Silences et représentations autour du public du patrimoine
L’auteur de l’article analyse le discours sur les collections patrimoniales et sur leur public. Elle souligne que, si la sociologie des publics s’est beaucoup développée depuis 20 ans, les publics du patrimoine n’ont jamais fait l’objet d’études. Les enquêtes leur ont accordé peu de place. Ni les formulaires des statistiques annuelles de la Direction du livre et de la lecture, ni les systèmes intégrés de gestion de bibliothèque ne sont adaptés à leurs spécificités.
The author of the article analyses the discussions about heritage collections and their public. She stresses that if the sociology of publics has been considerably developed over the last 20 years, the public for national heritage has never been the object of a study. Surveys have paid them little attention. Neither the annual statistical tables from the Direction du livre et de la lecture, nor integrated library management systems have been adapted to meet their needs.
Die Autorin des Artikels analysiert die Debatte rund um das schriftliche Kulturgut und seine Bedeutung für die Öffentlichkeit. Sie betont, dass in den letzten zwanzig Jahren zwar viele Schichten der Öffentlichkeit erfasst wurden, die Öffentlichkeit des Kulturerbes nie Gegenstand von Studien war. Durchgeführte Untersuchungen haben ihr nur sehr wenig Platz eingeräumt. Weder die Jahresstatistiken der Direction du Livre et de la Lecture, noch die integrierten Systeme für Bibliotheksverwaltung sind für dieses Fachgebiet zugeschnitten.
La autora del artículo analiza el discurso sobre las colecciones patrimoniales y sobre su público. Esta señala que, si la sociología de los públicos se ha desarrollado mucho desde hace 20 años, los públicos del patrimonio nunca han sido objeto de estudios. Las encuestas les han acordado poco espacio. Ni los formularios de las estadísticas anuales de la Dirección del libro y de la lectura, ni los sistemas integrados de gestión de biblioteca se encuentran adaptados a sus especificidades.
Le public des fonds anciens n’est pas et n’a jamais été objet d’étude. Les professionnels en ont une approche plus « impressionniste » que « réaliste » et ce qu’ils peuvent en dire relève beaucoup plus de la perception que de la connaissance 1. C’est donc un constat de silence sur le public du patrimoine qui s’impose dès lors qu’on aborde cette question. Ce qui est étonnant dans une société sujette à de récurrentes manifestations d’« émoi patrimonial ». Pourquoi ne dispose-t-on d’aucunes statistiques véritablement exploitables ? Pourquoi, alors que la sociologie des publics s’est beaucoup développée ces vingt dernières années, les publics du patrimoine ont-ils été « oubliés 2 » ?
Pour comprendre ces silences, il est nécessaire de passer en revue l’histoire des bibliothèques publiques françaises depuis trente ans, et de regarder du côté de l’engagement des professionnels dans la promotion et le développement du nouveau modèle de médiathèque.
En effet, comment les BM sont-elles pensées, conçues ? Comme des médiathèques largement ouvertes sur la cité ou comme des bibliothèques réservées à l’étude ? Comme des « usines » ou comme des « temples » 3 ? L’analyse de la littérature professionnelle permet de comprendre à quel point la « doctrine de la bibliothèque publique » 4 est à l’origine d’une transformation fondamentale des bibliothèques. Au cours des deux dernières décennies, la profession a été littéralement absorbée par une « grande mutation », le passage de la bibliothèque traditionnelle à la médiathèque publique moderne, « nouveau modèle » 5 en tous points antithétique du précédent. Et cela s’est explicitement fait en réaction contre un anti-modèle, celui de la bibliothèque traditionnelle : « Les institutions culturelles […] sont aujourd’hui tiraillées entre leur vocation à constituer des univers autonomes, stables, gardiens immuables du patrimoine et des savoirs et la logique de développement qui s’impose à tous les secteurs […] Le fameux musée poussiéreux, refuge des dimanches pluvieux, la bibliothèque hantée par quelques érudits silencieux environnés de gros volumes spécialisés sont désormais des figures repoussoirs que s’évertuent à conjurer les établissements engagés dans des rénovations et des restructurations considérables » 6.
