« Décédé à la suite d'une longue et douloureuse maladie »

La fin du Deutsches Bibliotheksinstitut

Peter Borchardt

Fin avril 2003, les portes du foyer Barthezène, l’ancien club des officiers de l’armée française à Berlin et la dernière résidence du Deutsches Bibliotheksinstitut (DBI), ont été définitivement fermées. La longue agonie du DBI trouve sa funèbre conclusion. Avec cette disparition, c’est toute une page du développement des bibliothèques allemandes au cours de ces vingt dernières années qui se trouve tournée sans que des perspectives nouvelles aient été ouvertes.

Une œuvre importante

En 1978, à la suite d’un processus de réflexion de plusieurs années, le Deutsches Bibliotheksinstitut (Institut allemand pour les bibliothèques) est né de la réunion de deux institutions qui existaient respectivement depuis 1957 et le début des années 1970, sous la forme d’un établissement public. Un pays aussi fortement décentralisé que l’Allemagne avait besoin de se doter d’une institution centrale capable d’offrir aux bibliothèques un cadre national de normalisation et de coopération. Il était en outre nécessaire de disposer d’un interlocuteur unique pour harmoniser les relations avec les ministères comme avec l’étranger.

Au cours de ses vingt années d’existence, le DBI a accompli une œuvre importante. Les bibliothèques allemandes, tous types confondus, ont bénéficié de ses services, la plupart des développements qu’elles ont connus au cours des années 1970 et 1980 n’auraient pas eu lieu sans le DBI. Qu’il s’agisse du catalogue national des périodiques ou des services spécialisés pour les adolescents, la liste des progrès auquel il a contribué est longue et variée.

L’établissement bénéficiait d’un mode original de financement, associant l’État fédéral (pour 30 %) et les gouvernements régionaux des Länder (pour 70 %), qui a été tardivement qualifié de « défaut inné » du DBI, et accusé d’avoir conduit l’institution à sa chute. L’argument était que ce financement mixte (surnommé Blaue Liste, « liste bleue », d’après la couleur de la reliure du premier contrat) était dès le début inapproprié : il bénéficiait aux institutions relevant de la recherche scientifique alors que le DBI était une institution de prestation de services et non un institut de recherche.

Il s’agit là d’une objection de caractère administratif d’autant plus formelle que le système a fort bien fonctionné durant des années. Au moment de la réunification allemande, le DBI employait environ 90 collaborateurs. En 1999, après la réunification, il a intégré les installations centrales des bibliothèques de la RDA et avec elles environ 50 collaborateurs. Cette fusion, a permis au DBI de jouer un rôle primordial dans l’harmonisation des bibliothèques allemandes de l’Est et de l’Ouest.

La dissolution

Toutes les institutions relevant du type de la « liste bleue » sont régulièrement évaluées ; il en a toujours été de même pour le DBI. Cependant, à partir des années 1990, les contrôles sont devenus plus stricts. La raison en est simple : après l’unité allemande, de plus en plus d’instituts de recherche ont voulu entrer dans la « liste bleue ». Cependant, comme le budget total de cette dernière n’avait pas été augmenté, on ne pouvait subventionner une institution nouvelle qu’à partir du moment où l’on cessait de subventionner une des précédentes. Tel est précisément le système dont a été victime le DBI. Lors de son évaluation du DBI en 1996/1997, le Wissenschaftsrat (Conseil national des sciences) a décidé de suspendre son financement. Cette conclusion a provoqué la surprise générale, car les quelques points faibles mentionnés dans le rapport d’évaluation auraient pu facilement faire l’objet de mesures correctrices. Elle est apparue d’autant plus brutale, que toutes les procédures de programmation pour la construction d’un nouveau bâtiment de l’institut dans le centre de Berlin étaient achevées, et que les travaux de construction devaient bientôt commencer 1.

Financièrement asphyxié, l’institut a été achevé par une loi du 31 décembre 1999 qui a décidé sa dissolution. Les collaborateurs qui bénéficiaient des garanties d’emploi du statut de la fonction publique ont été repris par voie de mutation par le Land de Berlin. Beaucoup parmi les autres ont cherché des places dans d’autres bibliothèques, certains ont profité des conditions de retraite anticipée ou des indemnités de licenciement généreuses qui leur ont été proposées. Enfin environ 20 collaborateurs restent toujours sur le carreau. La fermeture étant maintenant définitive, ils devront accepter les postes qui leur sont proposés dans l’administration de Berlin.

Des missions abandonnées

Cette triste histoire a aussi tristement démontré l’impuissance des associations de bibliothèques et de bibliothécaires. On a certes d’abord bruyamment protesté. Mais le calme est rapidement revenu quand on a annoncé la fondation d’une institution de remplacement, l’Innovationszentrum für Bibliotheken (Centre d’innovation pour les bibliothèques), supposé n’employer qu’une dizaine de collaborateurs. Institut dont il est clair depuis qu’il ne verra jamais le jour.

L’histoire de la dissolution a récemment été qualifiée de « Raubmord » (vol et assassinat) 2 et a fait l’objet d’une première monographie 3. Les dépouilles de la victime sont désormais perdues ou au mieux éparpillées. Certaines tâches du DBI sont aujourd’hui assurées en partie par d’autres institutions, comme la Deutsche Bibliothek (la Bibliothèque nationale), la Staatsbibliothek à Berlin, la Bibliothèque centrale et régionale de Berlin et l’Association des bibliothèques allemandes. Les statistiques des bibliothèques allemandes seront désormais établies par le Hochschulbibliothekszentrum Nordrhein-Westfalen (HBZ, Centre des bibliothèques universitaires du Land de Rhénanie-Westphalie).

Force est en outre de constater qu’il n’y a presque plus de projets de développement pour des bibliothèques publiques et des bibliothèques de jeunesse, presque plus de publications professionnelles 4. Si la fondation Bertelsmann renforce maintenant ses activités dans le secteur des bibliothèques, elle ne peut ni ne veut cependant combler les carences des pouvoirs publics.

Les conséquences de cette décision risquent d’être durables. En plus des services qu’il a rendus aux bibliothèques, le DBI a eu l’immense mérite de former des spécialistes qui, dans leur secteur, disposaient d’un savoir-faire précieux et reconnu par les professionnels du monde entier. Ces ressources humaines ne sont maintenant plus disponibles et doivent être développées péniblement ailleurs.

La profession est très curieuse de voir si l’on reconnaîtra un jour la nécessité d’une institution centrale qui pourrait mener… à la réinvention du DBI.

  1. (retour)↑  Tous les documents concernant la dissolution du DBI sont (encore) accessibles : http://www.dbi-berlin.de/dbi_inf/archiv/archiv.htm
  2. (retour)↑  Dietmar Kummer, « Raubmord in Berlin oder Das Ende des DBI. Ein realsatirisches Lehrstück über Macht », Buch und Bibliothek 55, n° 3, 2003, p. 146-147.
  3. (retour)↑  Otto-Rudolf Rothbart, Deutsche Büchereizentralen als bibliothekarische Dienstleistungsinstanz, Wiesbaden, Harrassowitz, 2002.
  4. (retour)↑  Le DBI était aussi une maison d’édition qui publiait, outre des revues (comme la revue mensuelle Bibliotheksdienst, éditée depuis deux ans par la Bibliothèque centrale et régionale de Berlin), entre dix et vingt monographies par an, qui reflétaient les résultats des travaux de l’Institut.