Le moyen Âge à livres ouverts

actes du colloque, Lyon, 24 et 25 septembre 2003

par Agnès Marcetteau-Paul
organisé par l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation, la Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation et la Bibliothèque municipale de Lyon. Annecy : Arald ; Paris : FFCB ; Lyon : Bibliothèque municipale, 2003. – 270 p. ; 25 cm. ISBN 2-907420-97-6 : 22 €

Quels usages et quels publics, quelles mises en valeur et quelles médiations, en un mot quelle actualité pour le patrimoine écrit ? Comment « le placer à un même niveau d’accessibilité que le patrimoine monumental ou le patrimoine des musées » ? Telles sont chaque année les questions posées par le colloque organisé à l’occasion du Mois du patrimoine écrit, par l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation, la Fédération française pour la coopération des bibliothèques et leurs partenaires. L’édition 2002 était consacrée aux collections médiévales, « autour de trois grandes thématiques : les manuscrits et leurs contextes […] ; l’image et l’imaginaire du Moyen Âge […] dans la littérature, le cinéma, la musique, la bande dessinée ; les fonds médiévaux et leurs publics ».

La leçon des manuscrits

Pas de Moyen Âge aperto libro, conformément à l’objet du colloque, sans retour aux sources et effort d’élucidation. À cette condition seulement, les collections médiévales, parcellaires, dispersées, obéissant à des codes oubliés ou réinterprétés, peuvent introduire non seulement aux textes eux-mêmes mais à leur contexte et aux conditions de leur production. De telles études, dont la somme fait sens, modifient l’idée ancienne et rappelée en ouverture du colloque, d’un Moyen Âge offrant « un tableau bizarre, qui semble être d’une imagination puissante, mais déréglée ».

Reconstituer « les bibliothèques en langue latine des comtes de Champagne », c’est restituer le climat de « la renaissance champenoise du XIIe siècle [qui] permet de faire surgir l’astre de la littérature française, Chrétien de Troyes ». Soumettre à un spectre Raman les pigments des enluminures des manuscrits des scriptoria normands débouche sur « le monde technique et commercial dans la Normandie des XIe et XIIe siècles ». Les chartes des premiers Valois fournissent une image du pouvoir royal et de ses fluctuations en ces époques troublées, et enseignent à ne pas confondre la décoration qui embellit et l’ornementation qui signifie. L’iconographie des Cas des nobles hommes et femmes de Boccace se prête à une triple lecture, chrétienne, humaniste et politique. Les Mille et une nuits offrent une image distanciée du Moyen Âge occidental.

Le long Moyen Âge

Entrée en matière ou hommage rendu à ce travail patient et souterrain, cette première partie cède rapidement la place à « l’image et l’imaginaire du Moyen Âge »,déjà abordés en ouverture du colloque. Au « long Moyen Âge », qui se taille ainsi la part du lion, est finalement consacrée la moitié de l’ouvrage. Les meilleurs spécialistes y exposent de manière circonstanciée et argumentée comment, elle-même « culture de remploi », la culture médiévale n’a jamais cessé d’être réinvestie, au risque d’être régulièrement instrumentalisée : producteur d’images sources et de mythes fondateurs, « le Moyen Âge reste lourd de gestations possibles, qui recèlent autant de puissances créatrices que de dérives ».

Walter Scott et Ivanhoé ouvrent la voie, avec érudition mais non sans passion ni parti pris. Cet immense succès de librairie, et plus encore ses produits dérivés cinématographiques, sont à l’origine d’« un Moyen Âge archétypal, indélébile » aussi bien que de nombreuses vocations médiévistes. Dans le même temps, apparaît une mode médiévale, qui ne va cesser de s’exprimer à la scène comme à la ville, en s’adaptant à chaque époque jusqu’à la très actuelle tendance « Seigneur des anneaux ». Parallèlement, « depuis le début du XIXe siècle, les livres pour enfants parlent du Moyen Âge » : sept illustrateurs de 1930 à la fin du XXe siècle offrent autant d’interprétations et d’univers médiévaux : bucolique, idéalisé, onirique, didactique, fantastique, humoristique et intrigant. Dès l’origine du genre également, le Moyen Âge investit la bande dessinée, qui le lui rend bien en le soumettant aux discours politiques dominants. Quant au cinéma, en particulier quand il traite de la paysannerie médiévale, il reste tributaire des représentations léguées par le Moyen Âge lui-même, non sans rechercher une « certaine vérité » en restituant la réalité quotidienne ou les mentalités, au risque d’une esthétisante « beauté du mort ». Comme on nous le rappelle ensuite au sujet de la musique, il est en effet difficile « de viser [le passé] sans réflexivité », quel que soit le point de vue adopté : historicisant ; ironique ou dédoublé ; résolument moderne.

Et les bibliothèques ?

À l’issue d’un programme aussi riche 1, il ne restait « qu’une heure pour traiter la question des fonds médiévaux et de leurs publics » ; évoquer les instruments de repérage disponibles, et la création d’outils pédagogiques ; se demander si « les fonds médiévaux sont des collections pour les bibliothèques ou les musées ».

Le temps de présenter très rapidement la base Enluminures, fruit de la coopération de la Direction du livre et de la lecture et de l’Institut de recherche et d’histoire des textes ; les éditions multimédias de la Bibliothèque nationale de France consacrées au Moyen Âge ; le projet de centre des manuscrits d’Avranches. Aboutissement d’un long mûrissement et d’un long travail, il s’agit dans tous les cas de recourir aux nouvelles technologies pour faciliter l’accès des publics spécialisés, scolaire et universitaire, comme des « visiteurs de passage ». En préservant, tout en mettant en valeur des documents originaux fragiles. En développant des outils de recherche performants et des médiations et contextualisations adaptées.

Même rapidement survolées, les expériences présentées, et enrichies de témoignages des participants, ouvrent d’intéressantes perspectives. En revanche, on ne peut que regretter que la brièveté des échanges n’ait permis que des considérations convenues et peu argumentées sur le statut des documents de substitution et le rapport aux originaux, les relations entre chercheurs et bibliothécaires, la place des documents médiévaux dans la formation des bibliothécaires. Et se demander pourquoi le débat entre bibliothèques et musées, pourtant annoncé comme « une question presque déontologique », n’a finalement pas eu lieu.

À suivre donc, et à approfondir, pour véritablement « évaluer ce que la connaissance du Moyen Âge va désormais devoir aux bibliothèques », ainsi que le Directeur du livre et de la lecture y invitait en ouverture.

  1. (retour)↑  D’autant plus que les organisateurs ont dû renoncer, pour des raisons techniques, à publier l’une des communications portant également sur l’imaginaire médiéval.