On devine même parfois un phénomène de tension entre développement de la lecture publique et gestion de l’héritage patrimonial : « On peut affirmer que dans l’ensemble du secteur de la lecture publique, en quelque vingt ans, la France s’est dotée d’un réseau de bibliothèques, de médiathèques qui font maintenant, juste retour des choses, l’objet de visites de professionnels étrangers » 7. Le CSB lui-même évoque, dans un de ses rapports, « le poids du patrimoine [qui] en même temps qu’il confère à la BM son prestige, lui conserve aussi cette réputation de lieu réservé aux lettrés » 8. Dans le terme « repoussoir » se trouve probablement une des clés de compréhension des silences qui entourent la question patrimoniale : « Les bibliothèques ont souvent pâti d’une image un peu poussiéreuse, celle d’un espace patrimonial essentiellement tourné vers le passé » 9. Il leur fallait donc, pour s’imposer, se « débarrasser » de cette image « repoussoir ».
Dans ce contexte, la conquête d’une image moderne est un enjeu fondamental pour les professionnels du patrimoine. Il est intéressant alors d’analyser leur discours et leurs préoccupations.
Le discours sur les collections patrimoniales
Au cours des années 1980, s’impose l’idée que le patrimoine constitue un enjeu culturel et touristique important pour les villes. Signe des temps et d’une volonté politique forte, cette décennie est riche en rapports divers sur les bibliothèques. La plupart ont évidemment pour objet le développement de la lecture publique, mais cela n’empêche pas certains rapporteurs d’attirer l’attention des ministres sur la question du patrimoine écrit et graphique. Dans le même temps, une administration du patrimoine se met en place au sein du ministère de la Culture. Plusieurs missions lui sont confiées, parmi lesquelles : conseil aux établissements en matière de conservation et de contrôle technique, incitation à la construction (création d’une troisième part du concours particulier en 1992) et impulsion (lancement du CCFr en 1990)… L’essentiel des mesures prises concerne la conservation ou le traitement des collections.
Le même constat peut être fait si on analyse le discours des professionnels et l’activité quotidienne des établissements. Si le grand et fulgurant chantier de rétroconversion piloté par la BN a débouché sur un outil très important, le CCFr, la question du signalement des collections n’est pas résolue pour autant. Le CSB l’évoque en ces termes : « Le dénombrement incertain des collections anciennes de documents rares et précieux [est] un sujet redouté [car il s’agit de] travaux d’Hercule bénédictin » 10. En effet, les BM se trouvent aujourd’hui face à de nouveaux défis en matière de traitement intellectuel des collections. Il s’agit d’intégrer les collections du XIXe siècle et aussi, souvent, d’ouvrir la voie en matière de nouveaux formats 11. Dans ces conditions, le public ne constitue pas, on s’en doute, une préoccupation prioritaire.
C’est ainsi que l’on voit poindre, chez les professionnels du patrimoine, un discours d’autojustification de leur activité, destiné à la fois à légitimer un travail qui peut paraître « passéiste » et à combattre l’image « poussiéreuse » et fermée qui leur est parfois associée. Cela transparaît déjà en 1981 dans la lettre signée de Jean Gattegno confiant à Louis Desgraves la mission de réflexion sur le patrimoine écrit : « Si soucieuse qu’elle soit d’assurer le développement de ce qu’il est convenu d’appeler la lecture publique, la DLL n’entend pourtant pas se désintéresser de la préservation, de la mise en valeur et de l’accroissement nécessaires des collections de toute nature qui, conservées dans les bibliothèques publiques, constituent une part très précieuse du patrimoine national. »
Six ans plus tard, à Arc-et-Senans, il réitère cette justification : « Si, en 1980, la Direction du livre et de la lecture avait dit qu’elle voulait faire un grand effort patrimonial, cela aurait été interprété par la partie la plus dynamique des bibliothécaires de lecture publique comme une crispation sur le passé, sinon comme un retour en arrière ; je crois qu’on ne pouvait valablement et qu’on ne peut valablement vouloir pousser la recherche patrimoniale […] que si on a antérieurement, et non pas parallèlement, impulsé un dynamisme suffisamment grand à la lecture publique pour qu’il n’y ait plus contradiction entre les deux, comme cela a été ressenti à certaines époques, mais mouvements parallèles » 12. De même peut-on lire dans un document intitulé À fonds anciens, techniques modernes : « Nous avons essayé de traiter ce thème ni rétrograde ni passéiste en faisant appel à des personnes… qui se sont vues confrontées à ces problèmes et ont su les résoudre » 13.
Certes, la lecture publique n’est pas exempte de préoccupations catalographiques et bibliothéconomiques (et le nombre de publications dans ces domaines est là pour en attester), mais on est loin – avec cet incontournable traitement des collections patrimoniales – de ce qui légitime l’action des BM depuis vingt ans, c’est-à-dire le public. Ainsi, quelles représentations sont véhiculées et quelle place est dévolue au public dans une bibliothèque patrimoniale ?
