Les petites bibliothèques publiques

par Françoise Hecquard

Bertrand Calenge

Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 2006. – 272 p. ; 24 cm – (Bibliothèques).
ISBN 2-7654-0916-1 : 32 €

La 3e édition des Petites bibliothèques publiques de Bertrand Calenge est sortie cette année au Cercle de la librairie. Rappelons que l’édition précédente datait de 1996.

Structuré en neuf parties, l’ouvrage a pour objectif de présenter un panorama détaillé de toutes les fonctions d’une bibliothèque publique, adaptées à une « petite » bibliothèque, définie ici comme « bibliothèque des communes de moins de 10 000 habitants ». Il commence par éclaircir la notion et détailler les missions de la bibliothèque publique, pour aller jusqu’à l’évolution vers l’intercommunalité, en passant par la constitution des collections, le « faire connaître » et le « faire vivre », ainsi que l’informatisation et la gestion de l’établissement.

Le public visé est composé des responsables de ces bibliothèques, qu’elles soient municipales ou associatives, des élus locaux, ainsi que des divers professionnels ayant des relations avec ces équipements, notamment les bibliothèques départementales de prêt (BDP).

Quelle « petite bibliothèque » ?

Le premier chapitre sera profitable à plus d’un bibliothécaire dans sa tentative de justifier sa mission et, par conséquent, les moyens qui lui sont nécessaires pour faire fonctionner son établissement. Il apporte à la fois la référence aux textes de base et une réflexion sur le rôle actuel des bibliothèques dans un contexte éminemment mouvant et face à des publics évolutifs, toujours plus variés et exigeants. La démarche du lecteur, développée dans le deuxième chapitre, permet d’établir une typologie clarifiante, qui introduit utilement la description concrète des procédures à mettre en œuvre.

Néanmoins, ce concept de « petite bibliothèque » interpelle à l’heure actuelle, étant donné l’évolution majeure de ces dix dernières années : peut-on réellement placer sur le même plan un relais-lecture de 100 m2, situé dans une commune de 1 000 habitants, même animée par des bénévoles formés, et la médiathèque de 1 000 m2 d’une commune de 8 000 habitants, gérée uniquement par des professionnels qualifiés ? Un même manuel professionnel peut-il raisonnablement leur convenir ? De fait, cette question se pose à chaque partie car le propos, de très bon niveau comme toujours dans les ouvrages de Bertrand Calenge, semble hésiter en permanence entre l’initiation et l’approfondissement.

La troisième partie, consacrée à la constitution des collections, développe une description relativement détaillée des différents types de documents présents dans une bibliothèque. Elle traite aussi du choix, du classement et du prêt de ceux-ci. Cependant, si elle évoque la querelle entre tenants du classement Dewey et tenants du classement par centres d’intérêt, elle n’explique pas, même succinctement, ce qu’est la classification Dewey, tout en abordant par ailleurs la disposition des cotes sans expliquer comment elles sont concrè-tement structurées. Si est aussi évoquée la nécessité d’organiser ses achats et d’élaborer un plan de développement des collections, aucun mode d’emploi plus précis n’est donné, et les démarches de choix de livres et de commande sont à peine abordées. La loi sur le droit de prêt n’est pas non plus expliquée dans la partie sur la communication des documents, en particulier les conséquences qu’elle a sur le budget d’acquisition et l’obligation de déclaration à la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit).

Initiation ou approfondissement ?

Dans le chapitre présentant le traitement des documents, l’auteur ayant choisi de rassembler dans une partie spécifique ce qui concerne l’informatisation, il passe d’abord en revue les catalogues manuels et l’intercalation, sujets qui ne concernent plus à l’heure actuelle que très peu de bibliothèques publiques, même petites. En effet, étant donné la baisse du coup d’une informatisation à cette échelle et, parallèlement, le développement important des aides financières, soit les bibliothèques sont vraiment très petites et leur catalogue se résume au minimum vital, soit elles sont un peu plus importantes ou récentes et s’informatisent dès que possible. Par ailleurs, l’informatisation concernant tous les aspects de la gestion, il est dommage que le traitement informatisé n’ait pas été passé en revue à chaque étape de la mise en œuvre, autrement dit dans chacun des chapitres. Du coup, la commande informatisée, le prêt informatisé, le récolement informatisé, etc. ne sont pas traités ou sinon de manière très succincte. Et l’annexe technique consacrée au circuit du document n’évoque qu’un parcours manuel.

