Pour une théorie du bloc
Patrimoine et lecture publique
L’auteur de l’article plaide contre la césure des fonds à la date fatidique de 1811 et contre la spécialisation professionnelle. Il prône l’unicité de la collection, du métier et de la bibliothèque qu’il importe d’ouvrir au public le plus large.
The author of this article makes a plea against the caesura of stocks after the fateful date of 1811 and against professional specialization. He advocates for the uniqueness of collections, of the profession and of libraries which should be opened to a wider public.
Der Autor dieses Artikels argumentiert gegen die 1811 willkürlich gesetzte Zäsur innerhalb von Bibliotheksbeständen, sowie die Aufteilung des Berufs in Spezialgebiete. Er unterstreicht, dass Sammlungen, Beruf und Bibliotheken eine Einheit bilden die dem breiten Publikum geöffnet werden muss.
El autor del artículo aboga contra la cesura de los fondos y la fecha fatídica de 1811 y contra la especialización profesional. Este preconiza la unicidad de la colección, del oficio y de la biblioteca la cual debe de abrirse de manera importante a un público más vasto.
Au récent congrès de l’Association des bibliothécaires français à Toulouse 1, les quelque 600 participants ont pu admirer, au cours des visites proposées, deux magnifiques réalisations de la Ville rose : la bibliothèque José Cabanis et la bibliothèque Périgord. Sous une même direction, ces deux établissements se répartissent désormais au sein du réseau toulousain les fonctions dévolues à l’ancienne et unique centrale. Pour résumer et faire court, lecture publique à Cabanis, étude et patrimoine à Périgord. Disons-le sans plus attendre, ces deux réalisations ont été unanimement admirées, même si diversement commentées.
À quelques semaines de là, à Aix-en-Provence, a ouvert au cœur de la Méjanes, bibliothèque centrale du réseau aixois de lecture portant le nom de son illustre fondateur et pivot de la Cité du Livre, une exposition intitulée « Insolite Patrimoine ». Cette exposition ne présente aucun livre ou presque : elle se propose au contraire de mettre en avant une partie des objets possédés par la bibliothèque et qu’on ne s’attend pas à trouver en ces lieux. Le catalogue comprend ainsi des chauffe-plats, des boîtes d’allumettes, des bustes, des peintures, des bobines de films, au total plus de cent pièces dont on peut se demander au juste ce qu’elles font là. Disons-le sans modestie aucune, l’exposition apporte une réponse sinon définitive, du moins rafraîchissante, colorée et appréciée par le public à cette angoissante question.
Dans sa dualité simplissime, cette introduction n’a d’autre but que de souligner l’actualité d’une problématique lancinante de notre métier, éternellement remise sur le tapis et qui ne pourra jamais, c’est à craindre, bénéficier de cette « indulgence » qui voit dans l’arène le taureau courageux et méritant récompensé par l’autorisation de quitter les lieux en vie pour ne plus jamais y revenir. Cette problématique, c’est finalement celle de la place des fonds patrimoniaux dans nos bibliothèques, leur rôle, leur pertinence. Patrimoine et lecture publique : peuvent-ils et doivent-ils cohabiter dans une synergie bienfaisante et efficace ? Faut-il au contraire séparer finalement ce vieux couple un peu infernal et donner ainsi à chacun un nouveau départ, une nouvelle vie ? Vieille scie ! C’est pourtant un devoir, pour tout bibliothécaire qui se respecte et donc s’entretient, que de se poser la question, disons, tous les dix ans, soit cinq fois dans une carrière, de la dissertation initiatique au testament professionnel.
À y regarder de plus près, cette question négligemment posée concentre en fait bon nombre des interrogations actuelles qui cherchent à savoir quel modèle succédera à celui de la médiathèque, qui veulent, face aux bilans d’hier et aux incertitudes d’aujourd’hui, se projeter dans l’avenir avec une grille d’analyse opérante, au moins un projet porteur. Ces interrogations concernent d’abord la collection : savoir comment élaborer la collection virtuelle de demain, c’est peut-être déjà savoir ce qu’on fait de celle d’hier, comment on la définit et comment on la fait vivre avec les autres. Elles portent ensuite plus largement et au-delà de la collection proprement dite sur le métier lui-même, ses composantes, sa cohésion voire sa cohérence. Enfin, ces interrogations doivent se faire politiques au sens technique du terme en s’attachant à la place de la bibliothèque dans la Cité, ou, plus précisément, à la place que les bibliothécaires veulent donner à leur établissement dans ladite cité.
