Les manifestations littéraires en questions

Christian Massault

L’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation (Arald) proposait le 15 janvier dernier, à la Villa Gillet de Lyon, la troisième rencontre du cycle « Les manifestations littéraires en questions », en partenariat avec les Cafés littéraires de Montélimar. Après la question des auteurs (« les servir, ou s’en servir ? ») à Chambéry en 2002, des libraires (« partenaires et prestataires ») à Bron en 2003, et avant celle des publics à Saint-Paul-Trois-Châteaux en 2005, c’est autour de la communication qu’étaient organisés les débats cette année.

Cette journée intitulée « Journalistes : faire savoir et savoir faire », animée par Pascal Jourdana (journaliste littéraire), a réuni une centaine de personnes le matin, l’assistance étant plus clairsemée l’après-midi.

L’ouverture protocolaire par la vice-présidente de la région (Fabienne Lévy), le président de l’Arald (Claude Burgelin) et l’un des conseillers pour le livre de la Direction régionale des affaires culturelles (Gilles Lacroix), tout en soulignant la vitalité du phénomène des salons et autres fêtes littéraires (57 recensées en Rhône-Alpes), a été l’occasion de pointer quelques aspects préoccupants, certains allant jusqu’à parler de crise. C’est une « question douloureuse » de constater le constant recul de la place de l’écrit dans les médias et la situation difficile des « écrivants » face à « l’indifférence, voire l’incompétence » des journalistes. Les fêtes du livre restent des « manifestations culturelles mal identifiées », l’aspect événementiel n’étant souvent que la partie émergée d’un travail de fond, ce « travail au long cours » difficile à cerner pour les médias.

Le signe d’une culture vivante

Les choses sérieuses commencèrent avec la prestation, au débit rapide et d’une grande densité, de Jean-François Tétu (professeur en sciences de la communication à Lyon II et Lyon III) dont l’approche historico-réflexive fut bien reçue avant que s’engagent les échanges d’expériences. Ses observations s’appuyaient sur un échantillon d’une centaine d’articles, fourni par l’Arald.

Signalant, en exergue à son propos, que nos débats étaient concomitants avec l’apparition de la publicité pour les livres à la télévision, et du premier « gratuit » consacré au livre, il commença par un rappel à propos de la naissance du journalisme, dont les effets sont toujours sensibles dans cette culture professionnelle aujourd’hui. Essentiellement centrés sur la double dimension politique et littéraire au XVIIIe siècle, les journalistes, au cours du XIXe siècle et jusqu’à la fin de « l’âge d’or » de la presse écrite en 1914, sont tous (au moins l’élite, c’est-à-dire les 120 noms les plus cités à l’époque) écrivains.

Soulignant que le livre n’est pas seulement un texte, mais une fenêtre sur le monde, il recentra son propos sur les manifestations elles-mêmes, leur caractère local à destination d’un public local, sans rapport immédiat avec les stratégies nationales des maisons d’édition. C’est le signe d’une culture vivante, se démarquant d’une démarche patrimoniale. Ces fêtes sont un retour au « bonheur de lire » que le lycée a fréquemment interrompu en favorisant la « captation » des jeunes lecteurs, et s’inscrivent dans une opposition au mouvement économique de concentration qui caractérise le secteur de l’édition.

La couverture par les médias est déterminante pour la venue des auteurs, mais apporte également une légitimation autant pour les lecteurs que pour les financeurs.

Cette couverture adopte généralement trois formes de médiation : de l’auteur vers le public, à travers des portraits et interviews, du public de la manifestation vers le public en général, de l’organisateur vers le public avec des effets de « notabilisation », voire d’« héroïsation ».

Évoquant l’opposition entre les deux modèles de médiation littéraire représentés par Pierre Dumayet (qui centre le message vers le lecteur anonyme) et Bernard Pivot (qui met en scène la parole des auteurs), il conclut en apportant quelques éléments d’analyse du succès des manifestations. L’existence d’un « cercle vertueux » qui relie organisateurs, médias et politiques est un facteur déterminant, renforcé par l’effet du modèle de la « traduction », c’est-à-dire que « ce qui réussit est ce qui mobilise le plus d’alliés ». Il souligna, enfin, la place des enfants et des adolescents (à travers les jurys ou les jeux), la forme particulière de lien social créé par ces événements, et l’importance du mode de la nouveauté.

Quels partenariats ?

Quatre tables rondes se sont ensuite succédé abordant tour à tour le point de vue des organisateurs (Christiane Carraz des Cafés littéraires de Montélimar et Sylviane Sambor du Carrefour des littératures en Aquitaine), des médias radio et télévision (France Culture, TLM et France Bleu Pays de Savoie), de la presse nationale (Magazine littéraire, Libération et Le Monde des livres) et de la presse régionale (Le Progrès et Le Dauphiné libéré). Ne pouvant transcrire la totalité des propos, je me contenterai d’en rapporter quelques points forts.

Les journalistes doivent être considérés comme des passeurs, des agents de liaison, au sein d’un réseau de coopération qui réunit sur le même plan libraires, bibliothécaires, éditeurs, etc. Cependant, les médias sont peu prescripteurs. Il y a une crise de la critique littéraire dont la faiblesse ouvre la voie aux logiques promotionnelles, avec le risque d’un recul démocratique.

La crise de la presse écrite, par la réduction des titres en région, provoque une réduction sensible des espaces consacrés à la couverture des manifestations littéraires. Néanmoins, la couverture des événements peut trouver sa place dans une articulation entre pages locales, départementales et culturelles. Le partenariat le plus fréquent, le plus facile aussi, est l’achat de « tirés à part ».

Les journalistes nationaux sont très peu nombreux à se déplacer en région. Leurs rédactions privilégient la démarche de labellisation ou de partenariat. Les éléments déterminants sont la capacité à durer ainsi qu’une identité forte. « L’engagement » des organisateurs renforce les « alliances » et la fidélisation des journalistes.

Du point de vue des organisateurs, il vaut parfois mieux cibler les envois de dossiers de presse à quelques partenaires que d’en expédier des centaines à l’aveuglette : privilégier le qualitatif plutôt que le quantitatif. Il est nécessaire d’avoir une méthodologie pour la diffusion de l’information, la mise en forme des documents : par exemple, privilégier les accroches courtes et les fichiers attachés. Car les journalistes sont « sursaturés » de dossiers de presse : il convient de les séduire dans les premières lignes.

La question des publics est primordiale pour justifier la mobilisation d’argent public. Le public n’est pas hostile à l’exigence. Il faut développer la part de créativité (de création), préparer la venue des auteurs, les solliciter pour des lectures.

Philippe Camand (Arald), qui avait présenté les résultats d’une enquête portant sur la professionnalisation de la communication des salons en Rhône-Alpes, en soulignant que très peu recouraient aux attachés de presse et que les réponses oscillaient entre l’empirisme des démarches et l’externalisation fréquente, proposa pour finir une synthèse des échanges de cette journée tout à la fois riche et frustrante.