Que reproche-t-on au travail de référence virtuel ?

Roy Tennant

Steve Oberg

Bernie Sloan

Dan Lester

Hugh Jarvis

Robert Tiess

Les auteurs expliquent pourquoi le travail de référence virtuel, bien qu’il présente un intérêt certain, est très surestimé. Un service de référence classique, en présence de l’usager ou par téléphone, leur semble plus efficace. Leur article a suscité un débat contradictoire sur la liste Web4lib présenté en annexe.

The authors explain why virtual reference work, although it may be of some interest, is much overrated. A typical reference service, in the presence of the user or by telephone, seems to them more efficient. Their article has started an open debate on the Web4lib list presented in an appendix.

Die Autoren erklären warum der virtuelle Auskunftsdienst, auch wenn er von einigem Interesse ist, stark überbewertet wird. Der klassische Auskunftsdienst, der in Gegenwart des Benutzers oder per Telefon geleistet wird, scheint ihnen effizienter zu sein. Der Artikel hat im Rahmen von Web4lib eine Debatte zu diesem Thema entfacht, deren Resultat im Anhang aufscheint.

Los autores explican por qué el trabajo de referencia virtual, aunque representa un cierto interés, está muy sobrestimado. Un servicio de referencia clásico, en presencia del usuario o mediante teléfono, les parece más eficaz. Su artículo ha suscitado un debate contradictorio en la lista WEB4lib presenado en anexo.

Document 1. Roy Tennant

Ce qui à mon avis est intéressant, dans cet article, est que c’est un des textes les plus outranciers et les plus exagérés qu’il m’ait été donné de lire sur le travail de référence numérique. Franchement, j’ignore où les auteurs ont trouvé des publications se félicitant de la disparition des services de référence sur place ou par téléphone, et ce ne sont pas les sources qu’ils citent qui pourront nous y aider. Comme la plupart des gens qui voient d’un mauvais œil toute nouvelle technologie, je soupçonne que, dans leur esprit, se féliciter de l’apparition d’un nouvel outil, c’est par voie de conséquence célébrer la disparition de l’outil plus ancien. Autant que j’aie pu le constater, c’est pourtant loin d’être le cas, même si les quelques témoignages dont nous disposons sur les réductions d’horaires imposées çà et là dans les bureaux d’information des bibliothèques sont en effet gênants.

Par une curieuse coïncidence, depuis deux mois, je prévoyais de parler à nouveau du travail de référence numérique dans la rubrique « Bibliothèques numériques » qui m’est octroyée dans le Library Journal, et pas plus tard qu’hier soir, j’ai présenté ce papier à mon rédacteur en chef. En voici le dernier paragraphe (le reste paraîtra sur le site web et en version papier à la mi-janvier).

« La référence numérique va-t-elle devenir une composante essentielle du travail de base des bibliothèques ? De toute évidence, il est encore trop tôt pour le dire. Cela rend d’autant plus troublantes les rumeurs sans fondement qui circulent à propos de bibliothèques qui restreindraient les horaires de leur bureau d’information parce qu’elles ont mis en place un service de référence numérique. Quel que soit le succès qu’il rencontre, il est indubitable que le service d’information, sur place ou par téléphone, continuera de jouer un rôle important. Comme avec n’importe quelle autre innovation technologique, il convient avant tout de s’interroger sur l’amélioration effective du service apporté à la clientèle. Si cette dernière ne paraît pas probante, peu importe que la trouvaille brille de tout l’éclat du neuf : elle ne mérite pas que nous y investissions notre temps et celui de nos usagers. Nul ne devrait s’étonner que la vérification d’une question aussi essentielle s’accompagne d’un certain délai de réflexion, d’un certain nombre de faux départs, et entraîne ses adversaires comme ses partisans à user d’arguments excessifs. »

Trois conditions dont j’avais bien présente à l’esprit la source au moment d’écrire la dernière phrase.

