Mutualiser pour répondre à de nouveaux besoins

Brigitte Dujardin

L’objectif de la journée d’étude organisée à Paris, le 11 mai dernier, par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) était de définir ce qu’est la mutualisation aujourd’hui afin de permettre une meilleure compréhension du concept.

Mutualiser, un concept…

D’entrée, Éric Sutter (bureau van Dijk) insiste sur le fait que la mutualisation s’inscrit dans une démarche de management. Il nous entraîne dans une démonstration claire et passionnante.

Mutualiser n’est pas un concept neuf, nombres d’associations d’entraide, de sociétés coopératives et de mutuelles ont vu le jour dans divers pays, à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, de quoi s’agit-il ? Absent des dictionnaires, le mot mutualisation est un néologisme : « mettre en commun à des fins de partage ». Associé à des mots-clés tels que fédérer, solidariser, partager, il renvoie à différents concepts : partenariat, économies d’échelle, optimisation, gain de temps, projet coopératif, valeur ajoutée, interopérabilité, métadonnées harmonisées, structure de mutualisation, communauté virtuelle, etc. La mutualisation, c’est une mise en commun des moyens qui répond d’abord à une logique économique.

Mutualiser pour qui, quoi et pourquoi ? Il peut s’agir de partager les frais d’achat d’une ressource (encyclopédie, revue) ou d’un moyen technique (logiciel spécialisé), la charge d’une compétence spécifique. Avant tout, il est important de bien déterminer quels sont les enjeux et les objectifs : rationaliser pour économiser de l’argent, le temps de travail ; bénéficier de compétences accrues, d’outils plus performants, de méthodes, d’une valeur ajoutée plus élevée… La mutualisation peut être entreprise au sein même d’une structure, être régionale, nationale, internationale et peut concerner toutes sortes de « ressources » (humaines, informationnelles, techniques…). Cela peut être tout ou partie d’un processus : acquisition (achat groupé) ; traitement (catalogage, indexation) ; expertise (personnes ressources) ; produits et services (guichet d’accueil, portail fédérateur, base de données commune, prêt entre bibliothèques, réponse aux questions…). Tous les cas de figure sont envisageables, y compris la mise en commun d’une réflexion comme lors de cette journée d’étude…

… et une démarche

Mais pourquoi vouloir travailler ensemble ? Cela ne se décrète pas mais se prépare et s’organise. Pour réussir une mutualisation, il faut qu’elle soit ancrée dans la stratégie globale de l’institution, que ce soit en termes de stratégie économique ou de valorisation. Cela entraîne forcément, au sein de l’entreprise, une modification de l’organisation du travail, des habitudes à changer, des peurs à lever, la création d’interdépendances. Mutualiser implique de se poser des questions pour trouver la configuration adaptée à chaque situation, de déterminer ce que l’on veut recevoir et ce que l’on peut apporter, ce qui n’est pas « partageable ».

Quelle démarche pour mutualiser ?  Tout en attirant notre attention sur le fait que chaque initiative de mutualisation doit être prospective, Éric Sutter nous propose six étapes : dresser un état des lieux technique et économique ; analyser la nouvelle demande ; déterminer la nouvelle offre à valeur ajoutée, les solutions organisationnelles et techniques ; analyser les traitements, les compétences ; accompagner (en formation) ; manager le changement, promouvoir.

Mutualiser permet de répondre aux exigences de « qualité de service » (réactivité, continuité, simplicité d’accès…), de développer des services à valeur ajoutée (agrégation de contenus, accès à des ressources hétérogènes…) au travers d’un centre commun de ressources, d’une plate-forme IST, d’un portail fédérateur. Il ne faut pas négliger l’investissement dans le temps : la démarche de mutualisation prend du temps…

Études de cas

Plusieurs interventions illustrèrent l’approche théorique d’Éric Sutter. Ainsi Christine Stotzenbach (bibliothèque de l’université de Marne-la-Vallée) présenta l’achat de ressources électroniques dans le cadre du Polytechnicum de Marne-la-Vallée, groupement d’intérêt public (GIP) constitué de 18 établissements d’enseignement supérieur et de recherche du Grand Est parisien.

Martine Sibertin-Blanc exposa l’expérience de La Documentation française dont une des missions est l’information du grand public sur ses droits, démarches et obligations et sur les politiques publiques, et qui est l’opérateur de Service-public.fr pour le compte de toute l’administration. L’information administrative est composite : du texte structuré selon une norme rédactionnelle, des données complémentaires (lois, décrets, circulaires), des éléments d’orientation, des données de « certification », un ensemble d’unités d’information qui ont chacune leur logique propre. Un sujet idéal pour la mutualisation et la gestion de contenu !

En 2002, eut lieu la première expérience de mutualisation avec la naissance du « co-marquage », un système de mutualisation des données administratives entre le site national Service-public.fr et de multiples sites locaux 1. En mars 2006, près de 840 sites sont co-marqués. Le guide Vos droits et démarches est passé d’un « simple » produit éditorial à un véritable outil structurant du fonctionnement de l’administration répondant aux besoins d’information des usagers. Cette passionnante aventure a permis de tirer quelques enseignements : apporter une réponse organisationnelle, s’appuyant sur la démarche qualité, par la mise en place d’instances de coordination ; produire des référentiels pour l’utilisation des ressources communes ; « mener un pilotage ferme ».

Catherine Burtin présenta BiblioSés@me, un réseau coopératif de réponses à distance piloté par la Bibliothèque publique d’information depuis le début de l’année 2006. Des partenariats avec d’autres structures ou réseaux sont d’ores et déjà effectifs (coopération linguistique avec la Zentral-und Landesbibliothek de Berlin, par exemple). Le réseau est fondé sur le courriel : les usagers remplissent un formulaire sur le site web d’une des bibliothèques du réseau. Le service rendu est personnalisé : comme pour le renseignement sur place, une réponse précise est fournie à un moment précis pour une personne précise.

Que mutualiser sur le web ?

Stéphane Cottin 2 (Conseil constitutionnel) commenta « des expériences vécues et concrètes dans l’utilisation quotidienne et professionnelle de certains outils logiciels de mutualisation ». Il constata qu’« il s’est créé autour des phénomènes de mutualisation via les outils web 2.0, tout un vocabulaire fait de néologismes compliqués et surtout de mythes (dont le premier est de croire que le web 2.0 existe et fonctionne déjà), comme la sérendipité (l’art de la recherche au hasard), les anglicismes à outrance (social networking…), quand ce ne sont pas des emprunts éhontés et incontrôlés au domaine du knowledge management. » C’est pourquoi il proposa des définitions de certains mots ou expressions de cette « novlangue », nécessaires pour apprécier les différents outils de mutualisation en ligne : logiciels sociaux, folksonomies, wikis, etc. Il donna des exemples d’applications permettant de mutualiser ses signets (Del.icio.us), ses fils RSS (Blogline), ses mots-cés (Technorati), ses photos (Flickr), ses connaissances (Wikipédia), etc.

La journée s’est terminée par une table ronde au cours de laquelle il fut rendu compte d’expériences de réseaux documentaires : la construction d’une base de littérature grise par les agences de l’eau ; le réseau Toxibase – Centres d’information régionaux sur les drogues et les dépendances ; la mutualisation des connaissances au sein des chambres de commerce.