La partie développant l’aménagement des locaux hésite elle aussi entre initiation et approfondissement. Les conseils donnés sont globalement très généraux et correspondent plus à une adaptation de ce qui se fait dans les « grandes » bibliothèques qu’à une conception véritablement spécifique. Les trois propositions d’estimation des besoins pour 3 000, 5 000 et 10 000 habitants sont directement reprises de Bibliothèques dans la cité, paru au Moniteur en 1996 *. Or l’organisation de l’espace dans une bibliothèque de moins de 1 000 m2 a peu à voir sur bien des points avec celle d’une bibliothèque plus importante, ce qui a mené un certain nombre de directeurs de bibliothèques départementales à mettre par écrit de véritables petits manuels pratiques dans ce domaine.

Le chapitre 6, « Faire vivre la bibliothèque », reste quant à lui tout à fait d’actualité et détaille de manière intéressante et utile les différents types d’animations pouvant être mises en place, ainsi que les partenariats possibles. On regrettera quand même que le rôle de la BDP, largement évoqué par ailleurs, soit ici presque passé sous silence alors que leurs activités de prêt de matériels d’animation et d’expositions itinérantes se sont très largement développées ces dernières années et constituent souvent la base incontournable d’une politique d’animation dans une petite commune.

Une refonte nécessaire

La partie réservée à la gestion plus administrative aborde succinctement mais explicitement les questions de statut de l’équipement, de relations avec la mairie, de gestion budgétaire, ainsi que le travail en équipe et la formation. Les ratios donnés pour le recrutement de personnel sont étonnants : plus exigeants même que les recommandations nationales (1 agent de catégorie B de la filière culturelle pour 1 500 habitants !), ils sont très éloignés des possibilités réelles des petites communes. De la même manière, les statistiques, traitées en dernière partie de ce chapitre, sont assez peu détaillées mais présentent l’envoi d’un rapport annuel à la Direction du livre comme une évidence. C’est à nouveau sur un sujet comme celui-là qu’on voit à quel point il est difficile de s’adresser dans un même ouvrage à des bénévoles, même formés, de communes de 1 000 à 3 000 habitants et à des responsables salariés de communes de plus de 5 000 habitants.

Sur les parties consacrées à In-ter-net et à l’intercommunalité, on peut faire les mêmes remarques que plus haut sur l’informatisation :  aujourd’hui, ces deux aspects ne peuvent plus être dissociés d’une gestion quotidienne normale. Même en deçà de 1 000 habitants, disposer d’un accès Internet doit être une évidence pour toute bibliothèque à vocation municipale et l’intercommunalité a pratiquement couvert tout le territoire national. Il est donc utile que ces thèmes soient abordés mais il est dommage qu’ils soient traités à part dans la structure de l’ouvrage. Par ailleurs, s’agissant de l’intercommunalité, les schémas proposés semblent relever de contextes très ruraux : à l’heure actuelle, il existe de nombreux modèles de réseaux intercommunaux de bibliothèque et ceux comprenant plusieurs bibliothèques municipales de taille équivalente travaillant en collaboration ne sont pas les plus rares.

En conclusion, cet ouvrage a le mérite d’exister dans un contexte où le réseau des petites bibliothèques de proximité se développe de manière importante sans toujours pouvoir bénéficier des outils d’information et de formation adéquats. Pour autant, il est dommage qu’il n’ait pas subi une refonte complète qui aurait mieux tenu compte de l’évolution majeure constatée sur le terrain depuis ces dix dernières années justement.