Internet en médiathèque : restrictions et libertés

Philippe Debrion

Organisé par le BBF et l’Enssib, le 25 mars dernier, dans le cadre du Salon du livre de Paris, le débat « Vous devez filtrer Internet. Quoique. » a permis de confronter des points de vue divers, voire opposés, sur l’accès à Internet. À partir de l’exemple américain, le filtrage des informations a été analysé d’un point de vue administratif, économique et politique. Si certains des intervenants ont mis en avant la liberté d’information, d’autres ont souligné les effets pervers d’une liberté absolue, sans encadrement ni contrôle, de l’accès à Internet. Une seule certitude : le débat reste ouvert.

Organised by the BBF and Enssib on March 25 of this year, in the setting of the Salon du livre de Paris, the debate “You must filter the Internet. But then again…” gave an opportunity for various points of view to be put forward, including conflicting ones, on access to the Internet. Starting from the American example, the filtering of information has been analysed from administrative, economic and political points of view. If some of the contributors have urged freedom of information, others have underlined the perverse effects of absolute freedom, unsupervised and uncontrolled, of access to the Internet. One thing is certain: the case remains open.

Am 25 März 2002 fand eine Diskussion zum Thema “Das Internet muss gefiltert werden. Und trotzdem…” im Rahmen des Büchersalons in Paris statt. Diese wurde von BBF und Enssib organisiert und erlaubte die verschiedenen Gesichtspunkte und Ansichten zum Internetzugang gegenüber zu stellen. Ausgehend vom amerikanischen Beispiel, wurde das Ausfiltern von Informationen unter administrativen, ökonomischen und politischen Gesichtspunkt analysiert. Während einige der Teilnehmer vor allem die Freiheit der Information hervorgehoben haben, unterstrichen andere den perversen Effekt der absoluten Freiheit ohne gesetzlichen Rahmen oder Kontrolle beim Zugang zum Internet. Eines ist sicher: die Diskussion geht weiter.

Organizado por el BBF y el Enssib, el 25 de marzo último, en el marco del Salon del libro de Paris, el debate “Debe usted filtrar internet. No vaya a ser.” Permitió confrontar puntos de vista diversos, incluso opuestos, sobre el acceso a Internet. A partir del ejemplo americano, el filtraje de las informaciones fue analizado desde un punto de vista administrativo, económico y polÌtico. Si algunos de los expositores pusieron por delante la libertad de información, otros subrayaron los efectos perversos de una libertad absoluta, sin custodio ni control, del acceso a Internet. La única certidumbre: el debate está abierto.

C’est un euphémisme de dire que l’accès à Internet pose question dans les bibliothèques. C’est d’ailleurs souvent le cas pour l’introduction d’un nouveau support ou d’un nouveau mode d’accès au savoir, à l’information, à la documentation ou aux loisirs.

Mais là, contrairement à un nouveau support, les questions vont certes porter sur les aspects matériels comme sur les contenus, mais en plus sur les usages pratiqués par le public via les sites consultés.

Usages en public

Car ce public échappe bien souvent aux recommandations que nous pourrions instituer sur la consultation des sites. Encore une fois, nous faisons référence à nos pratiques professionnelles : ce qui est proposé au public fait l’objet d’un choix de notre part, choix qui nous conduit à être dans une stratégie d’offre et à avoir, bien souvent, une tentation ou une pratique prescriptive.

Certes, nous savons que le public n’est pas une entité formant un tout homogène. L’hétérogénéité des usagers conduit nécessairement à une hétérogénéité des pratiques. Il n’est donc pas étonnant que cela se reproduise dans la diversité des modes d’accès à Internet, aux usages que peut en attendre le public.

Nous sommes également confrontés à une autre démarche : celle de la consultation d’Internet dans un espace public et donc avec tout ce que cela présuppose de respect, de regard des autres ou d’autocensure, d’une pratique individuelle, intimiste dans un lieu public. Ainsi, utiliser un ordinateur dans une bibliothèque ne génère pas forcément les mêmes pratiques que dans un espace privé.

Nous sommes donc confrontés à un instrument de liberté totale (à la condition que le système ne soit pas sécurisé) où chacun peut agir à sa guise, dans le respect ou la transgression des règles.