Le discours sur le public du patrimoine
L’ennemi du livre ?
« Les bibliothèques patrimoniales sont souvent traitées comme des trésors pour lesquels les soins de conservation l’emportent sur le désir de communication… On a l’impression […] de bijoux placés dans leurs écrins, intouchables et d’ailleurs jamais touchés » 14. Plutôt que dans un schéma pessimiste comme celui-ci, on est toujours en bibliothèque patrimoniale dans la dialectique suivante : comment mettre en place harmonieusement conservation et communication 15 ?
Jean-Marie Arnoult commence une de ses contributions par une phrase provocatrice : « Parmi les ennemis du livre, le plus redoutable n’est autre que le lecteur lui-même… Mais il faut bien reconnaître que cette hypothèse est une vue de l’esprit, fort heureusement. Car le destin du livre est contenu dans ce paradoxe qu’il doit être utilisé pour que soit assurée sa survie intellectuelle… L’ignorance de cette évidence est à l’origine de certains abus… comme une scène de la plus pure symbolique : le livre disputé par le Bibliothécaire inquiet au Lecteur importun. » Ainsi, les bibliothèques patrimoniales sont-elles chargées de conservation, mais ne sont pas des « conservatoires ». Surtout, Jean-Marie Arnoult souligne l’alliance objective entre bibliothécaires et lecteurs : « Leur attitude ne doit pas être antinomique mais complémentaire, les uns assurant la conservation matérielle, les autres la conservation intellectuelle » 16.
Lecteur d’une collection ou usager d’un service ?
Joëlle Le Marec nous explique que les BM sont tiraillées entre leur vocation patrimoniale traditionnelle et la logique de développement inhérente à la société contemporaine ; surtout, elle ajoute que « c’est tout ce qui concerne le public qui est le moteur de cette évolution » 17. En effet, on repère deux démarches possibles :
– le « processus de distribution des collections » : conçu pour diffuser un « produit » (la collection) préexistant au service ; l’activité dominante est la mise en valeur du fonds constitué (description et traitement du document) ; sans méconnaître les désirs des usagers, le système place toujours en avant les contraintes patrimoniales ;
– le « processus de service à l’usager 18 » : conçu en fonction exclusive d’un public déterminé, les supports d’information ne venant qu’en adjonction ; la relation bibliothécaire/usager est privilégiée et la première expertise demandée au bibliothécaire est d’évaluer le besoin de l’utilisateur.
Ainsi, le lecteur d’une collection devient-il l’usager d’un service. Bertrand Calenge inclut également, dans son schéma des organismes d’information, la bibliothèque de diffusion et nous propose trois schémas.
En bibliothèque de conservation, le rapport bibliothécaire-collection est privilégié, alors que le rapport bibliothécaire-usager caractérise le service de documentation et que le lien usager-collection est typique de la bibliothèque de diffusion (via notamment le libre accès). Il s’agit bien sûr de schémas. Mais il est indéniable que l’obligation de conservation – par nature irréductible – ne pourra jamais faire de la bibliothèque patrimoniale une bibliothèque totalement « orientée-usagers » 19 et que les évolutions repérées au niveau de la lecture publique ces vingt dernières années ont tendance à rapprocher l’offre de lecture publique du processus de service à l’usager. Le choix d’une organisation par départements thématiques relève tout à fait de cette logique : sur la disparition des « –thèques », Bertrand Calenge nous dit que « ces organisations “orientées-fonds” cèdent la place à des organisations “orientées-besoins d’information” » 20.
La volonté de « coller au plus près » aux besoins de l’usager n’est-elle pas intimement liée à une démarche de connaissance des publics usagers du service ? Y a-t-il une différence d’approche entre le public des bibliothèques patrimoniales et celui des bibliothèques de diffusion ?
Connaître les publics
Les publics « courants » des bibliothèques municipales
D’une manière générale, « les publics des bibliothèques publiques sont plutôt mal connus : nombreux, divers, peu fidèle (peu fidélisé), studieux ou festif, écolier et chercheur, dévoreur de romans ou amateur de films, séjourneur ou emprunteur, habitué ou occasionnel, ce public est tellement multiple qu’on prend désormais la prudence de le désigner par son pluriel : les publics » 21. Pour autant, public des « bibliothèques de diffusion » et public des « bibliothèques de conservation » ne sont pas tout à fait logés à la même enseigne. En effet, les enquêtes nationales concernent le public « courant » des médiathèques publiques.
