Les « Ruches »
Afin de parfaire le maillage du territoire en équipements culturels, le ministère de la Culture et de la Communication a souhaité porter son effort sur les médiathèques de proximité, en milieu rural et dans les quartiers urbains périphériques, où elles constituent une nécessité, d’un point de vue culturel et social. Le programme national des « Ruches » s’appuie sur le partenariat de l’État, de ses services déconcentrés et des collectivités locales, le choix de la qualité architecturale et la confiance dans la nouvelle génération des architectes. La mise en œuvre de ce programme se traduit par un soutien financier particulier en fonctionnement.
In order to complete a countrywide chain of culturally equipped services, the Ministry of Culture and Communication has concentrated its support on neighbourhood mediatheques in rural areas and in outlying urban districts, where they respond to a real need from a cultural and social viewpoint. The national programme of “Beehives” relies on the partnership of the State’s decentralised services and from those of local municipalities, in the selection of quality architecture and trust in a new generation of architects. The implementation of this programme is supported by a special financial operational budget.
Um den Zugang zum kulturellen Angebot auf Landesebene zu perfektionieren, hat das französische Ministerium für Kultur und Kommunikation beschlossen, sich mehr für lokale Mediatheken in ländlichen Gegenden und Vorstadtgebieten einzusetzen wo diese, aus dem Blickwinkel des kulturellen und sozialen Lebens, ausserordentlich notwendig sind. Das nationale Programm der „Bienenkörbe« stützt sich auf das Zusammenwirken von Staat, seinen Aussendienststellen und lokalen Einrichtungen, auf die Wahl baulicher Qualität und das Vertrauen in eine neue Architektengeneration. Die Ausführung des Programms wird von einem besonderen Zuschuss zu den Betriebskosten unterstützt.
Con el fin de perfeccionar la red territorial en equipamientos culturales, el ministerio de la Cultura y de la Comunicación deseó dedicar el esfuerzo en las mediatecas de proximidad, en medio rural y en los barrios urbanos periféricos, en donde constituyen una necesidad, desde un punto de vista cultural y social. El programa nacional de las “Colmenas” se apoya en la asociación del Estado, de sus servicios desconcentrados y de las colectividades locales, en la elección de la calidad arquitectural y la confianza en la nueva generación de arquitectos. La ejecución de este programa se traduce a través de un apoyo financiero particular en funcionamiento.
Lors de la conférence de presse du 21 mars 2003, présentant le programme national des « Ruches », nouvelle génération de médiathèques de proximité en milieu rural et dans les quartiers urbains périphériques, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication, avait cité en préambule les propos des habitants de la commune d’Artigues-près-Bordeaux, auxquels il avait été demandé comment ils imaginaient leur future bibliothèque, alors en projet 1.
Ces réponses, recueillies et publiées, traduisaient de manière claire, concrète et précise les attentes des usagers à l’égard des bibliothèques. Il fallait que la bibliothèque soit « originale par son architecture. Attrayante avec des couleurs qui respirent la gaieté et instaurent un cadre reposant. Très moderne, avec des couleurs vives. Comme un lieu d’échange avec des livres, des disques, de la culture, ouverte à tous et conviviale. En un mot : un lieu de vie, pour les petits, les adultes et les seniors. Avec beaucoup de lumière. Avec une architecture innovante, lumineuse, vitrée, donnant sur un petit jardin. Belle, avec des commodités pour y accéder. Un point conseil. Sympathique, avec un personnel toujours là pour aider les clients. Agréable à vivre, que tout le monde y trouve son besoin ».
Ces attentes se portent avec une même exigence sur les contenus offerts aux usagers (une collection multimédia couvrant tous les champs de la connaissance) et sur l’enveloppe abritant les fonds. Beaucoup de ces propos évoquent la manière dont sont conçus, construits et aménagés les bâtiments, tout autant que la qualité et la variété des services proposés. Au milieu de la croissance babélienne des savoirs, des formes et des outils d’accès à la culture, l’usager (le client tel qu’il se définit !) doit également pouvoir compter sur la médiation du bibliothécaire, formé à la constitution des collections disponibles sur place comme à la recherche documentaire.
Ainsi était défini le triptyque sur lequel doit reposer toute action en matière de développement de lecture publique :
– un bâtiment accessible (cette accessibilité doit se concevoir dans toutes les acceptions du terme) ;
– des collections et des services ;
– une médiation assurée par un personnel nombreux et formé.