La collection : « Ne coupez pas ! »
Prolégomènes : si on pose la question d’une séparation des fonds, d’une coupure dans la collection, c’est qu’inconsciemment on pense que cette séparation peut exister, voire existe déjà, que cette coupure a une pertinence, une histoire, une légitimité. En fait, il n’en est rien, si du moins on veut bien mettre fin à des mythes plus ou moins repérés ou avoués. Le premier de ces mythes est bien connu puisqu’il s’agit de 1811, évoqué aujourd’hui avec nostalgie plus qu’autre chose. Le second reste plus difficile à appréhender puisqu’il tourne autour de 1789, date plus complexe encore.
1811
Plusieurs générations de bibliothécaires ont bu le lait de 1811, non pas Austerlitz (1805) ou Wagram (1809), mais… l’année de naissance de la Bibliographie de la France ! Avant 1811, ce sont les fonds anciens, après ce sont les fonds nouveaux (j’ai oublié où on mettait les livres édités en 1811).
La découverte ingénue de cette date engendrait, à l’époque où on l’enseignait encore, plusieurs réflexes. Le premier s’émerveillait du caractère astucieux du découpage, à la fois simple, facile à mettre en œuvre, évident. Personnellement, j’aurais préféré 1815 dans un esprit de clarté, d’adhésion des doctrines bibliothéconomiques à l’Histoire globale, mais 1811 n’était pas si mal puisqu’enfin la fin de l’Empire n’était pas si loin et qu’on sent bien qu’avec 1811 quelque chose peut finir et quelque chose peut commencer.
Le deuxième réflexe, très gratifiant, mettait au jour notre propre valeur puisque, après tout, nous étions bien les seuls à détenir cette science de 1811 : et pour cause.
Le troisième réflexe, plus tardif en règle générale et toujours attendu pour les meilleurs (ou les pires) d’entre nous, révélait enfin l’inanité totale, le caractère absolument arbitraire de cette date. Car il est bien clair que ce qui précède 1811 restera ad vitam aeternam ancien. Mais combien de temps 1812 peut-il rester nouveau ? On répondra qu’il suffit de déplacer la règle, de réinitialiser le curseur : et certains de mettre en place de nouvelles bornes, autour des deux guerres notamment. Mais même ces replâtrages, lucides quant à l’existence d’une difficulté, n’abordent pas le fond du problème qui est bien la place donnée aux fonds anciens dans la collection.
1789
Sans doute est-ce que ledit problème se voit compliqué par la survivance de l’autre mythe, celui de 1789 : je veux parler, en ce qui concerne la collection, des saisies révolutionnaires. Disons-le haut et fort, ces fonds, mal nés en quelque sorte, sont frappés d’ostracisme de la part des bibliothécaires depuis presque toujours (depuis 1811 si on veut simplifier…). Et il ne faut pas ici penser à ces seuls collègues d’avant-hier qui, revenus dans les fourgons des Bourbons, s’efforcèrent de restituer les livres volés à leurs légitimes propriétaires revenus eux aussi de villégiature étrangère ; ni à ces autres qui, face aux fonds saisis, s’effrayèrent devant tant de mauvais livres qui attentaient à la religion, à l’État et à la morale et créèrent nos enfers. Non, il faut penser ici à nous tous, quelles que soient nos opinions sur la Révolution, qui considérons ces saisies comme des fonds finalement très particuliers, différents et donc sécables. Faudra-t-il revisiter un peu l’histoire du livre pour mieux réintégrer ces collections ?
Pour traumatisantes qu’elles furent, les saisies de 1789 (et 1792) ne s’inscrivent-elles pas dans la droite ligne d’un mouvement bien antérieur, qui irait de Peiresc à Gagnon (Grenoble) en passant par Méjanes (Aix-en-Provence) et aurait eu pour ambition de réunir dans un cabinet de curiosité-musée-bibliothèque les instruments-objets-livres capables d’offrir au public une lecture humaine du monde ? L’idée des Révolutionnaires n’aurait en somme rien de bien révolutionnaire et il serait bon de replacer leurs saisies dans un ensemble un et indivisible, une continuité historique qui certes supporte mal les coups d’accélérateur, mais peut conduire somme toute de Charles V à Tolbiac, du chanoine Hennequin à la Médiathèque de l’agglomération troyenne ou de Méjanes à la Cité du livre.