Les quatre enquêtes successives Pratiques culturelles des Français 22 (1973, 1981, 1989 et 1997), conduites par le ministère de la Culture, sont intéressantes en ce qu’elles permettent de cerner les évolutions sur vingt-quatre années. On y apprend que le pourcentage d’inscrits est passé de 13 à 21 % entre 1973 et 1997, que la hausse de la fréquentation des bibliothèques est plus spectaculaire que celle des inscriptions.
La première enquête sur les usagers des BM, versant lecture publique, diligentée par la DLL, a eu lieu en 1979, L’expérience et l’image des BM 23. L’objectif est double : étudier l’image des BM chez les Français et connaître les pratiques des usagers des bibliothèques. L’échantillon est double lui aussi : le premier est représentatif de la population nationale (1 000 personnes, dont 108 inscrits), le second est constitué de 892 personnes inscrites dans une BM. Le tirage au sort a été effectué sur 40 BM de toutes tailles et de tous horizons géographiques.
En 1995 24, la DLL décide de lancer une nouvelle enquête qui se déroule entre 1996 et 1998, en deux phases. La première, quantitative, concerne 720 usagers de sept BM et un échantillon représentatif de la population de 1 900 personnes. La seconde phase, qualitative – par entretiens semi-directifs approfondis et observations – a concerné 32 usagers non inscrits.
Les publics du patrimoine
Il serait erroné de dire que seuls les usagers ou le public potentiel des bibliothèques de lecture publique ont été l’objet d’enquête. Cela pour deux raisons :
1. La DLL a commandé en 1999 une enquête sur les publics du patrimoine mais celle-ci n’a pas été publiée 25. Les objectifs de cette étude sont multiples : connaître les conditions d’accès au patrimoine écrit détenu par les bibliothèques sélectionnées, cerner la place qu’il occupe dans le fonds et l’activité de la bibliothèque, rassembler les informations disponibles sur le nombre, les profils et les besoins des usagers de ce patrimoine…
Cinq BM ont été retenues : celles de Roanne, Grenoble, Metz, Troyes et Toulouse. Si 78 entretiens ont été conduits, seulement 28 concernent les usagers. Évidemment, l’équipe chargée de l’étude a rencontré des difficultés pour l’aspect quantitatif de l’enquête : « La rareté et la disparité des données rassemblées n’autorisent pas une exploitation synthétique. Elles viennent cependant à l’appui de notre première constatation : autant de services patrimoniaux, autant de cas particuliers… à défaut de données précises et comparables, il paraît possible de dégager les hypothèses suivantes […]. »
Cela donne une idée des résultats fournis par l’enquête et probablement des raisons de sa non-publication : « Elle n’apporte rien de plus que ce qu’on pouvait subodorer sur les publics des fonds anciens » 26. Il y a néanmoins plusieurs intérêts à cette enquête : elle conforte l’idée selon laquelle les chiffres disponibles dans les bibliothèques patrimoniales concernent plus l’activité des services (nombre de prêts ou d’entrées) que les publics et qu’ils sont difficilement comparables d’un site à l’autre ; surtout, elle a le mérite de mettre le doigt sur l’écart entre les moyens consacrés à une enquête sur les publics du patrimoine et ceux déployés dans les enquêtes de 1979 et 1996-1998.
2. Par ailleurs, de très nombreuses enquêtes – mais partielles – ont été conduites, qu’il s’agisse de monographies « locales » ou de travaux sur des « segments » de public. Ces travaux s’inscrivent dans la logique de développement de la sociologie, qu’elle soit de la lecture ou des publics 27, et sont liés à la démarche de démocratisation et de conquête de nouveaux publics. Elles concernent entre autres : les « publics jeunes », les « adolescents », les « faibles lecteurs », les « non-utilisateurs », les « non-usagers », les « lecteurs en campagne », les « publics éloignés de la lecture »… Peu de place, on le voit, pour les publics du patrimoine ou même des bibliothèques d’étude : on trouve néanmoins quelques articles sur le public des BU et une monographie sur « les chercheurs et la documentation numérique 28 » ; un colloque en 1997 sur les « Publics et usages des bibliothèques » à Paris 29 dans lequel il est question de « L’évolution des publics de la BnF » ; l’enquête réalisée par Christian Baudelot sur « Les lecteurs de la BnF » en 1993 30 ; enfin, un colloque organisé en 1997 par la FFCB, intitulé « Quels publics pour le patrimoine écrit 31 ? » et surtout la contribution de Marie-Pierre Dion à la synthèse sur « Le patrimoine » publiée sous la direction de Jean-Paul Oddos, Le patrimoine des bibliothèques et ses publics 32.