Roy

Document 2. Steve Oberg

J’adhère sans réticence aucune au point de vue des auteurs. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait simplement pour eux de taper sur le travail de référence virtuel parce qu’ils y voyaient la dernière lubie des bibliothécaires (ce qu’il est d’ailleurs, dans une certaine mesure). En avançant dans ma lecture, j’ai cependant compris qu’ils ne dénonçaient pas le travail de référence virtuel en bloc, mais s’élevaient en fait contre l’idée qu’il pourrait ou devrait à terme se substituer aux interactions que suscite la demande d’information sur place. Ils plaident la modération. Je trouve que c’est très instructif et pense que nous avons tout intérêt à garder ça en tête.

Je travaille au Point d’Information de Taylor, et j’ai beaucoup poussé pour que nous nous engagions dans cet effort de collaboration, afin de « prendre pied » dans ce domaine. Dans l’ensemble, c’est à mon avis une expérience qui vaut la peine d’être tentée et je suis heureux que nous nous y soyons mis. Reste qu’un service de référence virtuel ne peut (ni ne devrait, selon moi) pleinement remplacer un service de référence sur place.

Ce n’est qu’un des nombreux outils à notre disposition pour nous aider à répondre au mieux aux demandes de notre public.

Un des exemples passés sous silence dans l’article est l’offre d’un service de référence aux étudiants qui suivent leurs études à distance. Même si le travail de référence virtuel n’est pas l’idéal, pour eux cela vaut toujours mieux que rien ! Il existe à Taylor des cursus conçus pour les adultes dans le cadre de l’enseignement permanent. Quelque neuf cents étudiants salariés y sont inscrits, et la mise en place d’un service de référence virtuel présente beaucoup d’intérêt pour eux. C’est une des raisons principales pour lesquelles nous nous sommes lancés dans l’aventure. Que dire en outre du nombre toujours croissant d’étudiants qui, bien que géographiquement présents, ne fréquentent pas régulièrement la bibliothèque ? Il vaut la peine d’essayer de mettre en place un service de référence virtuel, ne serait-ce que pour atteindre cette partie de la population.

Un autre point mérite d’être souligné : les auteurs se réfèrent à une étude réalisée par l’université de l’Illinois, selon laquelle les opérations nécessitées par le travail de référence virtuel dureraient en moyenne environ dix minutes de plus qu’une demande d’information sur place. Or, si ma mémoire est bonne, ce rapport a été rédigé à partir d’une expérience menée sur une période d’essai. Les bibliothécaires sur qui elle reposait étaient encore incomplètement rodés et avaient besoin de se familiariser avec la nouvelle technologie. Peut-être est-il donc quelque peu injuste de généraliser, en affirmant que les opérations propres au travail de référence virtuel durent plus longtemps que celles que nécessite la recherche d’information sur place.

Steve

Document 3. Bernie Sloan

Je suis d’accord avec Steve Oberg pour penser que cet article s’attache essentiellement à démontrer qu’un service de référence virtuel ne saurait remplacer la demande d’information sur place ou par téléphone. « Et alors ? », ai-je envie de demander.

Je vois vraiment mal qui passerait son temps à prédire l’évincement de toute autre forme de recherche documentaire par le travail de référence virtuel. À supposer que certains s’y emploient, ils ne doivent pas être pris très au sérieux. La référence virtuelle vient en complément des autres formes de recherche. Il est des lecteurs qui préfèrent se déplacer jusqu’au bureau d’information ; d’autres qui préfèrent téléphoner ; et d’autres qui préfèrent se servir de leur ordinateur. Individuellement, chacun peut privilégier telle ou telle démarche selon le contexte qui détermine sa demande d’information.

L’article souligne un certain nombre de points intéressants qui mériteraient d’être approfondis, mais qui n’ont rien de révolutionnaires.