Cette unicité est bien à l’œuvre dans ce dernier établissement puisqu’il ne s’agit pas là d’une bibliothèque « 1803 », mais d’une collection patiemment et savamment rassemblée par un homme des Lumières (et ses libraires). Dès le départ, le but fut de la mettre à la disposition de la collectivité, de l’augmenter même grâce à un capital institué spécifiquement pour des acquisitions aptes à maintenir cette collection vivante au cours des siècles à venir. La Méjanes put ainsi éviter, un temps, la fossilisation qui frappa certains fonds saisis et finalement abandonnés, faute de crédits d’achat et de personnel, bref faute de volonté politique, abandonnés donc à l’érudition.
À Aix, les magasins offrent ainsi l’aspect d’une collection compacte, développée autour d’un noyau Méjanes, mais mêlant aux ouvrages fondateurs des acquisitions plus tardives. Isoler les fonds d’avant 1811 ou provenant des saisies révolutionnaires, c’est courir le risque de la fossilisation bibliothéconomique, et dès lors le rapt érudit. Les conserver en revanche dans le giron vivant des établissements, c’est entre autres, et nous y reviendrons, se donner la capacité d’une politique d’acquisition globale et cohérente au sein de laquelle les fonds plus anciens sont toujours dans l’actualité d’un fonctionnement, dans la vie de l’établissement. Il suffit pour cela d’adopter la politique du glissement, c’est-à-dire considérer comme ancien ce qui a plus de x années (pourquoi pas cent). Le fonds patrimonial (qu’on vient de transmuter en lui adjoignant en toute logique ce qui est rare et précieux) évolue dans ce cadre chaque année au rythme fondamental de la bibliothèque, qui est celui des acquisitions et des désherbages.
Dernier détail sur la collection : il faut ajouter que la volonté des élus répond à l’offre technique des bibliothécaires. Quelle envie susciter chez des élus pour un fonds mort, un cénotaphe qui s’exclut de lui-même de la communauté livresque, quels crédits obtenir pour un silo réservé à quelques spécialistes ravis d’être enfin coupés du vulgum pecus ? Cette présentation est naturellement caricaturale, mais à l’heure des réductions de fractures ou du moins de leur affichage, même l’exclusion bibliothéconomique aurait mauvaise presse.
Le métier
Deuxième question : quelle culture professionnelle pour la constitution de la collection et sa mise en œuvre ? L’interrogation porte ici sur le métier et de façon aiguë.
Si on coupe la collection, il faut couper le métier, développer des spécialités de part et d’autre de la césure. Et donc casser la communauté des bibliothécaires ou plutôt, à l’heure des décentralisations tous azimuts et des créations de chapelles technico-administratives qui leur sont liées, ce qu’il en reste. Cette césure a déjà existé, on a déjà assisté à l’affrontement des pseudo-anciens et des pseudo-modernes, notamment dans les années 1980. Serait-il utile de faire renaître ces guerres pichrocholines aujourd’hui que la problématique est complètement renouvelée, qu’il ne s’agit plus d’instaurer le règne de la médiathèque triomphante mais bien d’imaginer ce qui, comme modèle, pourrait lui succéder ?
Le danger d’ailleurs est moins dans cette coupure que dans celles qui pourraient suivre. Pourquoi en effet, une fois le patrimoine sanctuarisé ailleurs et la lecture publique « débarrassée » de son poids mort, ne pas donner un « bon de sortie », comme on dit dans le tour de France, à la bibliothèque virtuelle et former pour elle des bibliothécaires virtuels d’un type entièrement nouveau et qui, de fait, n’auraient pas besoin de rencontrer pour de vrai un livre, un périodique, un cédérom, un DVD, etc. ? La fiction ici est bien proche d’une réalité déjà dénoncée, mais on peut pousser plus loin le bouchon avec l’audiovisuel, la communication, l’informatisation, l’animation, le social, le scolaire, etc. À y regarder de plus près, c’est à un véritable démembrement que la profession peut être exposée et nous n’avons pas parlé encore de l’administration, c’est-à-dire de la direction des établissements.