Le Premier ministre avait déjà rappelé (et c’était une première à l’Assemblée nationale) lors de sa déclaration de politique générale, le 3 juillet 2002, « que les bibliothèques constituent les équipements culturels les plus fréquentés par les Français » 2. Si les chiffres varient suivant les sources, tous les observateurs conviennent qu’au moins un tiers de la population fréquente une bibliothèque publique. Cette belle réussite, fruit de l’action conjuguée de l’État et des collectivités territoriales, a permis que la France dispose aujourd’hui de plus de 4 000 bibliothèques publiques.
Depuis la décentralisation, l’État a soutenu plusieurs centaines d’initiatives, des plus modestes jusqu’aux plus ambitieuses (notamment le programme des bibliothèques municipales à vocation régionale [BMVR]), avec un savoir-faire reconnu à l’étranger dans l’accompagnement des projets d’envergure. Dans le souci de parfaire le maillage du territoire en équipements culturels, en dehors des centres des grandes villes aujourd’hui équipés en règle générale, le ministère de la Culture et de la Communication a souhaité porter aussi son effort sur les équipements de proximité, là où de tels équipements constituent une nécessité pressante, à la fois d’un point de vue culturel et social. Alliant tout à la fois l’exigence de qualité et le souci de proximité, dans un mouvement engageant plusieurs directions du ministère 3, le programme national des « Ruches » se veut exemplaire d’une démarche interrogeant nos pratiques, affrontant les réalités singulières des territoires, proposant un cadre mais non un modèle, faisant appel à l’audace et à l’innovation.
Ce nouveau programme repose sur la prise en compte d’un besoin, et même d’une nécessité de recréer du « lien social » autour de la culture et du savoir, dans une optique d’aménagement culturel du territoire et dans l’idée fortement réaffirmée que le livre et l’écrit sont au fondement de toute culture. Ses instruments sont le partenariat de l’État, de ses services déconcentrés, des établissements publics nationaux et des collectivités locales, notamment les départements avec leurs plans de développement de la lecture, le choix de la qualité architecturale et la confiance dans la nouvelle génération des architectes.
Des objectifs largement partagés par tous
Lors de son arrivée au ministère de la Culture et de la Communication, Jean-Jacques Aillagon a fait de la qualité des constructions publiques un axe prioritaire de l’action de son département ministériel, comme il l’a rappelé dans son programme cadre d’août 2002. Ainsi, a été lancée, entre autres, une campagne d’information à l’été 2002 dont l’une des affiches représentait la Maison carrée et le Carré d’art de Nîmes avec pour slogan « L’architecture d’aujourd’hui c’est souvent le patrimoine de demain ». Hasard ? Cette campagne d’information de la DAPA montrait explicitement un lieu culturel abritant notamment une bibliothèque.
Deux événements récents sont venus souligner l’engouement suscité par les grandes réalisations architecturales en matière de bibliothèques. Le premier, c’est l’attribution en 2002 aux architectes Pierre du Besset et Dominique Lyon de l’Équerre d’argent, décernée par le groupe Le Moniteur, pour la bibliothèque municipale à vocation régionale de Troyes. Le second, en 2003, a permis de mettre à l’honneur un équipement plus modeste en Bretagne : la médiathèque de Saint-Renan (Finistère) 4 qui a reçu le Grand prix public de l’architecture, catégorie équipement public 5. À quoi il convient d’ajouter deux importants séminaires traitant de l’architecture des bibliothèques 6. L’objet-bibliothèque est devenu un sujet d’intérêt fort des équipes d’architectes qui ont maintenant pour partenaires des élus décidés, des bibliothécaires devenus familiers des programmes, des conseillers pour le livre et la lecture au suivi attentif à l’accompagnement des projets dans les Drac.
Si, comme on le constate régulièrement, les usages d’un bâtiment ne se limitent presque plus à ses fonctions primaires mais sont définis et élargis par le public qui se l’approprie, la bibliothèque ne peut cependant se passer de ce dialogue entre cette fonction (un magasin de documents) et cet usage aujourd’hui élargi. C’est pourquoi le programme des « Ruches » a mis l’accent aussi bien sur des critères fonctionnels que sur la qualité esthétique des espaces, évoquant les notions de « beau » et de « confort ». La médiathèque doit ainsi proposer des fonds documentaires sélectionnés (livres, CD, DVD, cédéroms), variés et renouvelés sur supports multiples, pour tous les goûts et tous les âges.
