Identité, culture et diversité

Anne Le Foll

Le colloque organisé les 13 et 14 décembre 2005 par la Bibliothèque publique d’information (Bpi), en partenariat avec la Zentral und Landesbibliothek Berlin (ZLB), sur le thème de la diversité culturelle, a tenu toutes ses promesses. La qualité des interventions et la pluralité des points de vue ont permis au public de mieux appréhender un concept riche de sens et aux multiples applications.

Benoît Yvert, directeur du livre et de la lecture, et Michel Lummaux, directeur de la coopération culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères, ont salué l’initiative de ce colloque à un moment où la diversité des cultures nationales est menacée par la mondialisation. À ce titre, le projet de numérisation des fonds des bibliothèques européennes, lancé en avril 2005 par le président de la Bibliothèque nationale de France et par le ministère de la Culture et de la Communication, constitue déjà une réponse au défi lancé par l’américain Google.

La convention de l’Unesco sur la diversité culturelle

L’adoption, le 20 octobre 2005, du projet de convention internationale sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, par un vote majoritaire, constitue une étape essentielle permettant aux États de définir et de mener des politiques culturelles aujourd’hui menacées par la libéralisation du commerce.

Il s’agit du premier texte juridique fondateur en matière culturelle. Fruit d’un long processus de maturation et de deux années d’intenses négociations, cette convention renforce l’idée qui figurait déjà dans la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle (2001), à savoir que cette diversité doit être considérée comme un « patrimoine commun de l’humanité » et sa « défense comme un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne ».

Jean Musitelli, conseiller d’État, ancien ambassadeur de France auprès de l’Unesco, a fait partie du groupe d’experts pour la rédaction de la convention. Il a rappelé la double nature culturelle et commerciale des biens et des services culturels, et la nécessité de reconnaître cette spécificité afin de préserver la part de créativité propre à la nature de ces biens et services et de faire en sorte que ceux-ci échappent aux logiques du marketing de masse.

Cette convention crée des engagements juridiques pour les pays signataires, qui peuvent s’en prévaloir lors des discussions à l’Organisation mondiale du commerce. Cependant, comme l’a précisé Véronique Guévremont, doctorante à l’université Paris I, ce succès pourrait rester lettre morte s’il ne s’accompagnait pas d’une ratification rapide par les États signataires, de leur volontarisme et de leur vigilance dans des cadres extérieurs à l’Unesco. Il est crucial que le nouvel espace juridique soit le plus vaste possible et qu’il devienne une réalité dans les délais les plus brefs. Les faiblesses de la convention restent la question de son suivi, celle des sanctions en cas d’infraction et la difficulté de résolution des litiges.

Stratégies nationales et internationales

Plusieurs représentants des politiques de protection et de promotion des industries culturelles européennes étaient présents à ce colloque. Claudio Menezes, responsable du thème « Multilinguisme dans le monde digital » et membre du groupe intersectoriel à l’Unesco, a présenté l’initiative B@bel. Ce projet a pour objectif de défendre la diversité linguistique et culturelle sur le web. Il accorde un soutien spécial aux pays en voie de développement et aux communautés désavantagées afin de réduire la fracture numérique internationale.

Marie-Joseph Delteil, chef du bureau de l’édition littéraire au Centre national du livre, a rappelé que le CNL favorise la diffusion du livre français à l’étranger en subventionnant les éditeurs francophones. Il soutient aussi les littératures étrangères en accordant des aides à la traduction. Il favorise également l’accueil des écrivains étrangers en France, subventionne des salons (les Belles Étrangères) et aide les bibliothèques pour des acquisitions thématiques.

Olivier Planchon, chef du bureau des bibliothèques au ministère des Affaires étrangères, a mis en avant le rôle du ministère dans la promotion de la diversité culturelle, qui, grâce à ses crédits de coopération, permet de financer les échanges de la France avec l’étranger. Le réseau des établissements culturels français à l’étranger en est un dispositif majeur. Les saisons étrangères en France, élaborées depuis 1985 avec l’Association française d’action artistique, sont des moyens mis en œuvre pour développer les échanges artistiques internationaux. Dans le domaine de l’audiovisuel, le ministère finance également des actions pour favoriser l’expression audiovisuelle et cinématographique des pays du sud (fonds Sud Cinéma, fonds Images Afrique, Africa cinémas…) et encourager la diffusion de ces images auprès d’un public le plus large possible.

Le rôle des bibliothèques

Gérald Grunberg, directeur de la Bpi, et Claudia Lux, directrice de la ZLB, ont souligné le rôle majeur des bibliothèques dans la promotion de la diversité culturelle. Dans des sociétés de plus en plus multiculturelles, les bibliothèques offrent pour les migrants un point de référence.

Sophie Danis, responsable du pôle du développement documentaire à la Bpi, a fait remarquer que cet établissement, avec ses 6 000 visiteurs par jour, venant d’horizons différents, était un bel exemple de diversité culturelle. L’espace auto-formation avec son laboratoire de langues (150 langues et dialectes) est très apprécié du public. Le français langue étrangère (50 % des consultations) participe à l’intégration des étrangers sur le sol français. La presse en ligne (150 sites de presse pour autant de pays) est aussi très consultée par les étrangers.

Grâce à la variété des collections – littérature, musique, cinéma – et des services, à des accès facilités, à des actions pluriculturelles, à un personnel maîtrisant les langues étrangères, « les bibliothèques font vivre la diversité culturelle », selon Gérald Grunberg.

Peter Delin, responsable de la section des films multiculturels à la ZLB, pense que les films en langues étrangères sont non seulement « des locomotives de l’apprentissage des langues », mais aussi qu’« ils véhiculent les mentalités ». Propos corroborés par Catherine Blangonnet, chef du service de l’audiovisuel à la Bpi, qui, en prenant l’exemple du Festival du réel, juge que le cinéma documentaire est une ouverture sur le monde.

D’autres bibliothèques, comme le réseau des bibliothèques municipales de Grenoble (représenté par Maryse Oudjaoui), affirment leur rôle social en favorisant l’intégration des publics et en mettant en place des stratégies permettant d’aller même au-devant de nouveaux publics.

Dominique Arot, directeur de la bibliothèque municipale de Lille, conclut ces deux journées en invitant les bibliothécaires à enrichir ces questions sur la diversité culturelle. Il pense qu’en l’absence d’une loi sur les bibliothèques, qui condamne peu ou prou les bibliothécaires à un « bricolage permanent et inventif », la convention peut servir de socle à une action commune pour défendre cette diversité dans les bibliothèques.