Au risque de la plus totale ringardise, mais en évitant l’accusation d’incohérence, je prônerai ici encore la théorie du bloc professionnel à l’image du bloc de la collection. Si on ne veut pas voir ce tronc commun du métier disparaître au profit de surgeons spécifiques, isolés et malingres, il faut garder le patrimoine dans ledit métier, aux côtés de la lecture publique (si ces formulations ont encore un sens) ; il faut garder le social et ne pas s’en défaire au mirage d’hypothétiques médiateurs du livre ; il faut garder le multimédia et ne pas l’abandonner, sans lien à la collection, aux animateurs multimédias ; il faut garder l’animation dans notre culture et notre pratique et ne pas tomber dans un tout « music-hall » programmatique, sans ambition et sans visée publique. Il faut bien évidemment conserver la direction des établissements dans le giron du contenu, c’est-à-dire de la collection.
Cette culture professionnelle, qui vise à embrasser toujours l’ensemble des facettes opérationnelles du métier, c’est, dira-t-on peut-être, la vieille rengaine de la tête bien faite. Mais ne risquons pas de mots trop gros, pensons plutôt à des architectures souples comme les clients-serveurs de nos systèmes informatiques, où toutes les compétences, certes très diverses et réparties, restent toutefois unies dans un réseau animé par un logiciel intégrant l’ensemble des fonctionnalités.
Trêve d’envolées généralisantes et d’à-peu-près métaphoriques et resserrons notre propos sur le lien patrimoine-lecture publique, ou plutôt fonds d’hier, fonds d’aujourd’hui. Dans la multiplicité des compétences à l’œuvre dans les établissements, il est clair que le bibliothécaire se voit remis en cause et dépassé dans bien des secteurs. Qui doutera qu’il existe, dans le domaine de la communication par exemple, des professionnels bien plus compétents que ceux issus des filières de formation bibliothèque. On peut étendre à l’envie la constatation à l’ensemble des territoires revendiqués il y a un instant seulement et la chose est évidente pour l’animation, l’informatisation, le multimédia, le social et l’administration.
Dès lors, sans prendre une peine qui serait perdue à donner de pertinents exemples, sur quoi fondre la revendication du bloc professionnel sinon sur le choix et la constitution de la collection, la collecte proprement dite des contenus, d’où tout doit découler au risque de dérives maintes fois décrites et dénaturant fonction et mission des bibliothèques.
Ce ne sera pas faire acte de corporatisme étroit que de penser que le bibliothécaire est le mieux à même de constituer la collection de la collectivité et que d’affirmer que cette mission peut difficilement être pensée dans un cadre qui exclurait, pour des raisons chronologiques, toute une partie de ladite collection. Sans entrer ici dans des considérations liées au simple et logique fonctionnement, aux coûts et aux économies d’échelle, tout plaide, du bloc collection au bloc métier, pour une unicité non pas réactive ou rétrograde mais, nous allons le voir, dynamique et prospective de notre action.
La bibliothèque dans la Cité
Après le bloc collection et le bloc métier, venons-en au bloc bibliothèque. Il sera bien sûr question ici non plus seulement de la place des fonds anciens dans la bibliothèque, mais aussi et surtout de la place de la bibliothèque dans la cité, de son rôle, de ses missions puisqu’enfin c’est bien à cette seule aune que notre débat initial doit être envisagé. Mais comment énoncer l’alternative sans réduire les propos, sans édulcorer ou réduire ? Lançons-nous, pour ouvrir le débat et non pas fermer la porte à toute discussion.
Doit-on, peut-on encore voir aujourd’hui la bibliothèque comme le lieu de l’accumulation documentaire, à l’heure où les rêves les plus fous des bibliothécaires du passé se réalisent à travers une toile documentaire mondiale qui s’étend chaque jour davantage, se dotant de données et d’instruments pour exploiter ces données, chaque jour plus performants, fascinants même ?
Naturellement, les professionnels de la documentation sont les premiers à dénoncer le mirage « google », et la médiation documentaire n’a sans doute jamais été aussi nécessaire à une vraie démocratisation de l’accès à l’information. Mais le mot est déjà lâché, l’idée avancée : l’avenir se joue encore plus qu’hier – et comment aurait-il pu en être autrement – dans la fonction de collecte et de médiation de cette collecte que dans la fonction d’accumulation.