Voici, dans le désordre, les remarques qui me viennent à l’esprit. Je ne suis pas sûr de très bien comprendre ce que l’auteur avait en tête lorsqu’il déclare en titre que le travail de référence virtuel est un service « pas même réel ». Un peu plus loin il avance que « presque toutes les formes de référence numérique sont lentes – plus lentes que les discussions au téléphone, plus aussi que le contact direct en face à face ». Il me semble que la « lenteur », ici, n’a de sens qu’aux yeux de l’observateur. Si l’on se place dans la perspective de l’usager qui doit se déplacer jusqu’à la bibliothèque pour un contact « en face à face », le travail de référence virtuel est peut-être moins lent qu’il n’y paraît.

Toujours à propos de la « lenteur », l’article cite une ou deux études selon lesquelles « les opérations inhérentes à la consultation numérique durent près de dix minutes en moyenne », et précise quelques lignes plus bas que les séances de référence virtuelles « réclament beaucoup plus de temps que les autres modalités de consultation ». D’accord, je travaille depuis pas mal d’années dans un bureau d’information, mais quel genre de renseignements peut-on espérer fournir avec une recherche documentaire menée sur place, en face à face, en moins de dix minutes ?

À noter aussi quelques incohérences qui auraient dû frapper la rédaction. L’auteur estime ainsi que « le travail de référence virtuel est décevant pour nos usagers », mais ensuite il reconnaît pourtant que « le service [a] sa valeur ».

Il écrit en conclusion que « jamais les modules de service virtuel en ligne ne pourront égaler la puissance et l’efficacité des méthodes de consultation traditionnelles – sur le tas, sur place, en interne, et interactives dans tous les sens du terme ». Jamais est un bien grand mot. Pour moi qui ai passé en revue des centaines de transcriptions de référence virtuelles, il est évident que ces séances sont parfois rapides, efficaces, et sans nul doute plus satisfaisantes que la recherche documentaire en face à face. Un support de communication n’est pas toujours meilleur qu’un autre.

Bernie Sloan

Document 4. Dan Lester

Bernie Sloan : « Individuellement, chacun peut privilégier telle ou telle démarche selon le contexte qui détermine sa demande d’information. »

Tous ceux qui, dans ce débat, adoptent des positions extrêmes ont tendance à oublier ce point essentiel.

BS : « [L’auteur] avance que “presque toutes les formes de référence numérique sont lentes – plus lentes que les discussions au téléphone, plus aussi que le contact direct en face à face”. Il me semble que la “lenteur”, ici, n’a de sens qu’aux yeux de l’observateur. Si l’on se place dans la perspective de l’usager qui doit se déplacer jusqu’à la bibliothèque pour ce contact “en face à face”, le travail de référence virtuel est peut-être moins lent qu’il n’y paraît. »

S’agissant de demandes d’information à peu près comparables, le délai n’est sans doute pas fondamentalement différent. Je sais d’expérience que, tous tant que nous sommes, nous calculons différemment la durée des « opérations de recherche », des « opérations de supervision », et ainsi de suite. Cela étant, si l’on excepte toutes les « questions rapidement résolues » qu’il est exclu de se procurer au moyen du travail de référence numérique, les écarts entre les différentes procédures ne sont probablement pas aussi grands qu’on serait tenté de le croire.

BS : « Toujours à propos de la “lenteur”, l’article cite une ou deux études selon lesquelles “les opérations inhérentes à la consultation numérique durent près de dix minutes en moyenne”, et précise quelques lignes plus bas que les séances de référence virtuelles “réclament beaucoup plus de temps que les autres modalités de consultation”. D’accord, je travaille depuis pas mal d’années dans un bureau d’information, mais quels genres de renseignements peut-on espérer fournir avec une recherche documentaire menée sur place, en face à face, en moins de dix minutes ? »