De même, si l’on regarde du côté des statistiques collectées annuellement par la DLL, on constate que le formulaire est plus adapté à l’activité lecture publique qu’à l’activité patrimoniale. Si des informations sont collectées sur les « fonds patrimoniaux », si l’activité de prêt fait l’objet de statistiques, ce n’est pas le cas pour la communication sur place : « Même si elle est sans doute active, cette pratique est mal connue car elle ne fait pas l’objet d’un enregistrement systématique et peu de bibliothèques sont en mesure de renseigner cette question précisément » 33.
Il est vrai que les données relatives à l’activité des services (communication sur place) et au public du patrimoine (inscription) ne font pas « l’objet d’un enregistrement systématique » – de façon informatisée s’entend – et que, de ce fait, « objectivement », « statistiquement », ce public n’est pas connu.
En effet, les modules « communication sur place », sont les parents pauvres des SIGB et leur utilisation s’avère souvent compliquée. Le document publié par la DLL, Bibliothèques et informatique, fait la part belle, tout au long de ses 130 pages, aux modules catalogage, prêt, bulletinage, acquisitions… mais n’évoque qu’en quelques lignes la communication des documents stockés en magasin. De même, au chapitre « les fonctions utilisées par les bibliothèques », le « quarté » des modules est : catalogage, prêt, statistiques, Opac… le module communication sur place n’est même pas mentionné.
En guise de conclusion
Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la connaissance du public des fonds anciens et/ ou patrimoniaux nous apparaisse plus impressionniste que réaliste et que ce public soit l’objet de représentations de la part des bibliothécaires. Si l’on peut affirmer, en ce qui concerne la lecture publique, que nous avons affaire à des publics et non à un public unique et homogène, pour le patrimoine, nous ne pouvons que subodorer, localement, son hétérogénéité et sa diversification 34. Dans un contexte de relative stabilité, cela pouvait probablement suffire à « connaître » un public de chercheurs – apprentis ou confirmés – et d’érudits locaux. Dans un contexte d’intégration des collections « XIXe siècle » 35, de massification de l’enseignement, d’augmentation et de diversification des publics des biblio-/média-thèques, les services patrimoniaux ne peuvent plus se contenter de cette perception et doivent mettre en place les outils nécessaires à la connaissance de leur public. Ainsi est-il possible de dire qu’en matière de public des fonds patrimoniaux tout ou presque reste encore à faire 36.
Aujourd’hui, alors que la dynamique impulsée à la lecture publique a été suffisamment importante et décisive pour qu’il n’y ait plus « contradiction entre les deux […] mais mouvements parallèles » 37, le patrimoine n’est plus considéré comme une « crispation sur le passé ». Il « est aujourd’hui une activité consensuelle, même si elle l’est plus dans le discours que dans l’affectation des moyens » 38. Ainsi, les conditions semblent aujourd’hui réunies pour que les professionnels du patrimoine écrit puissent œuvrer à une meilleure connaissance de leur public. Cela passe notamment par l’informatisation des transactions – communication et inscriptions : sachant que très souvent la consultation sur place de documents patrimoniaux ne donne pas lieu à inscription – et/ou par la conduite d’enquêtes régulières auprès des usagers. L’impulsion pourrait être donnée au niveau ministériel, par le lancement d’une enquête nationale sur les publics d’un échantillon représentatif de bibliothèques patrimoniales.
Si la lecture publique, les médiathèques ont dû, pour s’épanouir, se débarrasser de l’image « poussiéreuse » de la bibliothèque traditionnelle, les bibliothèques patrimoniales doivent aujourd’hui se libérer elles aussi de cette image d’univers passéiste (image confortée encore par l’archaïsme du fonctionnement quotidien). Les technologies numériques leur ont offert cette occasion d’associer patrimoine et modernité et d’inscrire leur activité dans la logique d’ouverture et de communication qui caractérise la lecture publique. Grâce au numérique en effet, les Anciens deviennent modernes, « philonéistes 39 ». Le numérique permet également à la bibliothèque patrimoniale de dépasser la contradiction communication/conservation et d’intégrer pleinement une des valeurs les plus significatives de la lecture publique : la démocratisation 40.
Juin 2004