Le frab au service d'une politique culturelle en région ?

actes du colloque national organisé par le ministère de la Culture et de la Communication, Direction régionale des affaires culturelles de Haute-Normandie, et la région Haute-Normandie

par Thierry Ermakoff
Rouen : Agence régionale du livre et de la lecture ; Paris : Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et la communication, 2005. – 141 p. ; 25 cm.
ISBN 2-915327-13-0 : 18 €

Ce colloque, qui s’est tenu au Havre les 23 et 24 janvier 2003, et dont les actes viennent d’être publiés, fait suite à celui qui avait eu lieu à Rennes en novembre 1995, et dont l’intitulé était : « Enrichir le patrimoine des bibliothèques en région 1 ». Nous étions allés à Rennes à l’occasion de ces journées d’étude. Ce fut presque un sacerdoce. Il y avait eu une grève des chemins de fer assez imprévisible. Pour le coup, tout était un peu désorganisé, mais finalement bon enfant. Nous avions même inventé à cette occasion le covoiturage. Et sous les ors du conseil régional de Bretagne, nous avions pu débattre et imaginer le meilleur pour le patrimoine de nos bibliothèques.

Un patrimoine invisible

En 2003, du chemin aura été parcouru. Et l’objet de ce colloque était bien de le mesurer. Dominique Coq, dans son intervention pertinente, précise et liminaire, évoque à propos du patrimoine écrit un patrimoine invisible. Lors de la présentation du Plan d’action pour le patrimoine écrit (Pape), il avait parlé d’un patrimoine muet. C’est dire l’importance de l’enjeu. Et pourtant, alors que toutes les régions ont un Frac (Fonds régional d’art contemporain), dix seulement bénéficient d’un Fonds régional d’acquisition pour les bibliothèques (Frab), dont neuf existaient déjà en 1995. Pour autant, les Frab ont évolué. Beaucoup ont intégré un volet restauration, voire valorisation. Et, parmi les régions sans Frab, certaines s’interrogent sur l’opportunité de s’inspirer, voire d’intégrer ce dispositif à celui des Fonds régionaux d’acquisition pour les musées (Fram).

On ne peut que constater l’ampleur de la tâche : 500 bibliothèques publiques détiennent des fonds rares et précieux, soit environ 6 millions de volumes antérieurs au XIXe siècle, 30 000 manuscrits médiévaux, 150 000 manuscrits modernes. Et, mécaniquement, les régions disposant de Frab sont mieux dotées que celles qui n’en disposent pas.

Si Jean-Sébastien Dupuit, en clôture de ces journées, rappelle comme en écho que le patrimoine écrit n’est jamais prioritaire, il souligne néanmoins que les véritables avancées en ce domaine viennent des Frab.

Un dispositif en devenir

Pour autant, faut-il en élargir l’assiette ? Faut-il, au moment où la contrainte budgétaire se resserre, systématiquement les ouvrir à la conservation quand, comme le rappelle Sarah Toulouse, les Frab ne suffisent pas à couvrir les demandes d’aide lors d’acquisitions précieuses ? Faut-il les intégrer, les diluer diront certains, dans un dispositif plus vaste, bibliothèques-archives-musées ?

Sur ce point, le témoignage de Philippe Lablanche, conseiller pour le livre en Franche-Comté montre que, après l’ambition d’un tel dispositif, le conseil régional est revenu à une certaine prudence. Faut-il faire une place forte au livre d’artiste, à la bibliophilie ? Là encore, l’intervention de Marie-Françoise Quignard, conservateur à la réserve des livres rares à la Bibliothèque nationale de France, est nette : la bibliophilie contemporaine n’est pas, sauf collections singulières, le domaine d’excellence, comme on dit, des bibliothèques publiques. Ou, à tout le moins, leur priorité. Faut-il acquérir sans se soucier de conservation préventive ? Faut-il acquérir sans localiser, sans indexer, sans valoriser ?

Si la présence d’un Frab permet de rapprocher les chercheurs des conser-vateurs, que ce soit dans la collecte et la recherche, comme à Rouen, tout cela concourt-il à dessiner une politique culturelle en région ? Vaste débat, vaste programme. Et que cet ouvrage n’éclaire que partiellement.

L’enjeu de la décentralisation

En effet, la difficulté à laquelle est confronté ce type de publication est son délai. Depuis 2003, bien des aspects ont changé. Jean-Sébastien Dupuit notait qu’avec les lois de décentralisation en gestation à l’époque, tout changerait ou rien ne bougerait. Aujourd’hui, seuls les services de l’inventaire, et quelques monuments historiques ont effectivement fait l’objet de transfert : point de patrimoine des bibliothèques. Les exécutifs régionaux ont (presque) tous été renouvelés en 2004. La contrainte financière s’est tendue, et les difficultés rencontrées en 2005 ont été davantage repérées pour les Frac que pour les Frab. Le patrimoine écrit n’est donc pas devenu plus visible.

Mais, dans le même temps, la Direction du livre a lancé, en 2004, un plan d’action pour le patrimoine écrit, qui, au-delà des Frab, s’est intéressé à la localisation, aux catalogues, à la formation. Ce programme a fait germer tous les espoirs. La BnF, très peu représentée lors de ce colloque, a vu ses capacités d’expertise et d’intervention réaffirmées. Nous serions finalement amenés à penser qu’une politique culturelle devrait se servir de tous ces fameux ingrédients.

Terminons donc ce rapide point de vue avec le plaisir de citer Jean Marie Goulemot (L’amour des bibliothèques, Seuil, 2006) 2 : « Malgré des oublis passagers, le destin d’Alexandrie rappelle avec insistance que les bibliothèques sont fragiles et mortelles. Comme les hommes et les civilisations dont elles sont les gardiennes. » Car nous avons la faiblesse et la modestie de partager totalement ce point de vue, et d’en souligner l’urgence.