En ce qui me concerne, je travaille toujours quatre heures par semaine au bureau d’information, dans le but, à défaut d’autre chose, de me rappeler que je suis un bibliothécaire en chair et en os, ainsi que pour rester en contact avec la « réalité » du monde de nos usagers. Je suis tenté de dire que la plupart des opérations liées à la recherche de références universitaires (à l’exclusion des opérations « de supervision » et autres) prennent largement moins de cinq minutes. Il s’agit souvent d’aider quelqu’un à interpréter un tableau dans un résumé de statistiques, de montrer à un lecteur comment il trouvera l’auteur qui l’intéresse en cherchant ici ou là une notice le concernant, de lui expliquer comment se servir de Social Abstracts sur la Toile, etc. Nos statistiques distinguent les questions selon qu’elles prennent cinq minutes ou moins, entre cinq minutes et un quart d’heure, et plus d’un quart d’heure. La grande majorité est réglée en moins de cinq minutes, et il est très rare qu’il faille plus d’un quart d’heure pour y répondre.

Cordialement,

Dan

Document 5. Steve Oberg

Hmmm… Les réactions sont vigoureuses. Il faut croire que je ne me suis pas autant inquiété du point de vue dans lequel se placent les auteurs et que je n’ai pas assez sérieusement réfléchi au fond de leur argumentation. Je continue cependant de penser qu’il y a du vrai, dans cet article, quant à l’attitude parfois un peu servile qui nous pousse à caresser la nouveauté dans le sens du poil, et à la valeur à accorder au travail de référence effectué sur place. Comme d’autres l’ont souligné, le travail de référence virtuel ne saurait s’y substituer : c’est un outil qui nous permet de toucher les usagers en ligne.

Soit dit en passant, chez nous l’ouverture du service de référence virtuel s’est traduite par une augmentation de 20 % du nombre total d’heures consacrées aux demandes d’information, sans que cela ait en rien diminué celles qui sont formulées sur place.

Steve

Document 6. Hugh Jarvis

«… le travail de référence virtuel ne saurait se substituer au travail de référence effectué sur place. »

Dans le monde de l’entreprise, il y a, me semble-t-il, de plus en plus de gens pour penser que la clef du succès est de répondre à la demande des consommateurs. Foin des querelles sur la valeur des informations fournies sur place, ou sur les complexités de fonctionnement d’un service de référence virtuel : si la demande de nos usagers porte effectivement sur ce type de service, je trouve confondant que les bibliothèques tentent de les décourager.

Position à mes yeux équivalente à l’hypothèse voulant que le livre soit sacro-saint et indétrônable. Il est très difficile de dire de quoi demain sera fait, mais je pense que nous devons tout mettre en œuvre pour répondre aux besoins de nos clients et soutenir les comportements qui ont leur préférence. La plupart des questions posées au bureau d’information ne sont-elles pas précisément susceptibles d’être résolues par des interactions en ligne instantanées ? Si nos clients arrivent à résoudre virtuellement toutes leurs demandes d’information et n’ont plus besoin de passer à la bibliothèque que pour y emprunter des documents tangibles, faut-il vraiment nous y opposer ?

Je me trompe peut-être. J’aimerais avoir d’autres éléments de réponse.

Cordialement,

Hugh

Document 7. Dan Lester

Hugh Jarvis : « Dans le monde de l’entreprise, il y a, me semble-t-il, de plus en plus de gens pour penser que la clef du succès est de répondre à la demande des consommateurs. Foin des querelles sur la valeur des informations fournies sur place, ou sur les complexités de fonctionnement d’un service de référence virtuel : si la demande de nos usagers porte effectivement sur ce type de service, je trouve confondant que les bibliothèques tentent de les décourager. »

Je ne connais pas de bibliothèque qui tenterait de décourager ses usagers de passer par un service de référence virtuel. Je pense en réalité que la plupart des usagers préfèrent le contact personnel.

