La « société de l'information »

par Fabrice Papy
sous la dir. de Michel Mathien ; Michel Arnaud, Danielle Bahu-Leyser, Françoise Bernard… [et al.] ; préf. de Michèle Gendreau-Massaloux. Bruxelles : Bruylant, 2005. – 435 p. ; 24 cm. – (Collection Médias, sociétés et relations internationales ; 2). ISBN 2-8027-2039-2 : 35 €

Cet ouvrage, réalisé avec le soutien de l’Agence universitaire de la francophonie et de la Commission nationale française pour l’Unesco, tombe à pic. En effet, il précède de quelques mois le deuxième Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) qui sera accueilli du 16 au 18 novembre 2005 par le gouvernement tunisien.

Face à la complexité d’un tel sommet que la multitude de phases, réunions et autres prepcoms, révèle sans peine, ce solide ouvrage de 435 pages, dirigé et introduit par Michel Mathien, est assurément le bienvenu pour apporter un éclairage critique sur les enjeux colossaux – et malheureusement opaques, on peut le regretter, dans les modalités de mise en place – de la société de l’information.

Rassemblant la presque totalité des communications du colloque intitulé « La société de l’information. Entre mythes et réalités » qui s’est tenu les 4 et 5 septembre 2003 à l’université Robert Schuman de Strasbourg, cet ouvrage collectif témoigne d’une partie des travaux de chercheurs œuvrant au sein du Centre d’étude et de recherches interdisciplinaires sur les médias en Europe (Cerime).

Ce sont donc 21 auteurs, pour une grande majorité d’entre eux chercheurs en sciences de l’information et de la communication, qui tentent d’analyser, dans les 17 chapitres (presque 18 avec la postface de Anne-Marie Laulan), les enjeux culturels, sociaux, économiques et politiques liés à l’élaboration et au déploiement de la société de l’information.

Assurément la tâche était ardue, compte tenu du vaste champ que couvrent ces enjeux, et le directeur de la publication a su contourner la difficulté de l’éparpillement des réflexions en mettant l’accent sur quatre thèmes, explicitement restitués dans l’ouvrage, puisqu’ils donnent la structure des différents chapitres.

La démarche du SMSI et la place des chercheurs

Dès le début de cette première partie, Pascal Fortin traite de la genèse, des enjeux et des résultats de l’étape du Sommet de Genève, en prenant pour angle l’analyse des institutions concernées. Yves Jeanneret, tout en mettant en évidence l’importance du langage dans les discours tenus sur la « société de l’information » et ses présupposés, en pointe les ambiguïtés.

Dans deux chapitres distincts, Françoise Bernard évoque la pertinence du sujet, de ses enjeux et de ses débats pour une association de chercheurs comme la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC) et Catherine Loneux poursuit dans cette orientation en précisant les partenariats possibles.

Institutions et société civile

C’est Christophe Poirel qui ouvre la deuxième partie. Parce qu’il en est un membre actif, C. Poirel apporte le regard du Conseil de l’Europe sur la « société de l’information » et, notamment, les points de vue de celui-ci fondés sur la Convention européenne des droits de l’homme. Puis c’est à Laurent Pech de relever les différences d’approche de la liberté d’expression entre l’Europe et les États-Unis, tout en essayant d’en apprécier les convergences.

L’expérience politique d’André Santini, promoteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans sa propre commune, le conduit à s’interroger sur les limites des politiques publiques en la matière.

Enfin, cette deuxième partie se conclut sur la contribution de Danielle Bahu-Leyser, qui, à la suite de l’exemple français, montre comment s’effectue le développement des TIC sur le terrain avec les actions des décideurs.

L’économique dans le débat

La troisième et avant-dernière partie débute par la contribution de Jean-Louis Fullsack qui dresse le tableau des mutations technologiques ayant affecté les réseaux de télécommunication récemment. L’auteur souligne, à ce propos, les contradictions entre les logiques des États et celles du marché dans le cadre de la dérégulation et de la mondialisation.

À sa suite, Christian Pradié développe le thème de la concentration et des logiques financières dans le multimédia qui garde ses fondements dans les principes de l’économie classique. Michel Arnaud, quant à lui, s’intéresse à la « gouvernance dans le processus de normalisation » et met en évidence l’importance des « normes ouvertes » pour l’apprentissage en ligne dans un contexte non exclusivement marchand. Dans la même veine, Jacques Perriault met en relation le problème des espaces publics d’accès au numérique et celui du développement local dans le contexte de confrontation avec le secteur marchand.

Pour terminer cette partie, Annie Chéneau-Loquay porte ses réflexions sur l’adéquation de la démarche de l’ONU par rapport au développement des TIC en Afrique. Elle en souligne les limites et renvoie les organisations internationales concernées à l’esprit et au comportement avec lesquels ils appréhendent ce continent.

Les libertés

La dernière partie s’intéresse aux libertés. Renaud de La Brosse place le sujet de la démocratisation d’Internet dans le contexte international et dans celui des États et pointe le sujet de la diversité culturelle à l’échelle mondiale. -Bertrand Warusfel s’interroge sur la liberté d’expression dans le monde bipolaire de l’après 11 septembre 2001 où sévit le système Echelon. Dans le même contexte, Stéphane Callens s’intéresse à la généralisation de la télésurveillance en tentant de faire la part des choses entre des aspects positifs et négatifs. Pour terminer cette partie, Michel Gentot, alors président de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), présente, outre ses propres réflexions, une synthèse de l’expérience de cette commission.

Les textes majeurs élaborés à Genève lors de la première phase du SMSI (la déclaration de principes, le plan d’action et la déclaration de la société civile) ont été judicieusement annexés à la publication et permettent au lecteur d’apprécier la pertinence des analyses et des commentaires des contributeurs.

La mise en place du SMSI est une aventure d’une rare complexité. Cet ouvrage apporte sans nul doute une autre lecture certes critique mais également constructive afin de mieux appréhender les réalités de la société de l’information et de dissiper les mythes naissants.