La médiathèque de proximité consacre une grande partie de ses espaces publics à des fonctions de médiation, d’échange, d’animation et de formation. Elle établit des liens forts et uniques entre des usagers et des ressources documentaires disponibles sur place ou accessibles depuis des postes informatiques. Ainsi, elle n’est pas simplement le lieu de l’accumulation du savoir, elle est ouverture proposant de multiples entrées, de multiples parcours, de multiples usages prenant en compte la singularité de chacun de ses utilisateurs. Pour répondre encore mieux à cette ambition, elle privilégie dans la perception de ses espaces le pôle d’accueil, de services et de convivialité pour se déployer par la suite autour de ce qui constitue le cœur de son savoir-faire : la constitution de collections documentaires et le prêt. La « Ruche » n’est donc jamais seulement un lieu de prêt et d’emprunt, mais toujours aussi un lieu de séjour et d’échange, entre lecteurs comme entre lecteurs et bibliothécaires.
Un débat qui s’engage, se nourrit et se poursuit
Au point de départ du programme des « Ruches », le ministère de la Culture et de la Communication a lancé un appel à idées auprès des équipes lauréates en 2002 des Nouveaux albums des jeunes architectes 7.
Ces architectes ont été sollicités pour proposer, à partir d’un programme-cadre 8 et de quatre sites, des réflexions innovantes sur les missions et l’écriture architecturale de ce type d’équipement, relativement modeste par sa taille, mais répondant aux besoins diversifiés d’une population. Le programme-cadre proposé pour l’appel à idées s’attachait à traduire en espaces les nouveaux contours d’une médiathèque de proximité d’une surface de 500 m2 environ.
En pratique, les missions fondamentales d’une bibliothèque ont bien évidemment été conservées (constitution des collections et prêt de documents). L’accent a été porté sur les espaces d’accueil et d’animation, sur l’accès aux nouveaux supports d’accès à l’information (Internet) et sur les attentes des usagers désireux de trouver en outre dans ces équipements des informations générales, locales et d’actualité (kiosque du citoyen) et un service administratif ou social de proximité (service public de proximité), mais aussi des conditions de détente, de rencontre des publics et des collections (salon de lecture et de musique) 9.
Quatre sites, choisis en concertation avec les Drac et en accord avec les collectivités locales concernées, étaient proposés aux concepteurs afin de donner un « cadre réel » aux projets : un en Champagne-Ardenne, la Communauté de communes du Pays de Vingeanne, un en Île-de-France à Aubervilliers, un dans les Pays-de-la-Loire, au Pellerin, un en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, à Carnoux-en-Provence. La totalité des seize équipes lauréates des Nouveaux albums 2002 a accepté de répondre à l’appel à idées.
Tout en soulignant la qualité de l’ensemble des contributions apportées dans des délais extrêmement resserrés, un jury, placé sous la présidence de Dominique Lyon, a choisi de distinguer plus particulièrement cinq projets. Certains d’entre eux sont résolument urbains, d’autres pourraient s’inscrire en milieu urbain ou rural. Pour chacun de ces cinq projets, une ou plusieurs idées sont apparues particulièrement pertinentes dans la mesure où elles réinterprètent certains aspects d’une médiathèque de proximité. Ces idées sont parfois transposables ou utilisables telles quelles, même dans un contexte très différent ; dans d’autres cas, elles méritent d’être approfondies, voire de donner lieu à de nouvelles réflexions, et susciteront en tout état de cause des débats.
Les équipes suivantes ont vu leur projet distingué par le jury :
– L’AUC (Djamel Klouche), pour un projet en milieu urbain, épuré, « fluide », de plan très libre, dont la dimension poétique a été soulignée, avec en particulier un parvis et un traitement de sol susceptibles de contribuer à un dialogue intéressant entre l’équipement et son environnement.
– Explorations (Benoît Le Thierry d’Ennequin et Yves Pagès), pour l’attention particulière portée dans leur projet à la convivialité des espaces, intérieurs et extérieurs, à leur fonctionnalité, enfin aux préoccupations environnementales et de développement durable.
– Hamonic + Masson (Gaëlle Hamonic et Jean-Christophe Masson), pour leur parti pris d’une vision domestique de la médiathèque présentée comme une « grande maison », fonctionnelle, simple et dont les espaces de qualité se succèdent de façon presque initiatique.
– Hondelatte Laporte architectes, pour un projet qualifié d’optimiste, qui permet flexibilité et polyvalence des espaces dans le même temps qu’il invite l’usager, avec en particulier un jeu singulier de gradins, à choisir ses « postures » et s’approprier les lieux.
– Stéphane Schurdi-Levraud, pour l’originalité de cette proposition qui s’attache à répondre, à l’échelle urbaine, à la notion d’équipement de proximité en localisant la médiathèque dans une tour d’habitation, en lieu et place de deux étages d’appartement élevés dont les vitrages seraient teintés de couleur vive.
L’ensemble des seize propositions est présenté dans un tiré à part de la revue d’architecte d’A 10.