Les auteurs ne tiennent toutefois pas compte du fait qu’il existe dans ce pays des centaines de milliers d’étudiants qui poursuivent leurs études par correspondance (ou tout autre terme plus branché servant à désigner l’enseignement à distance). Ceux-là n’ont pas la possibilité de poser leurs questions en face à face, s’ils vivent à trois cents kilomètres d’une ville dont la bibliothèque publique riche de quatre mille livres est ouverte douze heures par semaine. À l’université de Boise State (Idaho), nous faisons de notre mieux pour desservir toute cette partie de la population, et dans des conditions aussi proches que possible de celles dont bénéficieraient ces gens s’ils pouvaient venir à la bibliothèque. Les deux auteurs travaillant dans des petites universités de sciences humaines qui recrutent leurs étudiants sur place, on peut penser qu’ils n’ont que très peu, voire pas, affaire à des étudiants « à distance ». Ceux de leurs étudiants qui pratiquent la consultation « à distance » sont probablement logés à l’autre bout du campus et ils n’ont pas envie de le traverser pour venir à la bibliothèque.

HJ : « Position à mes yeux équivalente à l’hypothèse voulant que le livre soit sacro-saint et indétrônable. Il est très difficile de dire de quoi demain sera fait, mais je pense que nous devons tout mettre en œuvre pour répondre aux besoins de nos clients et soutenir les comportements qui ont leur préférence. »

Oui, bien sûr qu’il faudrait leur fournir ce dont ils ont besoin, et sous la forme qui a leur préférence. Les besoins d’une petite université à rayonnement local sont toutefois différents de ceux de l’université de l’Illinois, et il ne semble pas que les auteurs en tiennent compte.

HJ : « La plupart des questions posées au bureau d’information ne sont-elles pas précisément susceptibles d’être résolues par des interactions en ligne instantanées ? Si nos clients arrivent à résoudre virtuellement toutes leurs demandes d’information et n’ont plus besoin de passer à la bibliothèque que pour y emprunter des documents tangibles, faut-il vraiment nous y opposer ? »

Non, nous ne devrions pas nous y opposer. L’expérience montre cependant que le nombre de demandes de référence numériques qui nous sont adressées est très peu important, surtout comparé à la taille de l’université. La plupart d’entre elles émanent des étudiants « à distance ». En dépit des difficultés de stationnement, de circulation et autres, il semble qu’une majorité d’étudiants se rendent à la bibliothèque pour son service de consultation sur place, mais qu’ils n’y viennent pas aussi souvent pour les autres documents dans la mesure où ils peuvent se les procurer électroniquement.

HJ : « Je me trompe peut-être. J’aimerais avoir d’autres éléments de réponse. »

En voici quelques-uns.

Cordialement,

Dan

Document 8. Hugh Jarvis

Dan Lester : « Je ne connais pas de bibliothèque qui tenterait de décourager ses usagers de passer par un service de référence virtuel. Je pense en réalité que la plupart des usagers préfèrent le contact personnel. »

Merci, Dan. Je n’ai pas une grande expérience de ce qu’est le travail dans un bureau d’information, mais la sagesse me rappelle que nos clients ont souvent peur de l’interaction en face à face (peut-être comme ils ont peur des dentistes, des médecins et des plombiers), et qu’on peut donc penser qu’ils préfèrent se tenir prudemment à distance grâce aux services de référence virtuels. Passer par ce service virtuel leur permet aussi de nous adresser des questions qu’ils jugent peut-être trop insignifiantes pour les poser directement au bureau d’information, avec le risque d’importuner des bibliothécaires débordés.

Certes, les interactions varient en fonction du public et des circonstances, mais il est sûrement possible qu’à l’inverse d’autres innovations récentes, la Toile offre effectivement une source d’opportunités unique. Seul l’avenir le dira, bien entendu…

Merci,

Hugh

Document 9. Robert Tiess

À propos de cette publicité que l’article attribue essentiellement à « un engouement de longue date pour la technologie, une fascination pour les derniers gadgets à la mode », et de la phrase suivante : « On ne connaît pas de progrès technique qui ait été boudé par la profession. »

Ces « gadgets à la mode » ne sont, pour ceux qui en voient les bénéfices et concourent à leur réalisation, rien d’autre que des outils. C’est vraiment une bonne chose que les bibliothécaires apprécient la technologie : chaque fois que nous pouvons nous en servir dans notre domaine d’intervention pour améliorer la qualité du service offert à nos clients, il n’y a pas de doute, c’est une bonne chose.