Bien entendu, cela ne peut que déclencher des questionnements et conduire dans bien des cas à instaurer des limitations d’accès. Faut-il laisser à chacun la liberté de consultation, faut-il orienter et cadrer ces consultations ? Les aspects juridiques nous laissent-ils la possibilité de cette liberté ? Qu’en est-il de l’accès à Internet par les enfants, quelles sont nos responsabilités ? Peut-on se conduire dans un espace public comme dans un espace privé ?

Pour notre part, à Saint-Quentin-en-Yvelines, nous n’avons pas trouvé toutes les réponses, loin de là. Par contre, nous avons mis en place deux types d’accès censés nous dégager de certaines interrogations.

Dans les halls des médiathèques de Saint-Quentin-en-Yvelines, nous avons installé des bornes qui ne sont théoriquement pas limitées dans leur accès à Internet, sauf pour le temps de consultation. Je dis théoriquement, car ces bornes ne sont pas uniquement installées dans les médiathèques mais dans une multitude de lieux publics de la ville. Or certaines plaintes de parents ont conduit le service qui fournit cette prestation à limiter certains accès. Cela tourne essentiellement autour des sites pornographiques.

D’autres postes sont installés dans les salles, mais cette fois ils ont été limités dans leur accès. Cela a posé d’importants problèmes puisque cette limitation finissait par gêner considérablement la consultation. Les bibliothécaires, pour éviter l’usage des mails, du chat, de la consultation de certains sites, avaient établi des critères de sélection qui finissaient par interdire toute consultation. Depuis peu de temps, nous avons à nouveau autorisé l’usage du courrier électronique et du chat.

Internet et les collections

Mais cette situation est appelée à se modifier à nouveau. Dans quelques mois, chaque poste de consultation du catalogue permettra l’accès à Internet. Évidemment, des sites seront proposés au public avec un classement et une organisation proches de la Dewey. Certains pourront cependant sortir de ce cadre et naviguer librement. De ce fait, nous reviendrons à notre point de départ mais à une échelle plus importante.

Faut-il croire pour autant que nos pratiques professionnelles soient remises en cause dans ce type de démarche ? Y a-t-il véritablement conflit dans le mode de constitution de nos collections et l’accès à Internet ?

Nous ne pouvons comparer que ce qui est comparable. Or Internet et la collection d’une bibliothèque ne relèvent pas des mêmes principes, des mêmes contenus, loin de là. Dès le moment où nous décidons d’installer Internet dans une bibliothèque, nous ne mettons pas seulement en place une sorte de complément aux collections. Nous mettons à disposition un moyen d’accès dont nous ne pouvons maîtriser les contenus, les pratiques. C’est le public qui prend en charge sa propre recherche, décrète son propre usage. Bien sûr, nous pouvons aider, orienter, former même, mais après, nous ne pouvons rester derrière chaque utilisateur pour décider de ce qu’il doit consulter ou non.

Cela pose également la question de l’usage de l’outil informatique. Internet fait bien souvent partie d’un ensemble plus vaste. Quelles peuvent être les possibilités d’accès à un poste ? Devons-nous ouvrir l’usage de certains logiciels, complémentaires ou non d’Internet ou devons-nous restreindre encore une fois cet usage ? Il n’est pas certain que nous soyons en mesure de répondre aux sollicitations du public.

Enfin, qu’est-ce qu’Internet sinon le reflet de notre société étendu à une dimension mondiale. Il n’est que ce que nous en faisons et dans ce domaine nous ne pouvons que constater son évolution, ses difformités comme ses qualités. Et nous nous trouvons pris dans cet engrenage. Nous pouvons toutefois considérer que cette évolution est inexorable. Peut-être que dans quelques années nous sourirons de nos craintes actuelles, de nos hésitations. Peut-être aussi regrettons-nous les dérives qui peuvent intervenir comme celles qu’a soulignées Hervé Le Crosnier ? Pour l’instant il y a des questions pour lesquelles je n’ai pas de réponse, mais ne dit-on pas que, quand on connaît la question, on détient déjà la moitié du problème ?