet arc doit contribuer à rapprocher et à souder, avec la place de la Liberté – espace d’échanges et d’animations réaménagé il y a une dizaine d’années –, les deux parties historiquement distinctes du centre commerçant organisées autour de la rue de Siam et de la rue Jean Jaurès.

Le nouvel équipement se situe en outre dans le périmètre de protection de l’hôpital Morvan, ensemble de bâtiments des années 1930, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Il prend place également à l’intérieur d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) qui couvre la partie du centre-ville reconstruite après-guerre. L’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France a donc été requis pour ce projet.

Les particularités architecturales

Ce projet fait la synthèse de différentes solutions architecturales déjà éprouvées par Laurent Beaudouin dans d’au-tres réalisations similaires, à Poitiers, à Besançon ou au Mans notamment.

Le bâtiment est articulé autour d’un hall commun, accessible depuis l’avenue Foch et depuis le mail piéton qui traverse la faculté des lettres. Une rampe permet également l’accès direct au bâtiment universitaire depuis ce hall. Il donne enfin l’accès à la bibliothèque universitaire d’un côté et à la médiathèque de l’autre. Ce hall sera donc à la fois la colonne vertébrale du bâtiment, mais aussi l’espace principal de croisement des différents flux de circulation des usagers, entre l’extérieur et l’intérieur, entre les bâtiments d’enseignement et de recherche et les espaces documentaires, entre la partie universitaire et la partie municipale de la bibliothèque. En outre, une passerelle coupera le hall au niveau 1 et permettra la circulation directe des publics entre les espaces documentaires de la médiathèque et de la bibliothèque universitaire.

Ce hall traversant permettra enfin d’accéder aux différents espaces mutualisés, qui devront pouvoir fonctionner indépendamment des entités documentaires auxquelles ils sont rattachés : la salle des périodiques et de références située dans la partie universitaire, la salle d’exposition et l’auditorium situés dans la partie municipale. Le café littéraire situé à l’aplomb du hall traversant, entre la passerelle d’accès à la faculté et la rampe, sera tout à la fois un espace de circulation, d’animation et de convivialité, offrant notamment une belle vue panoramique sur le centre-ville. Dernier espace mutualisé, la salle de formation informatique, située au-dessus du café, sera également accessible depuis le hall.

La façade donnant sur l’avenue Foch sera traitée dans son épaisseur de façon à créer une alternance de transparence et d’opacité et donner une profondeur utile pour l’aménagement d’espaces plus intimes, d’une indépendance relative par rapport aux volumes des grandes salles de lecture, où le lecteur pourra s’isoler tout en restant visible. Selon Laurent Beaudouin, « la diversité des qualités de lumière, des ambiances et de l’atmosphère fait partie du confort de la bibliothèque. Il en va de même du rapport à la vue extérieure ». Dans ce projet, les vues vers l’extérieur sont ainsi multipliées, « en donnant à chaque espace sa fenêtre, en conservant un rapport intime entre le lecteur et le paysage urbain ». Côté ouest, où le bâtiment s’ouvre sur la ville, un dispositif de pare-soleil translucide permettra de laisser passer la vue, tout en protégeant les façades du soleil. Par ces dispositifs, l’architecte souhaite éviter « le résultat néfaste des façades entièrement vitrées qui est désormais suffisamment connu dans le domaine des bibliothèques ».

La salle de lecture de la bibliothèque universitaire s’ouvrira sur deux niveaux, permettant au public d’appréhender un vaste volume autour duquel se répartiront des espaces plus intimes et des locaux spécialisés. L’accent y est mis sur la lisibilité des lieux et sur la qualité de l’éclairage, pour créer une sensation d’espace, amplifiée par la hauteur sous plafond.

Le projet brestois de bibliothèque universitaire et municipale se caractérise principalement par son pragmatisme. Le rapprochement entre les deux structures est a priori plus simple que leur éventuelle fusion qui aurait posé des problèmes très délicats à résoudre en termes administratifs (statut de l’établissement, des collections, des personnels), budgétaires et techniques (gestion du bâtiment, informatique notamment). Ce scénario de rapprochement et de coopération concrète semble, à l’heure actuelle, le plus réaliste tout en préservant l’avenir et en n’interdisant pas des évolutions ultérieures.

La proposition présentée par Laurent Beaudouin est celle qui répondait le mieux aux différentes contraintes programmatiques et fonctionnelles. Elle permettra enfin de requalifier la perspective urbaine offerte par l’avenue Foch, axe important de circulation, et prolongera le mail piétonnier qui traverse actuellement la faculté, pour créer à terme une nouvelle voie verte au cœur de la cité.

Les bibliothèques de Brest en chiffres

Médiathèque (ouverture fin 2011)

Architecte : Laurent Beaudouin

– Surface : 8 300 m2 shon

– Nombre de places assises : 500

– Collections en libre accès à l’ouverture : 120 000 livres, 25 000 CD, 10 000 DVD

– Collections en magasin : 200 000 volumes environ

– Informatique : 140 postes informatiques dont 50 à la disposition du public

– Coût de l’opération (toutes dépenses confondues) : 21,8 millions €

Bibliothèque universitaire (ouverture octobre 2008)

Architecte : Laurent Beaudouin

– Surface : 5 100 m2 shon

– Nombre de places assises : 500

– Collections en libre accès : 100 000 ouvrages, 420 titres de périodiques

– Collections en magasin : 50 000 ouvrages

– Informatique : 75 postes dont 60 accessibles au public

– Coût de l’opération : 10 millions