La chose est bien admise, mais il faut pousser la proposition plus loin et mettre en avant la fonction connexe de la médiation de la collecte qui est celle du forum. Si la bibliothèque n’est définitivement plus un magasin, elle est plus que jamais le lieu de la rencontre, de l’échange, et finalement du partage, entre les documents et leurs usagers, entre les auteurs et leurs lecteurs, bref, les créateurs et leur public. Un forum donc où s’échangent les idées, où les opinions se frottent, où le citoyen se construit à l’aide de débats, colloques, conférences dans des espaces – salle d’exposition, auditorium, salle de conférences ou polyvalente, etc. – non plus traités comme lieux périphériques, suppléments d’âme ou variables d’ajustement, mais cœur du dispositif. Un lieu ouvert sur la Cité, instrument essentiel de cette cité, forum donc et non pas temple.
Ce qui nous ramène à nos moutons patrimoniaux : il faut certes conserver le précieux héritage du passé, mais il faut aussi et surtout à mon sens le valoriser, le faire partager, faire en sorte que le public se l’approprie pleinement, non pas avec distance et vénération comme on visite des reliques, mais avec appétit, gourmandise, envie. Une appropriation pour quoi faire ? Pour se sentir encore plus complètement citoyen, membre d’une communauté qui partage un passé et donc peut vouloir partager un présent et se projeter ensemble dans un avenir.
Peut-on alors séparer la mémoire, l’enfermer dans un temple isolé de la vie du forum ? À l’heure d’interrogations multiples sur les territoires, sur les identités, une mémoire documentaire vivante, ouverte au cœur de la cité, partagée et possédée par les citoyens est un gage de démocratie au même titre que l’accès le plus libre à l’information. Il importe en effet que chacun puisse voir, en utilisant sa mémoire, en l’interrogeant, comment les histoires se font, comment notamment les identités se construisent.
Rien de plus utile, par exemple en région Paca (Provence-Alpes-Côte-d’Azur), secouée depuis plusieurs années par les dérives identitaires que l’on connaît, tellement absurdes dans cette région de passage, de brassage et d’échanges par excellence, au bord de cette Méditerranée si longtemps lien fondamental et espace partagé entre peuples les plus divers. Naturellement, la documentation courante garde ici toute sa mission d’information plurielle, actualisée et éclairée. Mais comment lui retrancher ses mémoires écrites, graphiques, sonores ou visuelles ?
Pourquoi, enfin, se priver, pour l’animation de ce forum que pourrait ambitionner d’être plus que jamais la bibliothèque, de cet atout spectaculaire que savent être, biens mis en scène, les fonds anciens, rares et précieux ? Pourquoi ne pas les faire participer, avec tout leur apport spécifique, à cet envahissement culturel que la bibliothèque doit offrir à son public ? Forum, bloc comme on voudra, militons ici encore pour l’ouverture la plus large des collections, même anciennes, au public le plus large avec ce double pari : d’une part celui de la synergie des fonds dans un continuum documentaire de l’acquisition-désherbage à l’exposition-appropriation en passant par le traitement anti-googlisant ; d’autre part celui de l’appropriation facilitée par l’unicité de la collection, miroir du passé, des interrogations et des débats de la cité.
Revenons, pour clore ce pot-pourri quelque peu débridé, à la Révolution. Longtemps la polémique fit rage parmi les historiens de cette période controversée entre les tenants de la Révolution-bloc (encore !) et leurs adversaires. Ces derniers, à la suite d’une première relecture distanciée, voulurent séparer la Terreur du reste des événements révolutionnaires, la considérer comme un dérapage à isoler, au mieux une erreur, au pire un crime. Les tenants du bloc s’opposèrent avec violence à cette proposition iconoclaste qui rangeait finalement l’action de Robespierre aux côtés des totalitarismes sanglants du XXe siècle et peignait Saint-Just en premier ayatollah. Quoi qu’il en soit de ces débats d’un autre âge et de ces jugements de valeur toujours actuels par ailleurs, comment saucissonner l’histoire, comment défendre ici une solution de continuité ?
Il doit en aller de même pour la collection, pour le métier, pour les bibliothèques : en se plaçant du point de vue des missions, c’est-à-dire de la réponse offerte aux attentes du public en terme d’information et de documentation, c’est bien un bloc documentaire, un bloc de compétences et un bloc d’activités qui doivent prévaloir si tant est qu’on pense encore que les bibliothèques sont toujours des instruments adaptés pour atteindre les objectifs de citoyenneté, de démocratisation et d’intégration qui les fondent.
Juillet 2004