Le débat avec la salle

Christophe Pavlidès

Organisé par le BBF et l’Enssib, le 25 mars dernier, dans le cadre du Salon du livre de Paris, le débat « Vous devez filtrer Internet. Quoique. » a permis de confronter des points de vue divers, voire opposés, sur l’accès à Internet. À partir de l’exemple américain, le filtrage des informations a été analysé d’un point de vue administratif, économique et politique. Si certains des intervenants ont mis en avant la liberté d’information, d’autres ont souligné les effets pervers d’une liberté absolue, sans encadrement ni contrôle, de l’accès à Internet. Une seule certitude : le débat reste ouvert.

Organised by the BBF and Enssib on March 25 of this year, in the setting of the Salon du livre de Paris, the debate “You must filter the Internet. But then again…” gave an opportunity for various points of view to be put forward, including conflicting ones, on access to the Internet. Starting from the American example, the filtering of information has been analysed from administrative, economic and political points of view. If some of the contributors have urged freedom of information, others have underlined the perverse effects of absolute freedom, unsupervised and uncontrolled, of access to the Internet. One thing is certain: the case remains open.

Am 25 März 2002 fand eine Diskussion zum Thema “Das Internet muss gefiltert werden. Und trotzdem…” im Rahmen des Büchersalons in Paris statt. Diese wurde von BBF und Enssib organisiert und erlaubte die verschiedenen Gesichtspunkte und Ansichten zum Internetzugang gegenüber zu stellen. Ausgehend vom amerikanischen Beispiel, wurde das Ausfiltern von Informationen unter administrativen, ökonomischen und politischen Gesichtspunkt analysiert. Während einige der Teilnehmer vor allem die Freiheit der Information hervorgehoben haben, unterstrichen andere den perversen Effekt der absoluten Freiheit ohne gesetzlichen Rahmen oder Kontrolle beim Zugang zum Internet. Eines ist sicher: die Diskussion geht weiter.

Organizado por el BBF y el Enssib, el 25 de marzo último, en el marco del Salon del libro de Paris, el debate “Debe usted filtrar internet. No vaya a ser.” Permitió confrontar puntos de vista diversos, incluso opuestos, sobre el acceso a Internet. A partir del ejemplo americano, el filtraje de las informaciones fue analizado desde un punto de vista administrativo, económico y polÌtico. Si algunos de los expositores pusieron por delante la libertad de información, otros subrayaron los efectos perversos de una libertad absoluta, sin custodio ni control, del acceso a Internet. La única certidumbre: el debate está abierto.

Les débats sur la censure ne sont pas une nouveauté pour une profession de médiateurs et de passeurs, et le Salon du livre s’en est souvent fait l’écho, le BBF également : qu’il suffise de rappeler la façon dont l’un comme l’autre ont reflété les interrogations et prises de position de la profession sur la censure des bibliothèques dans les villes dirigées par l’extrême-droite depuis 1995.

Mais c’est sans doute la première fois que la question de la censure sur l’Internet est abordée aussi directement par les bibliothécaires français, et le Bulletin des bibliothèques de France a souhaité donner un écho important dans ces pages au débat animé le 25 mars 2002 par Anne-Marie Bertrand. En effet, les bibliothèques jouent un rôle notable mais finalement très nuancé dans l’accès du grand public à la Toile et à ses services.

Après un rappel, par Anne-Marie Bertrand, de l’article de Jack Kessler dans ces pages (2002, n° 2) et la mise en perspective par Hervé Le Crosnier de la question du filtrage sur le réseau, Nic Diament aborde la question sensible du filtrage dans les bibliothèques enfantines, Philippe Debrion présente l’exemple des médiathèques de Saint-Quentin-en-Yvelines et Christophe Evans l’enquête d’E. Pedler et O. Zerbib qui montre que les usages d’Internet restent en construction.

Le débat avec la salle, riche et souvent passionné, fait apparaître les lignes de fracture entre les tenants d’une ligne qu’on pourrait qualifier de libérale-libertaire, insistant sur la responsabilité individuelle dans un monde inévitablement dangereux, et les tenants d’une ligne qu’on pourrait qualifier de préventive-coercitive, justifiant le filtrage au nom de la protection et au risque de la censure préalable. Ces lignes de fracture pourraient apparaître comme des caricatures, si l’on n’a pas à l’esprit qu’elles n’opposent pas deux groupes dans la profession mais deux parts de chacun d’entre nous : Michèle Rouhet (Paris 10 - Médiadix) exprime ainsi la gêne qu’on peut ressentir entre le désir de liberté totale et le risque d’aller trop loin vers la censure ; comme le dit Bruno Carbone (BM de La Rochelle), Internet est un outil et à ce titre peut être, comme le langage, la meilleure ou la pire des choses, et des courants de répression se sont emparés de ce qui apparaissait comme un outil de liberté.

D’autre part, Hervé Le Crosnier et Nic Diament mettent en garde sur la tentation implicite, à travers le filtrage, de faire de la bibliothèque un endroit préservé de la société. Or nous vivons dans le réel, et quel réel : protéger les enfants sur Internet à la bibliothèque ne les protège ni dans la rue, ni dans les kiosques à journaux, ni devant la télévision. En fait, comme le souligne Philippe Debrion, le scrupule du bibliothécaire vis-à-vis de l’accès au réseau procède peut-être également de la liberté particulière que l’utilisateur y cultive : il ne s’agit plus du libre accès à des documents choisis par le bibliothécaire, il s’agit du libre accès à des sites que le bibliothécaire n’a pas choisis, et ce malgré tout le soin mis aux « sitothèques » : c’est un véritable choc pour des professionnels d’ordinaire plus prescripteurs qu’ils ne le pensent.

Gérald Grunberg (directeur de la BPI), pour sa part, insiste sur les dérives d’usages et sur le devoir légal des bibliothécaires de signaler et de faire sanctionner judiciairement les délits que constitue la consultation de certains sites. Hervé Le Crosnier, implicitement interpellé, précise son propos : il ne remet pas en cause le rôle de la police et de la justice, mais considère que pour autant les bibliothécaires n’ont pas à participer, à travers un contrôle préalable, à l’instauration d’une « société de dénonciation collective ». Comment arriver à concilier protection de l’individu et protection de sa liberté : « La solution n’est pas simple », comme le souligne Bruno Carbone, et ce pourrait être le mot de la fin si l’on se résolvait à conclure ; mais le peut-on ?