Cet appel à idées a permis, au-delà de sa présentation au Salon du livre de Paris de mars 2003 et du débat qu’il suscite, que s’engagent dialogues et réflexions entre l’ensemble des acteurs (maîtres d’ouvrages, maîtres d’œuvre, bibliothécaires, usagers) qui concourent à l’émergence de ces équipements afin qu’ils deviennent, comme le souhaite Jean-Jacques Aillagon des « lieux bien équipés, offrant des collections de qualité, avec du personnel qualifié, des lieux de savoir et de convivialité, dans lesquels les gens pourraient accéder au monde aussi bien par le livre que par Internet ».
Quand une intuition rencontre un besoin
La mise en œuvre de ce programme se traduit par un soutien financier tout particulier, à la fois en investissement et en fonctionnement :
– La construction et l’équipement informatique de ces médiathèques font l’objet d’une aide significative, la participation de l’État pouvant atteindre, en complément d’autres financements publics potentiels (départements, régions, Union européenne), 40 à 50 % des montants subventionnables.
– Le renforcement de la qualification des équipes ainsi que la constitution initiale des collections sur support numérique peuvent recevoir également une aide, respectivement sous forme d’un appui dégressif à l’emploi et sur la base d’une dotation forfaitaire.
Les crédits de la dotation générale de décentralisation pour les bibliothèques sont ainsi prioritairement mobilisés par les directions régionales des affaires culturelles dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme. Il a, en outre, bénéficié en 2003 de mesures nouvelles à hauteur de 800 000 euros pour l’aide au fonctionnement (titre IV) et de 950 000 euros pour l’investissement (titre VI). En 2004, les mesures nouvelles totalisent 2,25 millions d’euros, auxquels il convient d’ajouter 1,5 million d’euros du CIADT/FNADT 11 destiné aux « Ruches » des zones rurales.
À ce stade de lancement du programme, un premier bilan fait apparaître qu’un peu plus de cent projets ont été financés dès 2003, dont 80 % en zone rurale et 20 % en zone urbaine. Quatre-vingt-cinq de ces projets concernent des bâtiments (dont trente-deux relèvent d’opération de réhabilitation, exclusivement en zone rurale et le plus souvent dans le cadre d’opérations intégrées à un équipement culturel plus vaste). Sur ces quatre-vingt-cinq opérations, quatorze ont fait l’objet d’une programmation le plus souvent en partenariat avec les directions régionales des affaires culturelles mais aussi avec l’aide précieuse des bibliothèques départementales de prêt. Plus de quarante-cinq emplois ont été aidés en 2003, alors que des aides à la constitution des collections multimédia n’ont pour l’instant pu être mises en place qu’en Nord-Pas-de-Calais. La mobilisation de la dotation générale de décentralisation a été forte puisqu’elle a atteint plus de 13 millions d’euros, c’est dire le succès de ce programme.
Bien que l’on constate généralement que les lancements de projets se font plus rares lorsque les mandats municipaux sont parvenus à mi-parcours, le programme doit se développer durant les prochains mois, compte tenu des demandes d’information de nombreux élus et de la caisse de résonance que procurent à ce dispositif les bibliothèques départementales de prêt. On peut d’ailleurs affirmer que c’est la conjonction entre ce programme et les politiques départementales qui est particulièrement porteuse d’avenir.
La complémentarité entre le dispositif des médiathèques de proximité et celui du concours particulier en faveur des bibliothèques municipales confère une efficacité et une visibilité renforcées à l’action de l’État, et devrait garantir aux équipements une mise en service améliorée, notamment en matière de qualification des agents, d’existence d’une collection multimédia renforcée, d’accès à l’Internet, et d’insertion dans un réseau documentaire qu’il soit local (communal ou intercommunal), départemental, régional (BMVR, agences de coopération entre bibliothèques) ou national (Bibliothèque publique d’information).
En ce qui concerne la qualité architecturale, la nécessité de l’élaboration d’un programme, l’exigence de la présence d’un architecte, le souci de la qualité des aménagements, de lisibilité du bâtiment, de la fonctionnalité des espaces sont soulignés par la « Note technique relative à la mise en œuvre du programme national de développement des médiathèques de proximité » 12.
Le succès qui se dessine pour le programme national de développement des médiathèques de proximité montre que ses intuitions fondatrices étaient judicieuses. Il reste aux collectivités territoriales, porteuses de ces projets et responsables au premier chef de la lecture publique, à les faire vivre en fonction du territoire local et en liaison avec le réseau documentaire national dont le ministère de la Culture et de la Communication est plus particulièrement chargé.
Janvier 2004