La référence numérique n’est pas une proposition du type tout ou rien ; ce n’est qu’un outil de plus, une autre forme de communication, une autre solution offerte à nos clients, qu’ils aient ou non la possibilité de se déplacer à la bibliothèque pour des échanges qui auraient lieu en face à face. Souvenons-nous qu’il y a, parmi nos lecteurs, des personnes handicapées et des gens du troisième âge, par exemple.

Comme n’importe quel autre outil, le travail de référence numérique a ses atouts et ses limites. Il ne peut pas tout régler, mais ce n’est pas parce que les tournevis ne peuvent pas servir de marteau qu’ils n’ont aucune utilité. Nous avons besoin de tous les outils à notre disposition pour faire notre travail de manière aussi efficace que complète, et pour assurer le meilleur service possible. D’accord, il peut être constructif de discuter outils et techniques, voire de mettre celui-ci ou celle-là de côté, fût-ce provisoirement, en même temps que nous explorons des façons de faire nouvelles et plus satisfaisantes.

D’accord, « disons les choses franchement », mais sans perdre de vue le sens commun quand nous parlons de ces interactions en ligne « désincarnées ». Est-il vraiment exclu qu’elles comportent des « éléments d’ordre moral et émotif » ? Et est-ce bien nécessaire ? Quoi qu’il en soit par ailleurs des émotions et de la morale courante, qu’en est-il de ces éléments étiquetés « d’ordre moral et émotif » ? Sachant que le travail de référence numérique au sens où nous en parlons ici se fonde sur le langage humain, cela voudrait-il dire que nous ne sommes plus capables de communiquer le « sens moral » et les « émotions » à l’aide de mots ? J’espère bien que non.

Certains estiment peut-être qu’on ne peut pas fournir efficacement des informations faute d’avoir vu en chair et en os la personne qui les demande, et d’avoir ainsi déterminé, en fonction de son apparence, quelles ressources lui conviennent le mieux. S’il ne s’agissait que d’un problème de tranche d’âge, il serait facile de le résoudre en amenant les enfants, les jeunes gens et les adultes à cliquer sur des options différentes pour obtenir des réponses adaptées à leur degré de maturité, mais cela a sans doute plus à voir qu’on ne veut bien l’admettre avec le jugement que permet le regard. Pourquoi, sinon, déplorer le côté « désincarné » des interactions en ligne ?

Un point qui doit être clairement établi : les bibliothécaires ne sont pas plus asservis à la technologie qu’ils n’en sont « engoués », contrairement à ce que prétendent nos collègues néo-luddites. En l’occurrence, parler avec dédain des « derniers gadgets à la mode » (alors que quantité de bibliothèques s’emploient avec succès à se redéfinir et à élargir leurs services dans la perspective d’ailleurs pas si récente de l’information numérique) risque fort de s’avérer contre-productif et de conférer une fausse vraisemblance aux critiques qui insinuent que notre profession est en retard sur son époque ou, pire, promise au destin des dinosaures.

Les services de référence virtuels ne sont pas une nouveauté ; cela fait déjà un moment qu’ils existent et que nombre de bibliothèques s’en sont dotées, jusqu’à un certain point au moins. Toutes ne se servent pas des interfaces des plates-formes de discussion, et elles ne dressent pas toutes des profils personnalisés de leurs clients. Elles communiquent par mél, ce qui ne les place pas face à une « pléthore de nouveaux défis […], entre les nouveaux logiciels qu’il faut apprendre à maîtriser, les nouvelles procédures à adopter, les nouveaux protocoles à définir, le surcoût non négligeable à justifier… ».

La consultation par mél est parfois tout aussi, voire plus, efficace que les opérations de recherche sur place, car elle laisse au lecteur comme au bibliothécaire le temps de formuler questions et réponses, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans une situation en face à face. Elle permet également de soumettre la demande à la personne la mieux qualifiée pour la traiter (le responsable de la section sciences politiques, par exemple, si la question porte sur le gouvernement), plutôt que de la laisser à l’appréciation du bibliothécaire se trouvant ce jour-là au bureau d’information (et qui peut d’ailleurs être parfaitement capable de la traiter). La non-spontanéité apparemment regrettable de la consultation par mél est donc justement, à mon sens, un de ses points forts.

Dans des environnements différents, on obtient des résultats différents. Inscrites noir sur blanc, les généralités ont parfois bonne allure, et libre à ceux qui en ont envie de se lamenter en chœur sur les « habitudes en matière de collecte et de regroupement des informations », la « décontextualisation », la « déshumanisation » et la « désincarnation », mais les regrets ne servent à rien s’ils ne débouchent pas sur des suggestions et des solutions sérieuses ou, à tout le moins, sur une démonstration convaincante des raisons qui devraient dissuader d’employer un outil donné. Il ne suffit pas de soutenir une chose et son contraire, d’affirmer d’un côté que nous utilisons des « procédures qui ne sont souvent ni efficaces ni utiles » pour glisser quelques paragraphes plus loin que « l’outil a […] ses applications, et le service sa valeur ».

Si le but de cet article était de nous persuader de la supériorité du travail de référence « incarné » sur le travail de référence « désincarné », je doute que ce genre de balancement y aide. Que les auteurs restent indécis dans leur propre analyse et concèdent qu’« il faut rester ouvert au changement » est une bonne chose. Pour eux : ils donnent au moins l’impression de vouloir rester mesurés et larges d’esprit ; mais le propos même de l’article est affaibli par les déclarations contradictoires qui, en définitive, transforment toute l’affaire en perte de temps. Pour nous : au bout du compte, nous avons appris qu’il y a là-dedans du bon et du mauvais, ce que nous savions déjà.

Pour moi, donc, « en dernière analyse », se contenter de parler du travail de référence virtuel « n’a qu’une efficacité minimale ». Essayez, pour voir ! Vous pourriez finir par l’apprécier ! Et même si décidément il vous rebute, ce n’est pas une raison pour en conclure qu’il est sans intérêt aucun pour notre clientèle. Ce n’est pas une question de convictions personnelles. Rien ne justifie qu’on prive les clients des choix qui s’offrent à eux et des solutions qui (de leur point de vue) pourraient bien être les meilleures s’agissant de se procurer les informations qu’ils recherchent. Laissons-nous guider par leurs besoins pour améliorer le service que nous leur devons. La raison d’être du métier des bibliothécaires, ce ne sont pas les bibliothécaires mais le public auquel ils s’adressent.

Il aurait fallu écrire un autre article : « Le travail de référence virtuel : arguments surfaits et gonflés contre un service qui en réalité n’est pas si mal, après tout » !

Robert

  1. (retour)↑  Ndlr : Plutôt que de présenter à ses lecteurs un service de référence virtuel 24/7 (24h/24, 7 jours/7), tels qu’ils fleurissent aux États-Unis, le BBF a préféré enrichir ce dossier des avis, réactions et arguments de bibliothécaires américains. Nous reproduisons donc ici les échanges provoqués par l’article de Steve McKinzie et Jonathan D. Lauer (ci-dessus), sur la liste Web4lib, en décembre 2002.
  2. (retour)↑  Ndlr : Plutôt que de présenter à ses lecteurs un service de référence virtuel 24/7 (24h/24, 7 jours/7), tels qu’ils fleurissent aux États-Unis, le BBF a préféré enrichir ce dossier des avis, réactions et arguments de bibliothécaires américains. Nous reproduisons donc ici les échanges provoqués par l’article de Steve McKinzie et Jonathan D. Lauer (ci-dessus), sur la liste Web4lib, en décembre 2002.